Par Bruno Jaffré

Les anciens chefs de guerre au Libéria sont longtemps restés impunis. Vingt ans après un gouvernement veut enfin les faire juger. Prince Johnson a beaucoup fait parler de lui, affirmant avec d’autres libériens qu’ils avaient participé à l’assassinat de Thomas Sankara . L’enquête menée au Burkina a montré qu’ils ont menti. Pour quelles raisons? Il est temps de démêler le vrai du faux.

Le Libéria et la Sierra Leone plongés de nombreuses années dans une effroyable guerre civile

Charles Taylor finalement jugé et condamné ainsi que quelques chefs de guerre mais hors du Liberia

Prince Johnson passe au travers de la justice

Des hommes d’affaire français, premiers à faire du business au Liberia sous la présidence de Charles Taylor

Prince Johnson protagoniste de l’affaire Sankara

Démêler le vrai du faux. Où en est le dossier Sankara ?

L’annonce de la mort de Prince Johnsoh, il y a quelques jours le 28 novembre 2024, n’a pas fait grand bruit en France. Une dépêche de l’AFP, reprise par le Monde[1], sous le titre « Libéria : mort de Prince Johnson, figure de la sanglante guerre civile des années 1990 » reprend quelques informations sur ce sinistre personnage. « L’ancien chef de guerre Prince Johnson, acteur majeur de la guerre civile qui a ravagé le Liberia entre 1989 et 2003, et réputé pour sa cruauté, est mort soudainement jeudi 28 novembre…  Prince Johnson, qu’une vidéo montrait en train de siroter une bière pendant que ses hommes torturaient à mort le président Samuel Doe en 1990, était toujours un sénateur influent dans son pays, et n’a jamais exprimé de regret sur son passé. La mort du président Doe fut l’un des premiers épisodes sanglants qui allaient faire basculer le Liberia dans des guerres civiles qui, jusqu’en 2003, ont fait quelque 250 000 morts et ravagé son économie.»

D’autres médias sont plus explicites : « Dans son rapport final de 2009, la CVR (Commission Vérité et Réconciliation) avait identifié Prince Johnson comme « l’individu ayant à son actif le plus grand nombre de violations jamais enregistrées » durant les guerres civiles libériennes… Il aurait également participé à des meurtres, extorsions, massacres, destructions de biens, recrutements forcés, agressions, enlèvements, tortures, travaux forcés et viols. »[2]

Le mensuel Jeune Afrique avait raconté en détail les tortures qu’avait subies Samuel Doe en présence de Prince Johnson : « Le chef de l’Independent National Patriotic Front of Liberia (INPFL) est surexcité et ses soldats sont lourdement armés. Ils ont des fusils mitrailleurs et des lance-roquettes. Johnson transpire, vocifère. Le ton monte entre ses hommes et les gardes de Samuel Doe. « Ouvrez le feu ! » crie-t-il. Il est environ 14h, c’est un carnage, on compte 78 cadavres. « Cette fois, nous allons le prendre », crie Prince Johnson. C’est à son tour de monter les escaliers du petit bâtiment et de se ruer dans le bureau du général Quainoo. Le Ghanéen tente de calmer les deux camps, mais on ne peut pas grand chose face aux délires haineux : il ne peut être que spectateur. Un des hommes de Prince Johnson mitraille les jambes de Doe. Quelques instants plus tard, les rebelles embarquent le président vers la clinique de Bushrod Island. Samuel Doe n’a plus de membres inférieurs, puis son sexe est broyé et, après une gorgée de Budweiser, ses oreilles seront donc découpées. Pourquoi ? Nul ne le sait vraiment et cela dure des heures. L’instant exact de la mort du président n’a pas été filmé mais, pendant plusieurs jours ensuite, le corps du président a été exposé par les rebelles de Prince Johnson. Ils promenaient le cadavre en brouette dans les rues de Monrovia. La foule hurlait de joie, raconte-t-on, comme si l’horreur était devenue le seul spectacle réjouissant. »[3]

