ISBN : 978-2-8111-1693-4
Editions Karthala, collection les afriques
janvier 2017, 348 pages, format 22 x 14 cm
Présentation de l’ouvrage (4ème de couverture)
Les monarchies africaines sont-elles solubles dans la modernité républicaine de l’État-nation ? Depuis que des groupes de cavaliers ont fondé les premiers royaumes mossi vers la fin du XVe siècle, des souverains n’ont cessé de se succéder sur le trône. Cependant, leur histoire est loin d’avoir été immobile. L’ensemble de leurs formations politiques, qu’ils nomment le « Moogo » ou le « Monde », n’a pas été l’espace parfaitement isolé que s’est longtemps plu à rappeler toute une littérature coloniale. En réalisant l’une des premières histoires synthétiques de ces royaumes sur la longue durée, Benoit Beucher montre comment ceux « qui ont mangé le pouvoir », les nobles mossi, ainsi que leurs sujets, ont fait face à des transformations dépassant de très loin les frontières de leurs seuls royaumes.
L’expansion de l’islam, du christianisme, l’irruption des troupes coloniales françaises, deux conflits mondiaux, la tenue des premières élections, l’indépendance et l’instabilité des régimes postcoloniaux ne se sont pas soldés par la dissolution des royautés dans la durée, mais par la coexistence de systèmes monarchiques de droit divin et d’un régime républicain.
Benoit Beucher invite précisément à se départir d’une vision « exotique » du politique au sud du Sahara qui pousserait à n’y voir qu’une anomalie. S’appuyant sur une importante collecte de sources écrites, audiovisuelles et orales, il montre comment se sont entremêlées des trajectoires européennes et africaines de l’empire, de l’État, de l’ethnicité et de la nation – bien souvent sur le mode du malentendu et du conflit – dont la compréhension des effets peut seule permettre de saisir la complexité de l’histoire présente du Burkina Faso.
Présentation Benoit Beucher
Benoit Beucher, docteur en histoire et en science politique, est membre de l’IMAF (Institut des Mondes africains UMR CNRS 8171-IRD 243), une unité mixte de recherche interdisciplinaire associant le CNRS, l’Institut de recherche pour le développement, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’université d’Aix-Marseille, l’École pratique des hautes études et l’École des hautes études en sciences sociales.
Ses thèmes de recherche sont : Histoire et anthropologie politique du colonialisme, postcolonialisme, Histoire et sociologie politique de la formation/construction de l’État Histoire des chefferies et royautés, Histoire et sociologie politique des appartenances nationales. Ses travaux de terrain sont situés essentiellement au Burkina Faso et notamment le pays mossi sur Plateau Central.
On trouvera une fiche plus complète des son itinéraire et de ses recherches à http://imaf.cnrs.fr/spip.php?article126 . On y trouvera la liste des ses différents articles et participations à des ouvrages collectifs. Manger le pouvoir au Burkina est son premier livre. IL est tiré de sa thèse de doctorat.
Nos commentaires
Manger le pouvoir ?
Pascal Beucher ne s’attarde pas à expliquer ce titre énigmatique, à moins que l’on accepte l’idée que c’est l’ensemble de l’ouvrage qui recouvre l’explication. Tout juste le met-il entre guillemets dans l’introduction précisant qu’il s’agit de la traduction d’une expression du Moré, la langue des Mossi. Il faut lire l’explication dans une interview de l’auteur par un autre chercheur Vincent Hirribaren pour en chercher l’explication : “Pour les Mossi, la population majoritaire dans le Burkina actuel, le pouvoir et les procès de légitimation qui l’entourent sont métaphoriquement associés à une substance qui se mange, qui est incorporée, en particulier lors des cérémonies d’intronisation de leurs « chefs » ou souverains.” (voir http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2017/02/12/la-republique-des-rois/).
Un ouvrage de recherche
Universitaire, l’auteur se plie aux règles d’écriture des publications scientifiques, assez rigoureuses, ce qui demande donc de l’attention pour rentrer dans le livre. Il en est ainsi de la nécessité de situer ce travail dans ceux qui l’ont précédé, de faire des références à des concepts mis à jour par les chercheurs précédents, voire d’essayer d’en mettre d’autres en évidence.
