Nous publions ci-dessous un article écrit par un officier de l’armée burkinabè. Cet article est très critique sur la période de la révolution. Mais notre site n’ pas pour objectif de faire l’apologie de la révolution ou de Thomas Sankara, mais plutôt d’informer et de donner des clés pour comprendre la révolution. Il est donc normal de publier des articles très critiques pourvu que la critique soit de qualité.
Nous aurions aimé en publier une réponse d’un militaire, ou ancien militaire qui aurait répondu à cet article, ce qui l’aurait enrichi. On notera que cet article est aussi critique sur la gestion de l’armée à l’heure actuelle. Et pour cause! Vu la bien piètre image que l’armée a donné d’elle même durant la crise de 2011 qui a vu se succéder des mutineries un peu partout au Burkina. Les militaires on emboité le pas, après que les élèves aient manifesté dans tout le pays après la mort de plusieurs d’entre eux suite à des exactions de gendarmes.
On espère en tout cas que cet article de qualité suscitera des réponses voire un débat au niveau de même qualité.
La rédaction du site
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publié dans le quotidien L’Observateur Lundi, 03 Septembre 2012
Certains y verront une peinture sans complaisance de l’armée burkinabè un an après les mutineries du premier semestre 2011, d’autres, l’analyse partisane saupoudrée de narcissisme d’un responsable de parti d’opposition. Le colonel Ouattara Lona Charles, ancien chef des opérations aériennes des Nations unies, ex-directeur logistique de l’Organisation d’interdiction des armements chimiques (OIAC), ci-devant conseiller en sécurité aérienne du gouvernement congolais, consultant en sécurité aérienne de la Banque africaine de développement (BAD), n’est autre en effet que le correspondant provincial de l’UPC dans la Léraba. Pour autant son écrit sur l’évolution de l’armée burkinabè n’est pas sans intérêt et ne manquera sans doute pas d’alimenter la polémique.
A sa création le 21 novembre 1961, l’armée voltaïque est une armée républicaine avec pour responsabilité principale, la défense des intérêts de la chose publique et non ceux d’un clan au pouvoir. Après le 4 août 1983, elle devient une armée révolutionnaire, au service exclusif des hommes et des femmes qui se réclament de la révolution. La défense de l’intégrité territoriale qui était, jadis, sa raison première d’exister est reléguée au second plan au profit de sa révolutionnarisation. Le tout est chapeauté par des Comités de défense de la révolution (CDR). La discipline militaire qui n’est dorénavant pratiquée qu’à la carte se voit définitivement écartée par ces mêmes CDR, au nom d’une discipline révolutionnaire. L’anarchie qui s’y installe ainsi n’est favorable provisoirement qu’aux chefs historiques de la révolution. Le soldat révolutionnaire, qui en devient le produit, n’obéit qu’aux seuls ordres des mêmes chefs historiques de la révolution.
L’attitude de l’armée républicaine
On s’en souvient, quelque dix années avant l’avènement de la révolution, a eu lieu le premier conflit armé avec le Mali. Il s’agit de la guerre de 1974 à laquelle deux des officiers dits chefs historiques de la révolution prennent part. Ce sont, le commandant Jean-Baptiste Lengani et le capitaine Thomas Sankara, tous deux lieutenants au début du conflit. Les autres sont encore à l’école d’officiers tandis que leurs cadets fréquentent les classes de quatrième et de troisième des prytanées militaires. Encore jeunes officiers républicains, les lieutenants Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lengani sont de vaillants guerriers. Malgré une action controversée, qui l’amène à quitter prématurément le front pour prendre le commandement du Centre d’entraînement commando (CNEC) de Pô au début du troisième trimestre de l’année 1975, le professionnalisme de Sankara et sa volonté d’en découdre avec le camp adverse, avec d’autres hauts faits militaires venus d’autres unités de la ligne de front, a permis à l’armée de compenser ses faiblesses en effectifs et en puissance de feu.
Revenant aux hauts faits de l’armée républicaine au cours de ce premier conflit avec le Mali, les compagnies du bataillon Boulougou commandées respectivement par les lieutenants Jean-Baptiste Lengani et Lona Charles Ouattara s’illustrent en libérant la mare de Soum et son emblématique Puits Christine au cours du deuxième trimestre de 1975. En rappel, la mare de Soum qui est l’objet principal du conflit est occupée par les troupes maliennes dès les premiers jours de combat. Aussi est-il normal que l’état-major général assigne à quelques-unes de ses meilleures unités déployées sur le terrain, la tâche de la reconquête de la mare. Le bataillon Boulougou est le premier à se déployer. D’importants matériels sont pris à l’ennemi.
