Etat et sociétés au Burkina Faso
Essai sur le politique africain
Claudette Savonnet-Guyot
1986, 230 pages, Karthala (avec le concours du CNRS)
ISBN 2-86537-148-4
Contact Edition : Edition Karthala 22-24 boulevard Arago 75013 Paris
Présentation (4 ème de couverture)
Avec ses 7 millions d’habitants répartis sur 270000 km², le Burkina (ex-Haute-Volta), pays enclavé au milieu du Sahel, est d’abord un peuple de paysans (90% de la population vit de l’agriculture). Le secteur rural constitue la base économique du pays et conditionne, aujourd’hui encore, le développement des secteurs industriel et commercial
Mais loin d’être homogènes, sociologiquement et politiquement, les sociétés paysannes burkinabè présentent une grande diversité de statuts sociaux et culturels, hérités d’un passé tout proche et encore agissant. Une soixantaine de groupes se répartissent à l’intérieur de deux grandes familles : la famille voltaïque qui comprend notamment les Moose, les Gourmantché, les Lobi et les Gourounsi ; la famille mandé au sein de laquelle on trouve les Samo, les Marka, les Boussance, les Senoufo et les Dioula.
On comprendra pourquoi cet ouvrage de science politique ne traite pas seulement de l’Etat moderne, mis en place au moment de l’indépendance, mais qu’il s’intéresse tout autant aux systèmes politique traditionnels, notamment à ces puissantes chefferies qui ont su unifier et administrer efficacement des peuples sans traditions semblables ni institutions communes. Comme dans toute l’Afrique noire, la société “traditionnelle” et la “société moderne” s’imbriquent l’une dans l’autre, quand elles ne font pas que se surajouter l’une à l’autre.
Ce livre aidera ainsi à mieux comprendre les modes d’organisation et de fonctionnement des systèmes qui régissent face à l’Etat et, quelquefois, contre lui les paysanneries. Il permettra également de situer la place de cet Etat dans un pays qui, malgré la succession de plusieurs régimes en 25 ans, était néanmoins resté l’une des rares exceptions démocratiques de l’Afrique contemporaine et qui depuis plusieurs années, s’est engagé dans une expérience révolutionnaire qui se veut en rupture avec le passé.
L’auteur
Maître de conférence de science politique, Claudette Savonnet-Guyot enseigne à Paris VIII et à Paris I. Elle a publié dans L’Homme et la Société, Politique Africaine et, surtout dans la Revue Française de Science Politique de nombreux articles consacrés notamment à l’Afrique et au Brésil où elle a effectué de longs séjours. Membre de l’Association française des sciences sociales sur l’Amérique Latine, elle a collaboré à un ouvrage collectif sur la Préindustrialisation du Brésil (Editions du CNRS 1984). Chercheur au Centre d’Etudes Juridiques et politiques du monde africain de l’Université Paris I, elle a dirigé, avec Gérard et Françoise Conac, la publication des Politiques de l’eau en Afrique (Editions Economica, 1985).
Sommaire du livre
Introduction générale – le politique africain. La rencontre des cultures et le jeu des possibles
– Le cadre d’analyse. Le Burkina : l’ensemble et ses composantes
Première partie : au cœur des sociétés l’invention du politique
Introduction – questions de méthode : les monographies
Chapitre 1 : Un exemple d’espace : le Yir birifor
– Découverte du Yir
– Organisation de la production
– Une institution exemplaire : Le Harbilé
– Le jeu social : acteur et stratégies
Chapitre 2 : L’espace politique villageois
– La maison bwa : la dimension lignagère
– Le village bwa : la dimension territoriale
– Les techniques d’intégration communautaire
– Conclusion : la politique sans l’Etat
Chapitre 3 : Une société pour l’Etat, Guerriers et paysans des royaumes moose
– Pouvoir du Naam
– Le Moogo aujourd’hui
· Conquête et violence : l’Eta segmentaire
· Colonisation et unification : l’Etat territorial
– Une société recomposée
· Les gens du pouvoir
· Les gens de la force
· Les gens de la terre
· Les gens de métier
Chapitre 4 : Archéologie sociale et géographie politique
– Du Natenga au royame
– Interprétation : une polyarchie
– Les moyens du pouvoir
· Politique d’abord?
