Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara. L’article ci-dessous reprend l’essentiel d’une conférence de Thomas Sankara le 21 août 1983. Cet article a été retranscrit par Gérard Kaboré, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga

La rédaction du site.


La rentrée d’un peuple

De notre envoyé spécial MOHAMED MAIGA

Plus qu’à une conférence de presse, c’est une véritable rentrée politique du capitaine Thomas Sankara et du Conseil national de la Révolution (C.N.R.) que la soixantaine de représentants de la presse voltaïque et étrangère a assisté, le 21 août 1983, au palais de la présidence de Ouagadougou. Rentrée politique de l’un et de l’autre parce que, outre le chef de l’État, quelques-unes des figures importantes du mouvement du 4 août étaient présents : les capitaines Blaise Compaoré, Henri Zongo, les commandants Jean-Baptiste Lingani, Salam Kaboré, le lieutenant Pierre Ouédraogo et bien d’autres. Rentrée politique parce que c’est la première rencontre d’un “capitaine” avec la presse et, à travers elle, avec son peuple et le reste du monde depuis sa seconde prise du pouvoir, aux premières heures de la nuit du 4 août 1983.

Annoncée près de deux semaines à l’avance, la prestation de Thomas Sankara était attendue avec intérêt par son peuple et hors des frontières voltaïques. « Les voltaïques l’attendaient comme une grande fête, comme ils attendent généralement la célébration de la fête de l’indépendance », nous ont confié en substance les citoyens rencontrés au hasard des randonnées dans les rues de la capitale.

À l’étranger, notamment dans la sous-région ouest-africaine, l’intérêt et l’attention n’étaient pas moindres à en croire nos confrères maliens, nigériens et algériens qui ont fait le déplacement de Ouagadougou, tant il est vrai que dirigeants, classes politiques et peuples attendaient de découvrir le second Sankara, celui qui, le 4 août, aidé, soutenu et porté par des camarades de lutte civils et militaires, a connu la fin de sa traversée du désert.

Les participants à la conférence de presse du 21 août n’auront pas été déçus, car, tant par la forme que dans le fond, elle fera date dans l’histoire du C.N.R. et de la révolution voltaïque naissante. Thomas Sankara a répondu, deux heures durant, tantôt avec humour tantôt avec gravité, mais toujours avec clarté et brio, aux multiples questions allant des soucis quotidiens aux grands débats idéologiques, en passant par les relations interafricaines et internationales.

Ainsi, bien avant le discours à venir sur l’orientation politique et idéologique auquel la presse sera convié, le capitaine Sankara a tenu à définir le pouvoir de la Haute-Volta nouvelle : en rupture avec un passé caractérisé par la perpétuation des structures sociales génératrices d’obscurantisme, de misère et d’injustice, privilégiant l’immobilisme à tous les niveaux et, au bout du compte, suppôt de l’oppression et de l’impérialisme. La Haute-Volta est donc véritablement engagée dans une voie révolutionnaire.

Conclusion qu’en tire le chef de l’État : « Il n’y a pas d’échéance pour le régime naissant, contrairement au C.S.P. qui s’était donné deux ans pour éveiller le peuple voltaïque avant de quitter la scène politique. »

Autre conclusion découlant de la précédente, les anciens partis politiques devront comprendre qu’une ère est révolue sur les bords de la Volta. Ils devront donc choisir de se mettre au service du changement en cours ou s’éclipser, ou prendre le risque de la confrontation avec les couches populaires sûres de leur force.

Une ère révolue

Troisième conclusion : le C.N.R. n’est pas un régime de militaires, mais celui de l’ensemble des forces révolutionnaires, tant il est vrai que, pour Thomas Sankara : « Il n’y a pas les révolutionnaires de casernes et ceux du dehors. Les révolutionnaires sont partout et doivent être là où leur devoir les appelle ». Le C.N.R. ? « Il a sorti le pouvoir des casernes […], il est à la continuation et le dépassement du C.S.P. d’avant le 17 mai 1983. »

S’agissant de la sous-région, Thomas Sankara a réaffirmé sa volonté de coopération et de rapports sains avec tous les États voisins. Par la même occasion, il a particulièrement insisté sur les liens entre son pays et le Mali. « Je ne connais pas l’existence d’un problème ou d’un conflit entre les peuples voltaïque et malien », a-t-il souligné avant de déclarer que la Haute-Volta nouvelle ne cultivera pas l’amalgame et la confusion entre les différends frontaliers et l’entrée du Mali dans l’U.M.O.A. (Union monétaire ouest-africaine).