Quelque temps après cette héroïque action, le cessez-le-feu est proclamé grâce à la médiation diplomatique des présidents Ahmed Sékou Touré et Gnassingbé Eyadema respectivement de la Guinée et du Togo. Au début du conflit, le rapport théorique des forces qui est de 1 contre 3 est défavorable à la Haute-Volta. En réalité, l’armée a cinq fois moins de personnels et de puissance de feu. Mais rapidement, la qualité des personnels alliée à celle du commandement et de l’organisation fait le reste. Il faut entendre par organisation, une discipline sans faille et une logistique impeccable. Face à une guerre considérée comme injuste, le sursaut national ne se fait pas attendre par des contributions volontaires de toutes sortes de la part des ressortissants voltaïques de la diaspora. Cela permet à l’intendance militaire de moderniser rapidement l’équipement, et d’améliorer l’ordinaire. Les prétentions territoriales voltaïques qui sont la mare de Soum et toute une panoplie de villages et de pâturages le long de la frontière de 1960 sont toutes préservées à l’issue de ce conflit. Malgré ces succès incontestables, aucun officier, sous-officier, soldat n’est fait héros par la nation.
La politisation et la révolutionnarisation de l’armée
Sous la révolution, il n’est pas rare de voir des sous-officiers, voire de simples soldats, donner des ordres à des officiers de mêmes grades ou de grades plus élevés que ceux des officiers considérés chefs historiques de la révolution. Le Rubicon est franchi avec la promotion des officiers par la troupe. Cela est rendu possible par le fait que le seul critère pour avancer dans le grade reste l’engagement révolutionnaire. Les considérations de discipline, de mérite, de formation et de valeur intrinsèque sont simplement remisées. Comble d’hypocrisie, d’ingratitude et de haine envers l’armée, l’établissement par lequel Thomas Sankara et Henri Zongo ont été formés (le PMK), est purement et simplement transformé en lycée Marien- N’Gouabi et les probables futurs élèves-officiers renvoyés arbitrairement à la vie civile sans compensation aucune. Mais Henri Zongo a des raisons, subjectives certes, d’en vouloir personnellement au prytanée. En effet, l’établissement scolaire a eu le malheur de s’en être débarrassé prématurément dès la classe de seconde. Pour autant, l’avenir d’une institution ne saurait dépendre des humeurs et autres turpitudes d’un individu, fût-il prophète de la révolution.
A l’évidence, Sankara paraît confondre la discipline militaire avec les turpitudes d’une armée d’occupation. En effet, contrairement au contenu du Discours d’orientation politique (DOP) du 2 octobre 1983, la dignité humaine n’est pas une valeur exclusive de la discipline révolutionnaire. Pour être juste, toute discipline doit être fondée sur le respect scrupuleux de la dignité humaine. Les règlements de discipline sont d’autant mieux respectés et appliqués que les qualités de meneur d’hommes du chef sont bien reconnues du soldat. Certaines erreurs d’armées d’occupation ne remettent pas en cause les fondements de la discipline. En fait, ce que Sankara définit comme discipline révolutionnaire dans son discours du 2 octobre 1983 n’est point nouveau dans les armées. Par contre, la politisation et la révolutionnarisation de l’armée emmènent le subalterne à confondre respect de la dignité humaine, ainsi qu’amour du gradé pour le soldat avec égalité de responsabilités. L’extrait suivant est révélateur de cette erreur grave d’appréciation: “Contrairement aux points de vue des officiers réactionnaires animés par l’esprit colonial, la politisation, la révolutionnarisation ne signifie pas la fin de la discipline. La discipline dans une armée politisée aura un contenu nouveau. Elle sera une discipline révolutionnaire. C’est-à-dire une discipline qui tire sa force dans le fait que l’officier et le soldat, le gradé et le non-gradé se valent quant à la dignité humaine et ne diffèrent les uns des autres que par leurs tâches concrètes et leurs responsabilités respectives. Forts d’une telle compréhension des rapports entre les hommes, les cadres militaires doivent respecter leurs hommes, les aimer et les traiter avec équité”.