On apprécie que, dans l’introduction, il explique sa méthode, le récit chronologique, les acteurs étant ici essentiellement les nobles, ses difficultés, des sources essentiellement issues d’études de chercheurs précédents, mais aussi des mission catholiques, d’entretiens oraux, mais une absence de tout écrit de la part des nobles Mossi eux-mêmes. Les sources des administrateurs coloniaux ont été dispersées. Une partie de celles du Burkina ont disparu faute d’être bien conservées. Mais de nombreuses autres venaient d’être ouvertes à la consultation à la présidence, alors que tout n’était pas encore classé. Et malheureusement celles de l’Assemblée nationale, que l’auteur avait pu consulter, ont brulé lors de la prise de l’Assemblée nationale par les insurgés le 30 octobre 2014.
L’objet réel de cet ouvrage consiste à étudier la naissance puis l’exercice du pouvoir, le naam, au sein des Mossi, et les stratégies mises en œuvre pour le préserver face aux attaques d’abord des colons puis du pouvoir politique. Plusieurs rois coexistent, à la suite de conflits lors de succession. L’assassinat est une éventualité en vue de s’emparer du pouvoir, de même que les guerres civiles internes sur un territoire des Mossis, qui se caractérise cependant par une homogénéité politique. Le royaume du Yatenga dans la région de Ouahigouya aurait été fondé à la suite d’une guerre interne dont l’épilogue, le vol des amulettes royales, signe de déshonneur pour le Moro Naaba. Cet épisode aura signé la naissance d’un nouveau royaume, indépendant de celui de Ouagadougou.
L’adaptation des Mossis face aux différentes périodes de l’histoire
L’ouvrage explore donc différentes périodes : la conquête coloniale avec des résistances plus ou moins durables suivant les différents rois, l’adaptation au pouvoir colonial, l’entre deux guerres, la rivalité ou l’entente entre les nouveaux instruits aspirant au pouvoir politique d’une part et la noblesse Mossi d’autre part.
Après l’indépendance, le pouvoir de Maurice Yaméogo, qui juge “l‘encadrement traditionnel” “dépassé” se livre à une attaque de front contre les royaumes Mossi. C’est ensuite le retour au status quo lors de l’accession au pouvoir du général Lamizana à la suite de la première insurrection en janvier 1966. Puis de nouveau des tentatives d’éradiquer le pouvoir des chefs, lors de la succession des coups d’État à partir de 1980 avec une violence inégalée durant la Révolution, et enfin le retour aux côtés du pouvoir politique après la prise du pouvoir par Blaise Compaoré, à la recherche d’alliés politiques.
Cette adaptation permanente des rois et de la noblesse, résulte d’une habilité à jauger ceux qui tentent de diminuer leur pouvoir et leur influence sur les populations, pouvoir moral et politique. Selon l’auteur, à l’origine, “l’unité du pouvoir mossi doit aussi beaucoup à la diffusion d’un modèle éthique caractérisant une noblesse théoriquement vertueuse, moralement pure, ne trahissant jamais ses sentiments personnels, et exerçant le pouvoir dans le seul intérêt de la communauté de sujets“. Le respect des Mossi est d’autant plus grand que “le chef, y compris le plus puissant d’entre eux, le Mooro Naaba de Ouagadougou, mène une vie ascétique, seuls ses actes de générosité étant ostentatoires” (p; 53).
On verra que, tout au long de l’histoire, les rois vont devoir s’adapter pour que leur pouvoir soit accepté et respecté durant la colonisation selon les différentes options des administrateurs qui se succèdent. Certains jouent habilement de cette volonté de maintien au pouvoir en leur confiant la responsabilité de recruter parmi la population pour le travail forcé, ce qui va créer des mécontentements et une émigration massive pour y échapper. Mais ce rôle leur permet de se positionner comme interlocuteur et partenaire privilégié, leur permettant de garder le statut d’homme de pouvoir. Bien entendu, échange de bons procédés, ils vont toucher des rémunérations conséquentes pour assumer cette charge. Quant aux administrateurs coloniaux “modernistes” qui ont tenté de les mettre hors-jeu, arguant de traditions dépassées, ils ont perdu la partie au sein des autorités coloniales qui souhaitaient éviter une administration directe du territoire, qui aurait été bien plus couteuse en moyen humain. C’est ainsi qu’après la suppression de la colonie de Haute-Volta en 1932, pour des raisons économiques, elle est rétablie en 1948, à la grande satisfaction des nobles mossi qui retrouvent leur territoire, essentiellement pour des raisons politiques du point de vue des colons qui souhaitent diminuer l’influence du RDA en particulier. La chefferie mossi et l’administration coloniale ont bien compris leurs intérêts communs.
