Le sang de Sankara
Par Jah Looks
Chers amis, le billet de cette semaine tient de la gageure. En effet, l’homme fort du Mix des Cultures et de la terre radiophonique promise, notre Moïse Gomis national et international et bientôt burkinabé, aujourd’hui rédac’ chef exceptionnel et invité m’a passé une commande : faire un billet autour du capitaine Thomas Sankara.
Comment en effet baser cet exercice de style hebdomadaire sur un événement qui s’est passé il y a vingt ans et dont le thème ne prête pas à rire et n’incite pas à la franche gaudriole ? Car, voyez vous, notre capitaine bien aimé, notre président militant, celui qui a rebaptisé la Haute Volta en Pays des Hommes Intègres a laissé derrière lui un vide dans le PPA, le paysage politique africain.
Vingt ans après son assassinat, nous constatons donc que le personnel politique au pouvoir, du moins dans beaucoup des anciennes colonies de la métropole hexagonale ou sous son influence, soit n’a pas changé, soit est mort de manière finalement assez naturelle. Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga et Houphouët sont morts d’une longue et douloureuse maladie, Gnassimbé Eyadéma a succombé à une crise cardiaque, j’en passe et des moins pires. Quant au camarade Brutus Compaoré, l’homme a qui le crime a profité, il court des jours tranquilles, bien au chaud dans le giron de la Françafrique en homme fort de toute la sous-région. Sierra Léonais et Libériens ne lui disent d’ailleurs pas merci vu le rôle que l’homme a joué dans les deux guerres civiles et diamantifères de ses voisins anglophones.
Mais revenons au Capitaine Thomas Isidore Noël Sankara qui aura été finalement tout au long de sa carrière ou plutôt de son sacerdoce politique le produit de la Françafrique. Son engagement anti-impérialiste qui prendra corps à Madagascar sera le résultat de la révolte face à un système qui dure et perdure dans les anciennes colonies dont nous célébrons peu ou prou le quart de siècle d’indépendance dépendante. Tout au long de son parcours dans le monde de la politique, Thomas Sankara croisera ainsi François Mitterrand. Le dénominateur commun des deux hommes ne sera pas un idéal socialiste ou même socialisant, mais le fait du prince, celui de l’Elysée, qui, par l’intermédiaire de son conseiller de sinistre mémoire, Guy Penne, ordonnera d’abord le limogeage du poste de Premier Ministre qu’il occupa de janvier à mai 1983, puis, dans la foulée, sa mise aux arrêts. Quelques mois plus tard, Sankara deviendra président de la Haute Volta, changeant le nom fleurant le colonialisme en marche en Pays des Hommes Intègres tout autant que l’organisation politique du pays. Ses discours, ses actes et ses liens politiques, son panafricanisme et tiers-mondisme militants irriteront Mitterrand pour qui l’Afrique des années 80 se devait de rester semblable à celle qu’il connut en tant que ministre de la quatrième république, un Afrique soumise, génératrice de profits et de pouvoir, parallèles et occultes, dans une atmosphère paternaliste et hypocrite.
On est donc très loin des positions de l’Internationale Socialiste de la même époque. Car si le père de Papamadit ne pouvait supporte ni la jeunesse, ni la fierté, ni le désintéressement personnel de celui qui tranchait avec ses homologues, le destin du capitaine né à Yako se scellera alors dans les feux verts donnés par la cellule africaine de feu Mitterrand à ceux qui seront les artisans de son assassinat qui restera pour longtemps une « mort naturelle », certainement d’un arrêt du cœur… L’homme de Latche qui s’illustrera avec son mépris des vies humaines africaines sept ans plus tard au Rwanda avait-il le sentiment de faire et défaire les régimes africains comme au bon vieux temps des colonies si chères au cœur de Michel Sardou?
Mais revenons une fois de plus à Thomas Sankara qui eut finalement un destin plutôt comparable à Patrice Emery Lumumba qu’à Ernesto Che Guevara même si on le surnomme le « Che » africain. Si les trois hommes moururent assassinés, les deux premiers furent trahis par leur ancien compagnon, voire leur bras droit, Mobutu pour l’un, Compaoré pour l’autre. Morts alors qu’ils étaient au pouvoir, morts d’avoir été des nationalistes internationalistes, intransigeants et incorruptibles comme disait un certain Robespierre avant qu’il ne perde la tête, fustigeant l’impérialisme néo colonialiste et la gestion passée de l’ancien colonisateur. Les deux assassinats resteront impunis, leurs successeurs s’offriront même le luxe de célébrer comme héros national celui que chacun fit assassiner, ressortant la mémoire de la dépouille à moins que ce ne fut la dépouille de la mémoire à chaque crise sérieuse du régime. Mobutu ne récupérera pas le costume austère de Lumumba, Compaoré ne roulera jamais en Renault 5.
Le mot de la fin à Rama Yadé, notre actuelle secrétaire d’état aux Affaires Etranges (oui oui) et aux Droits de l’Homme, qui évolue sous la tendre férule de Monsieur Brice « Identité Nazionale » Hortefeux et a ainsi déclaré : « [L’Afrique] a également besoin de nouveaux Sankara et Lumumba pas d’un José Bové ! ».
Rassurez-vous , elle n’a pas non plus besoin d’un Nicolas Sarkozy ou d’une Rama Yadé !
Jah Looks 11/10/2007
Source : Chroniques d’un monde malade (blog) http://jlc.zeblog.com/