· L’échange (matrimonial) inégal
· Commerce et politique
L’espace vivrier du Prince
Les redevances coutumières
Deuxième partie : Genèse et destin de l’Etat
Introduction : la fin des royaumes moose
Chapitre 1 : la difficile genèse de l’Etat-Nation
– L’unification territoriale (1945-1958)
– La loi cadre du 23 juin 1956. Jeux politiques et enjeux institutionnels
– La querelle de l’Exécutif fédéral et ses enjeux régionaux
– Vers les parti unique, le Conseil de l’Entente et la Première République
Chapitre 2 : La dérive démocratique : 25 années d’instabilité institutionnelle et politique
– La première République (1960-1966)
· Le schéma institutionnel et la pratique politique
· Un coup manqué : l’atteinte aux chefferies
– Premier arbitrage militaire : le Gouvernement Militaire Provisoire (1966 -1970)
· Les organes constitutifs
· La politique économique et sociale du GMP
· La réhabilitation des chefferies moose
– La Deuxième République (1970-1974)
· Un parlementarisme bien tempéré
· La dérive politicienne
– Trois ans de tutorat militaire : le Gouvernement du Renouveau National (1974-1977)
· La concentration du pouvoir
· Le contre-pouvoir syndical
– La Troisième République (1978-1980)
· Le paysage politique de 1978
· Les élections présidentielles
· Déclin et mort de la IIIe République
Chapitre 3 : Le temps des prétoriens
– Le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National
– Le Comité de Salut National
– Le Conseil National de la Révolution
· Un pouvoir au fondement fragile
· Les pesanteurs sociologiques
· Des limites économiques
Conclusion Les paysanneries et l’Etat
Bibliographie
Glossaire
Indexe analytique
Index des auteurs
Nos commentaires
Construit en deux temps cet ouvrage se veut un tentative de recherche de ce que peut être la perception de la vie politique au niveau de l’Etat par les différentes populations paysannes du Burkina Faso selon leurs organisations sociales. Il contient aussi une ‘analyse les évolutions politiques du pays jusqu’en 1986, date à laquelle l’ouvrage a été écrit. Ainsi peut-on lire dans l’introduction:” Analyser successivement les formes et le contenu du pouvoir lignager dans le système birifor, du pouvoir communal dans l’organisation villageoise bwa, du pouvoir étatique dans les royaumes moose, c’est chercher à saisir simultanément le niveau ethnique, régional et peut-être national du champ politique africain. C’est de toutes façons, apprendre à mieux connaître les modes de fonctionnement des sociétés paysannes“. La prise en compte des problèmes économiques des redistributions éventuelles de richesse, l’organisation rendent cette étude assez passionnante, mettant en lumière, combien pouvoir économique et politique sont imbriqués, y compris dans les espaces villageois locaux.
Le premier type d’organisation étudié est le yir Birifor présent chez les Lobis de type lignager dans le sud ouest du pays. Il n’y a pas de chef ni d’organisation territoriale, la seule communauté organisée est le yir, une communauté familiale regroupant les frères et leurs femmes autour d’un aîné. Le pouvoir est transmis par la descendance familiale mais s’exerce uniquement sur le yir. Mais une autorité extérieure au yir le Harbilé, un représentant du matri-lignage intervient pour une redistribution de la production hors du yir en cas de trop forte accumulation.
Ainsi conclut l’auteur : “ C’est une espace à une seule dimension : lignagère. Mais chaque individu appartenant à deux lignages à la fois, la partition du pouvoir se fait sur les principes suivants :
– les pouvoirs rituels et domestiques appartiennent au patrilignage et s’exercent à l’intérieur du yir sur un modèle autoritaire et hiérarchique
– le pouvoir qu’on peut s’autoriser à nommer politique puisqu’il agit sur l’ensemble des yir, en veillant la redistribution entre eux tous, des moyens de puissance et de prestige, revient au matrilignage qui ne l’exerce que dans certaines circonstances prévues par la coutume“
Le deuxième type d’organisation politique se situe au niveau de l’espace villageois “une société originale “où l’articulation du pouvoir lignager et du pouvoir politique réalisée au seul niveau villageois, a permis un développement d’un civilisation du village“. Ce type d’organisation se trouve chez le Bwa, objet de l’étude de l’ouvrage mais aussi chez les Dogons, les Samos,, les Sénoufo et les Bambara. Cette organisation s’exerce sur le territoire géographique associé au village et ne particulier sur les lieux de culture L’organisation au niveau du village nécessite des spécialisations professionnelles, essentiellement en trois groupes pour lesquels l’auteur réfute le fait de caste du fait que “nul n’est tenu au règle d’évitement” les cultivateurs, les griots et les forgerons. C’est le premier lignage installé qui conserve le commandement du village.
