Marie Denise une des soeurs de Thomas Sankara est décédée le 12 mai 2009.
Elle était son ainée directe, et donc très proche de Thomas. Elle partageait ses jeux et même parfois se battait avec lui. Insoumise, Thomas tentait de la protéger contre les punitions du papa.
Elle était handicapée suite à une méningite qui rendait pour elle la marche difficile. C’est sans doute de la complicité avec Marie que vient une sensibilité particulière pour les handicapés, mais aussi l’idée qu’il ne faut pas les assister et plutôt créer les conditions de leur autonomie.
Pas mal d’initiatives ont ainsi été prises sous la révolution en direction des handicapés pour essayer de leur donner une certaine autonomie et les sortir de la mendicité.
Marie était enjouée, taquine, blagueuse, d’une grande simplicité, mais parfois aussi d’une grande tristesse. Sa vie a été une succession de malchances. Elle a du lutter tout le temps y compris pour obtenir son emploi à l’ONATEL (Office National des Télécommunications) qu’elle n’a eu qu’à force de persévérance et après plusieurs refus sans doute du fait de son handicap.
Elle avait la parole directe, franche et sans détour, aussi bien pour clamer son amour et son admiration pour son frère mais aussi pour le critiquer vertement de ne pas avoir assez pensé et aidé à la famille pendant la révolution.
Nous publions ci-dessous de très larges extraits d’une interview réalisée en mai 1994. Celle-ci a été réalisée avec le réalisateur Patrick Legall, que j’accompagnais pour des repérages pour un film qui n’a pas vu le jour, sans doute était-ce trop tôt, et en présence de Chériff Sy, l’actuel directeur de Bendré qui m’a bien aidé dans mes débuts de prospectives au Burkina.
Cette interview n’était pas destinée à être publiée. Elle a cependant beaucoup servi au cours de la rédaction de la biographie de Sankara. Nous avons extrait juste quelques phrases touchant à l’intimité.
Puisse cette interview, outre d’être un document exceptionnel, continuer à faire vivre un peu Marie Denise Sankara dans les mémoires, mais aussi lui redonner la place qui est la sienne dans la vie et la formation de Thomas Sankara.
Bruno Jaffré
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Marie Denise : Je pense qu’il n’avait pas la vocation. Il travaillait très bien à l’école, il a toujours tenu la tête du CP1 jusqu’au CM2. Thomas aimait très bien les maths. En français ça allait mais pas aussi bien. Il m’arrivait très souvent que je redoublais ma classe. Et les maitres c’était vraiment des amis : Kambou Grégoire et Paré Alexis. Si bien, que c’était presque les mêmes matières qu’on nous enseignait. Souvent quand j’arrive à la maison on me demande : “-Vous avez traité quel sujet? – On m’a donné un problème, c’était très dur. ” Il m’explique ce que c’est les intervalles. Je n’arrivais même pas à comprendre. Il lui arrivait souvent de pleurer parce que je n’ai jamais compris. Quand mes copines viennent, il me dit de ranger. Et à la veille de l’examen à l’entrée …. Il y a eu bagarre avec un des gaillards. Thomas jouait au ballon. L’autre : ” Voilà, toi tu es petit, tu viens jouer au ballon alors que tu as un examen demain”. Il dit : “Et alors? Et toi qu’est ce que tu viens faire ici? Toi tu es gaillard là. Qu’est ce que tu viens faire? Va étudier aussi! Moi je sais en tout cas que je suis déjà admis. Et toi tu n’auras rien.” Il est venu me trouver, j’avais mes cahiers posés. “C’est pas à la veille de l’examen qu’on travaille. J’ai rangé mes affaires. Le lendemain nous avons composé. Il était presque le premier à avoir fini. Je me rappelle que quand on a donné les résultats, on a donné d’abord les résultats du CEPE. Ca n’a pas marché chez moi et lui li l’a eu. Et on attendait les résultats de l’entrée en 6ème, il a un copain qui est au chemin de fer Bado Pierre. Je crois que ça venait par section, ou c’est plutôt par je ne sais pas, par ordre alphabétique. Bado il avait les résultats de l’entrée en 6 ème. Ah mon papa a dit voilà, tu es trop voyou, tu es trop bandit, tu connais tout. Voilà tes résultats ne sont pas arrivés. Ça veut dire que tu as échoué. Il souriait, il n’a rien dit. Il n’a pas répondu. … a demandé : “-Thomas tu es admis ou bien tu n’es pas admis? – Que mon épreuve est tout juste. Moi je sais que je suis admis. Si Bado est admis moi je suis admis.” Après 2 jours les résultats sont arrivés et il était admis et c’est lui qui tenait la tête dans la province. C’est l’année suivante que moi aussi j’ai réussi.