Le Libéria et la Sierra Leone plongés de nombreuses années dans une effroyable guerre civile

Prince Johnson s’était allié avec Charles Taylor chef du NFPL (Front patriotique national du Liberia). Ce dernier se lance en 1989 à l’assaut du Libéria pour en prendre le pouvoir. Il contrôle rapidement une bonne partie du pays. Puis Prince Johnson rompt rapidement avec lui et créé son propre mouvement le INPLF (Independent National Patriotic Front of Liberia). Il arrive même à contrôler Monrovia la capitale, où il assassine Samuel Doe. Charles Taylor de son côté va contribuer à étendre la guerre civile en Sierra Leone, en soutenant le RUF (Revolutionary United Front) dirigé par Foday Sankoh. Le RUF se finançait par le trafic des « diamants de sang », appelés ainsi du fait de travail des enfants, qui a largement alimenté les guerres civiles de la région.

La guerre civile va durer jusqu’en 1997 au Libéria, date à laquelle un accord de pays met fin à la guerre civile. Charles Taylor remporte alors les élections présidentielles avec 75% des voix et devient Président jusqu’en 2003. Date à laquelle il s’exile au Nigéria. L’étau se resserre contre lui, poursuivi par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, émanation de la justice internationale créé officiellement en juillet 2002. Les juges prêtent serment le 2 décembre et les premiers actes d’accusation sont confirmés en mars 2003.

Charles Taylor est inculpé de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres violations du droit international humanitaire, et doit répondre de onze chefs d’inculpation. Il est accusé d’avoir soutenu le Front révolutionnaire uni (RUF) et le Conseil des forces armées révolutionnaires (AFRC), deux groupes révolutionnaires sierra-léonais. Il est, selon l’accusation, la figure centrale des guerres civiles qui ont ravagé le Liberia et la Sierra Leone entre 1989 et 2003 et fait près de 400 000 morts. Des milliers de personnes ont été amputées, violées et réduites en esclavage sexuel.

Charles Taylor finalement jugé et condamné ainsi que quelques chefs de guerre mais hors du Liberia

Charles Taylor est arrêté en 2006. Les puissances occidentales et les dirigeants d’Afrique de l’Ouest ont finalement lâché celui qu’ils avaient exilé au Nigeria après lui avoir promis l’impunité en échange de son départ de la présidence et de sa non-intervention dans les affaires libériennes. Son procès s’ouvre 2007, délocalisé à La Haye pour des raisons de sécurité. Il est condamné à 50 ans de prison en mai 2012, pour crimes de guerre et crime contre l’humanité, peine qui sera confirmée en appel en septembre 2013.

Charles Taylor fut donc été jugé non par pour ses crimes au Libéria mais pour ceux perpétrés en Sierra Leone. D’autres chefs de guerre ont pu être arrêtés et jugés dans d’autres pays. Il en est ainsi de l’ex commandant rebelle libérien Kunti Kamara, ancien commandant de l’Ulimo (Mouvement uni de libération du Libéria pour la démocratie), opposé à Charles Taylor. Ce dernier fut condamné à Paris à 30 ans de réclusion criminelle pour actes de barbarie et complicité de crimes contre l’humanité lors de la première guerre civile au Libéria (1989-1996), reconnu coupable d’une série d’« actes de tortures et de barbarie inhumains » contre des civils en 1993-1994, dont le supplice infligé à un enseignant dont il aurait mangé le cœur, la mise à mort d’une femme qualifiée de « sorcière » et des marches forcées imposées à la population[4]. Pour Alieu Kosiah, autre commandant de l’Ulimo, coupable de crimes contre l’humanité s’agissant des chefs d’accusation d’instigation au meurtre de 13 civils, du meurtre de 4 civils, de complicité de tentative de meurtre d’un civil et de complicité de meurtre d’un civil, condamné à un 20 ans en juin 2021, confirmé en appel en juin 2023. En Janvier, par contre, un autre ex-chef de guerre libérien présumé, Gibril Massaquoi, a vu son acquittement confirmé en appel, faute de preuve, en janvier 2024 devant une cour d’appel en Finlande, lui aussi accusé d’atrocités durant ce conflit[5].

