Peut-on considérer le 15 Octobre 1987 comme le début de la "Renaissance démocratique" au Burkina?

 

 

Contributions de Luc Marius Ibriga, maître assistant de Droit à l’Univesité de Ouagadougou, du député Etienne Traoré, de Basile Guissou chercheur au CNRST et de Me Appolinaire Kyelem, avocat. Ces libres opinions sont extraites du numéro 125 de l’Evènement daté du 10 octobre 2007, un numéro spécial sur Thomas Sankara disponible à http://www.evenement-bf.net/index_sank.htm .

 

Luc Marius Ibriga, maître assistant de Droit à l’UO : "La Rectification se voulait un acte d’approfondissement de la Révolution"

L’analyse sur les plans juridique et politique conduit à répondre négativement à cette question. Premièrement, on ne peut pas parler de renouveau démocratique surtout par la manière dont le pouvoir actuel est arrivé. Un coup d’Etat n’est pas un acte démocratique. Par son mode d’avènement, son caractère sanglant, on ne peut pas considérer le régime du 15 Octobre 1987 comme le début d’un renouveau démocratique.

Deuxièmement, le coup d’Etat du 15 Octobre 1987 n’a pas été fait pour nous orienter vers la démocratie. La Rectification se voulait un acte d’approfondissement de la Révolution. Dans la proclamation du 15 Octobre, on a parlé de " dérive droitière " qu’il fallait arrêter. Les intentions affichées n’étaient pas de faire une ouverture, d’instaurer une démocratie. Après le 15 Octobre, les rectificateurs n’ont pas abandonné les slogans révolutionnaires et autres. Ils continuaient toujours à jurer par le centralisme démocratique. Ils continuaient à jurer par les principes révolutionnaires. C’est donc une supercherie que de dire que le 15 Octobre est le début du renouveau démocratique.

Troisièmement, certaines gens ont la mémoire courte. Si l’on prend le discours du président du Faso lors de la mise en place de la Commission constitutionnelle en 1990, la feuille de route était de constitutionnaliser la Révolution. Ce n’était pas de faire une constitution démocratique de type libéral. Même après le sommet de la Baule, il y a eu des réticences pour aller à la démocratie. C’est après avoir vu ce qui est arrivé à Moussa Traoré au Mali en mars 1991 que les tenants du pouvoir ont commencé à réviser leur position. Cela n’a pas empêché que par la suite, l’ensemble du processus ait été accaparé par les structures populaires du régime. Cela veut dire que jusqu’au dernier moment, le souci a toujours été de préserver un pouvoir et non pas de construire une démocratie. Mais par la suite, les facteurs exogènes et les pressions intérieures ont conduit à ce que la constitution soit débarrassée au fur et à mesure des scories révolutionnaires. C’est bien après 1991 qu’on a enlevé ces scories dans la constitution. C’est véritablement faire injure à l’histoire que de voir en cette date du 15 Octobre un renouveau démocratique. Les principes et les règles qui gouvernaient le Front populaire n’avaient rien de démocratique. Ce Front populaire n’était pas une structure démocratique. Si on nous disait le 11 juin 1991, cela passait mieux. Je serais d’accord s’ils avaient attendu 2011 pour nous dire que c’est le 20 è anniversaire du renouveau démocratique. Mais le 15 Octobre ne saurait être vu comme un renouveau démocratique dans la mesure où son mode d’avènement, la philosophie qui l’a guidé et l’esprit qui a présidé à la structuration du pouvoir du Front populaire n’étaient pas dans l’optique de la démocratie.

Ce qui s’est passé tout juste après le 15 Octobre 1987 et qui est considéré comme signes d’ouverture n’étaient qu’une manière de stabiliser le régime, d’avoir les faveurs des groupes qu’on intégrait dans le Front populaire. La preuve, c’est qu’une fois bien assis, le régime a soit éliminé physiquement ceux-là même qui ont été les penseurs du 15 Octobre 1987 comme le Pr. Oumarou Clément Ouédraogo, le journaliste Watamou Lamien, d’autres comme les Etienne Traoré ont été écartés. La plupart de ceux qui ont théoriquement construit le 15 Octobre ont été écartés parce qu’il y avait au départ une supercherie consistant à dire que c’était l’approfondissement de la Révolution alors qu’en fait, c’était l’abandon de cette dernière. Je ne pense pas que même ceux-là qui ont, soi disant, bénéficié de l’ouverture puissent dire aujourd’hui que le 15 Octobre soit le début du renouveau démocratique. Allez-y demander aux gens de l’UNDD ce qu’ils en pensent. Il ne faut pas travestir l’histoire. Le Front populaire reste un régime de police, un régime d’exception. Il n’a pas généré la démocratie. Le renouveau démocratique ne commence qu’avec l’adoption de la constitution en juin 1991. Et même là …

