Vingt ans Ferme

 

Nous publions ici trois articles extraits du numéro spécial de Bendré http://www.journalbendre.net/ paru le 15 octobre 2007 à l’occasion de la commémoration du 20ème anniversaire de la mort de Thomas Sankara

 

 

 

 

La Formation militante d’un combattant

 

Par Pabeba SAWADOGO

 

Pour la première fois en Haute Volta, au sein même de la direction politique de l’État, un ministre ose démissionner. Nous sommes le 21 avril 1982. Le capitaine Thomas Sankara écrit, non sans culot au Comité militaire de redressement pour le progrès national, afin de reprendre sa liberté. Car cette première, dans un régime militaire de surcroit, peut avoir de sombres conséquences. Mais le fait le plus important ici c’est l’affirmation cinglante du démissionnaire. Il se paye de luxe de “rappeler” que tout pouvoir a nécessairement “un contenu de classe”. Cette sentence qui tient de l’analyse dialectique de la société, si elle semblait évidente dans le mouvement étudiant et dans le cercle clandestin de gauche, était une première venant de la part d’un officier formé à la dure école des unités d’élites.

C’est cette démission qui révélera à la jeunesse et au peuple voltaïque, l’homme politique Sankara ou plus précisément le militant progressiste. Mais avant d’en arriver là, un retour sur le parcours politique de cet officier iconoclaste.

Le Président Thomas Sankara, leader de la révolution, froidement et lâchement assassiné le 15 octobre 1987 a forgé sa stature d’homme d’État et de leader depuis son jeune âge.

Conscient très tôt qu’il était un devoir patriotique de faire œuvre utile pour son pays, en combattant pour libérer ses frères et sœurs de la misère écrasante, de la dépendance politique et économique, Thomas par une auto formation rigoureuse et scientifique va se préparer à l’avènement de la révolution.

Nous vous donnons ici un bref aperçu de ce parcours militant avant son ascension à la gestion du pouvoir d’État. Séjour à Madagascar

Après son bac au prytanée Militaire du Kadiogo, Thomas est envoyé à Madagascar, plus précisément à l’Académie Militaire d’Antsirabé pour y subir une formation d’officier. Laissons parler Bruno Jaffré dans “Biographie de Thomas Sankara” (édition l’Harmattan) : “…Thomas ne se contente pas de suivre assidûment ses études. Il va prendre une part très active à l’animation de la vie de l’Académie. Son compatriote Jean Simporé n’est pas en reste puisqu’il va animer le club photo. Tous deux vont donc travailler ensemble. Thomas Sankara devient rédacteur en chef du journal de l’Académie RALLIEMENT. Il s’initie et se passionne pour le journalisme, redouble d’énergie et s’y investit totalement. Il a vite compris que l’écriture est un des meilleurs moyens de mémoriser, mais aussi qu’elle oblige à approfondir la réflexion puisqu’elle consiste à formuler des idées pour les faire passer à d’autres, pour se faire comprendre, voire convaincre. Il découvre la fièvre de la construction d’un numéro de journal, de la conception abstraite et théorique jusqu’à ces quelques pages remplies qu’il a fallu équilibrer petit à petit après être passé par le doute et enfin le plaisir d’être lu. Il peut ici mettre à profit son goût pour la langue française et son sens des formules. Il s’initie aussi à l’animation d’une équipe, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il est parmi les plus jeunes si ce n’est le benjamin.”

Ce travail de communicateur sera apprécié positivement par la hiérarchie de l’Académie qui le signifiera en ces termes : “Félicitations pour son comportement remarquable et son travail personnel, les résultats obtenus au cours du cycle de formation et l’influence heureuse qu’il a eue comme rédacteur en chef du journal de l’Académie”.

 

Sciences humaines

Bruno Jaffré dans la biographie précitée nous apprend que Thomas “… se passionne pour les sciences humaines, économie politique la première année, sociologie la deuxième et sciences politiques la troisième. Son professeur de sociologie, M. Théophile Andrianoelisoa, qui deviendra plus tard Conseiller Suprême de la Révolution exerce une certaine influence sur lui. Il s’agit surtout de sociologie pratique, alors, on étudie par exemple les stratégies de pénétration des paysans”.

