Texte et photos Bruno Jaffré
Le festival Afrikabidon, “Le festival des rencontres Africaines”, selon le site officiel à l’adresse http://www.afrikabidon.com/ s’est tenu du 14 Juillet au 15 Août 2010. Un retour après une interruption de plusieurs années, la dernière édition datant de 2007. Au programme, conférences, cinéma, littérature, expositions, concerts, atelier, stages et marché africain… Bref un programme riche et varié.
A l’initiative du Point Afrique, une coopérative qui organise des vols et des voyages à des prix abordables, il se tient à Bidon ou se trouve ses locaux.
Une programmation bien éclectique vue de la diversité des personnes invitées. Notons par exemple Jacques Godefrain, ancien ministre de la coopération des gouvernements de droite, lié aux réseaux Foccart, Jean Marie Bockel passé du parti socialiste au gouvernement Sarkozy… Et que dire de Pierre Péan, auteur à succès… Nous avions apprécié un de ses premiers livres, “Affaires Africaines” qui consacrait un chapitre sur Sankara. Depuis, il a fait du chemin. maintenant qu’il prend le parti des négationnistes du génocide au Rwanda. Dernière élucubration en date, il écrit dans son dernier ouvrage que SURVIE, dont je suis un membre actif, serait financé par la CIA dont… Moi qui fréquente l’association de l’intérieur, qui connait son refus des subventions et sa pauvreté, ce genre d’affirmation ne peut que ranger pour moi Pierre Péan parmi les journalistes peu fiables.
Mais seront invités aussi Pierre Rahbi, Comi Toulabor et Raphaël Granveau de SURVIE, Sylvie Brunel etc..
Une diversité revendiquée par Le président du Point Afrique, grand ordonnateur du festival, dont nous ferons connaissance. Il s’agit pour beaucoup de relations de jeunesse et sans doute tient-il à garder quelques relations bien placées pour faire tourner le Point.
Mais ce qui est bien avec Maurice Freud, c’est qu’il raconte. Nous avons profité de notre séjour là-bas pour l’interviewer. Il en ressort quelques révélations. Personnage haut en couleur, revendiquant la liberté de cette diversité, ancien étudiant communiste devenant pourfendeur des compagnies aériennes qui maintenaient les prix artificiellement élevés, lorsqu’il créa très tôt la Point Mulhouse. J’ai voyagé avec lors de mes premiers voyages en Côte d’Ivoire puis au Burkina, alors Haute Volta, au début des années 80. Dans des conditions certes parfois difficiles, voir rocambolesques certes, mais à des prix défiant toute concurrence.
Cette année, le festival avait programmé un hommage à Thomas Sankara pour le 23 juillet. Nos contacts furent soutenus avec l’organisation du festival avec qui nous avons échangé puisqu’on m’avait demandé quelques conseils pour la programmation musicale. Si Smockey fut programmé avec enthousiasme, impossible par contre contre de convaincre les jeunes filles qui semblaient avoir tous les pouvoirs pour choisir, de faire venir Sams’K Le Jah… Pourtant l’un des porte paroles le plus en vue de la jeunesse burkinabé, bien connu par les fidèles de notre site, et auteur d’un album hommage à Thomas Sankara (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=292 où l’on peut aussi écouter deux morceaux)
Arrivé sur place, l’endroit est charmant, très boisé. Une partie du lieu est occupé par des artisans qui peuvent ainsi exposer et vendre leurs créations. Tous ceux qui étaient prévus n’ont pas pu venir. La France délivre les visas de plus en plus difficilement…
L’affluence n’est malheureusement pas au rendez-vous. En réalité lé décision de tenir le festival a été prise tardivement d’où la difficulté de communiquer à temps et de rassembler beaucoup de fonds. Un avantage, cependant, le Point Afrique possède des avions et ne débourse donc que très peu, pour transporter des invités en provenance de l’Afrique, mais il reste encore à rassembler les fonds pour financer tout le reste.