Q : Il vous encourageait à travailler?
M : Si il m’encourageait beaucoup. Il m’encourageait. Thomas c’est un garçon, apparemment on pense qu’il est méchant alors qu’il n’en est rien.. Même une simple mouche, il n’avait pas le courage de tuer. Mais pour la vérité, ça il va te la cracher. Qui que tu sois. Où que tu sois. L’humanisme, ça il avait. Moi je suis sa sœur ainée, j’ai eu la méningite quand j’étais très jeune et il m’arrivait souvent de faire bagarre avec lui. Et quand il veut partir, moi je dis : “Non non non, la bagarre n’est pas terminée, il faut qu’on continue”. Je soulève mes béquilles, il va prendre un bâton. Quand il vient vers moi, il laisse tomber le bâton. Mais moi je suis jeune. Je fais. Je me disais assise là, je suis bien forte là. Les gens, ils ne l’ont pas compris. Ils ne l’ont pas du tout compris. Et pour l’argent quand nous étions à l’école primaire. Le matin le vieux nous réveillait pour aller à la messe avant d’aller à l’école primaire. Et la maman nous donnait chacun 5 francs pour le petit déjeuner. Et Thomas ne dépensait pas sa pièce. Il la ramenait à midi. Tu ne verras jamais 5 francs dans la poche de Thomas. Jamais jamais. Il venait remettre à sa mère. Et même leur cotisation qu’on prenait pour les soirées pour faire les courses pour la fin de l’année scolaire. Il arrivait qu’il reste un peu de sous. Et vraiment quand il a ça il ne dort pas. Et un jour il a même supplié la maman il dit : “Mais cet argent là, qu’est ce que je vais en faire. Moi ça me gène”. La maman dit : “Non tu vas acheter du pain et puis tu vas diviser ça entre tes camarades”. Et puis il aimait tellement causer avec les vieilles personnes, surtout la maman. Il demandait l’histoire des Mossis, comment les gens vivaient dans le temps. Mais le vieux il n’avait pas le temps de lui dire quoi que ce soit. Mais la maman lui racontait la vie d’avant.
Q : Votre grand-mère paternelle ne vivait pas avec vous?
M : Si un moment donné, elle était avec nous. Mais elle, elle était très vieille. Thomas l’a connu. Mais il n’avait pas le temps de s’entretenir avec elle.
Q : Il n’était jamais puni, il ne faisait jamais de bêtise?
M: C’était toujours une punition collective. On punissait à cause des leçons des devoirs, mais comme il travaillait bien à l’école, c’était les autres camarades.
