Nous publions ce document qui devrait ravir tous les passionnés d’histoire, et notamment des évènements qui ont précédé la Révolution burkinabè. Un document apparemment inédit jusqu’ici. Il s’agit de l’intervention de Thomas Sankara devant l’assemblée générale du CPSP (Conseil provisoire du Salut du Peuple) qui s’est tenu du 22 au 26 novembre 1982. Il prendra à l’issue de cette réunion le nom de CSP (Conseil du salut du peuple). Thomas Sankara raconte le conflit qui l’a opposé au CMRPN (Conseil militaire de redressement pour le progrès national, et la résistance qu’il a opposé. Le CMRPN avait été renversé par un autre coup d’État militaire le 7 novembre 1982. Pour bien situer ces évènements dans l’histoire nous vous invitons à consulter la chronologie sur le présent site.
On trouvera aussi ci-dessous la déclaration de Blaise Compaoré à cette même assemblée générale.
Ce document nous a été passé par François Thibaut, doctorant, qui l’avait trouvé dans les archives nationales à Ouagadougou. C’est lui aussi qui en assuré la retranscription. Nous le remercions chaleureusement.
La rédaction
Déclaration du Capitaine Sankara Thomas
Il s’est réjoui de l’occasion qui lui était offerte pour s’expliquer devant l’Assemblée Générale et continuer en ces termes.
“De retour de mon stage en 1980, je fus reçu par le Colonel Saye Zerbo, Chef d’État-major Général des Armées qui, pour des raisons que j’ignore, tenta de m’expliquer les raisons qui ont conduit au coup d’État du 25 Novembre. Après l’avoir longuement écouté, je lui répondis que mon appréciation est tout autre et se situait à un autre niveau. Cette déclaration mit fin à notre entretien et je devais regagner Pô pour reprendre le commandement du Centre National d’Entraînement Commando. Quelques semaines plus tard, je retournais à Ouagadougou pour soumettre un plan annuel de travail de mon Unité. Je devais être surpris à mon arrivée par une décision m’affectant à l’État-Major (Division Opérations). Selon les rumeurs en ma possession, cette mesure était dictée par le danger que je représentais à la tête du C.N.E.C. Sans mot dire, je rejoignis mon nouveau poste et m’employais au mieux à l’organisation de mon travail à la Division Opérations. Plusieurs Officiers me rendaient des visites dans mon lieu de travail pour me remonter le moral. Un jour, le Capitaine Kambou Sié, Chef du Cabinet Militaire du Chef de l’État, m’apprenait que j’étais membre du Comité Militaire et du Secrétariat Permanent.

Membre du Comité Militaire et du Secrétariat Permanent, j’ai à ces divers titres apporté ma modeste contribution dans de différents travaux, notamment ceux relatifs aux modalités d’utilisation des véhicules. Très vite, je devais être freiné dans mon élan par les nombreuses contradictions et vicissitudes qui se présentaient chaque jour à l’intérieur du Secrétariat Permanent. Tout cela pouvait passer si les choses se faisaient honnêtement. Ainsi, un jour, je fus envoyé en mission pour négocier des bourses militaires. À mon retour, je fus encore surpris par ma nomination comme Secrétaire d’État chargé de l’Information à la Présidence de la République. N’ayant jamais été consulté auparavant, je mis tout en œuvre pour convaincre le Président des raisons de mon refus en m’appuyant sur mon prochain départ en stage. Tantôt le Colonel Saye Zerbo promettait ferme que j’irai, tantôt il invoquait la situation nationale pour refuser. En résumé, je ne savais plus où donner de la tête. Dans cette affaire, des membres du Comité Directeur, mettaient l’huile sur le feu en déclarant :
“Ou il est nommé et maintenu comme Secrétaire d’État ou nous partons tous“.
Malgré cette position du Comité Directeur, le Colonel Saye Zerbo continuait de s’assurer sur mon départ. Ainsi, il y eut une passation de service entre le Lieutenant Tiousse Amé et moi. Cette fois-ci, le départ pour moi était assuré, mais le Comité Directeur ne l’entendait pas de cette oreille.
Un jour, je fus convoqué devant ses membres qui de tous côtés m’assaillirent de raisons militant pour mon maintien au pays. De mon côté, je réfutai tous ces arguments par exemple prétexter des départs en stage (conférence du Capitaine Kassoum). Après cette entrevue avec les membres du Comité Directeur, j’assistai à une conférence avec le Colonel Tamini Yaoua qui m’invita à “prendre mes responsabilités“. Nous en étions à un tel point que le Colonel Saye Zerbo tenta encore par l’intermédiaire d’un de mes cousins de me convaincre, mais en vain. C’est à partir de ce moment que toutes mes demandes d’audience au Colonel étaient refusées sans explication. Ainsi acculé, je fus contraint d’adresser une correspondance au Colonel Saye Zerbo pour lui signifier mon refus.