Propos recueillis  par Idrissa Barry

 

Député Etienne Traoré : "le 15 Octobre ne marque pas le début du processus démocratique au Burkina"

 Je dis de façon très formelle, que le 15 Octobre ne marque pas le début du processus démocratique au Burkina. J’étais un des principaux acteurs à l’époque et l’objectif de la Rectification n’a jamais été de rétablir une démocratie de type libéral. Cela n’a jamais été l’objectif de la Rectification. Le retour à cette démocratie a une histoire. Le sommet de la Baule a été un des facteurs. Certains chefs d’Etat qui tentaient de s’y opposer sont tombés. C’est le cas d’Hissein Habré au Tchad, de Moussa Traoré au Mali. A l’époque, Blaise Compaoré avait dit dans Jeune Afrique que ces chefs d’Etat n’avaient rien compris, que le courant était très fort et qu’il ne fallait pas y résister. Le Burkina est allé à la démocratie libérale au forceps. Donc le 15 Octobre n’a rien à voir avec le début d’une démocratie libérale. Ceux qui disent cela essaient de travestir l’histoire

Propos recueillis  par Idrissa Barry

 

 

Basile Guissou, Chercheur au CNRST : " La renaissance démocratique date du 4 août 1983 "

Moi j’irai même jusqu’ au 4oût 1983 pour dater le début de la renaissance démocratique au Burkina. C’est avec les histoires qu’on écris l’histoire. Chacun a son approche, sa sensibilité, son angle de lecture. Moi je vous dirai que c’est le 4 août 1983 que le Burkina a entamé sa véritable renaissance démocratique. Je pense que c’est la Révolution démocratique et populaire qui a amené la démocratie. C’est une génération qui a mis fin à l’ancienne génération et qui a décidé que dorénavant, les choses ne seront plus comme avant. Je pense qu’on a quatre Républiques et chacune a sa spécificité. La quatrième République est un produit de la Révolution. La polémique autour du 15 Octobre comme début de la renaissance démocratique, je ne la partage pas. C’est une génération qui est arrivée au pouvoir en 1983 et qui a tout à fait le droit de situer les faits marquants de sa gestion de pouvoir et de les interpréter. D’autres peuvent en avoir une autre approche. Il y en a qui pensent par exemple que c’est à partir du 2 juin 1991 avec l’adoption de la constitution que commence la démocratie. D’autres peuvent dire que c’est à partir du 11 juin 1991 parce que une chose est le referendum une autre est la promulgation.

Comme je l’ai dit tantôt, nous avons mis fin en 1983 à 23 ans de néocolonialisme dans notre pays. Je pense que l’indépendance politique de 1960 a eu ses limites. C’est une lutte qui a été dirigée par une classe politique nationaliste certes, mais qui n’avait pas une vision et qui est restée dans le carcan des Français. Elle n’a pas véritablement accédé à ce que je peux appeler une souveraineté véritable. Donc la rupture du 4 Août 1983 est un nouveau départ pour le Burkina. Si on parle de Révolution démocratique et populaire, pour moi, le terme démocratique contenait les aménagements futurs pour arriver à l’évolution actuelle. C’est comme cela que je vois le problème.