Prince Johnson passe au travers de la justice

En plus de son comportement lors de l’assassinat de Samuel Doe, ces quelques exemples permettent d’imaginer les crimes auxquels s’est probablement rendu coupable Prince Johnson et de la condamnation à laquelle il a réussi à échapper.

Au Libéria, une commission vérité et réconciliation fut mise en place en juin 2006. Créée sur le modèle sud-africain, son but, était d’enquêter sur les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme commises entre 1979 et 2003. Après trois années de travail, des centaines d’auditions publiques et le recueil de milliers de déclarations écrites, la Commission vérité et réconciliation (TCR) a rendu public le rapport final remis le 30 juin 2009 au Parlement du Libéria. Trois membres de la Commission sur huit ont refusé de signer. Deux recommandations n’ont pas manqué de susciter une polémique, et surtout de fortes résistances. La première préconisait la création d’un tribunal spécial, composé de magistrats locaux et internationaux, pour juger les ex-chefs de guerre, leurs commandants militaires ayant commis les actes les plus graves et les responsables de crimes économiques. Une centaine de personnes sont concernées, dont les huit principaux chefs de guerre, parmi lesquels Prince Johnson et Charles Taylor, dont on a vu qu’il a plus tard été poursuivi par la justice internationale. Prince Johnson, sans attendre la publication du rapport final avait déjà affirmé qu’il résisterait à toute tentative d’inculpation. La création de cette juridiction dépendait du parlement, alors que nombre de ses membres sont liés de près ou de loin aux anciennes factions, ce qui aurait pu les rendre susceptibles d’être poursuivis. La création du Tribunal spécial ne fut donc pas mis à l’ordre du jour par le parlement.

La seconde recommandation explosive concernait les sanctions publiques qui devaient être imposées à cinquante personnes qui se sont associées à des groupes armés. Selon la Commission, ces personnalités devaient être empêchées de briguer des mandats électifs ou d’occuper des fonctions publiques pendant une période de 30 ans. Parmi ces personnes se retrouve l’ancienne présidente Ellen Johnson Sirleaf. Cette dernière, prix Nobel de la paix, avait démenti avoir été membre du mouvement rebelle de Taylor. Mais elle avait cependant reconnu l’avoir rencontré plusieurs fois pendant la guerre civile libérienne et admis avoir collecté des fonds pour lui lorsqu’il se préparait, dans les années 1980, à renverser le président Samuel Doe. Elle a reçu le soutien du même Prince Johnson lors du 2ème tour des élections présidentielles de 2011, arrivé lui 3ème au premier tour avec près de 12% des suffrages exprimés, affirmant à cette occasion : « Ils pensaient que je n’étais pas pertinent et maintenant je suis faiseur de roi »[6]. Six ans plus tard il se rangera derrière George Weah, lui assurant la victoire. Ainsi, longtemps la classe politique libérienne va s’opposer à l’application de ses deux recommandations. Prince Johnson va être élu sénateur et bénéficier de l’immunité. Il a continué à faire peur. L’application de ces deux recommandations a longtemps animé le débat politique, sans pour autant qu’elles ne soient appliquées.