C’est le tournant décisif pour les officiers de mérite qui ne cautionnent pas la révolutionnarisation de l’armée. Ceux-ci doivent, soit vaillamment affronter l’épuration, la purge et l’humiliation qui s’annoncent en restant dignes et intègres, ou se renier, en se fondant dans cette cacophonie et ce désordre généralisé et inacceptable. Heureusement, beaucoup ont choisi d’être dignes pour, soit affronter le dégagement, ou servir le Programme populaire de développement (PPD) avec toutes les vexations, les humiliations que seuls les états et les systèmes politiques d’exception de non-droit ont le secret. D’autres, moins chanceux, sont purement et simplement assassinés ou faussement impliqués dans des tentatives de coups d’Etat puis sommairement exécutés. Malgré sa valeur militaire reconnue, Fidel Guébré est froidement abattu avec le colonel Yorian Gabriel Somé, après s’être volontairement rendu, venant de Dédougou, à une convocation des autorités révolutionnaires. Pourtant, le général Yaoua Marcel Tamini, alors chef d’état-major général, avait rassuré les deux officiers sur le fait que rien ne leur arriverait. Leur seul tort a été d’être restés des officiers républicains dignes. Pour la même faute, le valeureux commandant Amadou Sawadogo est sauvagement et froidement assassiné en 1984 le long de la digue du barrage non loin de l’hôtel Silmandé. Il se rendait en mission dans cet hôtel, pour représenter le commandant en chef, absent excusé.
La politisation de l’armée est désormais totale. La vitesse de la machine s’accélère à un rythme tel que ses inventeurs n’y ont plus aucune prise. C’est la confusion totale avec la partition de l’armée révolutionnaire consacrée. Dès lors, il y avait d’un côté, une armée nombreuse, indisciplinée, non équipée, faite de braillards adeptes de tout passe-droit inimaginable. La deuxième, plus restreinte en effectifs, de la taille d’un bon bataillon peut-être, mais mieux équipée, possède une meilleure organisation avec de la discipline.
Très vite, le capitaine Thomas Sankara est le premier à apprendre, à ses dépens, les méfaits de ce désordre militaire qu’il a cru imposer aux autres officiers au seul motif de la conquête et de la conservation d’un pouvoir personnel. Alors qu’il croit encore aux vertus de son armée révolutionnaire que contrôlent des CDR sans formation militaire crédible, ce dernier est abattu dans l’indifférence générale. Cet épisode marque la fin de la révolution. Le seul officier tenté par une demande d’explication s’exile très vite sans coup férir. Plus politique que militaire, il n’impressionne que des profanes de l’art militaire. Ses commandants d’unités, qui ne sont pas moins politiques, l’apprennent à leurs dépens par la mort sans combat. Le sort réservé à Henri Zongo et Jean-Baptiste Lengani deux ans après n’émeut pas davantage.
En 1985, soient dix années après le premier conflit, les plus importantes des prétentions territoriales défendues et conservées en 1974-1977 sont de nouveau menacées par le Mali au cours d’un deuxième conflit armé de la bande de l’Agacher. A la fin de ce dernier conflit, la moitié des trois mille kilomètres carrés de territoire disputée est perdue malgré le recours à l’uti possidetis juris par le tribunal international de La Haye. La moitié de la mare de Soum, les villages de Karangasso, de Kinga, etc., passent donc de l’autre côté de la nouvelle frontière. C’est une gifle à tous ces hommes du rang, ces sous-officiers et ces officiers républicains patriotes qui ont accepté de vendre chèrement leur peau au nom de la défense de l’intégrité territoriale de la patrie. A l’inverse donc de la vaillance au combat de l’armée en 1974-1977, le moins que l’on puisse dire est que l’armée révolutionnaire ne se tire pas honorablement d’affaire.
Que l’on ne s’y trompe pas, en effet. Les pseudos hauts faits annoncés çà et là, tambour battant sans preuve, par des bonimenteurs, porte-parole de l’armée, ne sont que des leurres à l’attention des populations désabusées. Rien d’étonnant en effet, si le capitaine Lona Charles Ouattara est vu au front à la tête de chars maliens par des officiers qui ignorent tout de l’emploi des armes. Lui qui a refusé l’arbitraire du Conseil national de la révolution (CNR) depuis le 31 décembre 1984 travaille depuis près d’un an aux Nations unies en qualité de consultant du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi. Il ne peut donc travailler à la fois pour l’ONU et pour l’armée malienne au front.
