«Nous jouions au volley-ball avec des collaborateurs du président ce jour-là, quand tout à coup je me suis retourné pour demander où était le « PF », comme on l’appelait. On m’a répondu qu’il était allé en survêtement à la présidence, située dans l’enceinte du Palais de l’Entente. En principe, la réunion avec son staff n’était pas prévue ce jour-là. Deux minutes après j’entendais des coups de feu : il était trop tard... » A l’approche du quatrième anniversaire de la mort de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987, surgissent à nouveau des interrogations sur ce qui reste l’un des crimes les plus saisissants des années 1980 sur notre continent. Des témoins existent et se souviennent toujours, avec émotion, pour l’histoire.
L’homme qui raconte la scène, le lieutenant de l’armée de l’air Etienne Zongo, est le dernier aide de camp du président Thomas Sankara. On voyait rarement le leader burkinabé sans cet élégant officier au regard vif et intelligent. Dès le mois d’octobre 1983, il est choisi pour organiser la vie du président, sa sécurité, ses rendez-vous, ses déplacements à l’étranger et assurer la mission d’intermédiaire entre le chef de l’Etat et toutes les instances politiques. Après l’assassinat du capitaine, il se cache chez des parents mais les nouvelles autorités menacent d’exécuter tous ses camarades s’il ne réapparaît pas. Sur la médiation de l’ambassadeur de Cuba à Ouagadougou, il sort de sa « planque », et est emprisonné jusqu’en novembre 1987. Puis c’est la résidence surveillée à la gendarmerie jusqu’au 11 août 1989. Treize jours après, le lieutenant Zongo franchit la frontière ghanéenne. Aujourd’hui exilé à Paris, Etienne Zongo égrène ses souvenirs avec sang froid, sans rancoeur ni acrimonie.
Au mois de juillet 1987, une rivalité interne oppose Thomas Sankara à son second, le capitaine Blaise Compaorê. C’est le président Thomas Sankara qui prend l’initiative de convoquer une réunion d’explication chez leur « doyen » d’âge, Jean Baptiste Lingani, afin de « mettre les choses au point et repartir sur de nouvelles bases ». Le principe d’une telle réunion est rejeté par Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo et Biaise Compaoré (les trois autres chefs de la révolution burkinabé d’août 1983 qui amènera Sankara au pouvoir). Ils se chargent eux-mêmes de mettre fin à la guerre des tracts qui sévit à Ouagadougou et qui accroit la tension entre les chefs révolutionnaires. Dès lors Thomas Sankara comprend que « les gens sont engagés et qu’aucune solution ne peut plus les satisfaire ». A partir de ce moment, c’est lui-même qui, paradoxalement, se charge de convaincre son entourage qu’il n’y a pas de problème. Il savait, dit son aide de camp, qu’il devait affronter la mort, s’il écartait toute tentative de règlement violent venant de sa part. A son père, le vieux Joseph Sankara qui l’avait convoqué pour le mettre en garde : « Je venais te dire, père, que jamais je ne toucherai à un seul cheveu de Blaise. Je me laisserai plutôt tuer »…
« Une dérive droitière »
A partir du mois d’août 1987, le pays est en proie à de nombreuses alertes, des informations précises faisant état d’un « coup préparé » par Blaise Compaoré sont fournies à Thomas Sankara. Les ambassadeurs de Cuba et du Ghana informent la présidence des indiscrétions venant des proches de Blaise Compaoré (Palm Mory, Seydou Bansé) qui laissent entendre que leur chef est en train « d’affûter les armes », « parce que les choses allaient changer ». Même l’opposant guinéen Alpha Condé, secrétaire du RPG (Rassemblement du peuple guinéen) de passage à Ouagadougou, s’est ému d’entendre Blaise Compaoré lui dire que « Thomas veut le tuer ». Habile préparation du terrain. Le 2 octobre 1987, une première charge est adressée par les hommes de Blaise Compaoré au Capitaine Sankara lors des festivités du quatrième anniversaire de la révolution à Tendokogo. Pour couper court aux rumeurs concernant son probable assassinat dans cette ville, Thomas Sankara choisit de s’y rendre.
L’auteur de la charge, le responsable des étudiants, Jonas Somé (un proche de Blaise Compaorê, aujourd’hui élève militaire à Saint-Cyr) accuse dans son discours le président du Burkina Paso « d’abandonner les révolutionnaires et de céder à une dérive droitière». L’année d’avant, à Bobo Dioulasso, Thomas Sankara avait pourtant déclaré : « mieux vaut faire un pas avec le peuple que cent pas sans lui ». Pour Sankara, l’origine de la machination ne fait aucun doute, d’autant plus que, six jours après, Watamou Lamien et Patrice Zagré, proches de Blaise Compaoré, organisent à Bobo Dioulasso un meeting avec le délégué de la ville pour soutenir le discours de Jonas Somé. Un véritable jeu de cache-cache s’installe entre les deux hommes, malgré les sourires en public. Le 11 octobre 1987, ils se rendent au bal de Bambaata (bal de soutien à l’ANC). Thomas Sankara ne participe plus au conseil des ministres, laissant le soin à Blaise Compaoré de former le dernier gouvernement. Celui-ci propose quant à lui de… renforcer la sécurité du président. Il suggère le départ de tous les militaires de l’UCB (Union communiste burkinabé).