Les choses ont enfin évolué ces derniers temps. En 2008, de grandes manifestations importantes s’étaient déroulées demandant la mise en place d’un tribunal chargé de traiter les crimes de guerre. En juillet de la même année, 76 organisations non gouvernementales libériennes, africaines et internationales, s’adressaient au comité des droits de l’homme de l’ONU, par une communication qui identifie les mesures que le gouvernement libérien doit prendre sans délai afin de garantir l’obligation de rendre des comptes pour les crimes graves au Libéria, avant que les autorités de ce pays ne se présentent devant le Comité, chargé de surveiller la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) par ses États parties, les 9 et 10 juillet à Genève[7]. La situation est encore restée bloquée plusieurs années.

Puis enfin  en avril 2024, le Parlement s’est prononcé en avril pour la création d’un tribunal spécial soutenu par l’ONU. Et en novembre 2024, un avocat est désigné par le président Joseph Boakai, élu en 2024, pour mettre en place une cour  spéciale chargée de juger les crimes de guerre et économiques du Libéria[8]. Vingt années après ces crimes, un pas décisif semble avoir été franchi.

Mais rien ne semble vraiment définitivement acquis. Les funérailles de Prince Johnson ont été accompagnées de 5 jours de deuil national. « Plusieurs hauts responsables, dont le président Joseph Boakai et le vice-président Jeremiah Koung, ont fait le déplacement dans le nord du pays » rend compte le site de RFI (Radio France international) début janvier[9] qui rapport les réactions de deux militants des droits de l’homme.  Ainsi qui déclare : « Maxson Kpakio, militant des droits de l’homme et fervent défenseur de la création d’un tribunal pour les crimes de guerre, déplore que Prince Johnson soit mort sans jamais avoir été jugé :  C’est douloureux, cette jubilation que je vois, cette célébration d’un meurtrier, d’un criminel de guerre. C’est un coup dur. Je suis ému, dans le sens où, après avoir investi tant d’années dans le plaidoyer pour la création d’un tribunal des crimes de guerre et des crimes économiques pour le Liberia, afin que ceux qui portent la plus grande responsabilité dans la guerre soient punis, voir cet individu non seulement échapper à la justice, mais aussi être célébré comme un héros, c’est insupportable » ». Et « Adama Dempster, militant des droits humains, redoute que ce traitement privilégié n’enracine davantage une culture d’impunité : « Sachant que le sénateur Prince Johnson est cité dans le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation comme l’un des principaux responsables de multiples atrocités commises pendant la guerre civile libérienne, il est profondément triste pour nous, militants pour la justice, de le voir bénéficier d’un hommage funéraire officiel avec tout ce faste » ».

Des hommes d’affaire français, premiers à faire du business au Libéria sous la présidence de Charles Taylor

Dans un article paru en 2009 dans le Monde Diplomatique Thomas Deltombe cite Charles Taylor sur le comportement de certains hommes d’affaire français : « « Il n’y a pas de privilèges. Il se trouve simplement que les hommes d’affaires français sont venus nous voir avant les autres. Ils ont pris des risques. Ce qui explique qu’ils aient aujourd’hui une longueur d’avance. (…) C’est du “business as usual”. Car, sur le fond, les hommes d’affaires n’ont pas de nationalité. Qu’ils viennent de France ou d’ailleurs, ils s’intéressent tous — et c’est bien normal — au bois, au minerai de fer, à l’or et aux diamants du Libéria[10] ».

Plusieurs ONG, dont Greenpeace, et les amis de la Terre avaient déjà accusé la société DLH France de trafic de bois pour financer la guerre au Libéria en 2001. Elles réitèrent en 2009 et cette fois porte plainte à Nantes pour demander l’ouverture d’une enquête,  « les plaignants font valoir que durant la guerre civile qui a sévi au Libéria de 2000 à 2003, DLH aurait acheté du bois à des entreprises libériennes qui fournissaient un soutien au régime brutal de Charles Taylor [11] ».