Les aviateurs ne commandent pas les escadrons de chars. Pour des raisons de souveraineté nationale, on imagine mal également que le Mali accepte de confier le commandement d’une de ses unités d’élite à un officier retourné contre son propre pays. A la vérité, l’armée révolutionnaire qui n’est plus professionnelle, du fait de son endoctrinement politique, a perdu tout repère. Lorsque les officiers, les sous-officiers et les soldats sont obligés de débattre politiquement afin de décider de la stratégie et des différentes tactiques à mettre en œuvre, il y a de fortes chances que la guerre soit perdue à l’avance. Quand les promotions et les récompenses militaires ne tiennent pas compte du mérite et de la valeur militaire pour n’obéir qu’aux seuls critères politiques, l’art militaire cesse d’être une science et toutes les guerres sont perdues d’avance.
La bataille de Stalingrad, lors du deuxième conflit mondial, doit servir de leçon à tous ces régimes d’exception, révolutionnaires ou fascistes tentés d’embrigader l’armée par leurs doctrines afin d’asseoir des régimes personnels. Au début de l’invasion allemande, Staline a dû apprendre cela à ses dépens, pour se résoudre, enfin, à confier la défense de la ville martyr non plus à des généraux politiques, incapables d’enrayer l’offensive allemande, mais à un général non politique de génie exceptionnel. Le général Constantin Rokossovski non seulement enraye l’offensive mais surtout réussit à passer à la contre-offensive pour capturer le 31 janvier 1943, le général Friedrich Wilhelm Ernst Paulus, son état-major et le reste de la VIe armée du Reids. Cela marque un tournant décisif dans la guerre sur le front de l’Est. Depuis lors, l’usage du double commandement, le politique et le militaire, cède le pas au commandement militaire exclusif dans l’armée soviétique.
Ainsi, sans posséder les hommes qu’il faut, donc sans avoir un bon commandement, ni une bonne organisation, l’issue de la confrontation avec le Mali ne laisse aucun suspense. Le manque de discipline fait que le soldat ne peut accepter d’aller se faire trouer la peau pour servir des officiers férus de politique. Dès lors, l’on peut sans trop d’erreur affirmer qu’au dispositif stratégique classique habituel, le Burkina oppose un dispositif révolutionnaire dans lequel seule compte la foi marxiste.
Le jeu des alliances, l’intoxication et les manœuvres de déstabilisation de l’arrière par un puissant réseau d’espionnage et de contre-espionnage manquent cruellement au dispositif. Le seul service de renseignement qui prévaut dans cette période révolutionnaire reste celui dirigé contre les officiers républicains, dits réactionnaires. La connaissance des forces et faiblesses de l’ennemi ne font pas partie des préoccupations de l’état-major général. Au titre des alliances, le Burkina est fortement isolé. Sur un ensemble de six pays frontaliers par exemple, seul le Ghana peut être considéré comme ami, les autres étant franchement hostiles. En 1974, tous les pays membres du conseil de l’entente sont favorables à la Haute-Volta tandis que les mêmes deviennent hostiles au Burkina Faso en 1985 pour la simple raison que ce dernier menace de leur exporter sa révolution. Le Burkina révolutionnaire snobe également l’Accord de non-agression et de défense (ANAD), l’organisation sous-régionale de défense.
Les facteurs économiques et sociaux, la nécessité d’une stricte discipline assurant sa propre invincibilité à l’armée ne sont pas non plus pris en compte dans les plans de l’état-major avant et pendant la crise. Sinon, comment comprendre la décision d’entrée en guerre avec une économie aussi exsangue et une situation sociale des plus tendues avec toutes ces purges politiques. La guerre éclate, en effet, au pire moment de la crise économique. Les purges, les licenciements et autres dégagements arbitraires, la mesure populiste de gratuité du logement laissent des familles entières dans la misère. Plus grave et anti-économique, les dégagés ne sont pas autorisés à travailler. Les Burkinabé de la diaspora et les opérateurs économiques qui sont taxés de bourgeois compradores sont préoccupés de mettre leur fortune à l’abri plutôt que de la mettre au service de l’effort de guerre. Ce n’est donc pas étonnant si l’élan de sursaut national envers l’armée en 1974 ne se reproduit pas en 1985. La situation est d’autant critique que les populations rurales du Tagouara au Kénédougou sont contraintes de ravitailler certaines troupes en eau et en nourriture.
