Rachid N’Diaye

Le président du Burkina peut-il changer son image ? Pourquoi, alors que d’autres sont arrivés au pouvoir en assassinant, reste-t-il un paria ? Quatre ans plus tard, il est clair que le sang de Thomas Sankara et de ses amis empêchera à jamais son « tombeur » d’être un président comme les autres.

« Les morts ne sont jamais morts. » La phrase du poète Birago Diop trônait en première place sur les pancartes d’une foule de manifestants venus accueillir à Dakar le président … Blaise Compaoré. Quelques mois après l’assassinat le 15 Octobre 1987 du président Thomas Sankara , par les hommes de son « frère et ami » Blaise Compaoré, le nouvel homme fort du Burkina Faso venait au Sénégal dans le cadre d’une « tournée d’explication du drame intervenu dans le processus révolutionnaire ».

Des scènes comme celles-là, le président Blaise Compaoré en a connu partout en Afrique et ailleurs : Sur les taxis de Libreville, les chauffeurs ont collé la photo de Thomas Sankara. Au Congo où les autorités ont pris fait et cause pour « le camarade Sankara », les adolescents baptisent leur lycée du nom du président assassiné. Au Ghana c’est une place qui lui est dédiée. Des étudiants zaïrois accompagnés de travailleurs sont sortis par milliers dans la rue pour aller conspuer le «traître». D ‘Abidjan à Luanda, la foule s’est soulevée pour rendre un dernier hommage au héros disparu et rejeter son successeur. Des jeunes de Conakry ont organisé une veillée à la mémoire de « l’espoir assassiné ».

Depuis l’assassinat du congolais Patrice Lumumba en 1961, on n’avait jamais assisté à une telle mobilisation continentale. Certains ministres africains avouaient même, en privé, leur répugnance à « serrer la main » de Blaise Compaoré. Chez les chefs d’Etats aussi, on n’avait jamais observé un tel émoi depuis l’assassinat, en 1980, (en plein exercice de son mandat à la tête de l’OUA) du président libérien William Tolbert par les hommes de son successeur Samuel Doe. Cinq d’entre eux au moins (le Congolais Sassou Nguesso, L’Ethiopien Mengistu Haïlé Mariam, Le Malgache Didier Ratsiraka et le Zambien Kenneth Kaunda) ont envisagé de « boycotter » Blaise Compaoré en le mettant en « quarantaine ». En dehors du continent africain également, se créaient des associations pour perpétuer la mémoire de Thomas Sankara : l’association internationale Thomas Sankara en France, le « Thomas Sankara mémorial Fund » aux Etats-Unis, l’UJATS à Dakar. Le responsable du « Harlem Third World Institute » Balozi Harvey avait même déclaré : « il y a 400 ans, on m’a déporté d’Afrique noire dans l’humiliation. Sankara était mon passeport de retour avec fierté et dignité sur le continent En le tuant, on m’a enlevé, dépossédé de ce passeport».

Quatre années après, fin de drame ou cynisme politique, le capitaine Blaise Compaoré est toujours à la recherche d’une «image». Car, comment faire admettre que celui qui était considéré comme l’assassin de l’un des derniers symboles du « pouvoir propre » en Afrique puisse être un président comme les autres. Depuis le 15 octobre 1987, passées les frayeurs du premier instant, Blaise Compaoré ne lésine point sur les moyens et actions destinés à apparaître comme celui qui n’est pas « l’assassin de son frère ». Aidé en cela, il est vrai, par certains de ses pairs et non des moindres qui ont fini par se ranger à l’idée que dans toute tragédie le sang finissait bien par sécher.

Des images fortes sont livrées en vrac aux Burkinabés et à l’opinion publique internationale : Thomas Sankara hier, couvert d’anathèmes par ses tombeurs, est aujourd’hui réhabilité et déclaré héros national ! Une tombe en ciment blanc a remplacé la fosse aléatoire dans laquelle il avait été enseveli à Dagnoen dans la banlieue de Ouagadougou. Une nouvelle constitution est adoptée par référendum ; elle proclame le multipartisme et reconnaît toutes les libertés fondamentales. Les « comités de défense de la révolution », dont les excès ont longtemps desservi le Burkina Faso à l’étranger, sont dissous. Le couvre feu a été supprimé depuis 1988 et les militaires se font discrets dans les rues de la capitale. Des élections pluralistes auront lieu à la fin de cette année pour prendre de vitesse les opposants en voie d’organisation. Des professions de foi démocratiques sont étalées à grand frais dans la presse internationale.

