Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara.

Cet article, écrit donc en décembre 1983, amène de nombreux éléments de compréhension sur le conflit qui opposait le Mali et la Haute Volta et qui va entrainer la guerre de Noël en décembre 85. Il reprend entièrement l’historique de ce qui oppose les deux pays. La retranscription a été réalisée par Davy Hafing.

Pour situer ces évènements dans l’histoire de la Haute Volta qui deviendra le Burkina, vous pouvez consulter la chronologie à https://www.thomassankara.net/chronologie/. Cet article a été retranscrit par Gérard Amado Kaboré, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga.


Mali-Haute-Volta : La fin d’un conflit Frontalier ?

Par Mohamed Maïga

Commencée comme un gag l’histoire avait frôlé la tragédie, mais se retrouve aujourd’hui à La Haye, dont les deux parties se sont engagées à respecter le verdict.

« Le gouvernement de la République de Haute-Volta et le gouvernement de la République du Mali ont notifié au greffe par lettre conjointe, reçue le 20 septembre 1983 à La Haye, un compromis conclu par eux le 16 septembre 1983 et entré en vigueur le jour même. Ce compromis soumet à une chambre de la Cour la question de la délimitation de la frontière terrestre entre les deux États sur une partie de sa longueur. »  Signé : le greffier de la Cour internationale de justice de La Haye.

C’est par ce communiqué plutôt laconique que l’opinion africaine a appris que l’un des conflits les plus absurdes, les plus injustifiables de l’Afrique est en voie de connaître un règlement définitif. Conflit inutile parce qu’ayant opposé et mis aux prises deux Etats détenant le triste privilège de figurer parmi les plus démunis (matériellement) de la planète. Absurde parce que menaçant de diviser deux peuples en tous points identiques, pour qui l’idée même de la séparation par une frontière, n’eût été l’aventure coloniale, serait un non-sens.

Si le différend frontalier voltaïco-malien n’est pas encore définitivement réglé, le fait est que la bombe est véritablement désamorcée. Grâce aux bonnes dispositions des deux chefs d’État, le capitaine Thomas Sankara et le général Moussa Traoré. L’Histoire retiendra très certainement l’habileté, la sincérité et la détermination dont le capitaine voltaïque a fait preuve pour venir à bout de la méfiance et de l’attentisme de la partie malienne. Une tâche d’autant plus difficile qu’à l’intérieur Thomas Sankara – comme Moussa Traoré – devait venir à bout de certains secteurs de l’opinion publique qui, sans être cependant chauffés à blanc, profitent de telles crises pour renforcer leurs positions et privilèges particuliers.

A l’extérieur, également, l’un et l’autre devaient faire face aux diviseurs et autres marchands de canons réels et potentiels. On se souviendra qu’en 1981 certains chefs d’État, hostiles à l’entrée du Mali dans l’Union monétaire ouest-africaine, avaient su utiliser les dirigeants voltaïques et le conflit frontalier voltaïco-malien pour faire obstacle à cette entrée dans l’U.M.O.A., considérée à Bamako comme la solution miracle aux graves problèmes économiques et financiers du pays. Ce qui n’a fait qu’approfondir et élargir le fossé séparant les deux États, par-delà les questions de frontière. Dernier obstacle qu’a eu à franchir le président voltaïque et qui explique la méfiance de l’interlocuteur malien : comment cet officier, dont l’armée malienne garde le plus cuisant souvenir à la suite des escarmouches de 1975, avait-il pu se muer en ce président apôtre de la paix ?

