Sociologue, ethnologue, chercheur au CNRS et professeur à la Sorbonne, à la retraite, Youssouf Tata Cissé est un spécialiste des mythes et légendes du Mali, auxquels il a déjà consacré plusieurs ouvrages, notamment « La grande geste du Mali, des origines à la fondation de l’empire » (1988), « Soundjata, la gloire du Mali » et « la Charte du Mandé » en 1991, tous deux chez Karthala et la confrérie des chasseurs (Nouvelles du Sud, 1994. La déclaration du Mandé, (le texte est disponible à https://www.thomassankara.net/la-charte-du-manden/) « déclaration des droits de l’Homme », survient alors que l’Europe, en plein Moyen Âge, prépare la 5e croisade et que les droits humains sont encore loin d’émerger.


Par Claire Guény

Bien qu’ils soient confrontés depuis longtemps à l’influence de l’islam et au règne de la civilisation judéo-chrétienne, dont les chantres continuent encore de nier leurs apports à l’histoire et à la culture de l’humanité, les
peuples mandingues, dont les Malinkés et les Bambaras, n’en continuent pas moins d’enseigner à leurs enfants des valeurs morales et spirituelles universelles.

La palme revient en la matière aux membres de la confrérie des chasseurs, donsotòn. L’enseignement qu’ils dispensent à leurs élèves porte essentiellement sur la fraternité, l’amour du prochain, la protection des faibles
et des orphelins, la lutte contre la tyrannie et l’arbitraire, d’où qu’ils viennent. Tout postulant à cette confrérie doit prononcer le serment suivant : « Les chasseurs n’ont de mère et de père que Sanènè et Kòntròn et de frères que
les autres chasseurs, quels que soient leur race, leur religion ou leur rang social ; ils ne sont d’aucun pays, ne reconnaissent aucune frontière, leur patrie étant la brousse, c’est-à-dire partout où vit le gibier. » C’est au nom de
ce credo qu’ils vont, devant les progrès de l’islam, organiser, au tout début du XIIIe siècle, la lutte sans merci contre ce crime incommensurable que sont l’esclavage et la traite des non-musulmans, notamment noirs, vers le
Sahel, le Maghreb et le Proche-Orient.

Ce trafic commence, en ce qui concerne le Mandé, berceau du futur empire du Mali, probablement au milieu du XIe siècle, après la conversion à l’islam du roi Baranadama, à la suite d’une grande sécheresse qui avait éprouvé son pays. Ce pays est alors devenu, pour les musulmans, le champ de capture par excellence des « infidèles ». Ce fut alors la chasse aux non-musulmans, la mise à mort de plusieurs prêtres de la religion traditionnelle ainsi que la destruction des objets de culte, appelés fétiches. L’esclavage va ainsi s’étendre avant d’atteindre son paroxysme avec l’arrivée massive des musulmans, et surtout des Maures, au milieu du XIIe si_cle. Auparavant, le prisonnier de guerre devait, pour payer son crime, travailler au profit des veuves, enfants et parents de ceux qui étaient morts par sa faute à la guerre. Les descendants de tels prisonniers ne pouvaient être ni battus, ni humiliés, ni a fortiori vendus ou mis à mort.

Cet état de servage communément appelé « esclavage domestique » constituait la réparation institutionnalisée en pays mandingue. L’esclavage « rouge », inhumain, instauré par les musulmans, notamment arabes et berbères, et plus tard par les Européens, jurait avec cette loi-là. C’est pour mettre fin à ce crime odieux, devenu un fait banal avec l’expansion de l’islam, et pour l’abolir que les chasseurs et les tenants de la religion traditionnelle vont
se mobiliser.

Avant eux, Soumaworo Kanté, né au Mandé, de la caste des forgerons du Sosso, province vassale de l’empire du Ghana, voyant les caravanes d’esclaves enchaînés remontant vers les pays arabes, avait nourri le projet d’abolir
l’esclavage. Il alla alors trouver les nobles malinkés, qui étaient tous des esclavagistes, et leur demanda de le suivre dans son combat pour l’abolition de l’esclavage. Devant leur refus de s’associer à un forgeron, « un homme
vil, donc de peu de valeur » selon eux et dont la raison d’être était de fabriquer les armes leur permettant de défendre leur pays contre les prédateurs, Soumaworo devint le plus grand esclavagiste que le Mandé ait jamais
connu. Il revint du Nord avec une très grande cavalerie et détruisit les plus grandes métropoles de ce pays, dont Sòbè, Bali, Niani-Kouroula, Dakadjalan et surtout Karatabougou, la cité aux soixante quartiers fortifiés, patrie de
son neveu Fakoly Doumbia, le général en chef de ses armées.

Devant ce désastre, Soundjata Keïta, un simbo ou maître chasseur, qui vivait dans le Nord en exil depuis son jeune âge, voyant que les esclaves transitaient entre les mains des Berbères, des Maures et des Soninkés musulmans pour aller vers le Maroc, la Libye et l’Egypte, conçoit d’éteindre l’esclavage jusque dans son essence. Nourri par l’éducation de sa mère, Soundjata s’écriait souvent : « L’homme est le joyau de la terre, il doit à ce titre être protégé.

En effet, pour qu’un pays vive et s’ouvre à la prospérité, il doit contenir des hommes, sinon il connaîtra la désolation et la tristesse. » Pendant plus de cinq ans, Soundjata va mobiliser la grande majorité de ses confrères chasseurs du Wagadou, du Sahel, des rives du lac Débo et du Sénégal, constituant ainsi la grande armée de libération du Mandé de la tyrannie de Soumaworo. Les batailles et les victoires se succèdent, dans la grande plaine de Krina d’abord, puis à Sibi et Kri et enfin à Naréna, où l’armée du Sosso est anéantie. De retour à Dakadjalan en 1212, Soundjata et ses confrères élaborent le serment des chasseurs, communément appelé Charte du Mandé, visant à abolir à tout jamais l’esclavage et la traite.

« Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc, jurèrent-ils au triangle Dankun, lieu de culte par excellence des chasseurs, aucun Malinké ne sera jamais plus vendu ou troqué contre du sel gemme ou des chevaux. » Dix
ans durant, ils vont mener une lutte sans merci contre les esclavagistes de tous les pays.

C’est alors qu’ils intronisent en 1222, date à laquelle la comète dite « de Halley » apparut dans le ciel du Mali, Soundjata comme mansa ou empereur du Mandé tout entier. À cette occasion, on déclama solennellement la Charte du Mandé, qui stipule le respect de la vie et de la personne humaine, la lutte contre toute discrimination ethnique et raciale, la liberté d’entreprendre, d’aller et de venir, et le respect des lois du Mandé nouveau.

Claire Guény

Source : revue Afrique21 Nouvelle série N°1 février 2009

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