Une série de liquidations

Certains observateurs Burkinabés et étrangers estiment que ce lifting politique porte ses fruits, puisque les amis du capitaine Compaoré affirment que le « pays bouge avec lui ». La preuve, l’argent circule, les nouveaux riches affichent leur opulence, des chantiers surgissent sur l’ensemble du territoire national, au détriment de certains acquis révolutionnaires. Pour coller à l’air du temps, le président a lui-même troqué sa Renault 5 de fonction pour une BMW blindée offerte à la révolution burkinabé par le colonel Khadafi, et rêve d’un palais des mille et une nuits. Après un Boeing 727, le régime s’apprêterait à acquérir un deuxième avion présidentiel « Beach Zoo » pour plus d’un milliard de FCFA.

Pour vendre ce tableau idyllique, le président Blaise Compaoré fait appel à une série de « conseillers » aux itinéraires plus ou moins alambiqués. Le dernier en date est français et a pour nom Jean Guion. Gaulliste éclectique (il affirme avoir été successivement journaliste, conseiller juridique, directeur du personnel d’un groupe immobilier et secrétaire général d’une école privée) au talent presque inconnu en France, le nouveau gourou médiatique du président burkinabé s’est fixé un objectif : crédibiliser à l’étranger la politique dite de « rectification », entreprise au Burkina Faso depuis 1987. Pour cela, il vient de rédiger un ouvrage préfacé par Stéphane Hessel (ancien ambassadeur de France à l’ONU, auteur d’un rapport controversé sur la politique de coopération de la France, qui jouit d’un certain crédit aux yeux de nombreux intellectuels africains), intitulé : Blaise Compaoré, réalisme et intégrité. Malheureusement, ce livre est passé inaperçu.

L’héritage de Thomas Sankara a-t-il été soldé ? Le crime de Blaise Compaoré a-t-il été effacé par le réalisme politique et économique dont parlent ses thuriféraires ? C’est la démarche permanente d’un homme qui, depuis quatre ans, souffle le chaud et le froid. Quelques jours après la disparition de Thomas Sankara, des officiers et soldats du camp de Koudougou, à une centaine de kilomètres de Ouagadougou, se rebellent. Pour leur malheur, ils tombent dans une embuscade tendue par les hommes de « Blaise » : ils sont tous arrêtés et brûlés vifs. Leur chef, le capitaine Kaboré Boukary, dit « le lion », s’enfuit au Ghana avec une poignée d’irréductibles décidés à livrer un dernier baroud d’honneur. L’épouse du chef d’Etat défunt est pratiquement assignée à résidence et persécutée.

Un seul fidèle

Compaoré n’en est pas plus heureux. Méfiant en permanence, il fait appel à un étranger, le rebelle camerounais Guerandi Mbara, pour diriger sa garde présidentielle (dont fait partie Hyacinthe Kafando, considéré comme le tueur de Sankara) et procède sans coup férir à une série de liquidations. Trois cent personnes environ meurent en prison ou disparaissent, selon l’opposition. De tous ceux qui furent de l’aventure en 1983, un seul est resté aux côtés de Compaoré : Gilbert Diendéré, actuellement chef de la garnison de Pô. L’homme fort de Ouagadougou, à chaque sortie à l’étranger, tombe toujours sur un esprit chagrin qui lui rappelle le passé. « Where is Sankara ? » (Où est Sankara ?) lui lance un photographe au dernier sommet d’Abuja en juin. A Lagos, un magazine l’a classé « chef de l’Etat le plus impopulaire avant de Klerk en 1989».

Un faux « coup » médiatique

Mais Blaise Compaoré veut rassurer les pays voisins : le Ghana avec lequel il tente en vain de réactiver la commission mixte, la Côte d’Ivoire « un pays frère injustement attaqué par la propagande révolutionnaire », le Mali, pays avec lequel il propose un règlement pacifique et définitif de la question des frontières, le Niger, et enfin le Togo dont le chef d’Etat deviendra pour Blaise Compaoré un « parrain » et un « ticket d’entrée » dans certains cercles effrayés par les « révolutionnaires ».