Et dans un livre très documenté, réédité en 2001, le chercheur hollandais Stephen Ellis[12], considéré à l’époque comme le meilleur spécialiste du Libéria, écrit à propos des rapports qu’entretenait Charles Taylor avec des (P.92 et 93)  « l’un des principaux contacts de Taylor à Abidjan était un homme d’affaires français Robert Saint-Pai, qui avait vécu à Monrovia avant la guerre et était en bon terme avec des hommes d’affaires et des politiques ivoiriens influents. Saint-Pai avait aussi ses entrées auprès de l’ambassadeur de France à Abidjan, Michel Dupuch, qui est allé à Gbarnga et Buchanan, (NDLR : des zones alors non sécurisées aux mains de groupes armées) et entretenait d’étroites relations avec Taylor. Il fut promu plus tard conseiller principal pour les affaires africaines du Président de la République. (66) », Jacques Chirac en l’occurrence[13] .

Prince Johnson protagoniste de l’affaire Sankara

Les bruits avaient commencé à circuler au début des années 2000 sur la présence de déserteurs libériens au Burkina, en octobre 1987à Ouagadougou. Auditionné au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, le général John Tarnu des troupes de Charles Taylor, confirme la demande de Blaise Compaoré aux Libériens de l’aider à éliminer Sankara[14]. Le chercheur Stephen Ellis, dans son ouvrage déjà cité, amène de nombreuses références attestant de leur présence au Burkina. Blaise Compaoré leur aurait demandé de l’aider à tuer Sankara, en échange de l’implication de son pays dans le projet qu’ils avaient de renverser Samuel Doe. Pour atteindre cet objectif une alliance surprenante se met en place entre Charles Taylor, Houphouët Boigny, Blaise Compaoré, et Mouamar Kadhafi, dont l’assassinat de Thomas Sankara aurait été le « sacrifice fondateur » selon François Xavier Vershave, autour de « causes communes. Cimentées par l’antiaméricanisme. Agrémentées d’intérêts bien compris [15] ».

On sait désormais qu’après l’assassinat de Thomas Sankara, des Libériens se sont entraînés en Libye et au Burkina. Charles Taylor et ses hommes, dont Prince Johnson se lancent à l’assaut du Libéria en 1989. Houphouët Boigny autorise ses troupes à traverser et attaquer via la Côte d’Ivoire. Il tient à se venger de la mort de son ami Tolbert, que Samuel Doe avait renversé. Blaise Compaoré fournira des hommes aux troupes de Taylor. Auditionné au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, le général John Tarnu des troupes de Charles Taylor, confirme la demande de Blaise Compaoré aux Libériens de l’aider à éliminer Sankara[16].

Prince Johnson faisait partie, des Libériens sur lesquels Blaise Compaoré semblait vouloir compter pour l’aider à assassiner Thomas Sankara. Devant la Commission Vérité et Justice au Libéria, il a déclaré en septembre 2008: « «Quand nous avons été là-bas (au Burkina Faso), on nous a dit que nous serions arrêtés si nous ne coopérions pas pour renverser Sankara parce qu’il était opposé à notre plan» (pour renverser Doe). On nous a demandé de rejoindre une unité spéciale des armées burkinabè pour le destituer. C’est comme ça que Thomas Sankara a été renversé »[17]. Il réitère peu après ses déclarations à RFI, en exclusivité selon la radio, ce qui fait le buzz à l’époque[18].

Contacté de nouveau, par un grand reporter italien, Silvestro Montanaro, parti au Libéria interviewer plusieurs Libériens présents à Ouagadougou lors de l’assassinat de Thomas Sankara, Prince Johnson se refuse à témoigner de nouveau, déclarant alors : « Et peu après que j’ai parlé, le Président du Burkina a eu plein de problèmes et je ne veux pas que cela arrive à nouveau[19] » tout en précisant qu’il n’avait rien à retirer. Ce n’est cependant qu’en caméra caché, qu’il déclare : « Cela a été un pacte international pour mettre dehors cet homme et si je raconte comment cela s’est passé, les services secrets pourraient vous tuer, vous le savez? ». Les cinq autres Libériens qui témoignent, tous proches de Charles Taylor affirment longuement leur présence et leur participation à l’assassinat de Thomas Sankara et renchérissent sur l’existence d’un complot international, citant notamment la France et la CIA. Deux d’entre eux en viennent même à assurer que c’est Blaise Compaoré qui a tiré lui-même sur Thomas Sankara !