Q : Il n’aimait pas l’injustice, il y avait eu des fois où il s’était révolté contre justement une punition qui n’était pas juste,
M : Ca il le faisait aussi. Et quand quelque fois on le notait mal, qu’il sait que comparativement au devoir d’un autre, il y a de l’injustice il n’hésitait pas à prendre les 2 feuilles pour aller comparer devant le professeur…
Il n’avait pas du tout peur. Les enfants qu’il envoyait sur les collines de Gaoua. Vraiment c’est un coin de reptiles. Y’en a trop même. Il amenait les enfants là-bas. Le matin il peut les amener jusqu’à 14 heures. Et les enfants venaient demander à ma mère. Maman il n’a pas déjeuner. Tel l’enfant du directeur de la SND le service national du développement. Lui par exemple il est fils unique, donc ses parents s’inquiétaient surtout sa mère s’inquiétait beaucoup. Ils ont suivi Thomas ils ont pris l’exemple sur lui. L’un est militaire, l’autre est gendarme. Ils sont 2 ou 3.
Thomas ne se bagarrait jamais avec un plus petit. Jamais, jamais, jamais.
Q : Avec les filles?
M : Oui moi j’allais prendre de l’eau au puits et c’est lui qui la portait à la maison.
Q : Les autres enfants ne se moquaient pas de lui?
M : Si. Et puis quand il voyait une vieille avec un gros fardeau il venait l’aider.
Q : Paul nous a raconté qu’il avait fait la morale à son oncle.
M : Oui, c’est le petit frère de notre papa. Aujourd’hui il a des problèmes. Parce que les enfants sont nombreux. Il n’arrive pas à les nourrir. Il a envie de les chasser mais c’est trop tard. Il prenait beaucoup de femmes, il leur faisait beaucoup d’enfants alors qu’il ne travaille pas. Et puis dans la famille, ceux qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, le cousin, Thomas les conseillait de se retirer au village pour faire l’élevage, la culture. Je connais beaucoup de fonctionnaires aujourd’hui qui ont pris leurs champs. Ils ne regrettent pas. Avec la dévaluation qui est arrivée. J’en connais beaucoup qui cherchent des parcelles pour aller faire l’élevage ou aller cultiver.
Quand Thomas était à l’école primaire je me souviens qu’ils avaient un jardin pour les garçons. Il aimait beaucoup ce travail là. Après la classe si c’est son tour Thomas s’occupait très bien du jardin. Je crois qu’on a laissé des arbres à la gendarmerie de Gaoua.
Thomas était allé dans une famille où le monsieur était un polygame. Il n’aimait pas la première femme, par contre il aime la deuxième femme parce qu’elle fait des garçons alors que la première fait des filles. Pourtant il y a un garçon parmi elles, deux même. Il arrivait souvent que le monsieur donne à manger à la deuxième avec ses enfants. Ah non, ça ça n’a pas plu à Thomas. Il est parti le trouver, prendre la nourriture de l’autre côté pour donner à l’autre femme. Le monsieur était furieux. Il est venu raconter à mon père, de dire à Thomas de quoi il se mêle.
Le vieux a dit : “Toi aussi, balaye chez toi au lieu d’aller balayer chez les autres”.
Thomas n’aimait pas ça. Et puis il avait horreur quand on s’attaquait à un faible alors qu’il a raison. Ou la la. Un soir, je sors, je vois Thomas au milieu dans un groupe. Je demande qu’est ce qu’il y a : “Que non. Il veut frapper le petit là. Ce n’est pas bon. Même si il a tort tu lui as dit. Ca suffit. Pourquoi tu veux le frapper? Parce que toi tu es grand tu es gros alors que lui-même il est petit”. Je lui dit : “Mais en quoi ça te regarde?”. Il dit : “Non non il faut que le petit là s’en aille”. Vraiment c’était un garçon …Je me souviens qu’il disait à mon père qu’avoir beaucoup d’enfants ce n’est pas bon. Il faut pouvoir les nourrir, les entretenir, il ne faut beaucoup d’enfants. C’est quand il était déjà à l’école primaire.
Q : Plus grand vous l’avez vu changer un peu?