Le tourbillon Sankara

     Il faut reconnaître que, d’entrée de jeu, le président Thomas Sankara a pris de court les dirigeants maliens pour parvenir à une solution du litige frontalier. C’était au lendemain de son fulgurant retour au pouvoir, le 4 août 1983 : « Le conflit Mali-Haute-Volta ? Connais pas », nous répond-il dans sa première interview de président. Puis, prenant les diplomates traditionnels à contre-pied, il sort le problème du cadre strictement étatique pour en faire l’affaire des peuples concernés : « Je ne connais pas l’existence d’un conflit entre les peuples malien et voltaïque. » Incontournable, cette vérité-là ! Comme cette autre : « Je sais seulement qu’il existe une bataille commune à nos deux peuples, à nos deux pays, contre toutes les formes de domination et d’exploitation… »  Dans la foulée, le président voltaïque ajoute que son régime « veut être celui qui cultive avec le Mali les relations les plus solides, les plus courageuses sur toutes les questions, même celles qu’on a coutume de considérer comme tabou. »  Puis, terminant sur un vœu : « Souhaitons que nos frères et amis maliens nous aident à démontrer à la face du monde que seul l’intérêt de nos peuples indissociables doit être pris en considération. »

Des mots ! Rien que des mots ! affirment certains milieux maliens qui veulent endiguer le tourbillon Sankara dans lequel diplomates et hommes politiques risquent de se laisser entrainer. Il faut des gestes concrets, ajoutent-ils. Mais, à Bamako, on sait que quelque chose a définitivement changé du côté voltaïque. Le temps n’est plus aux tergiversations et a l’attentisme stérilisant. Et le Mali risque d’apparaitre comme peu soucieux de coopération : « La balle est désormais dans notre camp. Ou nous la renvoyons dans le camp adverse ou nous l’expédions dans le décor », nous confie un proche du président malien.

Dans le même temps, l’ambassadeur malien en Haute Volta, Siragatou Cisse, fait la navette entre Bamako et Ouagadougou, où, à la fin du mois d’août, il nous affirme sa « conviction quant à la bonne foi des dirigeants voltaïques ». « Le vent est favorable et ceux qui ne savent pas aller dans ce sens s’égarent », précisera-t-il à nos confrères de la presse de Haute-Volta.  « Convaincu » aussi, le général Traoré, saisissant la balle au bond, fait état de « l’existence réelle d’une volonté politique et morale de part et d’autre pour trouver une solution pacifique et définitive » au problème.

Maliens et Voltaïques se remettent à peine de l’avalanche de déclarations conciliantes que Thomas Sankara en personne débarque à… Bamako. L’événement se produit le 16 septembre et c’est le premier voyage officiel du président voltaïque hors des frontières nationales. Moussa Traoré, son ministre des Affaires Étrangères, Me Alioune Blondin Beye, et l’ensemble de la classe politique sont sensibles au geste.

Plus rien ne semble pouvoir arrêter le processus, D’autant qu’on remarque dans la délégation voltaïque une présence « insolite » : le ministre sénégalais de l’Enseignement supérieur, Ibrahima Fall. Émissaire du président Abdou Diouf, il était à Ouagadougou où il devait précisément discuter, au nom de son président, des suites à donner au « dossier Mali-Haute-Volta » Le Sénégal était et est, on le sait, l’intermédiaire par lequel

Bamako et Ouagadougou avaient décidé de passer pour faire parvenir leurs dossiers à La Haye : deux documents distincts élaborés par chacun des deux États, reflétant leurs vues et arguments, et un mémorandum commun, synthèse des deux positions officielles.

Dès lors, la diplomatie reprend ses droits : d’autant mieux qu’outre le Sénégal un autre partenaire œuvre au rapprochement voltaico-malien : l’Algérie, dont l’action, pour être discrète, n’en est pas moins efficace et déterminante. En raison de l’influence et de la bonne cote d’Alger à Bamako comme à Ouagadougou. A la fin d’août 1983, Moussa Traoré – ainsi que le Mauritanien Khouna ould Haidallah – était dans la capitale algérienne. Il s’en était fallu de peu, semble-t-il, qu’il y fût rejoint par son homologue voltaïque pour rencontrer le président Chadli Bendjedid. Ce dernier, on le sait, n’a  eu de cesse de rapprocher les vues du Mali et de la Haute-Volta et de ramener le « conflit » à ses justes proportions, c’est-à-dire débarrassé des rancœurs, de la passion et des considérations d’amour-propre ici ou là égratigné. Le président algérien a un argument de poids et sait de quoi il parle : trois mois plus tôt, son pays et le Mali avaient procédé, sans difficulté, au bornage définitif de leur frontière. Pourquoi n’en serait-il pas de même entre les deux frères sub-sahariens ?