Je dis dans mon livre " Burkina Faso, un espoir en Afrique ", sorti en 1995, que s’il n’y avait pas eu de CDR, il n’y aurait pas eu de Révolution. Tout ce qui a été fait par les CDR a contribué aujourd’hui à politiser davantage notre société. Tous nos partis politiques recrutent leur personnel dans ce capital des CDR. Quand on parle aujourd’hui de ces CDR, on met l’accent sur les fractions les plus réactionnaires, à savoir les CDR voyous, les CDR brouette comme on le disait à l’époque. Mais on a oublié qu’il y avait de très bons CDR. S’il n’y en avait pas, la situation n’aurait pas été comme elle a été. 5 millions d’arbres plantés par an, 700 écoles construites, 2,5 millions d’enfants vaccinés etc., ce sont les œuvres de ces CDR que l’on vilipende aujourd’hui. Ils ont transporté les enfants sur leur dos pour traverser des mares et des rivières pour réussir l’opération "Vaccination commando ". Cela, on n’en parle pas. Beaucoup d’autres choses ont été faites. L’alphabétisation de masse, c’est grâce aux CDR. Le barrage du Sourou avec sa vallée a été construit sans un seul dollar d’aide extérieure. Les 640 millions étaient des fonds propres avec l’apport des CDR. Le barrage est là. En le réussissant, nous avons doublé la quantité d’eau stockée au Burkina Faso de 300 millions à 600 millions de m3. Je pense que ce sont des réalités palpables qui montrent que la démocratisation de la vie politique a été le fait des CDR. Des veillées débats pendant 4 ans ne se sont pas arrêtées dans les secteurs et les villages. Les élections des CDR étaient les plus démocratiques qu’on puisse trouver. Cela se faisait dans les écoles, sur les barriques et les tables. Les gens s’alignent et la queue la plus longue l’emporte. Je pense que c’est démocratique. On n’a pas besoin d’urnes ou de bulletins infalsifiables comme on le fait actuellement

Propos recueillis  par Idrissa Barry

 

Me Appolinaire Kyelem, avocat : " Un processus démocratiquene s’enclenche pas avec l’assassinat d’un président "

 Il n’est pas exact de soutenir que le 15 Octobre 1987 marque le 20 è anniversaire de la renaissance démocratique au Burkina. C’est vraiment mentir au peuple que de soutenir cela. Est-ce qu’un processus démocratique s’enclenche avec l’assassinat du président en exercice et ses collaborateurs, avec le massacre d’une unité de l’armée à Koudougou et de tous les autres assassinats ? Je ne fais pas de la politique partisane. Je suis un académicien qui essaie de faire des analyses objectives. Sans doute que la 4 è République a des lauriers à glaner. Pour moi, l’élément le plus fondamental, c’est le respect de la vie humaine. Or, je constate qu’il n’y a jamais eu autant de pertes en vie humaine pour raison d’opinion politique que sous ce régime. Essayez de voir le nombre de morts entre le 15 Octobre 1987 et l’adoption de la constitution et vous verrez qu’on est loin d’un régime démocratique. Même après l’adoption de la constitution en juin 1991, il y a eu plusieurs assassinats dont Oumarou Clément Ouédraogo, Norbert Zongo. Il y a eu l’affaire embrouillée de David Ouédraogo. Au lieu d’envoyer le présumé coupable de vol dans une brigade de gendarmerie ou dans un commissariat, c’est dans une caserne militaire qu’il a été conduit. C’est une démocratie ça ? Nous ne sommes pas dans un Etat de droit. Tous les moyens sont entre le parti au pouvoir. Les principes républicains ne sont pas respectés. Voyez les réticences de la télévision nationale à couvrir les manifestations entrant dans le cadre de la commémoration de l’assassinat du président Thomas Sankara. Si elle était républicaine, elle allait donner la parole à tout le monde et laisser le peuple choisir. Je dis que nous sommes assis sur des braises car, quand aucun moyen d’expression n’est donné à quelqu’un, il ne lui reste plus que la voie de la violence. Il faut éviter de frustrer les gens, même quand vous êtes les plus forts parce que quand ils sont acculés, vous ne savez pas jusqu’où ils peuvent aller. Ce n’est pas en violant le droit à l’expression de la partie adverse qu’on va fêter le 20 è anniversaire du processus démocratique

Propos recueillis  par Idrissa Barry

 

Source : http://www.evenement-bf.net/pages/sank_3.htm

1 COMMENTAIRE

  1. Quel drame idéologique?
    Même si le 15 octobre a marqué la fin d’un processus et le debut d’un autre, il serait ignoble et tragique de considérer cette époque comme le l’avenement d’une rennaissance démocratique. Celà n’est plus une question d’inteligence mais un probleme de grammaire.Nous savons tous que c’est apres le 15 octobre qu’il ya eu le plus de tuerie dans l’histoire de ce pays.Alors comment peut on considérer cette péiode de ténèbre ainsi? eT Même après l’adoption de la constitution du 2 juin 1991 le peuple burkinabe est resté plongé dans la tracasserie politique, la corruption, la gabégie, la torture morale et intellectuelle à nos jours. qui n’a pas vu ou subi? QU’EN PENSEZ VOUS?

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