M : Non non non! Il a grandi avec le même comportement, le même caractère peut-être plus chose encore. Je n’avais pas du tout réalisé tout ça. Je n’avais pas du tout compris. Je ne comprenais pas ses agissements alors, ses comportements. Il nous arrivait de nous bagarrer mais on ne se quittait jamais. Un de ses amis, enfant à Gaoua, disait autant avoir affaire à mes parents qu’avoir à mon petit frère car je ne voulais pas qu’on le touche. Enfin c’était un garçon correct et surtout il était honnête. Par rapport aux autres frères dans la famille.
Il aimait bien lire aussi. Thomas faisait parti du mouvement COEURS VAILLANTS. Il pouvait rester chez les prêtres du matin jusqu’au midi en train de feuilleter ces journaux ou des bandes dessinées.
Il était acteur dans beaucoup de pièces de théâtre en fin d’année scolaire à Gaoua. C’est le maitre qui le choisissait pour ça. Et chaque fois on lui décernait un prix parce que c’était le meilleur acteur.
Chérif : Je ne sais pas si on vous a dit mais la musique qu’il préférait c’était les chants grégoriens.
Q : Vous aviez la radio? Il écoutait la radio et c’est là qu’il écoutait la radio.
M : Oui. Avant c’était le chant grégorien.
Q : On a été à la messe. Il y avait des tambourins et des tam tam.
M : A notre époque on n’a pas connu ça.
Chérif : Avant c’était la messe en latin.
M : Il faisait partie de la chorale. C’est Madame Clément Kambou qui s’occupait de la chorale. Elle faisait ça très bien.
Q : Vous avez eu la même éducation religieuse que lui. Vous faisiez le catéchisme avec lui etc … Ca se passait comment?
M : On se relayait. Quand c’est le vieux qui faisait le catéchisme, on se retrouvait tous les soirs le jeudi et le dimanche soir. Mais quand il est de garde soit c’est moi, soit c’est Thomas.
Il était bien pour être prêtre. On reprochait à ses parents de ne pas l’envoyer assez.
Q : L’éducation religieuse qui semble avoir eu de l’influence sur lui. Sur quoi insistaient les prêtres?
M : Il disait surtout de ne pas faire de pêché, que ça allait vous conduire en enfer. Je me rappelle que Thomas souvent entre enfants quand il tenait quelque chose qu’il veut avec vous. Il vous dit par exemple, il faut me donner car Dieu a dit d’aimer son prochain comme soi-même donc il faut me donner parce que il y a l’œil de Dieu qui regarde. Et jusqu’à présent j’ai gardé ce souvenir là quand je veux faire du mal je me dis il y a l’œil de Dieu qui me regarde. Vraiment je crois tout ce qui était dit au catéchisme ça le touchait beaucoup. On apprenait par cœur. Qui es Dieu. Dieu est amour. On apprenait les prières du soir et du matin. Tout ça il fallait qu’on apprenne par cœur. Donc on vous posait un certain nombre de questions avant que vous ne soyez admis pour la confirmation et la première communion et la profession de foi. C’était des pères blancs à l’époque. Et quand nous sommes arrivés à Gaoua, il venait une fois par mois célébrer la messe. Et il venait manger chez nous en plus. Thomas s’entendait très bien avec lui surtout le père Maurice … Thomas posait des questions surtout aux prêtres. Qu’est ce que c’était l’enfer, le ciel, sur la vie de Marie Jésus Joseph tout ça. Les prêtres répondaient.
Q : Souvent au catéchisme on récite par cœur alors que Thomas voulait comprendre. C’est un peu pour ça peut-être qu’un des pères a voulu qu’il aille au séminaire.
M : Il était vraiment un enfant obéissant. Il acceptait, il venait à l’heure à la messe, c’était le meilleur servant. Pour eux vraiment je crois que pour cette histoire de vocation c’est un peu axé sur la conduite de l’enfant.
Q : Et vos parents ils étaient d’accord?
M : Pour les parents, je crois qu’à à ce moment-là ils en priaient pas assez (beaucoup) si bien que pour eux il fallait il que tout marche à l’école. Ils ne priaient pas assez. C’est pas comme aujourd’hui où il faut tout remettre entre les mains de Dieu et que sa volonté soit faite.
