publié dans le Libérateur N°42 du 20 oct. au 04 nov. 2007. Ce journal a aujourd’hui disparu

C’est à Makognandougou que nous l’avons rencontré, le 6 octobre dernier. Cet ancien commandant de la BIA (Brigade d’intervention aéroportée ndlr), exilé par la suite au Ghana est l’un des rares témoins encore en vie, à constituer l’élite militaire qui allait prendre d’assaut le pouvoir en cet hivernage de l’année 1983. Même si le Lion a blanchi, il compte rester révolutionnaire, jusqu’à la mort. Et quand il évoque les péripéties qui ont conduit au 4 août 1983, c’est avec beaucoup d’émotions. Révolutionnaire, agriculteur, éleveur promu au grade de commandant par décret présidentiel du 27 juin 2007, il raconte comment le 4 août est arrivé, et les contradictions internes qui allaient aboutir au dénouement sanglant du 15 octobre 1987.

 

Libérateur : Que vous rappelle le 4 août 1983 ?

Commandant Boukary Kaboré : Pour bien comprendre ce qui est arrivé le 4 août 1983, il faut d’abord comprendre ce qui a amené le 4 août. Il était ainsi donc arrivé un moment où dans la gestion des affaires de l’Etat, les contradictions étaient devenues intolérables. Il fallait rompre pour reprendre : c’était la prise du pouvoir par le CSP (ndlr : Conseil du salut du peuple), avec à la tête le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo. Le CSP devrait durer 18 mois, le temps de préparer le terrain pour aboutir à la révolution avec le CNR (ndlr : Conseil national de la révolution formé le 4 aout 1983 avec à sa tête le capitaine Thomas Sankara. Après les événements du 15 octobre 1987, le CNR sera dissous).

Les gens ont même dû constater un certain flottement, puisque le CSP n’était pas encore prêt. Le 17 mai 1983 verra la naissance du CSP II, avec l’arrestation du Premier ministre à l’époque (ndlr : le capitaine Thomas Sankara). Tout ceci a fini par déboucher sur le 4 août 1983. Le 4 août a été dûment préparée (il insiste). Je fais partie de ceux qui ont contribué à cet événement historique. Je peux même vous dire que la correction de la déclaration s’est faite à Kolog-Naaba en plein 13heures. Il y avait des éléments venus de Pô et de Ouagadougou. Mais la force de frappe était à Pô, commandée par le capitaine Blaise Compaoré.

Libé : D’autres structures, civiles, s’y sont-elles impliquées ?

CBK : Toutes les conditions étaient réunies pour qu’il y ait la révolution. Ce qui signifie que cela n’a pas été l’oeuvre d’un individu, futil puissant. Un mécontentement général au sein de la population était à l’origine. Il y avait donc des organisations politiques qui étaient impliquées, surtout le PAI -LIPAD (ndlr : Parti africain de l’indépendance- Ligue panafricaine qui participera au CNR un an seulement, d’août 1983 à août 1984).

Libé : Les organisateurs du coup d’Etat du 4 août 1983, avaient-ils déjà un programme de société ? Quelles étaient les grandes orientations politiques du CNR ?

CBK : A vrai dire, il n’y avait pas un chemin tout tracé que nous devrions suivre. Dans le contexte de la Haute-Volta de l’époque, il était difficile d’élaborer des textes et les respecter, vu que c’était un essai. La révolution du 4 août 1983 était un événement nouveau, étranger aux Voltaïques, sauf ceux qui avaient étudié le marxisme-léninisme. Beaucoup avaient des préjugés sur la révolution, et il fallait du tact. Nous n’étions pas suffisamment formés pour avoir une ligne stricte. Par contre, ce qui nous guidait dans nos actions était l’intérêt général du peuple. Pour cela, nous avons choisi le camp des progressistes, que nous avons jugé intermédiaire entre le capitalisme et le communisme, qui se sont combattus d’ailleurs pendant longtemps. Voilà pourquoi nous avons parlé de démocratie populaire. Par la suite, il y a eu des contradictions avec la droite, que nous avons fini par écarter afin de ne pas fragiliser davantage le processus révolutionnaire en cours.

Libé : Pourtant, ces contradictions ont demeuré. Vous n’avez pas pu les gérer…

CBK : Ça a été une trahison par la suite. Mais sous le CNR, nous n’avons effectivement pas pu gérer ces contradictions. Tout le monde ne maîtrisait pas la ligne révolutionnaire. Les choses étaient confuses et l’aile droite ne voulait pas de la révolution. Nous avons fait le coup d’Etat dans le but de changer qualitativement la gestion de l’Etat. Les populations ont constaté après que nous n’étions pas venus pour remplacer les autres, mais pour faire avancer le pays. Cela est clair (il hausse la voix). Chacun peut critiquer. Cependant, ce n’est pas toujours dans la gaieté que l’on fait avancer les choses. Et une mesure impopulaire peut s’avérer être bien pour le peuple. Et les gens finissent par l’accepter, parce qu’elle produit des effets positifs dans la vie des citoyens. Dans ce sens-là, la révolution avait été bien préparée, car nous savions ce que nous devrions faire. En ce qui concerne le problème fondamental des organisations politiques, qui est le leader, nous avions prévu une solution. Personne ne peut aujourd’hui nier cela. Les membres du CNR encore en vie peuvent témoigner.

Libé : Qui devrait être ce leader, et pourquoi et comment l’avez-vous désigné ?