Thomas tout en se formant contribuera à la formation de certains de ses cadets qui débarqueront aussi à Antsirabé pour conquérir des gallons. L’ancien Président nigérien Ibrahim Baré Maïnassara dira de lui : “Il faisait notre formation idéologique. Nous avons beaucoup appris grâce à lui… En tant qu’aîné, disait-il, il était de son devoir de nous ouvrir les yeux sur les réalités du monde. Ce qui m’a le plus frappé, c’est sa très grande disponibilité à se mettre au service des autres. Et puis sa franchise, disons sa sincérité. Et enfin sa manière d’expliquer les choses avec simplicité et pragmatisme. Aujourd’hui, on dirait qu’il avait tout simplement le don de communiquer. Nous passions des heures à l’écouter sans nous lasser”. (Mon ambition pour le Niger. Entretien avec Senen Andriamirado, J.A n° 1894-1895).

 

Le retour au pays

Rentré au bercail, Thomas Sankara va être révélé au peuple voltaïque par les actes de bravoure qu’il aura à l’occasion du conflit malieno-voltaïque en 1975. Mais là n’est pas notre propos. Déjà en 1973, Sankara va initier une association de jeunes officiers (élèves officiers, sous-Lieutenant et Lieutenant). Au sein de cette structure informelle, on y discute un peu de tout et on passe le plus clair du temps à critiquer. Parallèlement à ses activités militaires, ou plutôt concomitamment à ses activités ci, le jeune Sankara va procéder discrètement et méthodiquement à des contacts plus poussés avec un certain nombre d’officiers qu’il aura repérés. Ces contacts donneront naissance le 21 juillet 1978 à 23 heures à une organisation clandestine dénommée “l’Arête” dont le préambule du règlement intérieure stipule : “Il est créé un mouvement clandestin dénommé “l’Arête”. Son but est de rechercher, regrouper, organiser tous les officiers et éventuellement tous les voltaïques qui, par leurs idées progressistes et leurs actions, sont susceptibles de lutter sincèrement pour un changement politique et social réel au profit des masses populaires voltaïques. L’adhésion à ce groupe exclut l’appartenance à toute autre organisation politique”.

 

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Sankara aimait-il son peuple ?

 

PAR O.A. DJAMILA

 

Lorsqu’un homme politique aime le peuple qu’il sert, cela signifie que ses préoccupations de tous les instants sont tournées vers la satisfaction des besoins essentiels de son pays. En ce moment on ne mène pas une politique du ventre pour soi mais une politique de justice sociale vis-à-vis des populations. Autrement dit, un homme politique doit être jugé sur la base de ses résultats et apprécié du point de vue des intérêts du peuple.

La Révolution d’Août 1983 s’est imposée après un état des lieux sur le plan politico-économique, socio-culturel du pays frisant le désastre. Vingt trois années “d’indépendance” pour la forme, vingt trois années de dépendance dans le fond ne pouvaient que mener un patriote de la trempe de Thomas Sankara à cogiter sur les transformations possibles à opérer par nécessité. Nécessité du fait de la paupérisation révoltante des masses allant grandissante. Quelques indices caractérisent la situation socio-économique des années 80 : on compte un médecin pour 49,280 personnes, moins de 25% de la population a accès à l’eau potable ; la mortalité infantile y est l’une des plus forte au monde avec 186 décès pour mille. Sur le plan économique, la balance agricole y est constamment négative avec un déficit de 0,10 milliards de francs soit 2% du PNB ; le poids de la dette extérieure et très lourd ; la corruption gangrène l’administration et les détournements de fonds ne connaissent aucune sanction réelle transformant la chose publique en une propriété privée.

“Je suis un paquet de projets, de conviction, de foi en un avenir qui parfois requiert plus que de l’audace” Pour sortir de ce gouffre, Thomas Sankara choisit la voie révolutionnaire comme alternative conséquente. Cette voie avait pour ambition majeure le changement : changer les mentalités des populations habitués à l’assistanat à compter d’abord sur elles-mêmes (sans cependant tomber dans l’autarcie, l’essentiel étant d’abord et principalement de croire en soi) ; secouer la léthargie d’une administration coupée par ses pratiques laxistes et arrogantes de ses administrés ; reformer une armée budgétivore afin de la rendre plus utile ; mener une politique de l’éducation à même de sortir la majorité de la population de la nuit de l’ignorance etc etc. De grandes ambitions à la mesure des grands maux du Burkina que la volonté farouche se proposait de venir à bout en comptant sur le peuple ; “le développement d’un pays ne peut être l’oeuvre d’un service administratif, fut-il hautement révolutionnaire et organisé, mais plutôt l’œuvre d’un peuple. On ne développe pas un peuple” disait-il. Un peuple se développe lorsqu’on lui donne les armes nécessaires à son épanouissement.

