Le 18 octobre 1984, le président du Faso, le capitaine Thomas Sankara, présidait la cérémonie d’inauguration de l’entrée en production de la mine d’or de Poura, dans la province du Mouhoun. Retransmis par la Radiodiffusion nationale, cet événement, riche en discours et en symboles, a marqué un tournant décisif : après un siècle de pillage colonial, l’or de Poura entrait enfin dans l’histoire comme un bien du peuple, placé sous le signe de la souveraineté et de la justice sociale. Ce jour-là, l’or n’était plus destiné à engraisser les rapaces impérialistes, mais à devenir un flambeau pour nourrir la dignité et l’espérance d’un Faso debout. Plusieurs orateurs vont se succéder.
Nous remercions le service des archives de la télévision burkinabè de nous avoir fourni cet audio pour le rendre accessible au grand public à travers notre site. Le travail de retranscription a été réalisé par Joagni Paré.
La rédaction du site
Le reportage audio
La cérémonie d’inauguration de l’entrée en production de la mine d’or de Poura dans la province du Mouhoun a eu lieu le 18 octobre 1984. L’histoire de la mine d’or est mouvementée. L’administration coloniale s’en est appropriée et exploitée au profit de la métropole.
Pendant des décennies, la mine a souffert du pillage, du vol de l’administration coloniale. 1914, 1959, 1962, 1966, des dates historiques qui ont marqué l’existence de ce trésor qui est le nôtre désormais sans autre forme de procès. L’inauguration en ce 18 octobre par le camarade Capitaine Thomas Sankara allait apporter des clarifications pour le bonheur et le plaisir des Burkinabè.
Accueilli par le ministre de la promotion économique, ministre de tutelle technique de la SOREMIB, le camarade capitaine Henri Zongo, le chef de l’État a passé en revu des éléments de nos forces armées nationales, le drapeau et l’hymne nationale, fierté de la nation.
Puis, le traditionnel « zoom koom ». Plusieurs membres du CNR et du gouvernement révolutionnaire étaient présents ainsi que plusieurs invités dont le doyen du corps diplomatique.
Prenant la parole en premier lieu, le délégué CDR de la mine d’or, le camarade Mantoro, après avoir souhaité la bienvenue à toutes et à tous, a dit que c’est un moment historique. Historique, non pas parce que cet or soit le premier à sortir de notre sous-sol, mais parce que celui-ci est la consécration d’un effort national, une réussite pour le peuple burkinabè:
« Du point de vue de la réalisation du projet, c’est une réussite. Mais cette victoire d’aujourd’hui ne doit pas nous faire oublier ni les déboires et les espoirs de ceux d’hier, ni les luttes ardues à venir. En effet, très peu de Burkinabè savent que dans la seule période de 1955 à 1966, ce même périmètre a donné plus de cinq mille kilogrammes d’or et près de mille kilogrammes d’argent. Mais toute cette quantité de métaux précieux est allée enrichir davantage ceux-là même qui, ont toujours clamé tout haut la pauvreté de notre patrie, l’absence d’intérêt de son sous-sol. Alors que le sous-sol burkinabè, comme le dit et nous citons ici un journal bourgeois, « le sous-sol burkinabè est un véritable scandale géologique. Il est mis en réserve par l’impérialisme international et notamment français. »
En véritables bandits internationaux sous le couverts de missions scientifiques – ou ouvertement, avec la complicité des autorités coloniales d’alors et néo-coloniales par la suite – ces pirates ont sillonné, se sont installés, ont exploité et sont partis, laissant derrière eux le peuple toujours dans la misère et l’ignorance, mais aussi des veuves et déjà la silicose. La silicose est une maladie professionnelle redoutable à laquelle sont exposés les mineurs. C’est ce à quoi nous disons désormais non. Non au pillage de nos richesses.
« Malgré l’avènement du 4 août (désormais historique pour notre peuple), malgré le décret CNR faisant du sol et du sous-sol burkinabè une propriété exclusive de l’État et du peuple qui doit en jouir en toute souveraineté, la SOREMIB reste une société d’exploitation capitaliste du type néocolonial … [applaudissements nourris] qui tente de rester en dehors du processus révolutionnaire. A la base de cette résistance, un contrat léonais et des apatrides burkinabè. Des conditions historiques objectives ont fait que nous avons accumulé un retard sur le plan savoir-faire, un retard sur les plans scientifique, technique et financier par rapport à nos besoins actuels et aux exigences du développement. La responsabilité principale incombe à l’impérialisme français, à ses servants locaux qui, un siècle durant nous ont gardés dans l’obscurantisme. Ces différents retards font que pour la réalisation d’un projet de l’importance de la mine de Poura, les seules conditions internes sont insuffisantes. Tout comme la technologie et le savoir-faire deviennent inutiles sans objet d’application. Cela à première vue paraît simple et conduit à la nécessaire collaboration qui devrait aboutir à un transfert de technologie. »
Il a ensuite attiré l’attention des uns et des autres sur les problèmes sociaux des travailleurs.
