Mr Haïdara Chérif

24 Octobre 2009

« Il y a des hommes qui, bien que physiquement absents continuent et continueront à vivre éternellement dans le cœur de leurs semblables. Sont de ceux là Thomas Sankara… ».

Ainsi pouvait être repris les vers de cette chanson mémorable et éternelle du Bembeya Jazz National de Guinée dans : Regard sur le passé ; qui au jour d’aujourd’hui reste un des plus grands classiques de la chanson moderne africaine. Ecrire en l’honneur de ces dignes fils du continent noir est un témoignage de l’œuvre morale qu’ils ont léguée à la postérité. Leur message n’était pourtant pas surhumain : La valorisation de l’homme noir.

Si nous retournons un peu en arrière, c’est-à-dire à l’époque de la lutte coloniale et jusqu’aux lendemains de nos indépendances, jamais l’espérance du continent n’avait atteint les sommets en terme de bien être et d’émancipation tant demandé par nos peuples. Les pères de nos indépendances, presque dans leur grande majorité ont su et pu donner de quoi rêver et de quoi se sentir partie prenante à l’essor des nations du continent. Ils n’étaient pas des saints nous en convenons absolument, ils ont par moment péché par la culture du pouvoir que définissait leur temps, par la rigidité dans la lecture des concepts nouveaux venus d’ailleurs et inadéquats à nos sociétés et aussi, par l’influence des blocs qui bloquaient toute initiative indépendante et qui justifiait la Guerre Froide. Leur patriotisme et leur ancrage dans la culture de chez nous n’est pas questionnable, c’est d’ailleurs à ce niveau qu’il nous faut revoir nos copies du jugement à leur égard. Mais comparés à nos tenants du jour, ils méritent d’être béatifiés et prier que leur âme accepte notre mea-culpa à titre posthume bien que tardif.

Ce passage biblique nous concerne directement: Père pardonne-les car ils ne savent pas. Nous dirons que le patriotisme et nos valeurs propres des années de notre lutte de libération se sont émoussés paradoxalement avec la venue des bardés de diplômes mais de vrais néophytes au gouvernail de nos peuples. Nulle part ailleurs que chez nous n’a été aussi vrai ces dires de Paul Valéry : le diplôme est l’ennemi de la culture. C’est avec ces derniers que la dégringolade du continent a commencé de manière effrénée. D’ailleurs, si notre mémoire ne nous trahit pas quelqu’un avait si bien résumé ce phénomène dans un livre magistral: La trahison des intellectuels africains.

Oui, la trahison. L’Afrique sub-saharienne d’avant et post indépendance entre 1946-Conférence de Brazzaville- et 1963 – date des premiers coups d’états militaires – ne comptait pas trois centaines de docteurs toute catégorie sur une population de près de trois cents millions d’habitants. Faites le ratio. Certains pays pour ne pas les nommer n’en eurent les premiers que vers 1970. Le constat antinomique est que plus nous en disposions de ces « éclairés » plus nous virevoltons dans l’obscurité. Incroyable ! Il nous plaît ici d’alerter le commun des mortels de la différence entre un diplômé et un intellectuel. Le premier est pourvu d’un diplôme attestant de sa réussite à des examens et le second selon la définition d’Ali Mazrui est quelqu’un qui est intéressé par les idées et qui a atteint ou acquis l’habilité de les manier avec efficacité. Pour Byron, un intellectuel n’est pas seulement quelqu’un attiré par les idées mais, dont la raison de vivre, les pensées et les actions sont déterminées par ses idées. Issa Shivji nous apprend que l’intellectuel n’est pas simplement une personne capable d’analyser le présent mais, il est aussi capable d’articuler des idées qui auront un impact continu sur ceux qui les recevront.

Notre avenir se trouve t-il dans la continuité de notre passé ?

Quoi qu’on dise, aucun Chef d’Etat du Mali n’a atteint l’aura, la prestance, la vision et la rigueur de Modibo Kéita. Mon frère Assadek questionnera mais, ce sont les faits qui nous sourient. Il en est de même en Côte d’Ivoire où les successeurs de Félix Houphouët Boigny n’ont pas réussi à le faire oublier, d’ailleurs tous se réclament de lui, même le « professeur des histoires » qui le vilipendait à tout vent. Hamany Diory au Niger n’est pas égalé, N’garta Tombalbaye reste au Tchad un mirador. On pourra tout dire de Sékou Touré mais ses remplaçants qui n’étaient pas confrontés aux mêmes « casse têtes » n’ont pas su hisser la Guinée plus haut. Qui peut comparer Ben Ali à Habib Bourguiba ? Moubarak à Gamal Abdel Nasser ? Ne sommes-nous pas toujours fiers d’évoquer les noms de Julius Nyerere, Kwamé N’kruma, Amilcar Cabral, Kenneth Kaunda, Samora Machel et, même à plus de quatre vingt dix ans et à la retraite depuis, Mandela suscite toujours de l’engouement. C’est bien à vos risques et périls de mesurer Wade à Senghor comme c’en est d’Obasanjo à Nnandi Izikiwé. Et on dira que nous sommes nostalgiques ou « passéistes » mais quels repères avons-nous ?

