Inventons une façon burkinabè de gouverner

 

Baowendsom Ouédraogo

J’étais très jeune pendant la révolution et le souvenir que j’en garde est certainement marqué par cette jeunesse. Je me souviens des discours enflammés, des slogans ravageurs, des grandes manifestations festives et des grands projets de société proposés par les leaders de la révolution. Je retiens surtout ce que les discours politiques avaient d’exaltant, de stimulant et de transformateur. Grâce à ces discours, j’ai appris à être fière d’appartenir à ce pays pauvre qu’est le Burkina Faso. La révolution m’a surtout donnée l’espoir qu’un monde meilleur est possible si on accepte de se battre pour le construire.

Vingt ans après la mort de Sankara, ce qui attriste et préoccupe le citoyen lambda, ce n’est pas seulement que ces événements malheureux aient eu lieu. C’est aussi le fait de ne pas pouvoir parler ouvertement de ce qu’il est advenu du rêve révolutionnaire burkinabè sans accusation de parti pris. Pourtant, même si nous ne sommes pas des acteurs sociaux de premier plan ou des décideurs politiques, l’histoire politique du Burkina est aussi la nôtre à titre individuel en tant que citoyens et citoyennes de ce pays ayant pris une part active aux actions révolutionnaires.

 

Un peuple et son destin

Pendant la révolution, nous avons proclamé avec fierté et conviction le choix de notre peuple souverain, de prendre son destin en main, de se faire respecter par les autres peuples et de réussir le pari du développement durable. Toutes les catégories sociales étaient conviées sur toutes les tribunes à la mobilisation pour construire notre chère patrie. Par ces discours patriotiques, les leaders de la révolution ont su donner un sens à la vie d’une jeunesse appelée à se mobiliser dans les villes et les campagnes pour relever de multiples défis auxquels sont confrontés notre pays. Pour les femmes, camarades de lutte, les révolutionnaires promettaient l’émancipation totale de toutes les pesanteurs socioculturelles. Aux masses paysannes laborieuses, ils ont donné l’espoir de meilleures conditions de vie et un juste prix de leurs matières premières agricoles. Malgré les exactions des CDR et le contrôle social rapproché, la majeure partie du peuple burkinabè se sentait engagée dans une grande et merveilleuse aventure collective. Grâce à la révolution, plusieurs citoyens ont pris conscience de leur identité nationale. Et solidairement avec les dirigeants politiques, ils étaient prêts à livrer les grandes batailles contre l’impérialisme et les ennemis intérieurs et extérieurs de la nation. Tout semblait possible et réalisable jusqu’à ce fameux soir du 15 Octobre 1987.

 

La mort incognito  de la révolution

Les désaccords sur la manière de conduire le projet révolutionnaire ont abouti à des pertes de vies humaines déplorables. Par la suite, au lieu de la rectification de la révolution envisagée après ces évènements malheureux, on est passé à la démocratie sous la pression internationale, sans avoir expliqué suffisamment au peuple pourquoi les changements et qu’est-ce qui changeait réellement. Tout le peuple burkinabè était embarqué dans l’aventure révolutionnaire et a dû s’adapter tant bien que mal aux différents changements idéologiques opérés rapidement, sans en comprendre le bien-fondé et les implications socioculturelles et économiques. Depuis lors, la vie politique suit son cours avec des soubresauts répétés qui font souvent craindre le pire. Pourquoi cela ?

La réalité est qu’il subsiste une frustration latente qui peut trouver sa source dans la mort incognito de la révolution ou sa fin en queue de poisson. Plusieurs citoyens déroutés continuent encore de se sentir comme trahis et tournés en bourriques. Comme ces concitoyens, je ne sais pas quand est-ce que la fin ou la mort de la révolution a été constatée ni à quel moment le rêve révolutionnaire a été enterré dans sa globalité. Mais, j’ai le sentiment d’avoir été trompée dans ma foi en la révolution et en ses promesses. J’ai l’impression d’avoir été feintée et manipulée par les discours tenus. Par qui ? Par tous ceux qui faisaient les discours et animaient la vie politique, car la révolution burkinabé a été présentée comme étant une œuvre collective. L’adoption d’une autre philosophie politique en est la raison principale.