Restait un dernier contentieux, créé par les prédécesseurs du capitaine Sankara à la tête de l’État voltaïque ; la relation entre le règlement du la frontalier et l’acceptation de l’entrée du Mali dans l’U.M.O.A. Ce linkage était de règle avant le 4 août 1983, les responsables voltaïques estimant détenir là une carte essentielle, l’atout majeur. Thomas Sankara allait-il le lâcher sans garanties particulières du Mali ?

L’interrogation subsistait quand, le 24 octobre, Moussa Traoré rend à Thomas Sankara sa visite de travail le 16 septembre. La méfiance et les arrière-pensées n’étant plus de mise, les deux présidents peuvent participer ensemble, entre autres réunions, au sommet de l’U.M.O.A., à Niamey (Niger). Le capitaine Sankara n’oppose pas un veto dont ses prédécesseurs, manipulés, avaient fait usage et le sommet signe la réintégration Mali dans l’organisme technique de la zone franc. Chacun sait alors que le « dossier Mali-Volta » n’est plus du seul ressort, des deux États concernés. Chacun sait également — en particulier l’opinion publique africaine qu’aucun des deux protagonistes ne pourra, à l’avenir, faire fi des avis et arrêtés de la juridiction internationale (la cour de La Haye), ne serait-ce que devant leurs deux peuples chez qui le respect de la parole donnée constitue un point d’honneur traditionnel. Le conflit frontalier, lui, ne devient plus qu’une affaire de bornage semblable à toutes les autres.

Au plus fort de l’ivresse

     D’ailleurs, tout avait commencé comme un gag, sinon un jeu d’enfants ; des gendarmes et goumiers voltaïques (ou maliens), excités et hargneux, s’emparent d’un drapeau national plutôt crasseux, l’attachent à un bout de bois mal taillé, traversent la « frontière » et, chansons à l’appui, le plantent loin à l’intérieur du terrain voisin. Des gardes-frontières et goumiers maliens (ou voltaïques), furibonds et haineux, s’emparent du symbole de discorde (le drapeau défraichi) et, brandissant le leur, traversent le territoire de « l’autre » dans un esprit on ne peut plus vengeur…Un « jeu » auquel, rapidement, des administrateurs zélés allaient participer; suivis de près par des « armées » nationales dont on se demande ce qui pouvait bien les attirer dans ces terres arides.

C’était au début des années 1960, au sortir de la nuit coloniale. C’est-à-dire au plus fort de l’ivresse que procurent une frontière et un drapeau nationaux, symboles de la dignité retrouvée. C’est connu, et Franz Fanon l’a admirablement démontrée la dignité du pauvre, surtout colonisé, s’exerce plus facilement à l’encontre de son semblable que contre le maitre et exploiteur commun. Maliens et Voltaïques des années 1960 en donnèrent une illustration d’autant plus caricaturale que l’ex-colonisateur, parti sur la pointe des pieds, avait laissé derrière lui une frontière, longue de quelque mille deux cents kilomètres, mal dessinée en plus d’un point. Il faut toutefois reconnaitre aux dirigeants de l’époque, notamment au Malien Modibo Keita, le mérite (entrant dans une vision assez large de l’unité africaine) d’avoir su, pacifiquement, délimiter la frontière sur plus de neuf cents kilomètres.