Enfin, les rapports qui soudent le commandement au corps de troupe au sein de l’armée et les qualités de meneur d’hommes propres au général en chef ont eux aussi été relégués au second plan, au seul profit de l’engagement révolutionnaire. En 1985, la plupart des officiers, qui ont de l’expérience, sont soit dégagés, soit servent au PPD, soit sortis du pays ou sont simplement liquidés physiquement. La plupart des sous-officiers compétents connaissent le même sort. Il n’existe pas à proprement parler de chaîne de commandement. La défense de pans du territoire est confiée à des CDR mal préparés et sans armes.
Le commandant en chef, dont les seules qualités de meneur d’hommes sont désormais les slogans révolutionnaires, mobilise très peu d’officiers.
La guerre ne peut être traitée ainsi à la légère. Les opérations militaires qui sont coûteuses et ruineuses ne peuvent être efficacement entreprises qu’avec la perspective d’une solide économie et d’une diplomatie agissant tous azimuts. La bonne armée est celle qui possède la meilleure organisation et la meilleure logistique. C’est aussi celle qui possède le meilleur général, c’est-à-dire l’homme qui a des qualités exceptionnelles de meneur d’hommes, qui possède du leadership en somme. Ce général est porteur du meilleur dispositif stratégique pour la nation et son armée. Il est un officier intègre qui n’accepte pas d’ingérence dans le commandement, l’administration de l’armée et la conduite de la guerre. Quelle grossière erreur donc, et quelle politique à irresponsabilité illimitée que d’entraîner le pays dans la guerre dans un aussi piteux état d’impréparation! Le Mali par contre montre des degrés de préparation et d’organisation bien supérieurs. La concentration des aéroports militaires de Mopti, Gao, Tombouctou et Sikasso à moins de cent kilomètres de la frontière, rend l’emploi de son aviation plus crédible et particulièrement plus efficace. A contrario, le jacobinisme burkinabé aidant, les deux seuls aéroports de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso sont à plus de deux cents kilomètres. Dès lors, la défaite est prévisible. En régime démocratique, dans lequel les règles de bonne gouvernance sont observées, le peuple a droit à une explication de la part du régime. Rien n’y fait. Le CNR n’a de compte à rendre à personne. C’est d’ailleurs, paradoxalement, sous ce régime que naît le culte du héros.
L’armée du Front populaire à nos jours
De nos jours, à l’exception de quelques nostalgiques, plus personne de bien sensé ne parle de révolution, ni de discipline militaire révolutionnaire. Les officiers révolutionnaires d’hier sont devenus de bons libéraux. Leur éloignement des principes révolutionnaires d’antan donne raison aux officiers réactionnaires d’hier. Pour autant la situation de l’armée demeure préoccupante, voire pire. Elle apparaît plus que jamais comme une armée au service d’un régime et non de l’Etat impartial. Les militaires sont devenus les clients captifs du parti politique au pouvoir. Les pagnes, les t-shirts et autres gadgets du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) sont remis aux différents états-majors pour la vente aux militaires. Si le principal rôle de l’armée sous la révolution est politique, ce rôle aujourd’hui est mi-figue, mi-raisin, bien moins clair. L’impression générale qui se dégage accrédite la thèse selon laquelle seule une poignée d’officiers et de sous-officiers omniscients sont autorisés à faire de la politique sans que leur statut de militaire n’en pâtisse pour autant.
Dans le lot, l’on range les officiers de l’ex-Union communiste burkinabè (UCB) qui se permettent même de militer au sein d’un parti politique, le parti au pouvoir.
Certains d’entre eux sont même conseillers de ce parti présidentiel. Le fait pour un militaire de militer dans un parti politique, mieux, d’en être un membre influent, est-il compatible avec le statut de l’armée en général et celui de l’officier ou du sous-officier en particulier ? Le militantisme politique de l’armée expose forcément à une posture partisane. Est-il admissible que le soldat, le sous-officier et l’officier de la république deviennent partisans ? La cohésion de l’armée n’en est-elle pas en conséquence menacée ? L’une des questions que l’on pourrait légitimement poser est pourquoi ces officiers, ces sous-officiers ne se mettent-ils pas en marge de l’armée par une retraite de facto ? Quel signal envoie-t-on au reste de l’armée? Outre le fait que les autres militaires apparaissent alors comme de simples sujets politiques, chargés d’alimenter les caisses du CDP par leurs contributions indirectes, sont-ils toujours autorisés à faire de la politique comme au bon vieux temps de la révolution ? Si oui, la coïncidence que le nom d’aucun autre militaire en activité ne figure sur des listes de partis politiques burkinabé autre que le CDP reste troublante.