Lors de la période précédant l’indépendance, les Mossi doivent tout de même faire face à des tentatives de marginalisation venant de leaders du RDA, non mossi. Le jeu politique devient plus complexe mais les chefs mossis vont pouvoir compter sur des alliés parmi ces jeunes hommes politiques aspirant au pouvoir. Au fil d’une succession de créations et d’alliances ou de mésalliances de partis politiques successives, un certain consensus va cependant voir le jour sur la nécessité d’une unité territoriale, une des aspirations de la chefferie mossi. Pour autant la question d’un statut ou non de la chefferie dans ce paysage politique instable, n’est toujours pas réglée. Aussi, sentant son pouvoir menacé, à la suite notamment de déclaration d’hommes politiques qui refuse que le Moogo Naaba parle au nom de la population voltaïque, le Moogo Naaba va tenter un coup d’État en rassemblant ses troupes armées autour de l’Assemblée nationale pour s’en emparer. Les assaillants seront rapidement dispersés sous ordre du colonel Chevreau qui commande les troupes françaises. Le syndicat des chefs du Burkina va se désolidariser de cette action, et le Moogo Naaba se trouve considérablement affaibli alors que le futur Président Maurice Yaméogo projette de marginaliser la chefferie.
La Révolution
La partie traitant de la Révolution est peu fournie. Pour l’auteur, “l’expérience révolutionnaire, repose sur deux piliers : la construction de la communauté nationale par le bas, et un développement endogène” p. 276). N’est-ce pas quelque peu réducteur ? Qu’en est-il de la réduction des inégalités, la mobilisation populaire, la lutte contre la domination étrangère, pour la libération de la femme etc… Et il s’appuie sur Basile Guissou, qui se veut un idéologue, sous la Révolution et le restera après la mort de Sankara, mais aux côtés de Blaise Compaoré, deux régimes aux idéologies pourtant à l’opposé, pour déclarer que ni lui, ni Sankara n’avaient donné corps au concept de “féodalité” (p. 275). On peut éventuellement souscrire à cette affirmation, en ajoutant que ces fameux idéologues de la Révolution ont passé plus de temps à polémiquer sur les travaux de Lénine qu’à donner corps à ce concept dans sa version burkinabè.
Reconnaissons cependant que cette “féodalité” a peu à voir avec celles mises en évidence par les marxistes européens et que la diversité des organisations sociales selon les ethnies ne rend pas les choses faciles. Ce travail a manqué lorsque la Révolution, ou tout le moins Thomas Sankara a voulu faire de la paysannerie une classe révolutionnaire. Mais en réalité cette volonté de détruire le pouvoir de la chefferie résulte du fait que, globalement, elle avait servi la colonisation en lui fournissant une main d’œuvre bon marché, voire gratuite, et que son rôle politique sous l’indépendance consistait, à de rares exceptions près, à chercher les faveurs des différents pouvoirs pour maintenir celui des nobles, en faisait en sorte que les populations votent pour eux aux différentes élections.
Avouons avoir aussi été très étonné de lire : “Mais qui sont précisément les ennemis de la Révolution? Jusqu’à la fin de la RDP en 1987, aucun réponse claire n’a jamais été apportée” (p. 275). Nous nous permettons de renvoyer à deux discours, le Discours d’Orientation Politique, qui constitue en quelque le programme du CNR et son analyse des classes sociales, et celui qu’a prononcé Thomas Sankara, le 26 mars 1983, alors qu’il est premier ministre, intitulé justement par la suite Qui sont les ennemis du peuple ?