Démêler le vrai du faux. Où en est le dossier Sankara ?

Lors de l’instruction, le juge François Yaméogo a pu retrouver et interroger toutes les personnes présentes, la plupart militaires, sur les lieux de l’assassinat de Thomas Sankara. Aucun ne mentionne la présence de Libériens au Conseil de l’Entente. Ils ont donc menti et de façon concertée. Sans doute souhaitaient-ils charger Blaise Compaoré qui s’est empressé de lâcher Charles Taylor, dès que les occidentaux avaient décidé d’en finir avec ce dernier, après lui avoir pourtant promis l’impunité et aidé à s’enfuir au Nigeria, comme nous l’avons vu plus haut.

En réalité le dossier de l’assassinat de Thomas Sankara n’est pas clos. Le juge d’instruction François Yaméogo, parti récemment à la retraite, subissait de fortes pressions pour que s’ouvre le procès. Las d’attendre les documents promis par la France, il prit la décision de faire une disjonction : c’est-à-dire clore le dossier national  concernant les personnes impliquées au Burkina, tout en laissant ouvert le dossier sur les implications internationales dans l’assassinat. Théoriquement, un juge militaire, puisque le dossier était confié à la justice militaire, a été nommé pour poursuivre l’instruction. Le Burkina, actuellement empêtré dans la guerre, a fort à faire y compris sa justice militaire. De plus, un juge Burkinabè n’a guère le pouvoir ni les moyens de poursuivre une telle enquête depuis le Burkina, sans collaboration internationale. En ce qui concerne par exemple une éventuelle implication française, il faudrait une nouvelle commission rogatoire en direction de la France pour poursuivre l’enquête. C’est-à-dire la nomination d’un juge français sous l’autorité d’un juge burkinabè pour enquêter en France. Compte tenue de la très forte dégradation des relations entre les deux pays et de la dénonciation des accords de coopération qui avaient permis la première commission rogatoire, cela parait aujourd’hui impossible. L’instruction est donc au point mort.

Par ailleurs nous sommes désormais en mesure d’affirmer que les documents fournis par la France, ne comportaient aucun document secret défense, mais effectivement des documents confidentiel défense, moins secret si l’on peut dire. Certes une réforme récente a bien fusionner ces deux catégories, mais les documents de l’époque sont bien classifiés selon ces deux catégories différentes.

Si l’hypothèse d’un complot reste d’actualité, il apparaît bien que la France n’est pas intervenue directement, mais plutôt via la Côte d’Ivoire,  le récit précis de l’assassinat tel qu’il est sorti de l’investigation approfondie du juge Yaméogo l’atteste bien. Par contre, le fait que cet assassinat n’était pas pour déplaire aux intérêts français, fait largement consensus, et nous l’avons écrit nous-mêmes maintes fois. Thomas Sankara dérangeait et était considéré comme un danger pour la région, pour sa rupture avec la Françafrique.

Cela dit, le procès a dévoilé une révélation de taille. Plusieurs membres des services de contre espionnage burkinabè en poste en 1987 ont témoigné de la venue d’un « blanc », l’un désigne même Paul Barril, venu le lendemain de l’assassinat, soit le 16 octobre 1987, retirer les écoutes téléphoniques qui ont depuis disparu. Il s’agit bien là d’une nouvelle piste qu’il convient de remonter sur l’implication de la France. Car pourquoi un Français viendrait-il s’emparer des écoutes téléphoniques si ce n’est pour supprimer des preuves d’une préparation de l’assassinat ? Pour cela il faut trouver l’identité de cette personne et surtout qui l’a envoyé.