La Libye ? Ce pays « est un État africain comme les autres et doit, par conséquent, bénéficier de notre part de la même considération que les autres États africains ». Et Thomas Sankara d’ajouter : « Combien d’efforts politiques, financiers et journalistiques sont déployés ailleurs pour créer phantasmes et des épouvantails libyens alors que l’on oublie ce que fait l’Afrique du Sud […] Avant, c’était le péril rouge, puis l’on a découvert le péril jaune. Demain, ils trouveront autre chose. » Pour Thomas Sankara, il existe de nos jours, trois attitudes à l’égard de la Libye : D’abord, « ceux à qui l’on a interdit implicitement ou explicitement de traiter avec le colonel Kadhafi et qui obéissent. Ceux-là sont de véritables pions, des fantoches ! ». Ensuite, « ceux qui traitent souterrainement avez Kadhafi, mais n’osent le dire à leur peuple. Ceux-là sont à la merci du colonel Kadhafi, car le jour où il ne sera pas satisfait de ces marchés souterrains, il pourrait en révéler l’existence à l’opinion publique mondiale ». Enfin, « ceux qui traitent ouvertement avec le dirigeant libyen et le disent à leurs peuples. Nous sommes de ceux-là. Et, du coup, nous sommes en droit de dire au client colonel Kadhafi ce que nous pensons de lui et de sa politique ».

Bien évidemment, les relations franco-voltaïques n’ont pas été ignorées. Ainsi, si d’évidence une certaine réserve caractérise encore les liens entre Ouaga et Paris, à la suite des évènements précédents, on souhaite que la page soit tournée. Le capitaine Sankara a cependant confié que le C.N.R. ne reprendra pas à son compte les négociations engagées entre Ouaga et Paris par le régime issu du coup de force du 17 mai dernier. « Les accords, a-t-il souligné, seront revus en fonction des objectifs de la politique et de l’idéologie du C.N.R.» et les relations franco-voltaïques devront être conformes aux intérêts des deux régimes. Thomas Sankara a en outre souhaité qu’avec la France ou tout autre pays, la coopération bilatérale « sorte du cadre froid des relations entre gouvernants » pour s’étendre aux peuples concernés.

De l’avis unanime, les journalistes ont eu devant eux, le 21 août, non seulement un grand séducteur qui a compris l’importance du rôle des médias, mais surtout un dirigeant aux idées claires qui sait ce qu’il veut pour son peuple, un peuple qui, dans la rue et sur les chantiers, lui rend bien cette confiance et cet attachement qui ont victorieusement résisté à la gifle qui leur a été portée le 17 mai 1983.

Mohamed Maïga


Le régime de Sankara toujours visé

La victoire des forces démocratiques en Haute-Volta, qui a porté au pouvoir Thomas Sankara et ses camarades, n’a pas empêché certains régimes « modérés » africains de se consulter « activement » en vue de rechercher les moyens susceptibles de déstabiliser le gouvernement populaire qui s’est instauré à Ouagadougou. Certes, ces régimes ont perdu d’importants atouts après la mort de leurs principaux alliés sur place, notamment le colonel Somé Yorian et le commandant Guébré Fidèle.

Mais il n’est reste qu’ils placent leurs espoirs sur un certain nombre d’officiers, de hauts fonctionnaires d’État et de diplomates de haut rang qui maintiennent des rapports suivis et étroits avec des gouvernements et des services secrets étrangers : « S’il n’y avait pas eu l’affaire du Tchad, commente un diplomate d’un pays voisin de la Haute-Volta, nous aurions réussi à déclencher une campagne internationale contre Thomas Sankara similaire à celle qui est actuellement menée contre Goukouni. Mais pour le moment nos amis [néo-coloniaux, bien sûr] en France sont trop occupés au Tchad pour s’intéresser à la Haute-Volta…Il faudra attendre… »

Mohamed Maïga

Source : Afrique Asie N°303 du 29 août 1983

 

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