Certaines réflexions sur la révolution paraissent intéressantes et pertinentes, l’ascétisme de son président, sa compréhension de l’importance des symboles en politique, l’importance donnée à la communication, la capacité de la chefferie à placer ses hommes à différents niveaux, notamment dans les CDR, (on retrouve là la capacité d’adaptation de la chefferie pour garder son pouvoir, au centre de l’ouvrage) obligeant souvent le pouvoir à en dissoudre le bureau, le découpage de Ouagadougou en secteurs, “l’objectif est bien entendu d’abolir symboliquement la mainmise de la noblesse mossi sir un espace urbain dont le nom des quartiers renvoyait souvent au titre du Naaba qui en avait la charge” (p. 278). Pour l’auteur, les attaques frontales contre les chefs prive Thomas Sankara de possibles alliés conjoncturels : “des acteurs qui auraient été en capacité d’accompagner un certain nombre de ses politiques (notamment sur le plan économique, éducatif, sanitaire) mais qui ne pouvaient adhérer à son idéologie“. Or l’ouvrage développe surtout l’idée que la chefferie se consacre essentiellement à la défense de ses prérogatives mais peu l’idée qu’elle serait soucieuse du bien-être de ses populations, la période où elle recrutait pour le travail forcé étant emblématique du peu de cas qu’elle faisait pour son peuple. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle Thomas Sankara, très sensible à l’injustice et aux inégalités, a voulu la mettre hors-jeu.
Et Aujourd’hui
La partie sur la Révolution contient en réalité une bonne partie consacrée au régime de Blaise Compaoré. En quête d’alliance pour consolider un pouvoir encore fragile mais aussi sans doute parce qu’il est mossi lui-même, une de ses premières mesures consistera à inviter de nouveau les Chefs à toutes les cérémonies officielles.
Aujourd’hui encore, la place de la chefferie au sein de la société reste en débat. Elle semble avoir retrouvé son autorité morale traditionnelle puisqu’elle est régulièrement sollicitée pour donner sa bénédiction à toute sorte d’initiatives, touchant de nombreux aspects de la vie sociale, y compris politiques ou associatifs. Cet ouvrage tombe à merveille pour enrichir ce débat en lui donnant de la consistance, bien au-du seul domaine de la recherche scientifique dont il se réclame.
Bruno Jaffré
Tables de matières
- Remerciements - Acronymes - Note sur la transcription du Mooré - Introduction générale - Chapitre 1. Les Mossi : une société pour l’État - Chapitre 2. De la rencontre aux conquêtes coloniales - Chapitre 3. Sortie de guerre. L'ouverture du champ des possibles - Chapitre 4. Une influence hégémonique disputées sur le territoire voltaïque - Chapitre 5. La suppression de la Haute Volta. L'existence dans l'absence - Chapitre 6. L’État indépendant à la recherche du monopole des loyautés - Chapitre 7. De la révolution sankariste à l"automne burkinabè" - Conclusion - Bibliographie - Glossaire - Table des cartes et graphiques.
On se rend compte d’emblée de la fascination de l’auteur pour ll’organisation de la chefferie mossi.
Morceaux choisis :
”une noblesse théoriquement vertueuse, moralement pure, ne trahissant jamais ses sentiments personnels”..
On croirait lire un portrait hagiographique du Noble mossi!
Et pourtant les naabas sont des chefs traditionnels politiques, rien de plus.Le vernis divin de ”roi soleil” n’est que la mystification pour tenir en laisses les masses , les sujets dans la soumission.
Ce livre est pain pour toutes les forces que manoeuvrent pour placer le mohoro naaba au coeurs des tractations politiques occultes du Burkina Faso.
L’acteur politique burkinabè Soumane Touré marxiste dans l’âme les appelle: forces rétrogrades moaga du centre”
#Karim
Cher lecteur,
Travailler sur la noblesse moaaga ne signifie pas défendre la noblesse moaaga. La phrase citée contient bien l’adverbe “théoriquement” qui témoigne de ma prise de distance à l’égard de ce discours que le livre replace dans une perspective historique. Aujourd’hui, il me semble que le pays a surtout besoin de sérénité et d’unité pour affronter les multiples crises qui le menacent. J’ai foi en l’Histoire, dépassionnée mais passionnante, qui permet de regarder sereinement son passé et, je dirais, notre passé, parce qu’il est bel et bien commun.
Merci beaucoup pour le chef-d’œuvre. Vous avez fait un excellent travail. Prochainement je vous propose d’écrire l’épopée des Mossé. Une petite remarque : on dit Mossé pour plusieurs personnes et moaaga pour une seule personne. Le mot mossi est péjoratif. Cordialement
Merci, monsieur, pour votre mot. Effectivement, la graphie la plus rigoureuse, comme expliqué dans le livre, est bien moaaga au sg et moose au pl.”Mossi”, invariable, renvoie effectivement à une francisation qu’il ne faut pas voir comme offensante. Les contraintes éditoriales (très particulières) poussent à publier en direction d’un large public, et donc la forme d’ailleurs encore employée aujourd’hui au Burkina a été retenue. Elle permet aussi l’harmonisation avec les nombreuses sources afin de ne pas perdre le lecteur. Mais votre remarque est bienvenue.