« A la sources des principaux problèmes se trouve le flou des textes, ce qui a amené l’ensemble des travailleurs à demander la suppression du statut du personnel et la création d’une commission de reclassement. A titre d’exemple, des ouvriers confirmés se retrouvent dans la même catégorie que ceux venant juste d’être formés. Ces derniers… [applaudissements nourris] venant de notre centre de formation professionnelle n’ont absolument pas d’avantages liés à l’apprentissage des métiers par rapport à ceux recrutés sur le tas sans formation et sans spécialité… [applaudissements]. Des techniciens d’université supérieure se retrouvent dans la même catégorie que des ouvriers qualifiés. Plusieurs cas recensés nous ont amenés à la conclusion que les classements se font à la tête du client… [Applaudissements].
« Une autre préoccupation des travailleurs est la question liée à la sécurité. Un système de gestion et d’approvisionnement dont les bases restent à nos jours incompris, amène les ouvriers à exercer dans des conditions d’insécurité proche de l’intolérable. Les gants et les bottes, masques et bleus, quand ils ne sont pas dans le bateau, ils sont au port, rarement au magasin… [Applaudissements nourris] et jamais de façon continue et permanente aux mains des travailleurs. A titre d’exemple, les coquilles anti-bruit que portent en ce moment les mineurs, ils l’ont acquis après des cas flagrants de surdité et un langage musclé de notre médecin. Il a été obligé en son temps de faire arrêter les moteurs suite à la maladie, à la surdité des mineurs. C’est pourquoi peut-être les coquilles anti-bruit ont pu avoir une petite place dans l’avion avec des sèche-mains pour être disponibles à l’inauguration… [applaudissements].
« Sur toutes ces questions, comme sur les questions sociales du personnel d’encadrement qui subit une retenue dite spéciale, mesure anti-travailleur et anti-populaire du très tristement célèbre CMRPN, le CDR ne peut se taire. Si les dénoncer, c’est se comporter en agitateur fanatique, nous acceptons de l’être. Si refuser de faire admettre aux travailleurs les dures conditions dans lesquelles on les met alors qu’une certaine catégorie se sucre est irréaliste, alors nous sommes irréalistes. Parce que nous croyons en la société nouvelle meilleure et plus juste annoncée dans le Discours d’orientation politique. »
Lui succédant, le camarade KAMBOU, haut-commissaire, a présenté brièvement sa province.
« Créé par ordonnance №83025 CNR-Press_14 Décembre 83, ce département qui tire toute son importance de la présence de la mine d’or compte deux gros villages : Poura Mine et Poura Village, regroupant plusieurs campements. Sa superficie est de dix mille km² avec une population de cinq mille âmes réparties en plusieurs ethnies. Il convient d’ajouter que Pourra a connu une série de mutations administratives. En effet, relevant de Boromo depuis l’ère coloniale, il fut détaché à l’époque des départements de l’ex-Volta Noire et rattaché à l’arrondissement de Fara dans l’ex département du Centre-Ouest. Puis, après le 4 août, érigé en préfecture et ramené à la province du Mouhoun, sa circonscription d’origine.
« Camarades militants et militantes, la mine d’or de Poura est désormais une réalité, un acquis du peuple qu’il faudrait sauvegarder à tout prix. C’est pourquoi j’invite toute la population de Poura en général, les CDR de la SOREMIB et ceux de la ville en particulier, à veiller scrupuleusement à ce qu’elle soit un champ de forte production pour le peuple, un gage de sa lutte au côté du Conseil National de la Révolution, contre le sous-développement, la maladie, la faim, savamment orchestrés par le colonialisme, le néocolonialisme, l’impérialisme et ses valets locaux. »
Ensuite est intervenu le camarade ministre de la Promotion économique, ministre de tutelle technique, le capitaine Henri Zongo, qui a tout d’abord fait l’historique de la mine puis a dit qu’il s’agit d’une victoire incontestable sur les forces d’exploitation, victoire qui prélude à toutes celles qui nombreuses, jalonneront le chemin de la reconquête de notre Faso sur le plan économique et social. Il a ensuite dégagé l’objectif actuel de la SOREMIB.
« L’objectif actuel de la SOREMIB est l’exploitation des gisements d’or de Poura et des environs immédiats. Reconnu sur 1500 mètres en longueur et sur 300 mètres en profondeur, le gisement de Poura est constitué par un filon de quartz dont l’épaisseur varie de 1,5 à 4 mètres. La teneur moyenne est de 13,5 grammes d’or par tonne, ce qui, avec un million six cent mille tonnes de minerais prouvés, donne des réserves sûres de 22 tonnes d’or. Cet or, d’une pureté exceptionnelle, ne subira au raffinage qu’une perte d’un millième.
