Affaire Sankara, Conférence de presse
Déclaration préliminaire de Maitre Bénéwendé Sankara
Ouagadougou le 20 mai 2008
Mesdames, Messieurs les journalistes,
Le 15 Octobre 1987, le Président Thomas SANKARA est sauvagement assassiné avec douze autres de ses compagnons. Le Front Populaire, avec à sa tête le Capitaine Blaise COMPAORE s’empara du pouvoir en proclamant le Mouvement de rectification. Ce mouvement mena une répression sans précédent à travers une épuration politique faite d’assassinats de militaires et de civils dont d’éminentes figures politiques.
C’est dans une telle ambiance de psychose que la veuve du Président Thomas SANKARA persécutée comme l’écrit d’ailleurs Monsieur Valère D. SOME dut quitter le Burkina Faso depuis Juin 1988 pour un lointain exil, laissant derrière elle, un peuple éploré dont le destin était désormais définitivement scellé par le nouveau pouvoir issu du coup d’Etat sanglant du 15 Octobre 1987. Ni les récriminations, les médiations, les protestations et autres dénonciations ne purent ébranler Monsieur Blaise COMPAORE et son Front Populaire.
Quant à la faveur de la Baule, le Burkina Faso put se doter d’une Constitution en 1991, tout le monde a espéré que des juridictions burkinabè allaient se saisir de l’affaire Thomas SANKARA.
Malheureusement, rien n’y fit, obligeant ainsi la veuve SANKARA et ses enfants à déposer plainte le 29 Septembre 1997 (16 jours avant la prescription) avec constitution de partie civile devant le Doyen des Juges d’Instruction du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou. Cette procédure dura plus de quatre ans avec les multiples bizarreries dont l’arrêt n°14 du 16 Janvier 2000 rendu par le Juge SANOU Georges, Président de la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Ouagadougou, lequel « a déclaré les juridictions de droit commun incompétentes ».
Pendant ce temps, Monsieur Sibila Franck COMPAORE, Président de la Chambre Judiciaire dans son arrêt n°46 du 19 Juin 2001 donnait un coup de grâce à la procédure en déclarant le pourvoi formé par le Collectif des Avocats irrecevable parce que dit-il, il n’aurait pas payé une caution de CINQ MILLE (5 000) Francs CFA (7,622 euros).
Tirant ainsi argument des décisions rendues par la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Ouagadougou et la Cour Suprême (aujourd’hui Cour de cassation), les Avocats durent saisir dès le 26 juillet 2001 le Procureur du Faso du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, vu l’article 71, alinéa 3 du Code de Justice Militaire aux fins de saisine du Ministre de la défense, seul habilité à donner l’ordre de poursuite selon la loi.
Par lettre n°1109/MJPDH/CA.TGIO/OUA/BF du 23 Juillet 2001, le Procureur du Faso, Monsieur Malobaly Alphonse TRAORE conclut lui aussi à la prescription du dossier en arguant que la requête des Avocats de la défense porte sur des faits qualifiés crimes qui dateraient de plus de treize (13) ans huit (08) mois à la date du 23 Juillet 2001.
Et pour couronner toute cette parodie, le Ministre de la défense de l’époque, Monsieur Kwamé LOUGUE, déclarait ironiquement dans le journal Le Pays n°2493 du 22 Octobre 2001 qu’il n’a pas été saisi de l’affaire Thomas SANKARA alors même que ses services ont enregistré une requête dans ce sens le 20 Juin 2001 sous le numéro 2757.
Mesdames, Messieurs les journalistes,
Comme vous le constatez, la mauvaise foi était puante et manifeste. Dix ans après l’avènement de la Constitution, les autorités de la 4e République, malgré les professions de foi ont décidé de denier, voire même défier la loi fondamentale et même la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le pacte relatif aux droits civils et politiques auxquels le Burkina Faso a souscrit.
C’est donc fort de son bon droit et soutenue par des Avocats ainsi que des associations et organisations non gouvernementales de droits humains que la famille SANKARA décida de saisir le Comité des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à travers le Collectif Juridique International Justice pour Sankara.
Dans leurs conclusions, les Avocats de la famille du Président SANKARA demanderont au Comité des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies :
1°) l’institution immédiate d’une enquête judiciaire impartiale au Burkina Faso dans le but de dûment établir les circonstances de la mort de Thomas SANKARA conformément à l’article 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ;
2°) de fournir des recours spécifiques relativement à la violation de l’article 14 du pacte relatif aux droits civils et politiques ;
3°) dans l’éventualité où l’Etat partie, c’est-à-dire le Burkina Faso refuserait de coopérer, la défense exhortait le Rapporteur Spécial sur le suivi à mener une mission indépendante au Burkina Faso pour établir les faits.
Quant à l’Etat du Burkina Faso, il concluait à l’irrecevabilité pure et simple de la procédure devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU.
Aussi, une bataille juridique s’engagea devant ce Comité des droits de l’homme des Nations Unies qui, le 09 Mars 2004 adoptait la décision qui stipule que la communication est recevable au titre des articles 7, 9 paragraphe 1 ; 14 paragraphe 1 et 26 du pacte.