Rien ne semble plus opaque que la gestion des archives. C’est le parcours du combattant pour l’officier admis à faire valoir ses droits à la retraite. La recherche d’un seul document exige beaucoup de courage. Pour permettre la transmission de leurs dossiers à la CARFO, certains officiers acceptent, à leur corps défendant, la modification de leur date d’incorporation dans l’armée par des sous-officiers omnipotents et ce, au grand dam de l’officier, commandant le bataillon du quartier général. D’autre part, la politique du deux poids, deux mesures s’applique à la gestion des officiers détachés. Il y a ceux des officiers qui ont la chance ou qui ont la faveur d’être gérés par leur corps d’origine et ceux dont la gestion est transférée au Régiment central des armées (RCA) avec toutes les erreurs possibles de gestion.
Les statuts, les objectifs de l’armée ne paraissent obéir à aucune loi de programmation et d’orientation militaire. Les statuts de l’officier change au gré des circonstances et des personnes concernées. Due à cette valse des textes réglementaires, la promotion de l’officier n’obéit plus à une règle précise. Par exemple, tout porte à croire que le grade de colonel-major est un cadeau du Pouvoir au même titre que celui de général, même si le statut de l’officier en précise le contraire. Les textes applicables en 2012 précisent que la nomination dans le grade de colonel-major se fait au mérite et au choix pour tout colonel ayant eu cinq années de grade. Ainsi, lorsqu’un officier passe 13 années dans le grade de colonel sans qu’il ne lui soit reproché son manque de professionnalisme, tout porte à croire que sa non- promotion au grade supérieur relève pour le moins d’une procédure peu transparente. Cela donne l’impression là aussi, de la politique du deux poids, deux mesures déjà dénoncée, puisqu’il s’agit exclusivement d’officiers jadis considérés réactionnaires, dont la carrière a été reconstituée. Pour autant, la liquidation de la révolution en 1987 par des révolutionnaires est la preuve irréfutable que ces mêmes officiers contre-révolutionnaires d’hier ont eu, jadis, raison de non seulement refuser d’entrer au CNR, mais de se démarquer de ses pratiques.
La vision stratégique de l’armée n’est point claire non plus, pour ne pas dire absente comme du temps de la révolution. Sa cohésion est d’abord mise à mal par cette première impression d’un esprit partisan qui résulte du militantisme politique d’une poignée d’officiers et de sous-officiers au sein d’un parti politique. Ensuite, il y a cette autre impression qui accrédite la thèse selon laquelle il existerait une armée dans l’armée. Pour s’en convaincre, le commandement et la gestion du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) paraissent échapper au contrôle et à la supervision directe du chef d’état-major de l’armée de terre, par conséquent, du contrôle du chef d’état-major général des armées. Les chefs d’état-major généraux se succèdent mais aucun n’a pu entreprendre la moindre réforme crédible. Cela ne prouve pas qu’ils soient tous incompétents. Loin s’en faut, et l’on se souvient tout de même de l’un d’entre eux qui a eu le mérite de démissionner pour marquer sa différence et sauver ainsi son honneur et son intégrité. La fonction du ministre est tantôt dévolue à un civil ou un militaire, tantôt au président qui cumule cette charge importante avec celle, ô combien plus importante de magistrat suprême. Il est même arrivé que lors d’un remaniement ministériel (remaniement du mois de mars 2012), le portefeuille du ministre de la Défense ne soit pas attribué. La gestion de l’armée ne paraît donc pas programmée, mais semble dictée par les circonstances.
Les militaires récemment radiés des listes de contrôle l’ont appris à leurs dépens. Avant les sanctions diverses qui sont allées du simple blâme à la mort pour certains, un groupe d’éléments représentatifs des mutins a été reçu par le président de la république. A l’évidence, le commandement semble avoir été dépassé par l’ampleur de la mutinerie du premier semestre 2011 pour que le chef de l’Etat intervienne directement en personne. Après cette rencontre fort médiatisée, des mutineries tournantes ont été observées dans beaucoup de casernes du pays. La dernière d’entre elles, celle de la deuxième région militaire de Bobo est l’unique à être mâtée et dans le sang par d’autres militaires.