Je remercie Bruno Jaffré pour la lecture très minutieuse de l’ouvrage. Celui-ci a été un véritable défi qui a consisté à réaliser une étude historique, mais aussi anthropologique, d’une noblesse africaine, de territoires, de modes d’identifications et de structures étatiques sur la longue durée. L’exercice s’inscrit dans le prolongement des travaux de mes maîtres: Michel Izard, Claude-Hélène Perrot, Jean-François Bayart, sans oublier les constants encouragements du regretté Joseph Ki-Zerbo. Et de ceux qui ont compté dans l’historiographie du pays: l’universitaire et diplomate afro-américain Elliott P. Skinner en particulier. J’ai précisément conçu mon ouvrage comme le modeste prolongement de son important travail sur l’histoire des Moose réalisé dans les années 1950-1960.
Difficile à la fois de tout traiter, mais aussi de rendre compte des multiples entremêlements de trajectoires historiques, africaines et européennes, dont la complexité rend l’histoire de l’actuel Burkina Faso si fascinante.
Pour répondre à quelques points: effectivement, le titre n’est pas explicité. Mais Bruno Jaffré a posé la bonne hypothèse: l’ensemble du livre invite à cette méditation sur ce que signifie la manducation du pouvoir. La référence est ici double. D’abord, moaaga, elle revoie à cette noblesse dont on dit qu’elle a “mangé le pouvoir” (ri naam), témoignage de l’existence d’une société politique par nature comme l’écrivait l’anthropologue Michel Izard. Autre référence, celle de l’ouvrage de Jean-François Bayart sur l’Etat en Afrique renvoyant à la politique du ventre. Ceci pose, sans jugement, la question de la formation/construction de l’Etat sous l’angle de l’économie morale.
Sur la Révolution: il s’agit à coup-sûr de la partie la plus redoutable à traiter. Constatons que la Révolution occupe 4 années sur les 500 appréhendées d’un regard par le livre. Mais 4 années absolument fondamentales dans l’histoire du pays, il est vrai. L’essentiel de ma recherche a été effectuée sous le régime de Compaoré. Les archives inédites ayant trait à la Révolution étaient presque introuvables sur place, à Ouaga, comme à Paris. L’apport de Bruno Jaffré s’est donc avéré précieux pour saisir cette histoire de la RDP. Des enquêtes orales ont été menées, mais les langues se sont surtout déliées à la suite du soulèvement d’octobre 2014, soit au moment où le manuscrit était remis à l’éditeur. Dire que la Révolution a été marquée par la tentative de construire la communauté nationale par le bas tout en assurant un développement économique et social endogène ne me paraît pas réducteur. Quel programme au contraire! Aucun chef d’Etat ne s’y était risqué en Haute-Volta/Burkina avant lui (cf. mon article paru dans Politique africaine: https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2010-2-page-165.htm). La mobilisation populaire entre pleinement dans cette perspective. En revanche, il est vrai que la politique étrangère du capitaine Sankara n’est guère abordée dans l’ouvrage (voir sur ce sujet un autre article :
https://www.afri-ct.org/author/beucher-benoit/ ). Elle sortait en grande partie du propos de l’ouvrage qui consistait à aborder à nouveaux frais l’histoire des relations entre le pouvoir révolutionnaire et la noblesse moaaga.
Au sujet des ennemis de la Révolution, je comprends bien l’objection de Bruno Jaffré, mais je maintiens le propos. Je n’ignore effectivement pas les deux textes de référence dont il est question. Mais je m’appuie sur de nombreuses enquêtes orales où il a été fréquemment question des règlements de comptes personnels, parfois au sein du voisinage, qui ont été menés sur fond de lutte contre les “ennemis de la révolution”. Les catégories citées rendent d’ailleurs pu compte de la nature exacte de ces ennemis de l’intérieur ou de l’extérieur. Qui sont par exemple les “féodaux”? A quelle réalité historique et à quels acteurs sociaux et politiques ce concept importé renvoie-t-il? C’est là, en tout état de cause, que le débat peut être ouvert. Ce qui montre l’étendue du travail qui reste à réaliser par des générations d’historien(ne)s.