Q : Et au niveau d’un métier le papa voulait que Thomas fasse un métier particulier ou le choix était laissé à Thomas.
M : Non pour le choix, je crois que c’était laissé à Thomas. Pourvu qu’il se fasse une bonne place dans la société.
Q : Je crois que Paul nous a dit qu’il voulait devenir un docteur un moment.
M : Oui. Je crois qu’il a cédé sa place là.
Q : Et après tard quand vous étiez plus grands que vous l’avez vu évoluer dans le monde de la politique? Qu’est ce qui s’est passé?
M : Par exemple quand il allait au PMK il voulait être docteur c’était après son BEPC de Bobo. Et puis il a du céder sa bourse à un autre qui s’appelle Eloula? Il est docteur à l’hôpital. Et lui il est venu un soir là. Il a dit que non, que lui il vire, il veut aller au PMK il veut devenir militaire. Le bas il a eu ici. Et puis il est allé à Madagascar. Et je me rappelle que pendant les vacances quand il a fini et qu’il est rentré il a dit : “Ouh la la. Pauvre Haute Volta. Toujours les mêmes murs, toujours les mêmes visages”. Que si un jour il devenait président de la république de ce pays là, il en changerait quelque chose. Et je me rappelle, je me souviens de la réponse que la maman lui a donné : “Mais qu’est ce que tu vas faire de mieux que les autres”. Il dit “D’accord on verra bien.” On a pouffé de rire. C’est quand il est revenu de Madagascar. Il était sorti et il rentrait. Pour lui il allait tout de même trouver un petit changement. Mais il voit que c’est toujours pareil. Toujours les mêmes pauvres, les autres qui s’accaparent les biens du peuple.
Q : Il vous a parlé de ses amis à Madagascar?
M : Quand il était étudiant là-bas il y avait des maliens, sénégalais et consort, donc il s’est fait des amis parmi ces gens là. Et la malgache c’est le seul couple d’ailleurs. C’est le seul monsieur qui était marié. Les autres étaient célibataires, monsieur Sidibé Mamadou. Il était civil. Sa femme faisait une autre branche. Mais avec Thomas c’était devenu une seule famille. Je sais que la femme garde beaucoup de souvenirs de Thomas. Elle a même dédié un poème le 15 Octobre qu’elle a pu publier dans un journal. Cette dernière si vous la touchez. Elle est venue pour les funérailles. C’est Madame Sidibé Harry. Un nom malgache. Son mari est malien, elle est malgache. Je sais que leur fils ainé le garçon était très malade. Et Thomas disait de préparer son dossier pour qu’il essaie de l’évacuer sur l’hôpital. Malheureusement cela n’a pas marché.
Ça c’est quelqu’un qui était très très très humain. Très simple. Thomas il n’avait pas le courage… Ce qu’on a dit sur lui pendant la révolution que c’est lui qui a fait exécuter qui, qui a fait quoi quoi quoi… C’est faux il n’en est rien. Quand on dit que c’est quelqu’un qui a le courage de cracher la vérité à qui que ce soit même à son propre père, je suis actuellement d’accord, je partage ce point de vue. Mais le reste là jamais. Et il arrive qu’il dise certaines choses au vieux, ça chauffe dans la famille. Moi je sais que pour les promenades et puis préparer l’avenir des enfants.
Thomas il disait très souvent au vieux, “vous savez la vie hein devient de temps en temps dur très dur, tous les jours, ça devient dur. Il faut préparer l’avenir des enfants. Vous avez fait combien d’enfants. Préparez l’avenir de tout le monde”. Ah mais le vieux dit : “tu n’as pas à me dire quoi que ce soit”. Le lendemain on se rend compte que le vieux il a un peu de remords. Ce que l’enfant a dit c’est ça. C’est correct. Ce que je sais moi pertinemment qu’il y a des enfants qu’il avait pris à sa charge. Des élèves. Pendant la révolution quand il était président. Je sais qu’il y a des enfants qui sont venus se jeter dans ses bras comme ça. Faut payer mon bus, faut payer mon école. On a pas à manger, on n’a pas ceci.