 

Le choc des idéologies au cœur d’un petit pays

Le passage d’un régime révolutionnaire de type marxiste-léniniste à la démocratie libérale en cours actuellement n’a pas fait l’objet d’un débat social de fonds sur les nouvelles valeurs dominantes à adopter. La ferveur révolutionnaire a vite fait place à des changements radicaux de vision idéologique qui ont favorisé des choix très différents par rapport à l’orientation antérieure. De même, le temps mis pour opérer ces changements de philosophie politique et les enseigner a été très court et insuffisant pour préparer le peuple à prendre le virage amorcé. Mais, ce qui crée la confusion et le malaise profond dans la conscience collective, c’est qu’il n’y a pas eu de renouvellement préalable de la classe politique comme dans plusieurs anciens pays socialistes dans le monde qui ont connu une transition similaire. Les tenants du discours révolutionnaire d’hier sont ceux qui prônent les nouveaux idéaux démocratiques sans avoir reconnu s’être trompés antérieurement en précisant en quoi résident leurs erreurs. Dans une société qui valorise la parole donnée, cela n’est pas compréhensible ni facilement acceptable.

Une grande partie du peuple burkinabè a adhéré aux valeurs révolutionnaires et s’est efforcée de les défendre. Peut-elle tout aussi facilement adopter des valeurs différentes ou contraires sans une bonne explication préalable et la preuve de l’inefficacité de ce qui a été proposé au préalable ? En conséquence, c’est la confiance entre le peuple (surtout les jeunes) et ses dirigeants qui est mise à rude épreuve et les nouveaux démocrates ont dû endurer depuis lors les incidences négatives de cette mauvaise rupture idéologique avant que d’autres faits ne viennent aggraver la méfiance et la désunion. Vingt ans après, la peine de cette rupture douloureuse reste vivace et sans remède. Comme dans une déception amoureuse, de nombreux citoyens n’ont pas fait le deuil de la révolution parce qu’ils refusent de reconnaître que tout est vraiment fini pour de bon. Toutefois, de manière confuse, on ne sait pas si les rancoeurs qui subsistent sont dues plus à la mort du président Sankara ou celle de la révolution elle-même ou à la combinaison des deux évènements. Néanmoins, malgré les faits qui fâchent et l’incompréhension qui tarde à se dissiper, on doit reconnaître l’existence d’un héritage de la révolution, avec des appréciations variables selon la lecture qu’on en fait.

Quel héritage nous lègue l’époque révolutionnaire?

La révolution a laissé une marque indélébile dans notre histoire nationale. On peut en être fier ou en avoir honte, il y a un héritage qui existe. La mémoire collective est imprégnée de la révolution et le sera encore pendant des décennies. La révolution n’a pas laissé aux Burkinabè que des cités, des monuments et des ressentiments. Elle a laissé aussi un peuple fière, digne et plein d’espoir pour son avenir. C’est à nous de continuer d’inventer cet avenir meilleur en tirant les leçons des erreurs du passé. Or, depuis un mois, les échanges dans les médias se focalisent sur les facteurs et les conditions qui ont présidé à la fin de la révolution sans aller dans le fonds des choses. On assiste à un dialogue de sourd dans lequel les uns exposent avec force détails et émotion leurs visions des évènements qui ont entouré la mort du président Sankara. Les autres s’attachent à faire le bilan positif de la période post-révolutionnaire démocratique en tapissant la cité de posters géants. Apparemment, aucun des deux camps en présence ne veut aborder le bilan de l’ère révolutionnaire en tant que tel. Pourtant, entre les deux démarches discursives en cours, il manque une approche comparative objective entre les acquis de la période révolutionnaire et celle de la période démocratique qui ont été toutes les deux animées par les acteurs concernés. Autant la révolution que la démocratie ont leurs avantages et leurs inconvénients, leurs forces et leurs faiblesses. Les leaders politiques du Burkina Faso ont eu la chance d’expérimenter ces deux approches sur plusieurs décennies. Ils peuvent donc tirer profit de ces expériences pour inventer une façon burkinabè de gouverner qui nous réconcilie avec nos rêves patriotiques du passé et nous permette d’accomplir les promesses faites au peuple dans son ensemble et aux différentes couches sociales en particulier.

Malheureusement, les débats en cours ne sont pas apaisants et conciliants. On assiste impuissant et honteux à l’instauration des querelles politiciennes entourant les cérémonies de commémoration du 15 Octobre et la fête des 20 ans de ” renaissance démocratique ” sans pouvoir intervenir. En ajoutant à ces faits la grogne des soldats, les mauvaises langues s’empressent de prédire avec conviction l’implosion imminente du Burkina à l’image d’autres pays africains. Tout en reconnaissant que chaque nation à ses pyromanes, espérons que par manque d’humilité et de sagesse, les dignes fils du Burkina Faso ne le laisseront pas brûler avant de songer à éteindre le feu qui couve il y a maintenant belle lurette. C’est là l’espoir de tout un peuple. Il doit préoccuper tous ceux qui se sont donnés pour mission de protéger et sauvegarder les intérêts supérieurs de la nation. Puisse Dieu nous garder par-dessus tout

Baowendsom Ouédraogo (sociologue)

Source L’Evènement spécial 15 octobre 2007 http://www.evenement-bf.net

 

 

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