Je fais enfin connaissance avec Smockey et sa femme Kady tout deux présents ici. La discussion s’engage rapidement. Nous avons tant à nous dire.
Je retrouve aussi Christophe Cupelin, que j’avais rencontré une fois en Suisse. Il est ici pour présenter son film que je suis impatient de voir. Christophe est un vrai passionné. Thomas Sankara est entré dans sa vie au cours d’un séjour au Burkina et ne l’a plus quitté. Il a même suivi une formation de cinéma pour faire ce film qu’il en projet depuis de nombreuses années. Il semble enfin avoir bien avancé. Son fil “A BAS”, m’apparait vraiment comme une réussite… Difficile encore de trop en, parler car il s’agit d’une version de travail. Mais par rapport à ce qui est sorti jusqu’ici, l’angle est totalement différent. Affranchi des contraintes de production qui consiste à se plier aux marchés des télévisions, il prend des libertés avec les contraintes sur la durée temps et s’affranchit du côté didactique qu’on imposé les chaines pour les films sortis.
Le sien est plutôt un pavé percutant. Il s’appuie presque exclusivement sur des archives images et sons. Certes, l’hommage a Sankara est présent, notamment par des citations judicieusement choisies, mais il va plus loin, en se prenant traitant aussi de la personnalité et de Et il dépasse l’hommage à Sankara pour s’en prendre à Blaise Compaoré, les côtés sombres du personnage
Smockey présent à la projection est aussi emballé que moi. Dommage qu’il n’y ait pas plus de monde pour en profiter… mais pour Christophe le film continue… A suivre donc… Aux dernière nouvelles, en janvier 2010, Christophe Cupelin en serait à deux films de plus d’une heure. Vivement qu’il termine… Ce film constituera sans nulle doute une oeuvre d’utilité publique.
Autre spectacle programmé, la pièce de Carlos Ouedrago, “Sankara la Lutte en marche” (voir la présentation à l’adresse http://thomassankara.net/?p=567), un mélange de morceaux discours de Thomas Sankara et d’extraits du livre d’Alfred Sawadogo intitulé “Thomas Sankara, Chef de la révolution Burkinabé 83 – 87, portrait” (voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=141 ). Les talents de conteur de Carlos, soutenus par d’excellents musiciens, leur donnent une seconde vie.
Puis ce sera le tour de la conférence – débat pour lequel j’ai été invité. Je me faisais une joie de faire connaissance avec Joséphine Ouedraogo, ministre de l’Essor familial et de la Solidarité nationale pendant la révolution. Malheureusement elle sera excusée, victime d’un accident de la circulation. Désistement aussi de Guy Delbrel, ancien ami de Thomas Sankara, aujourd’hui responsable Afrique d’Air France, retenu par son travail. Il fut un temps question d’avoir aussi Etienne Zongo, l’aide de camp de Sankara, de passage en France mais ce dernier n’arrivera pas à se libérer. J’aurai donc tout le loisir de faire un exposé complet que les origines de la révolution, son contenu, mais aussi sur l’assassinat de Thomas Sankara. La pétition récoltera d’ailleurs à Afrikabidon, plusieurs dizaines de signatures dont celle de Maurice Freund.
On peut écouter l’enregistrement de la conférence ci-dessous en cliquant sur la flèche verte
Le débat tournera essentiellement comme c’est souvent le cas sur les CDR. Voilà ce qu’en dit Olive Montel sur son blog (voir à l’adresse http://humeurs-olivem.blogspot.com/2010/08/afrikabidon-un-petit-coin-dafrique-en.html ) :
“OK pour la CARRURE du personnage politique : pédagogie, lucidité et pragmatisme, attention portée à la jeunesse, charisme et visionnaire,intégrité etc. Mais l’attention n’est peut-être pas suffisamment portée sur les contraintes économiques, sur le coût social et politique des mesures perçues comme « anti-fonctionnaires » en milieu urbain (même si Sankara avait raison sur le fond), sur le coût que constitue le fait de s’être mis les Chefferies à dos. Sur le moyen terme, sa rhétorique aura fini par être perçue comme quelque chose de coercitif – notamment par la « petite bourgeoisie urbaine ».