C’est enfin suite à cette décision qui déclare le recours de la veuve SANKARA et de ses enfants recevable, que le Comité des droits de l’Homme a statué au fond et rendu publique sa décision le 05 avril 2006 à l’occasion de sa 86e Session en ces termes :
« En ce qui concerne la violation de l’article 7, le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont Mme Sankara et ses fils, famille d’un homme tué dans des circonstances contestées, ont souffert et souffrent encore parce qu’ils ne connaissent toujours pas les circonstances ayant entouré le décès de
En ce qui concerne la violation de l’article 9, paragraphe 1 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à la sécurité de la personne garanti au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, s’applique même lorsqu’il n’y a pas privation formelle de liberté. L’interprétation de l’article 9 ne permet pas à un Etat partie de ne pas tenir compte des menaces à la sécurité individuelle de personnes non détenues relevant de sa juridiction. En l’espèce, des personnes ont tiré et tué
En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, s’il n’appartient pas nécessairement à un tribunal de se prononcer sur la demande d’enquête publique ou de poursuite, le Comité considère cependant que, comme dans le cas d’espèce, chaque fois qu’un organe a été chargé de décider de début de l’enquête et des poursuites, il doit respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, comme le prévoit l’article 14, paragraphe 1, et les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.
Le Comité note les arguments des auteurs quant au non-respect de la garantie d’égalité par la Cour suprême lors de son rejet du pourvoi sur la base du défaut de consignation de 5 000 francs CFA, et de son refus de considérer la qualité de mineur d’Auguste Sankara. Or, il ressort, en premier lieu, que l’Etat partie n’a pas contesté le fait que contrairement à l’article 110 de l’ordonnance n°91-51 du 26 août 1991 du Burkina Faso, le greffier n’a pas informé les conseils de l’obligation de consigner une somme de 5 000 francs CFA à titre de consignation d’amende. En second lieu, il apparaît que l’arrêt de la Cour suprême soutenant que les auteurs n’ont justifié d’aucune dispense de consignation pour le mineur Auguste Sankara était inopportun puisque les auteurs n’avaient pas connaissance des consignations requises, en raison du défaut même d’information du greffier, élément essentiel sur lequel la Cour était pleinement informé. Le Comité estime dès lors que la Cour Suprême n’a pas respecté l’obligation de respect de la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.
Le Comité note que, suite à l’arrêt n°46 de la Cour suprême du 19 juin 2001, rendant définitif l’arrêt °14 de la Cour d’appel déclarant les juridictions de droit commun incompétentes, les autorités pertinentes ont refusé ou omis de renvoyer la cause au Ministre de la défense, afin que des poursuites judiciaires soient engagées devant les tribunaux militaires, tel que prévu à l’article 71 (1) et (3) du Code de la justice militaire. Le Procureur a arrêté, à tort, la procédure engagée par les auteurs et n’a, en outre, pas répondu à leur recours du 25 Juillet 2001. Enfin, le Comité note que depuis que les juridictions de droit commun ont été déclarées incompétentes, près de cinq ans ont passé, sans que de poursuites judiciaires aient été engagées par le Ministre de la défense. L’Etat partie n’a pu expliquer les retards en question et sur ce point, le Comité considère que, contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire. Le Comité considère que cette inaction depuis 2001, et ce, en dépit des divers recours introduits depuis par les auteurs, constitue une violation de l’obligation de respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.
En conséquence, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, juge que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des aticles 7 et 14, paragraphe 1, du Pacte. »
Le 07 Avril 2006, à travers une conférence de presse, le collectif des Avocats a rendu ici même compte de la décision onusienne qui mettait également en demeure le Burkina Faso de, dans les 90 jours, faire connaître les mesures qu’il entend prendre pour faire rétablir le droit. NOUS DISONS BIEN FAIRE RETABLIR LE DROIT.
Le 30 Juin 2006, le Burkina Faso réagissait effectivement à travers un mémorandum largement diffusé où le Gouvernement du Burkina Faso se proposait :
– de corriger le certificat de décès en le remplaçant par un jugement supplétif d’acte de décès ;
– d’indemniser les ayants-droit de Thomas SANKARA par la somme de QUARANTE TROIS MILLIONS QUATRE CENT QUARANTE CINQ MILLE (43 445 000) Francs CFA, soit 66 231,475 euros
– de liquider la pension CARFO ;
Et enfin, de rappeler que le Gouvernement du Burkina Faso s’est désormais engagé dans un processus de construction d’un Etat de droit ;
Mesdames et Messieurs les journalistes, telle est la substance des propositions faites par le Burkina Faso pourtant reconnu coupable par le Comité d’avoir violé le Pacte relatif aux droits civils et politiques.
Et comme l’a écrit si bien à propos l’Observateur Paalga dans sa livraison du 2 au 4 mai, « c’est en effet ce que donne à méditer cette note du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme du 21 Avril 2008 » ;
En effet, dans cette note, le secrétariat de l’ONU (Haut Commissariat des droits de l’homme) se félicite de la réponse de l’Etat partie et rappelle surabondamment que le recours recommandé par le Comité ne faisait pas expressément mention d’une enquête. Il n’en fallait pas plus pour envoyer certaines personnes aux anges.
– L’ONU peut-elle vouloir d’une chose et de son contraire ?
– Le Comité peut-il aujourd’hui se discréditer en disant en 2004 que le recours est recevable ; en 2006 que le Burkina Faso a violé le Pacte relatif aux droits civils et politiques, notamment en ses articles 7, 9 et 14 ; qu’il n’y a même pas de prescription dans l’affaire Thomas SANKARA, puis soudainement en 2008 féliciter le même Burkina Faso qui n’a jamais voulu d’une enquête devant une juridiction impartiale ?
Alors, le droit a-t-il été rétabli comme le recommandent les constatations du Comité en Avril 2006 ?
A quel jeu veut jouer finalement l’ONU ?
Je vous remercie.
Maitre Benéwendé Sankara Ouagadougou le 20 mai 2008