Pour ces deux types d’organisation, “par delà l’horizon villageois, il n’y a plus d’autorité institutionnalisée“d’où la caractérisation de ces sociétés “sans Etat et sans chefferies, ce qui ne signifie nullement sans chefs ni pouvoir politique“.
Il n’en est pas de même pour le troisième d’organisation étudiée, celui du royaume “mossi” (l’auteur écrit moose). “Ici le pouvoir ne vient ni de l’âge (devant le pouvoir l’age n’est rien, affirme un proverbe mooga), ni de l’antériorité de l’occupation (et pour cause…) mais le pouvoir vient du Naam (en note forme de Dieu qui permet à un homme d’en commander un autre) et seul les fondateurs des dynasties moose sont détenteurs du naam.
Ici la description du système politique ne peut être facilement résumée de par sa complexité et les différents enchevêtrements, mais on retient bien sur de cette centralisation une attention toute particulière des Mossis envers le pouvoir politique central. Comme en témoigne l’encerclement de l’assemblée territoriale par les cavaliers venus de l’ensemble du pays mooga le 17 octobre 1958
La deuxième partie reprend l’histoire de la Haute Volta à partir de l’indépendance, ce que l’on trouve avec plus ou moins de différences dans de nombreux ouvrages. Rajoutons tout de même que c’est un des premiers à l’avoir fait, d’où un intérêt supplémentaire, les autres s’en étant sans doute souvent inspirés. La partie consacrée à la révolution (12 pages du livre, plus quelques unes dans la conclusion) reste marginale dans le livre. Inséré dans un chapitre plus général, intitulé ” le temps de prétoriens”[1], terme renvoyant à l’antiquité romaine, c’est ainsi que sont désignés aussi bien le CMRPN, le CSP que le CNR, ce qui par un raccourci renvoie d’abord à leur caractéristique commune d’être des militaires au détriment pourtant de leurs différences pourtant fondamentales. Un peu plus loin cependant dans le texte on lit “que le coup d’Etat militaire (du CNR) constitue une réelle rupture avec les précédents“. Encore faut-il ajouter que l’essentiel de ces pages sont consacrés aux clivages politiques au sein des forces qui soutiennent la révolution. L’ambition du projet et son originalité est à peine effleurée. L’auteur reconnaît que le nouveau pouvoir s’affirme au service des masses rurales mais assimile quasiment dans la même page un peu plus loin, les travaux d’intérêts locaux organisés par les CDR aux réquisitions forcées de l’époque coloniale.
En conclusion, l’auteur souligne que comme partout en Afrique, la paysannerie, la grande masse des citoyens est exclue du pouvoir politique (En était-il autrement en Europe lorsque la paysannerie était majoritaire) puis ajoute un peu plus loin : “de même que l’examen approfondi des systèmes traditionnels nous a appris qu’il n’y a pas une culture politique, mais des cultures politique paysannes, de même l’analyse des rapports entre l’Etat et les paysans nous révèle qu’il n’y a pas une seule réponse paysanne possible mais plusieurs“. Une conclusion qui nous laisse finalement sur notre fin car on aimerait à cette étape disposer d’une étude de terrain comparative de l’intrusion des CDR dans ces différents systèmes d’organisation sociale et si des différences sont perceptibles.
On comprendra donc que cet ouvrage n’est évidemment en rien un ouvrage de référence sur la révolution burkinabé, il a été de toute façon écrit en 1986.
Par contre cette analyse approfondie des systèmes d’organisation du monde rural pris sous l’angle politique n’existe nulle part ailleurs en dehors sans doute d’articles publiés dans les revues spécialisées. C’est donc là le grand intérêt de cet ouvrage
B J
[1] Voir l’article de wikipédia à l’adresse http://fr.wikipedia.org/wiki/Garde_pr%C3%A9torienne. On peut y lire notamment ” ce fut tout au long de l’Empire une force privilégiée dans le choix des souverains”