Sur la base d’un rythme de production de deux tonnes par an, les réserves prouvées assureront à l’exploitation une durée de vie d’au moins onze ans. L’extension en profondeur au-delà de 300 mètres du filon de Poura ainsi que les résultats positifs de recherches effectuées sur d’autres filons découverts dans un rayon de 20 km autour de Pourra, laisse espérer des réserves plus importantes. L’exploitation de ce gisement à partir duquel le premier lingot nous sera présenté tout à l’heure, aura nécessité des investissements d’un montant total de près de 15 milliards de francs. A cela s’ajoutent 2 milliards 400 millions de francs d’investissement relatif aux infrastructures de base, c’est-à-dire une centrale électrique de 1600 kilowatts, l’alimentation en eau potable de la ville et en eau industrielle à partir de la Volta Noire. Le lotissement de la ville sur 600 hectares, 47 logements pour les agents de maîtrise de la SOREMIB et nombre d’autres réalisations sociales : écoles, dispensaires, maternités, centre social, voiries, etc.
Mais ces investissements n’auront pas été réalisés à fonds perdus, car non seulement la rentabilité financière de la SOREMIB est garantie, mais surtout son impact économique et social sera considérable. En année de pleine activité, la SOREMIB emploiera plus de 800 nationaux, contribuant ainsi à résorber un chômage devenu endémique dans notre pays. Le taux de rendement intérieur de l’exploitation, sur la base des hypothèses économiques les plus pessimistes, sera supérieur à 20%. L’activité de Poura dégagera donc une valeur ajoutée nationale de quelque 5 milliards de francs par an, et aura un impact très sensible sur le budget de l’Etat notamment par la perception des impôts et taxes.
Destinée en presque totalité à l’exportation, la production de Poura jouera très favorablement sur l’équilibre de la balance commerciale et de la balance des paiements du pays. En effet, sur la base du cours actuel de l’or, la SOREMIB atteindra aisément les 10 milliards de francs de chiffres d’affaires par an. L’implantation d’une activité industrielle moderne comme celle que nous allons visiter, favorisera la mise en chantier de projets agricoles pouvant déboucher sur l’agro-industrie.
Camarades mineurs, m’adressant plus particulièrement à vous, je voudrais souligner le rôle historique que vous devez jouer dans cette première unité industrielle d’exploitation minière. En effet, l’histoire nous enseigne que la plupart des grands chantiers miniers ont été l’occasion pour les hommes de perpétuer leur système de domination par la lutte implacable qu’ils imposent généralement aux sans-voix, c’est-à-dire aux camarades ouvriers.
Aussi, il vous faudra conjuguer vos efforts avec le Conseil National de la Révolution et le peuple burkinabè tout entier pour que Poura ne soit jamais le reflet d’un second Soweto en Afrique [Applaudissements]. »
La fierté de l’or ne fait pas seulement perdre la tête à l’impérialisme rapace et à ses servants locaux, mais elle fait également oublier jusqu’à l’idéal patriotique. Poura ne sera pas Soweto ni le Katanga, encore moins Kolwezi, a dit le camarade capitaine Thomas Sankara dans son intervention “Pour qui brille l’or de Poura”.
Cette partie du reportage est consacrée au discours de Thomas Sankara lors de cette inauguration. Vous le trouverez à https://www.thomassankara.net/brille-lor-de-poura-discours-de-thomas-sankara-18-octobre-1984-audio-extrait-video-texte/
Un tableau de la mine peignant les perspectives générales a été présenté aux invités par le camarade Tapsoba. Les différentes potentialités de la mine. Danse folklorique par la suite et le moment pathétique de la cérémonie, la coupure du ruban symbolique.
Le chef de l’État, vêtu de la combinaison de mineur, a tenu à visiter centimètre par centimètre le labyrinthe où la température était bien au-delà de la moyenne. Après la pose de la première pierre du foyer du mineur et un rafraîchissement, la cérémonie officielle prit fin dans la ville. C’était la fête. Tout est bien qui finit bien.
La SOREMIB, baptisée par un peuple armé d’une détermination révolutionnaire, la mine d’or de Poura est aujourd’hui une réalité. Mieux, une stratégie de développement de notre économie. C’est quand même suspect que notre pauvreté prétendument congénitale, dont on ne cesse de nous entretenir au cours des conférences internationales, ne soit pas vérifiée à travers certains secteurs. C’est le cas pour la géologie, dont on sait du reste qu’elle est un secteur clé de la mouvance économique internationale actuelle. Et c’est bien le cas d’ironiser en disant « Oui, la pauvreté, c’est la richesse des peuples ». Et il n’est pas exagéré de dire que le sous-sol burkinabè constitue un scandale minier.

