 

Armes quantifiables

Ces armes sont d’une part quantifiables et peuvent être recensées dans un bilan chiffrable :

c’est sous Thomas Sankara que s’opéra la plus grande campagne de vaccination qui vit à terme un population d’environs 2 700 000 enfants de 7 à 14 ans vaccinés contre la rougeole et la fièvre jaune ; c’est également sous son autorité que le taux d’alphabétisation passa de 16 à 22%, qu’il y a eu une couverture de 8 363 hectares sites anti-érosifs par an contre 1338 hectares par an de 1960 à 1983 ; on peut aussi noter la construction de 32 barrages et retenues d’eau contre 20 seulement de 1960 à 1983, faisant ainsi passer le volume d’eau stockée de 8,7 millions de tonnes à 302,4 millions, etc. Ces armes peuvent d’autre part être perçues sous l’angle d’un bilan qualitatif. En effet d’Août 83 au 15 octobre 1987, il y eut sans relâche des campagnes de moralisation et de conscientisation ayant pour but d’inculquer au peuple travailleur du Burkina et à sa jeunesse les sentiments d’intégrité, de dignité et du travail comme élément de valorisation sociale et d’émancipation économique.

Assurément Thomas Sankara aimait son peuple pour avoir élaboré tous les plans possibles qui auraient permis de rehausser le niveau de vie de la majorité, c’est-à-dire, des plus démunis. Il ne s’épargnait pas, dans l’ordre des sacrifices demandés. Et dans l’histoire de la gestion des Etats africains. Il demeurera comme l’un des rares chefs d’Etats n’ayant pas cherché à s’enrichir par le biais de l’appareil d’Etat. Loin d’avoir été un saint, l’homme aura marqué de manière particulière et déterminante son époque. Laissons-lui la parole… “Je crois qu’il y a trois façons d’être : tel que les autres vous perçoivent, tel que l’on se perçoit, la vérité qui est entre ces deux visions d’un même individu. Ce dont je suis sûr, me concernant, c’est que je suis un paquet de projets, de conviction, de foi en un avenir qui parfois requiert plus que de l’audace, du nihilisme. Pour le reste, l’histoire nous jugera et me définira”.

 

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Les 1505 erreurs de la Révolution d’août

Par Charles OUEDRAOGO

 

 La révolution d’Août -c’est selon- en s’attaquant aux maux tels la dépendance politique et économique, la corruption, le chômage, a démontré qu’il ne saurait y avoir d’alternative crédible qu’en comptant sur soi-même. Certes, beaucoup de transformations qualitatives -là c’est selon- ont eu lieu. Cependant, il serait “anti dialectique” de ne pas souligner que des erreurs aussi furent commises. L’une des valeurs de la révolution était la justice sociale.

Justice considérée avant tout comme un combat contre l’exploitation capitaliste et impérialiste. Mais les révolutionnaires burkinabé ont, sur bien de points confondu la justice et l’égalité, avec l’égalitarisme. Aussi ils ne se sont pas rendus compte que les progrès de la justice sont indissociables du développement du pluralisme social. Ce penchant égalitariste s’est accompagné d’une ignorance -une négation diront certains- de l’individu au profit du collectif.

Ce faisant, les révolutionnaires ont réduit le processus de transformation sociale en un “communautarisme” en oubliant que le libre développement de chacun est condition du libre développement de tous. Beaucoup de chose ont été dites sur la révolution, il appartient à chacun aujourd’hui, avec le recul, sans passion ni éclectisme, de se pencher sur cette période déterminante de notre histoire. Nous espérons ouvrir par l’article ci-dessous un débat contradictoire et constructif.

Lorsqu’en 1987, le Front populaire prenait le pouvoir au Burkina Faso, son objectif était “d’approfondir la révolution du 4 Août” en la rectifiant. Cette rectification consistait à corriger les erreurs de la révolution (4 Août 1983 au 15 Octobre 1987). Notre propos n’est pas ici de juger de l’opportunité ou non de la rectification encore moins de savoir si les rectificateurs ont réussi. Il s’agit plutôt avec le recul du temps d’introduire le débat sur les erreurs et insuffisances de la période révolutionnaire.