Mais ça il avait puni totalement la famille, puni complètement au profit de ce peuple là. Il nous avait tous interdit de prendre même une simple aiguille avec qui que ce soit sous prétexte que c’est un cadeau. Lui il n’avait pas fait un cadeau. Que chacun se débrouille comme il peut et honnêtement. Pas de faveur. Moi par exemple j’ai eu la méningite quand j’avais 4 mois de naissance. C’est à ans et demi qu’on est intervenu sur mes 2 pieds. J’ai été à l’école comme ça. Jusqu’au secondaire jusqu’à me débrouiller avoir du boulot. Mais je me rappelle que quand il allait chez Kadhafi, quelqu’un a demandé pour moi les vélos là pour les handicapés. Kadhafi a dit pas de problème qu’il envoie une moto. Thomas a dit non, elle vaut mieux, elle travaille. Y en a qui sont sous les arbres là qu’elle se débrouille. Qu’il n’est pas là pour sa famille. Moi j’ai des amis blancs que j’ai connus. Ils sont venus une année ici avec une voiture bien aménagée pour personne handicapée pour me donner en 86. Les gens ont trainé presque 6 mois ici avec la voiture. Ils ont traversé le Sahara avec ça. Ils étaient obligés de prendre vendre. Il ne faut pas prendre. Ça va faire l’objet de tract. Non je ne suis pas d’accord. Si je l’avais avant, je prenais. Mais si c’est aujourd’hui je prends. Mais pendant que Thomas était au pouvoir parce qu’il nous a tous mis en garde quand il était chef d’État. Voilà ma ligne de conduite. Elle est comme ça et je voudrais que tout le monde marche comme ça. Il n’a pas changé de comportement, pas changé de conduite.
Q : C’est lui qui a eu l’idée de changer le nom du pays. A entendre ce que vous dites, l’intégrité on dirait que c’est lui qui a eu l’idée.
M : Ca je ne sais pas. Il demandait très souvent ce que ça signifiait le Burkindé quand on était encore très jeune.
Q : Quand il était président, vous l’avez critiqué?
M : Y a des choses par exemple qui ne nous ont pas plu. Par exemple qu’on lui donne de l’argent pour sa propre caisse et qu’il reverse ça à l’État. Moi je n’étais pas du tout d’accord avec ça. Moi je voulais qu’il nous donne pour qu’on se dépanne. Moi je me suis fixée pour cette maison il est mort il n’a pas su. Or moi je connais ce coin là depuis. Parce que notre grand-mère, la maman de notre maman cultivait à côté. Si on vous disait à l’époque de venir ici prendre une somme de 1 million à 18 h vous ne viendrez pas. C’est une vraie course. C’est la révolution qui a amené tout ça. C’est devenu vraiment une belle cité. On nous a accusés de quoi quoi quoi alors qu’il n’en est rien. Aujourd’hui ça saute à l’œil, on voit comment ils pillent. Aujourd’hui moi je lui donne raison. Aujourd’hui si c’était à recommencer vraiment on va suivre sa ligne de conduite.
Q : Vous avez discuté des mesures sur les femmes ici.
M : Je n’ai pas discuté personnellement avec lui mais avec certaines personnes. Mais j’ai écouté les unes et les autres. Tout ce tapage, ce n’est pas juste.
Q : Vous étiez mariée à ce moment-là, vous avez envoyé votre mari au marché?