Cette demande entraîna le retour de mon billet d’avion à l’Ambassade de France pour éviter toute compromission dans cette affaire. Contre donc vents et marées, je fus nommé Secrétaire d’État à l’Information, nomination que la Radio Nationale répercuta avec écho. Surprise encore par cette annonce, je refusais de me rendre au premier Conseil des Ministres parce que je n’avais jamais été consulté avant d’être nommé.
Le Colonel Saye Zerbo, les Lieutenants-Colonels Nézien et Tiemtarboum tentèrent de me ramener sur “leur droit chemin” mais en vain. Selon les informations reçues, plusieurs mesures auraient été envisagées à mon endroit :
1°) Me casser et me renvoyer de l’Armée ;
2°) M’évacuer dans un centre psychiatrique en me taxant de fou. Je précise que cette mesure a été préconisée par le Lieutenant-Colonel Nézien Badembié ;
3°) Rencontrer une délégation d’Officiers pour dialoguer afin qu’une solution correcte soit trouvée au problème.
La dernière solution avait été retenue et je fus contacté par le Lieutenant-colonel Félix Tiemtarboum et le Capitaine Zongo Henri qui me demandèrent d’être raisonnable afin que cela sauvegarde le prestige et le renom du pays et conserve la cohésion de l’Armée.
Au cours de cette période, des émissaires me seront envoyés par le Colonel Saye Zerbo afin de me persuader. À la fin, exténué, je fléchis en exigeant tout de même un compromis. Assumer les charges du Poste Ministériel durant deux mois et ce jusqu’au 13 Novembre 1981, délai largement suffisant pour permettre mon remplacement.
À la tête du Secrétariat d’État à l’Information, je tentai de m’organiser en opérant des mutations profondes, mais aussitôt les difficultés ne tardèrent pas à surgir car mes décisions ne seront pas exécutées. Dans le cadre de mon nouvel emploi, j’effectuai quelques missions à l’étranger et jusqu’à la date du 25 Novembre 1981, rien n’avait changé. Impatient de voir ma relève comme promis, j’adressai une correspondance aux émissaires Lieutenant-Colonel Félix Tiemtarboum et au Capitaine Zongo Henri pour leur manifester mon mécontentement sur le non-respect du compromis.
Une lettre de démission de toutes les instances du Conseil des Forces Armées Voltaïques sera alors remise. Des insinuations ne tardèrent pas à naître à mes dépens. Tantôt je suis taxé d’avoir de la sympathie pour le Capitaine Jerry Rawlings, Chef d’État de la République du Ghana, tantôt il me sera reproché mes connivences avec les syndicats. Une certaine rumeur alimentée par mes détracteurs faisait courir l’information selon laquelle j’aurais reçu une certaine somme de certains pays pour fomenter un coup d’État. Je fus sanctionné par 60 jours d’arrêts de rigueur avec le motif qui suit : “Franchissement de la voie hiérarchique“.
Auparavant, ma demande d’explication devant le Conseil resta sans suite. Je fus affecté à Dédougou. Une deuxième sanction tomba au taux de 60 jours d’arrêts de rigueur et au motif ainsi libellé : “Indiscipline“. Circonstance ayant entraîné la faute : “À démissionné d’une façon cavalièrement irresponsable de son Poste de Secrétaire d’État à la Présidence de la République“.
À Dédougou, je n’assumai aucun commandement effectif. Le Commandant Guèbre tenta de m’employer mais j’opposai un refus tant qu’une note de service de l’État-Major Général ne venait pas.
Déclaration du Capitaine Compaoré Blaise
J’avais moi aussi fondé de grands espoirs sur l’avènement du 25 Novembre 1980 au vu des événements qui ont secoué la Nation. C’est la raison pour laquelle je voulais apporter ma petite pierre en m’adhérant au mouvement du C.M.R.P.N.
Mais très vite je fus déçu par le choix non démocratique des membres du Comité Directeur, puis du Comité Militaire. Les agissements et pratiques orthodoxes vinrent aggraver ma déception. Aussi j’estimai bon de démissionner des instances du mouvement. Comme mes camarades, je fus puni de 60 jours d’arrêts de rigueur puis affecté à Bobo où j’étais sous commandement jusqu’à la date du 7 Novembre 1982. S’agissant de cet avènement, j’invite toute l’Assemblée Générale à la réflexion sur la portée pratique de ce qui vient de se faire. La gabegie, la malhonnêteté intellectuelle, l’impopularité ont conduit le C.M.R.P.N. à sa déroute. Le C.S.P., à son tour, devra éviter les mêmes erreurs sinon il sera combattu avec la même rigueur.



