Terre de rencontres

      Restait le cas d’une zone singulière à plus d’un titre : le Gourma, mot qui, pour toutes les populations locales, signifie la  « rive droite » (du fleuve Niger). En songhaï comme en peul, en haoussa comme en tamacheck. Une région qui va de la frontière tripartite Haute-Volta-Mali-Niger à la zone de Hombori, dans la cinquième région administrative du Mali, dont le chef-lieu est Mopti, Jonction du Sahel et de la savane, brûlé de soleil, le Gourma, pays des arbres épineux, des hautes herbes, des collines de sable, est aussi celui de quelques animaux dont certains en voie de disparition : biches, antilopes, hyènes, lions, pintades, perdrix, outardes, autruches, etc. Les éléphants, fuyant la désertification, l’ont quitté depuis des décennies, les girafes y sont rares et bien d’autres représentants de la faune y ont été décimés par les feux de brousse et la sécheresse. Restent les hommes. De toutes les races et de toutes les couleurs. Car le Gourma, depuis des siècles, est aussi une terre de rencontres. La tradition veut qu’après les pygmées. Il y a quelques millénaires, ses premiers occupants aient été les Gourmantchés (hommes du Gourma), aujourd’hui un mélange de Songhaï, de Mossis, de Peuls, de Dogons et autres peuples qui, depuis longtemps, ont un tronc culturel commun. Et, depuis toujours, la dialectique des rencontres et des mélanges a voulu que l’on s’y batte.

La confrontation voltaïco-malienne n’y date pas d’aujourd’hui. Au XIVe siècle, les armées du royaume mossi, au cœur de la Haute-Volta, avaient traversé le Gourma pour aller mettre le siège devant Tombouctou, métropole de l’empire du Mali. Un siècle plus tard, c’est au terme de longues et ruineuses campagnes que Sonni Ali Ber, empereur du Songhaï (la nouvelle dynastie régnante du Mali) « pacifia » le Gourma, définitivement entré dans le giron malien. Mais le Gourma, à ce titre, n’était pas un cas unique : l’empire mandingue s’étendait de l’Atlantique au Tchad, du désert à la lisière de la forêt. L’irruption des négriers occidentaux (1492) au sud, l’invasion marocaine au nord (1591) et leur conséquence qu’est la désorganisation du dernier grand empire soudanien allaient livrer le Gourma (et bien d’autres régions) à l’anarchie et aux luttes fratricides. Peuls et Touareg allaient tour à tour s’y affronter sans merci et sans victoire définitive… jusqu’à la conquête française.

1926 : le colonisateur victorieux, a définitivement établi la paix des armes et des cimetières au Soudan français (Mali) et en Haute-Volta. Il peut envisager un tracé frontalier séparant ses deux colonies. De fait, un « Atlas des cercles de l’Afrique occidentale française (A.O.F.) » est publié et rend compte de la délimitation frontalière entre les deux possessions françaises, avec quelques légères ambiguïtés préfigurant déjà le conflit à venir, et qui semblent dues à une mauvaise connaissance du terrain et des peuples par les techniciens de l’Institut géographique national (I.G.N.). Quelques détails seront « corrigés de facto » par l’arrêté du 31 août 1927 et son erratum du 5 octobre 1927 fixant, l’un et l’autre, « les limites des colonies de la Haute-Volta et du Niger ».

1932 : pour les besoins de sa cause, le même colonisateur prend une curieuse décision : la disparition de la Haute-Volta où le nationalisme anticolonial du plateau mossi ne plait décidément pas aux administrateurs métropolitains. La majeure partie du pays est rattachée à la Côte-d’Ivoire et prend le nom de Haute Côte-D’ivoire. Une portion non négligeable (la région de Ouahigouya) va au Soudan français ; des lambeaux de la dépouille seraient allés, dit-on, au Niger… Entre 1933 et 1935, l’administration coloniale, des plus fantaisistes, prend une multitude de décisions : tantôt elle agrandit tel cercle « soudanais » en y ajoutant tels villages voltaïques, tantôt elle rattache un village soudanais à un cercle précédemment en Haute-Volta (arrêté du 16 décembre 1933),