Bruno Jaffré

[1]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/11/28/liberia-mort-de-prince-johnson-figure-de-la-sanglante-guerre-civile-des-annees-1990_6418454_3212.html

[2]https://civitas-maxima.org/fr/prince-johnson-notorious-liberian-warlord-dies-never-having-been-brought-to-justice /

[3] https://www.mafrwestafrica.net/histoire/5670-samuel-doe-assassine

[4]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/03/27/crimes-contre-l-humanite-l-ex-commandant-rebelle-liberien-kunti-kamara-condamne-a-paris-en-appel-a-trente-ans-de-reclusion_6224528_3212.html

[5]https://www.lepoint.fr/monde/verdict-dans-le-proces-en-appel-d-un-ex-chef-de-guerre-liberien-en-suisse-01-06-2023-2522579_24.php#11

[6]https://www.jeuneafrique.com/178913/politique/prince-johnson-ils-pensaient-que-je-n-tais-pas-pertinent-et-maintenant-je-suis-faiseur-de-roi/

[7] https://www.hrw.org/fr/news/2018/07/05/liberia-76-organisations-appellent-la-justice-pour-les-crimes-de-guerre

[8] https://information.tv5monde.com/afrique/le-liberia-commencera-juger-les-crimes-de-guerre-dici-5-ans-promet-un-responsable-2753627

[9]  Voir https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250118-liberia-des-milliers-de-personnes-aux-fun%C3%A9railles-de-l-ex-chef-de-guerre-prince-johnson.

[10] Les métamorphoses d’un seigneur de la guerre  », Politique internationale, n° 82, Paris, hiver 1998-1999, pp. 354-355.

[11] voir https://www.greenpeace.fr/espace-presse/lentreprise-forestiere-internationale-dlh-accusee-davoir-finance-la-guerre-au-liberia/

[12] Stephen Ellis, The Mask of Anarchy, The destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, Hurst $ Company, 1999, Londres réédité en 2001 puis en 2007. De nombreux extraits de cet ouvrage ont été traduits en français et publiés à https://www.thomassankara.net/assassinat-de-thomas-sankara-guerre-liberia-complicites-burkina-de-blaise-compaore-charles-taylor/

[13] La note renvoie à l’ouvrage Agir Ici-Survie, Jacques Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart?, Paris, 1995. p.24.

[14]Voir https://www.thomassankara.net/tribunal-de-sierra-leone-un-ancien-general-de-charles-taylor-john-tarnue-accuse-blaise-compaore-de-complot-contre-thomas-sankara/. Dans cette page on trouvera d’autres référence sur l’alliance qui ne noue alors et l’implication d’Houphouët Boigny.

[15] François-Xavier Verschave, Noir Silence, Les Arènes, Paris, 2000, p. 346-347.

[16]Voir https://www.thomassankara.net/tribunal-de-sierra-leone-un-ancien-general-de-charles-taylor-john-tarnue-accuse-blaise-compaore-de-complot-contre-thomas-sankara/. Dans cette page on trouvera d’autres références sur l’alliance qui ne noue alors et l’implication d’Houphouët Boigny.

[17]Rapporté par l’hebdomadaire San Finna du aujourd’hui disparu. L’article est disponible à https://www.thomassankara.net/commission-verite-reconciliation-au-liberia-revelations-de-prince-johnson-onde-de-choc-aux-usa-a-lunion-africaine-au-burkina-faso/

[18] http://www1.rfi.fr/actufr/articles/106/article_73998.asp

[19]Voir https://www.thomassankara.net/assassinat-de-thomas-sankara-des-temoignages-dun-documentaire-de-la-rai-3-mettent-en-cause-la-france-la-cia-et-blaise-compaore/

Source : https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/301224/prince-johnson-cruel-chef-de-guerre-liberien-est-mort-impuni

 

 

 

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