Dès lors, ce rappel du rapport du commandement à la discipline s’impose. Là où les soldats causent des troubles, les officiers manquent d’autorité. Quand les officiers s’emportent, c’est qu’ils sont excédés. Le général a-t-il perdu la confiance de ses hommes ? On les voit se rassembler et échanger des messes basses. L’armée est-elle découragée qu’on multiplie les récompenses ; est-elle en mauvaise posture, qu’on multiplie les châtiments. Etre obligé de faire preuve de la plus grande cruauté pour se faire craindre de ses hommes est la marque d’une grande incompétence. Lorsque les interdits n’affectent pas les proches du souverain et les nobles, quand la loi ne s’applique pas aux dignitaires, quand les ordonnances et les arrêts ne frappent pas en fonction de la gravité de la faute, mais de l’humilité de la condition, quand les récompenses ne couronnent jamais les roturiers, et en l’absence de critères fixes, il est chimérique que les ordres soient appliqués. Quand les charges ne sont accordées qu’en fonction des compétences, quand les émoluments et prébendes ne couronnent pas le mérite, quand les ordres et les lois heurtent les sentiments populaires, quand ceux qui ont remporté des succès ne reçoivent pas récompense et ceux qui ont commis des fautes ne sont pas sanctionnés, quand les ordres ne sont pas toujours obéis et les interdits suivis d’effets, le souverain n’a aucun moyen de diriger ses sujets et d’obtenir qu’ils le servent efficacement. Si le général manque de sévérité et de prestige, le peuple ne tendra pas ses volontés vers un seul but, les officiers ne seront pas prêts à mourir, et les soldats auront peur de l’ennemi. Pire, lorsque l’officier est indélicat au point de refuser au soldat l’indemnité à laquelle ce dernier aspire logiquement, tout espoir d’obéissance est vain.
Pour autant, cela ne saurait exonérer les mutins. Leur vrai tort a été de s’être livrés à des pillages et à des exactions de tous genres sur des personnes et des biens. Imputer au commerçant de la place le fait que le commandement militaire spolie le soldat de son droit de base le plus élémentaire, celui du couchage par exemple, est sans doute une méprise très grave. En d’autres termes, le commerçant ou tout autre civil n’a rien à voir avec les fautes de gestion de la troupe et ne peut en aucun cas, être tenu pour responsable des turpitudes de certains chefs militaires.
Mais, par quelle politique militaire est-on arrivé là ? La politisation de l’armée dès la période révolutionnaire est-elle étrangère à la crise? Une poignée de militaires privilégiés font toujours ouvertement de la politique pour le compte du parti au pouvoir. Doivent-ils continuer à conserver leurs droits militaires sans les devoirs ? Qu’en est-il du reste de l’armée alors ? Le régiment de sécurité présidentiel est-il dans le commandement intégré aux ordres du chef d’état- major général des armées ? La formation de l’officier et sa promotion, l’équipement de l’armée tiennent-ils compte des défis militaires de ce millénaire ? Répondre franchement à quelques-unes de ces questions permettra de lever un coin de voile sur les éléments de réformes incontournables pour une armée républicaine. En cette période de toutes les incertitudes, cela étonne qu’au lieu de consacrer tant d’énergie et tant de ressources à des réformes partisanes telles la création d’un sénat, la modification controversée de l’article 37 de la constitution, l’institution militaire n’ait pas fait l’objet de la moindre réflexion nationale. Par ailleurs, la situation géopolitique sous-régionale actuelle, ne milite pas en faveur du maintien d’une armée partisane non opérationnelle au Burkina Faso.
Colonel Ouattara Lona Charles
“De la nécessité de réformer l’armée” du Colonel Ouattara Lona Charles
Voici des dignes fils du Burkina qui ont toujours été prompts à apporter leurs solutions grâce à leur maîtrise des sujets, mais le Burkina n’a pas besoin de ces personnes, car ce sont les médiocres qui sont les rois au Faso.
Ne nous faisons pas d’illusion, car malgré le départ du clan, des confrontations sont encore à mener pour aboutir au résultat souhaité