Diviser pour régner

     Dans tous les cas, compliquant la situation au gré de ses intérêts conjoncturels, elle sème les germes de conflits futurs. En particulier, l’arrêté général no 2728 du 27 novembre 1733 sera lourd de conséquences puisqu’il est à la source du différent actuel. C’est cet arrêté qui a rattaché au Soudan les villages précédemment en colonie voltaïque (ce que le Mali conteste) de Dioulouna, Okoulou, Agoulourou et Koubo. S’y ajoutèrent la position contestée du mont Ngouma à l’extrémité est de la frontière et la situation non moins contestée de la mare de Ketiouaire ou Kebouaire.

1947 : confronté à la montée du nationalisme africain, le colon français divise pour régner, mais aussi répare l’injustice de 1932. Une loi votée à Paris « rétablit la Haute-Volta dans ses frontières de 1932 ». Tout le découpage précédemment opéré est désormais à refaire. C’est à dire que tous les textes, arrêtés et autres avis antérieurs à 1932 sont annulés pour ramener la frontière à celle de 1926. Si des villages jusque-là intégrés à des cercles voltaïques sont facilement rétrocédés au Soudan, l’inverse se révèle difficile. Pour des raisons historiques, familiales et ethniques ?

Un chapelet de lacs

     Toujours est-il que Bamako conteste : les quatre villages n’ont jamais fait partie de la Haute-Volta, soutient-on. De même, y affirme-t-on, le mont Ngourma n’est pas au nord mais au sud-est du gué de Kabia. Depuis les indépendances, tous sont en République de Haute-Volta, même si certains ont cru qu’ils étaient administrés par le Mali.

De village en colline, de mare en piton rocheux, la zone contestée n’a cessé de s’élargir : trois mille deux cents mètres carrés, puis neuf mille neuf cent dix kilomètres carrés, auxquels il faut ajouter les soixante-sept kilomètres carrés autour du mont Ngouma. Mais, en procédant à la délimitation de la région litigieuse autour des quatre villages, on s’aperçoit que la ligne de partage s’arrête en plein territoire. Faut-il, des lors, tracer une perpendiculaire qui irait rejoindre 1926? Personne n’en veut. Alors? On croit le problème en voie de règlement quand, brusquement, en jetant un coup d’œil sur la carte, la difficulté devient évidente. A partir de Rafnaman, la zone est parcourue vers l’est par un chapelet de lacs et de mares, résidus de fleuves aujourd’hui disparus.

La délimitation frontalière ne pouvant finir au cœur du territoire voltaïque, fallait-il faire de cette suite de rivières une frontière naturelle ? Au nord ou au sud des lacs? Ou au milieu, comme semblaient, un moment, l’avoir suggéré les Maliens ? Dans ces contrées désolées, ces mares, aux noms musicaux et sonores de Fitili, In Abao, Soum, Beli, sont plus que de simples résidus de fleuves morts. Elles sont sources de vie et de mort. Pour les bêtes comme pour les pasteurs nomades. De tous les temps, Peuls, Touareg, Bellahs et Songhais, jadis aussi bien voltaïques que nigériens ou soudanais, se sont affrontés à coups de sabres, de lances et de bâtons sur leurs bords, pour les besoins de leurs troupeaux — chacun voulant y être le premier.

On a dit et écrit que Maliens et Voltaïques s’y querellaient pour des « réserves fabuleuses » de cuivre, fer, manganèse, pétrole et uranium. Rien n’est moins sûr au regard l’exploration géologique. La réalité est plus simple : en ces temps de sécheresse, ces points d’eau sont des trésors autrement inestimables pour deux États tirant l’essentiel de leurs ressources de l’élevage. Mais le litige va bien au-delà puisqu’il pose en termes clairs la question de « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation », confrontée à l’histoire précoloniale. Devenu un point de fixation entre deux gouvernements, le différend frontalier, de Dioulouna au mont Ngouma ne pouvait que dégénérer d’autant que, pour Ouagadougou comme pour Bamako, il était comme devenu le  commode exutoire de très sérieuses difficultés intérieures. Au plus fort de celles-ci, le 14 décembre 1974, l’armée malienne, selon diverses sources, franchit « la frontière » et occupe une grande partie du territoire disputé. Elle en sera délogée, essentiellement par des commandos dirigés par un lieutenant du nom de…  Thomas Sankara.