Il y a ceux qui pensent qu’il n’y en a pas eu ou qu’il faut éviter d’en parler. Un point de vue développé par d’anciens acteurs et responsables du défunt CNR. Une seconde catégorie de citoyens (les “réactionnaires” d’alors) jurent que la révolution en elle-même était une erreur. Tout durant cette période était franchement mauvais. Enfin la troisième catégorie (d’anciens acteurs et de non acteurs) reconnaît que la révolution a apporté de bonnes choses mais aussi de mauvaises. Il serait alors “malhonnête” de parler des acquis à longueur de journée et éviter de parler des insuffisances. Retenons seulement que les partisans du 15 octobre ont misé sur les manquements de la révolution pour prendre et fixer leur pouvoir.

 

Les erreurs de la Révolution ?

Thomas Sankara, président du CNR, a dit un jour “nous faisons au moins une erreur par jour”. Un calcul rapide donne 365 erreurs par an soit 1505 erreurs au moins en 4 ans et 45 jours de pouvoir révolutionnaire. Il serait alors fastidieux et difficile d’essayer de les énumérer toutes. S’il faut en parler, il faut essayer d’avoir une juste mesure des choses, situer les responsabilités et éviter ainsi d’accabler le défunt président du CNR et “ses CDR”. C’est sur le plan politique surtout que les plus grandes et regrettables erreurs ont été commises :

atteintes aux droits de l’homme et aux libertés ; absences de démocratie politique (encore qu’au vu de ce qui se passe aujourd’hui, il y a des questions à se poser) ; licenciements et dégagements massifs pour des raisons syndicales et/ou politiques ; bavures CDR ayant coûté des vies humaines ; détentions, arrestations, assassinats, etc.

Thomas Sankara peut-il porter tout ça sur les épaules ? Comment en est on arrivé là ? A notre avis, quatre raisons essentielles peuvent expliquer cette situation :

1-Durant les quatre ans de “la première révolution”, on a tenté d’instaurer au Burkina Faso une démocratie de classe. (cf. DOP). Ainsi, il y avait d’un côté le peuple (ceux qui étaient acquis à la révolution de l’autre côté les réactionnaires (le non peuple ?) ; pour ces derniers, point de salut, de liberté, de droits.

2-La réalité du pouvoir. Qui détenait le pouvoir de décider, de sanctionner ? Malgré les organisations politiques civiles dans ce qui composait les instances de l’exécutif d’alors on sait aujourd’hui que la “fraction militaire du CNR avait son affaire en main”.

3-Les organisations politiques membres du CNR. C’est généralement dans les problèmes de révolution, de ses forces motrices et de ses objectifs finaux que se manifeste avec plus de relief la nature de tout courant politique prétendant découvrir la voie du développement et du progrès social. Aussi, il suffit de savoir comment certains tranchent la question de la transformation sociale pour comprendre à qui profitent leurs opinions.

Disons-nous le, dans certaines de ces organisations, on trouvait des doctrinaires vaniteux et ambitieux qui préféraient avilir le rôle de la théorie en se contentant de généralités nationales. “Si tu n’es pas avec eux, tu es contre la révolution, si tu ne partages pas leurs idées, tu es opportuniste”. Ils étaient la norme, le thermomètre et la température.

4-Les hommes. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour condamner les insuffisances du CNR. Ces mêmes voix hier ont justifié des atteintes aux droits de l’homme, encouragé la torture, réclamé des vies, dénoncé tel ou tel autre, abusé de leur pouvoir, évité de critiquer, etc. Osons croire que les professions de foi actuelles ne sont pas circonstancielles mais résultent d’une réelle prise de conscience. Sur le plan économique, social et culturel, les insuffisances de la Révolution ont plus porté sur la forme que sur le fond. C’est vrai qu’il faut “compter sur nos propres forces”. C’est vrai qu’il faut “faire des sacrifices”. C’est aussi vrai qu’il faut “plus de justice sociale”.

D’importantes mesures et décisions ont été prises dans ce sens, mais hélas la précipitation, la contrainte et le volontarisme aidant, d’aucuns n’ont pas compris le sens et la portée de ces mesures. Comme quoi on ne peut faire le bonheur de quelqu’un contre son gré.

La Révolution d’août a entrepris un combat résolu contre certains maux de notre société mais un combat dispersé. Un projet révolutionnaire doit permettre l’expression de tous les groupes sociaux et de toutes les catégories sociales. Il doit, s’appuyer sur le respect des individus et des minorités, l’affirmation des droits universels de l’homme et de la femme, le refus de toutes les formes d’exploitation et d’oppression. 

 


 

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