Des émissaires sillonnent la sous-région et tous les homologues conseillent à Blaise Compaoré d’adopter un profil bas, en attendant. Le seul réconfort viendra du colonel Khadafi « Thomas est mort, la révolution continue avec Blaise », dit-il. Blaise Compaoré prend son bâton de pèlerin pour l’Afrique australe et centrale où, d’une main il explique les contradictions de la révolution burkinabé, de l’autre il soutient, comme Thomas Sankara, les efforts des pays de la ligne de front contre l’apartheid. Juste le temps de régler, en septembre 1989, le sort de ses autres amis devenus concurrents politiques, Henri Zongo et Jean Baptiste Lingani qui l’ont aidé à prendre le dessus sur Thomas Sankara, et le président Compaoré repart en tournée.

Il est présent à Windhoek l’année suivante aux festivités d’indépendance de la Namibie, parmi ses pairs dont certains s’efforcent de ne plus le considérer comme un « pestiféré ». Blaise Compaoré peut enfin accéder à la présidence de la Cedeao, privilège refusé à Thomas Sankara quelques années plus tôt, pour son « inexpérience ». Il devient l’homme du « dialogue et du compromis » qui reproche à la Cedeao de « soutenir » le président Samuel Doe contre son peuple, qui dénonce les visées hégémonistes du Nigeria en Afrique francophone et s’engage pour cela à côté du rebelle Charles Taylor. Touche-t-il les dividendes de cette opération de charme… parfois douloureuse ?

Après s’être aligné sur les positions officielles de la France sur certains dossiers (Nouvelle Calédonie, Tchad), c’est la démocratie qui est le dernier cheval de bataille de Blaise Compaoré. Une quarantaine de partis politiques font état de leur existence au Burkina et le nouveau maître du pays répète à qui veut l’entendre qu’il est un « président rassembleur », prêt à diriger un gouvernement d’union et de transition. Le 7 avril 1991, Boukary Kaboré dit « le lion », qui, les armes à la main, avait tenu tête deux ans durant à Blaise Compaoré, est rentré à Ouagadougou au terme d’une loi d’amnistie sélective. Ce « coup » médiatique n’en sera pas un, car Kaboré, qui a perdu toute crédibilité, ne représente plus que lui-même. Pour tenter d’amplifier le phénomène de décrispation. Blaise Compaoré a également accordé de nombreuses concessions aux dignitaires de l’ancien régime, Gérard Kango Ouedraogo, Joseph Ouedraogo, et Joseph Ki Zerbo, dont les biens confisqués ont été restitués. L’historien installé à Dakar est d’ailleurs rentré au Burkina pour la première fois depuis longtemps pour jouer un rôle politique, si les conditions sont réunies. Compaoré a aussi repris contact avec les chefferies traditionnelles en leur apportant de l’aide. C’est le cas de l’empereur des Mossis, le Moro Naba dont toutes les charges sont désormais assurées par l’Etat.

Les libéralités du président Blaise Compaoré suffiront-elle à changer, aux yeux de son peuple et surtout de l’opinion internationale, son image d’homme cynique prisonnier de son passé ? Difficile. Au moment où, lassée de l’affairisme et des slogans contradictoires qui l’accompagnent, la jeunesse des quartiers de Ouagadougou ressuscite Sankara en créant des partis qui se réclament de lui, qu’ici et là, au Burkina comme à l’étranger, on s’apprête à commémorer le 15 octobre, et qu’une équipe, dirigée par le Zaïrois Balufu Bakupa-Kayinda et financée par une télévision britannique boucle un nouveau film sur le jeune capitaine assassiné, Blaise Compaoré doit éprouver, au fond de sa conscience, comme un sentiment d’impuissance. Peut-être a-t-il compris, et d’autres avec lui, qu’il ne sera plus permis de tuer pour accéder au pouvoir.

Rachid N’Diaye

Source : Africa International N°242 octobre 1991

Dans le même numéro d’Africa International était aussi publié un autre article sous le titre à l’adresse “ Témoignage exclusif : Les derniers jours de THOMAS SANKARA ” que vous trouverez à l’adresse http://www.thomassankara.net/ecrire/?exec=articles&id_article=950

1 COMMENTAIRE

  1. Blaise Compaoré : la malédiction (article de 1991)
    je felicite encore une fois monsieur Jaffré pour son sens élver,pour son combat contre l’injustice,les crimes contres l’humainité dans le monde ,que dieu te donne longue vie afin que tu puisse continuer a reveiller la conciensce de la jeunesse burkinabe pourqu’il sache que blaise et un poison pour le burkina faso et l’afrique en general.bravo

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