Thomas Sankara comprend que la bataille est enclenchée. Le 14 octobre, en revenant du conseil des ministres, il a compris que son régime d’austérité et d’intégrité ne convient pas à tout le monde. Le lendemain, jour du drame, il reste à la maison pendant la journée après avoir reçu quelques personnalités (Jonas Somé, l’étudiant contestataire de Tenkodogo, Watamou Lamien et Somé Valère, responsable politique et ancien ministre de l’Education nationale). Pendant ce temps, huit cents hommes de Blaise Compaoré ont bouclé le périmètre du Conseil de l’Entente. Le président y arrive quelques heures après, pour une réunion… en survêtement. Il n’y a pas de meilleure occasion.
Blaise avait tout
Les trois autres « chefs historiques » de la révolution burkinabé sont absents. Henri Zongo est au sport. Personne n’a vu Blaise Compaoré qui affirmera plus tard être resté cloué dans son lit à cause d’une forte fièvre. Jean-Baptiste Lingani aussi ne donne aucun signe de vie. Comment Sankara est-il alors tombé dans ce qu’il faut bien appeler un guet-apens ? Conscient de son isolement, il souhaitait à tout prix éviter le bain de sang. Homme sentimental, il ne voulait en aucun cas apparaître comme assoiffé de pouvoir en procédant à l’arrestation de Zongo, Lingani et Compaoré, comme certains le lui ont conseillé. Quelques jours plus tôt, un article incendiaire paru dans un journal panafricain l’avait comparé à Sékou Touré, l’ancien dictateur guinéen. «Il a été ébranlé par ce papier », affirme un de ses proches. Il n’y avait pas de porte de sortie pour lui. S’il avait été renversé lors d’un voyage à l’étranger, il n’aurait pas trouvé cela digne de lui. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait de l’heure fatale, le président du « pays des hommes intègres », dévoué corps et âme à la révolution, se rendait compte que les cartes étaient déjà distribuées. La chute était inéluctable -sauf en tuant Blaise Compaoré. Le vrai pouvoir était ailleurs que dans la politique. Il était dans les casernes, et les casernes, c’était Blaise. Blaise avait tout : « Il aurait pu nous faire abattre à n ‘importe quel moment puisque ce sont ses hommes qui étaient chargés de la protection du président », déclare Etienne Zongo. L’officier Blaise Compaoré avait la haute main sur les commandos de l’unité d’élite de Pô. Son adjoint, le capitaine Diendéré Gilbert, contrôlait fa garde présidentielle. Fort de cette mainmise, il procédait d’un côté à de nombreuses arrestations et exécutions qui ternissaient l’image du régime sankariste. De l’autre, il distribuait de l’argent à tous les officiers et soldats subissant mal l’austérité du gouvernement Sankara. A titre d’exemple, le capitaine Jean Baptiste Lingani dont les enfants allaient à pied à l’école à Paspanga (les voitures ministérielles étaient réservées uniquement au service) n’a pu remplacer sa 504 personnelle qu’avec l’arrivée de Blaise Compaoré au pouvoir le 15 octobre 1987, quand les rafales crépitent dans l’enceinte du Palais de l’entente, Thomas a compris sa solitude et essaye de sauver ses camarades en sortant les bras en l’air. « Ne bougez pas, c’est moi Qu’ils veulent », dit-il… Sa reddition marquera le début d’un drame personnel que Blaise Compaoré à tant de mal à faire oublier.
Rachid N’diaye
Source : Africa International N°242 Octobre 1991
Dans le même numéro d’Africa International était aussi publié un autre article sous le titre à l’adresse “Blaise Compaoré : la malédiction” que vous trouverez à l’adresse http://www.thomassankara.net/ecrire/?exec=articles&id_article=951
Témoignage exclusif : Les derniers jours de THOMAS SANKARA (1991)
A la lecture de ces evenements je me pose beaucoup de questions sur cet homme qu’est Blaise Compaore qui n’a eu aucun etat d’ame apres avoir assassine son “meilleur ami”.
Je me dis aussi que contrairement a ce que pensait Sankara, il n’a pas pu eviter le bain de sang qui s’en est suivi apres qu’il se soit rendu aux assaillants. En effet beaucoup de gens ont peri cette nuit la jusqu’a ce jour a cause des fideles compagnons de Blaise.
J’eprouve un sentiment de revolte contre le regime de Blaise et mon souhait est qu’il soit juger par les tribunaux internationaux un jour.