M : J’avais des problèmes à l’époque avec mon époux, on s’est quitté. Donc je vis seule. Mais j’ai eu des camarades qui ont envoyé leurs époux et qui ont failli leur tirer les oreilles. Parce qu’ils ont compris que c’est pas facile. Et puis quand j’ai été au Mali, j’ai entendu les maliennes dire que oui que les femmes burkinabé ça c’était vraiment des esclaves et que c’est Thomas, elles elles l’appellent Thomas, et que c’est Thomas qui est venu les aider et que nous on a intérêt à poursuivre notre combat, notre lutte parce qu’on nous a lavé le dos il faut que nous on… Il y a un proverbe là de laver leur figure.
Q : Et les gens venaient vous voire pour se plaindre des CDR.
M : Moi je n’ai pas entendu. Il écoutait les gens mais ils n’allaient pas directement vers lui.
Q: Lui allait vers les gens.
M : Oui il allait même en brousse tout ça. Je me rappelle des 10 000 ou 15 000 têtes qu’il a envoyées en Côte d’Ivoire. C’est parce qu’il a rencontré un paysan qu’il ne connait pas. Ils ont causé ensemble. Le paysan a expliqué que vraiment la saison n’a pas été bonne non content de cela les troupeaux ca meure. Ils ne savent pas comment ils vont faire. Il dit bon d’accord. Quant il est arrivé ici il a dit au vieux tu prends 10 000 têtes, à Eyadema tu prends 1000 et le Bénin 4000 têtes. Comme le train ne part au Togo ou au Bénin, on a retourné les 5000 têtes. Mais pour la Côte d’Ivoire. On a ramené un peu de sou et les paysans ont pu quand même avoir un peu de vivre pour leurs greniers.
Q : Il faisait du sport quand il était enfant.
M : Il faisait du sport. Il courait avec les enfants. Il faisait le tour de la gendarmerie. C’était quelqu’un il ne buvait pas. Il ne croque pas, il ne fume pas. Question des femmes nous on savait même pas qu’il a eu ces … notre papa avait un champ. Chaque vacance il nous envoyait là-bas. On cultivait des arachides, du maïs, du gombo, des feuilles d’oseille. On cultivait beaucoup de choses. Et la récolte c’est nous. C’était Thomas et moi on allait récolter. Ca on ressemblait pas du tout aux enfants d’un fonctionnaire. Pas du tout. Ca on mangeait bien. Je rappelle une fois on a rencontré mon père en ville. Et on lui a dit tes enfants là c’est à féliciter. Lui il tient toujours la tête à l’école et l’autre malgré son handicap, vraiment elle ne se décourage pas, elle vient à l’école. Elle travaille à l’école aussi. Il était très dur avec nous, notre père. Il a beaucoup changé aujourd’hui. Sinon il était très dur. Très très dur.
Les élèves étaient quand même jaloux de Thomas pour la place qu’il occupait. Sinon au fur et à mesure les gens finissaient par laisser tomber. Ils ne pouvaient pas comprendre que lui qui n’est pas de Gaoua il était mossi.
Q : Et à l’époque quand vous étiez à Gaoua, vous vous appeliez Ouedraogo. C’est lui a repris le nom de Sankara.
M : Oui. Le vieux quand il a voulu faire ses papiers, il a été obligé de reprendre son vrai nom de famille. Le vieux, il était Ouedraogo parce qu’il a été élevé par l’ancien chef de Téma. Donc il l’aimait beaucoup et lui il le prenait pour son père. Sur les actes de naissance de certains enfants on voit une partie Sankara, une partie Ouedraogo. Donc il fallait tout changer. IL a vu un de la mairie à l’époque qui lui a dit : “tu ne peux pas avoir une partie de tes enfants qui sont Ouedraogo et une partie de tes enfants qui sont Sankara. Donc soit tout es Ouedraogo soit tout est Sankara. On dit quel est ton vrai nom de famille. Il dit que c’est Sankara. Pourquoi avoir sorti Ouedraogo? Non Ouedraogo là c’est le chef de Téma. Comme j’ai habité là-bas ….
Propos recueillis en mai 1994 à Ouagadougou