C’est tout un tas de petites choses qui fera que le climat se détériorera à Ouaga : l’obligation de porter du Faso Dan Fani, le sport obligatoire du jeudi, les journées de travaux agricoles obligatoires, etc. Des trucs sur lesquels il avait raison sur le fond, mais qui finiront par lui faire du tord sur la forme… En fait il y a à ce niveau-là un hyatus lors de tels épisodes « révolutionnaire » : d’un côté il faut propager le discours, faire dans la “pédagogie révolutionnaire” voire dans la rhétorique révolutionnaire pour espérer pouvoir convaincre et susciter l’adhésion. D’un autre côté, les CDR ont fini par être perçus comme quelque chose de coercitif. Toute une branche des CDR armés mal maitrisée, de même qu’une certaine partie des militaires. Comme dit Bruno J., quand on parle des CDR il faut certes parler de tout. Mais je pense pouvoir dire qu’à partir de mi-2006 ces CDR sont plus perçus comme quelque chose de coercitif que pour le fait de faire du « social » ou du « productif »…
Il est probable aussi que Sankara a sous-estimé le poids des syndicats, en tous cas en milieu urbain et chez les fonctionnaires. Il est sans doute difficile de gérer une phase révolutionnaire sans qu’il y ait une symbiose minimale avec les syndicats…
Mais surtout il semble que j’aie sous-estimé le poids de l’International dans le putsch du 15 octobre 1987. J’apprends que le Liberia et certains des sbires mercenaires de Taylor auraient trempé dans la préparation du putsch. Taylor lui-même aurait été vu à Ouaga le 15 octobre 1987… Je ne le savais pas. Par contre ce qu’on savait déjà, c’est que Sankara dérangeait un peu tout le monde sur la scène Africaine et internationale, y compris sur ses prises de positions radicales sur la dette (point de vue visionnaire puisqu’il passera en partie dans les faits 20 ans plus tard – ndlr). Notamment les occidentaux et en particulier la Françafrique de Chirac et autres Foccart, s’appuyant dans la région sur l’influence de la crapule d’Houfouet.”
Pour compléter ce compte rendu, je crois me rappeler que nous avons eu une intervention de Smockey qui a insisté sur l’importance de cette révolution pour la jeunesse d’aujourd’hui, de Cheikh Omar Cissoko, le cinéaste sur la façon dont elle avait été ressentie dans la région et d’une autre personne qui a raconté comment les paysans avaient cru à Thomas Sankara et aux transformations qu’il avait initiées.
L’hommage se terminera par le concert de Smockey. Une réussite. Pas assez de monde, certes, il est peu connu en France et le festival a du mal à démarrer. Pourtant tout est bien réglé, les musiciens en osmose avec le chanteur… Le rappeur préféré des burkinabè dont l’engagement ne fait que croitre nous crache sa rage, sa révolte. Il nous convie au combat. Smockey donne le maximum, transpirant à grosses gouttes malgré une température plus clémente que celle de Ouagadougou. Mais il sait aussi prendre des allures de chanteur, nous livrant quelques jolis mélodies, sur des paroles riches de contenu, tout en se jouant des mots, démontrant encore ici toute l’étendue de son savoir faire…
Pour nous, le morceau sur les cinquante ans d’indépendance (voir les paroles et écouter le morceau à l’adresse http://thomassankara.net/?p=957 ), est une très grande réussite, aussi bien pour le contenu politique que pour l’orchestration. Ce morceau n’a pas reçu l’accueil qu’il aurait du lors de ce cinquantième anniversaire des indépendances, alors qu’il aurait pu inonder les radios et télé africaines.. et françaises…
Un bien bel hommage donc assez divers à l’image de la diversité des milieux que Le personnage de Thomas Sankara fascine.
Texte et photos Bruno Jaffré