L’O.U.A. s’émeut

     En Afrique, chacun a compris alors que le conflit, d’apparence mineure, peut dégénérer. De fait, il est potentiellement des plus explosifs d’autant que derrière chaque protagoniste continent. Enfin, O.U.A. s’émeut ; son comité de médiation est saisi et vient le temps des négociations et des médiations entre 1974 et 1975. Les États de la région s’étant émus, c’est tout naturellement que le comité de médiation de l’O.U.A. créa pour la circonstance une commission de médiation composée du Togo (président), du Sénégal, du Niger et des observateurs de Guinée, et de Somalie (alors président en exercice de l’O.U.A.). Cette commission créa à son tour une sous-commission juridique et une sous-commission militaire. La première avait pour mission d’élaborer un avant-projet de proposition après examen des documents afférents au conflit. La deuxième constater l’éloignement, sur le terrain, des deux armées, de cinq kilomètres au moins de la ligne de frontière que chaque belligérant estimait être la bonne. La commission de médiation se réunit à trois reprises dans la capitale togolaise (26 décembre 1974 ; du 27 au 30 janvier 1975 ; 17 et 18 juin 1975) avec la participation du secrétaire général de l’organisation panafricaine.

S’appuyant sur les conclusions de la sous-commission juridique aidée d’un comité technique neutre de cartographes, la commission de médiation donna pleinement raison à la partie voltaïque ce qui provoqua la colère du Mali. Résultat : le conflit persista menaçant à tout moment de faire parler la poudre.

C’est alors qu’un dirigeant dont l’ascendant et le prestige étaient réels auprès des peuples malien et voltaïque jeta son poids personnel dans la balance : le président Ahmed Sékou Touré de Guinée. Il se rendit personnellement à Ouagadougou et à Bamako et réussit ce qui avait été impossible pour Éyadema et Senghor : le retrait des armées. 10 juillet 1975, il réunit à Conakry les chefs d’État de Haute-Volta et du Mali qui signèrent la « Déclaration commune de Conakry ».

Celle-ci donnait satisfaction au Mali mais entraina les plus expresses réserves du côté voltaïque. D’abord, le représentant de la commission nationale voltaïque aurait été tenu à distance lors des discussions qui réunirent essentiellement Maliens et Guinéens. Ensuite, le document final recommande des négociations et une solution bilatérale. Délégations maliennes et voltaïques (présidentielles, ministérielles ou techniques) se rencontrèrent à cinq reprises entre 1976 et 1981, discutant tantôt de la forme tantôt du fond du problème. Sans succès. Souvent au bord de la rupture.

Le silence giscardien

     Un fait restait troublant : le silence de la France giscardienne, malgré les démarches pressantes de tous les intéressés. Un mot de la puissance qui a tracé la frontière et on y aurait vu un peu plus clair. Elle ne le prononça pas, s’abritant derrière une pseudo-neutralité qui, en réalité, lui permettait de renforcer ses positions aussi bien à Bamako qu’à Ouagadougou. Pendant ce temps les changements de régimes se succédaient dans une Haute-Volta gagnée par l’ébullition sociale. Il fallut attendre le 4 août 1983 et le dynamisme de la diplomatie voltaïque pour sortir de l’impasse. Désormais, les dirigeants des deux peuples sont face à deux peuples qui ne demandent qu’à vivre en toute fraternité.

Mohamed Maïga

 

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