CBK : Nous avions décidé que c’était Thomas Sankara qui devrait prendre le pouvoir. Mais le coup d’Etat (ndlr : du 7 novembre 1982) a été fait plus tôt que prévu, parce qu’il y a eu des militaires excités à qui on avait pourtant dit de ne rien faire pour le moment. Nous n’étions donc pas prêts. Nous leur avons alors dit de gérer, puisqu’ils ne nous ont pas écoutés. Il y a eu des débats, les déclarations ont été modifiées, et lorsque nous sommes arrivés à un consensus, nous avons décidé de placer au pouvoir, le plus ancien de notre groupe, ayant le grade le plus élevé, pour 18 mois. D’où la désignation du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo au pouvoir, le temps de parfaire les choses. Pendant que nous avancions avec le CSP, la droite frappe, le Premier ministre Thomas Sankara est arrêté. Pourtant, le président avait créé la primature et nommer Sankara dans le but d’atténuer les tensions entre la droite et la gauche. Par la suite, Sankara a fait ses preuves, il est venu confirmer qu’il était bien dans son poste, et tout le monde l’a vu. Dans la préparation du 4 août 1983, nous tenions des réunions, certes clandestines, pendant lesquelles nous étions tous unanimes pour désigner Sankara à la tête du pouvoir.

Libé : N’y a-t-il pas eu d’autres propositions en plus de Sankara ?

CBK : Non ! Il n’y a pas eu d’autres propositions de noms.

Libé : Pourtant, Blaise Compaoré, dans une interview accordée à Jeune Afrique (cf. Libérateur n° 40 du 20 sept.), dit avoir “personnellement participé à deux coups d’Etat pour remettre aussitôt le pouvoir à un autre”.

CBK :Là, c’est sa compréhension. Moi j’ai participé aux différentes réunions. Blaise était déjà à Pô et il n’a même pas participé aux dernières corrections de la déclaration du coup d’Etat que nous avons rédigée. A moins que selon lui, il n’y ait eu des camps qui ont fait les préparatifs. Tout le monde était unanime que c’était Thomas Sankara qui serait président, personne d’autre. Que ce soit clair et net !

Libé : Certains observateurs ont dénoncé l’implication de la France et de la Côte d’Ivoire, dans le coup d’Etat sanglant du 15 octobre 1987. Quelle est votre opinion ?

CBK : Houphouët, la France, c’est pareil. C’est la droite. Le Burkina Faso était placé comme l’avant-garde d’un éveil des consciences dans toute l’Afrique, ce qui pouvait être une menace pour les intérêts français, même si François Mitterrand était socialiste. Houphouët, lui, considérait le Burkina comme sa chasse gardée et avait peur qu’un président de ce pays ne soit un modèle pour toute l’Afrique.

Libé : Vous êtes entré en résistance, dit-on, après le 15 octobre. Pour d’autres par contre, vous auriez sacrifié tout simplement vos éléments face au feu des “rectificateurs”. Que répondez-vous ?

CBK : Je n’ai jamais été en rébellion et je ne le ferai jamais d’ailleurs. Faire une rébellion engendre des conséquences. Après le 15 octobre, l’armée est venue à Koudougou, ils ont stimulé des combats. Pourtant depuis la mort de Thomas, j’avais dit qu’on arrêtait la révolution. Je suis un pacifiste. Je connais la valeur qu’a l’âme d’un individu. En tant que commandant de la BIA, si j’avais ordonné à mes soldats d’ouvrir le feu sur Ouagadougou, on n’aurait pas pu dénombrer les morts. Si j’avais combattu à Koudougou, avec seulement une quinzaine de mes éléments, ce serait un carnage. J’ai préféré épargner la vie des innocents.

Libé : Vos détracteurs affirment en outre qu’à la BIA à Koudougou, vous n’étiez pas un ange. Et que vous auriez commis des exactions en tant que patron des lieux. Votre commentaire…

CBK : Je défie quiconque d’apporter des preuves sur des exactions que j’aurais commises sur les populations. Comment pourrais-je circuler librement si j’avais commis de telles exactions comme le prétendent mes détracteurs ? J’emprunte le transport en commun, je roule dans mon véhicule, à vélo ou sur mobylette. Je fréquente les villages et les marchés. Il y a de quoi avoir de l’amertume en entendant de telles calomnies. Quelles exactions j’ai pu faire ? (la voix hausse). Je n’ai fait que commander durement mes militaires. A qui ai-je fait du mal ?

Libé : Que diriez-vous si l’on vous demandait de résumer la vie de Thomas ?

CBK : Thomas Sankara a été un patriote honnête. Des erreurs, il y en a eu. Mais il y a encore eu plus de bien. C’est une incompréhension qui a abouti aux événements du 15 octobre. Paix à son âme et qu’il repose auprès de Dieu au paradis. Il n’est pas mort pour lui-même, il a donné sa vie pour le peuple, et même pour ses ennemis qui souhaitaient le voir mourir. Il a accepté le martyr en toute responsabilité. En quatre ans, la révolution a fait avancer le pays de plus de 50 ans. L’erreur de la révolution est d’avoir cru que tout le monde pouvait avancer dans le même élan, avec les mêmes convictions. Certains en ont profité pour se régler les comptes.

Interview : O. Roland

Source : Libérateur N°42 du 20 oct. au 04 nov. 2007. Ce journal a aujourd’hui disparu

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