En tout cas pas ces repaires de prévaricateurs actuels? L’adage africain nous narre que l’étoile polaire se trouve toujours à courte distance de la lune (relativement bien sûr). L’exception confirmant l’existence de la règle, seul Thomas Isidore Noël Sankara nous a fait oublier Maurice Yaméogo, Sankoulé Lamizana, Saye Zerbo et autre Jean Baptiste Ouédraogo. Vingt deux ans après son assassinat, les africains en quête désespérément de leaders intègres et visionnaires doivent se remémorer du fils de Marguerite et de Sambo Joseph Sankara. «Thom Sank » n’était pas un politicien au sens édulcoré du terme, c’était un Homme d’Etat comme Julius Nyerere, Mandela, Modibo Keita, N’Nkrumah, Gamal, etc.

Les politiciens viennent et s’en vont mais les Hommes d’Etat ne meurent jamais. Cet homme n’a pas que changé la Haute Volta en Pays des Hommes Intègres, il n’a pas que déshabillé les chiourmes gardiens de l’impérialisme craquant et cassant mais, il a fait vivre un espoir, un idéal, il a porté l’étendard de la probité et éveillé la conscience de l’inaliénabilité de la lutte contre l’oppression de quelque nature et forme quelle soit. Le « Che » africain a été un défi majeur pour la vision néolibérale qui encore aujourd’hui plus qu’hier fait des ravages jusque dans les hameaux les plus reculés du continent. Sankara était la réincarnation de ses pères qui contre vents et marées, contre les traitres internes et externes, contre le joug colonial et les clichés fétides d’un misérabilisme innée devait apporter la Bonne Nouvelle: Oui nous pouvons. Nous pouvons avoir une vision pour nos peuples, nous pouvons donner un avenir aux futures générations, nous pouvons les éduquer, les soigner, les nourrir et, tout cela peut et doit se faire par nous-mêmes. « Celui qui vous nourrit vous contrôle » avait-il dit parlant de l’aide apportée aux pays africains. Comparez avec ce que disait vingt ans avant lui un autre du Soudan Français : Notre liberté serait un mot vide si nous devions toujours dépendre financièrement de tel ou tel pays et si à tout moment, on devait nous le rappeler. Quand il préconisait l’annulation de la dette des pays africains, ce concept n’était pas encore accepté même chez les exégètes de la finance internationale.

Comme Habib Bourguiba libera la femme tunisienne, l’enfant de Yako en fera de même en identifiant que la clef du développement passe par la réhabilitation de la femme africaine. Il fut l’un des premiers à leur offrir des postes clefs dans son administration. Il bannit le mariage forcé et précoce, interdit l’excision de la jeune fille. Fit vacciner plus de deux millions de ses concitoyens en une semaine ; du jamais vu à l’époque, fit planter près de dix millions d’arbres dans un pays sahélien. Accrut la production de blé qui passa de1700kg/hectare à plus de 3800 Kg/hectare. Il était le seul président africain à avoir vécu simultanément avec quatre de ses prédécesseurs qui n’étaient ni en prison ni en résidence surveillée. Vous avez dit visionnaire ? Ha voila ! L’osagyefo et père du nationalisme africain clamait l’unité africaine sans laquelle le continent ne pourra voir ou avoir le salut (Africa must Unite), le nationaliste révolutionnaire du Faso le répétait deux décennies plus tard en réclamant face aux prédateurs de nos richesses un front commun, une unité commune. Dans tout les forums et agoras, il ne manquait de répéter le credo de la « self reliance » : Nous avons besoin de l’aide qui nous aide et non celle qui nous assujettis.

La renommée de ce « décomplexé » et de cet iconoclaste dépassa vite les frontières de sa sous-région pour arriver dans les cercles alambiqués des décisions lugubres. Surtout qu’un autre Capitaine (J.J.Rawlings) à l’est du Faso se faisait intraitable à sortir son peuple de la normalité du sous développement ; sa récolte s’est avérée fructueuse aujourd’hui pour le Ghana. Les étiquettes fusaient de partout ; marxiste, rouge, dictateur, rêveur etc. or en politique il y a deux sortes d’individus, ceux qui sont soucieux de l’étique et ceux qui sont soucieux de l’étiquette. Basta ! Celui-là suait la morale. Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années dit-on. Il n’avait pas 34 ans quand il devint président et pas encore 38 ans quand il fut trucidé. Quel accomplissement ! Sommes-nous à dire que Sankara n’a pas commis d’erreur ? Non ! Évidemment. La plus importante étant de croire en l’homme et oubliant que l’on naît avec les valeurs de gauche. Et ceux qui sont ainsi nés sont très souvent trahis pour la cause par ceux qui se dressent dans les livrées de la gauche et qui trahissent la cause. On est jamais aussi bien trahi que par les siens. Jules César l’exprimait ainsi à Brutus : Ho Brutus ! Toi aussi mon fils ! Sank renchérît : ho mon alter « in ego » ! Toi aussi ! Justement, vous souvenez vous des dernières rimes de la chanson du Bembeya Jazz National citée plus haut ? Ha ! Il finît ainsi : « Nul ne restera ici bas, tous retournerons au seigneur ». Lui est le plus juste des juges. A toi dont sied si bien l’adjectif intellectuel dort en paix. La patrie ou la mort….

Une contribution de Mr Haïdara Chérif

Chicago, Illinois sidaty @ juno.com

Source : http://www.maliweb.net

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