L’exécution, non publique, des auteurs du putsch avorté du 28 mai (NDLR : 1984) a créé émoi et surprise à l’étranger. Le régime du capitaine Sankara ne s’était-il pas distingué par la clémence des verdicts, émis par les tribunaux populaires de la révolution, à l’encontre des représentants des régimes néocoloniaux et corrompus qui se sont succédé depuis l’indépendance ? C’était, notait-on d’ailleurs, un juste retour des choses, car ces régimes-là avaient aussi été « cléments » avec leur opposition…notamment celle actuellement représentée au pouvoir ! On peut certes déplorer, que la révolution du 4-Août ait été contrainte de faire une entorse à cette tradition de non-violence que l’on souhaiterait voir partout répandue sur le continent africain. Mais peut-être faudrait-il remarquer, au vu des faits et des preuves, que ceux-là mêmes qui ont été condamnés à la peine capitale ont fait plus qu’un premier pas vers le piétinement de cette tradition.

Une enquête de nos envoyées spéciales CHERIFA BENABDESSADOK et AUGUSTA CONCHIGLIA

…Les putschistes auraient réussi à rééditer « le coup de mai Cette fois, ils étaient décidés à aller jusqu’au bout. Nos envoyées spéciales reconstituent la chronique de ce coup d’État avorté.

Ouagadougou, cinq heures du matin, un jour de mai. Peu de mobylettes et de bicyclettes dans les rues à cette heure-là : le couvre-feu vient seulement d’être levé. Tout à coup, l’air calme est déchiré par des crépitements d’armes automatiques, suivis par les stridulations de la sirène de la mairie. Puis, de nouveau le silence. Un silence angoissant pour les Ouagalais qui s’apprêtaient à entamer une nouvelle journée de travail. Que se passe-t-il ?

Inutile de brancher la radio, ceux qui l’ont déjà fait n’en sont que plus inquiets : elle est muette. Dans les casernes, c’est l’alerte générale. Les soldats prennent position ; les unités mobiles se dirigent vers les points stratégiques de la capitale. Désormais, tout paraît clair c’est une tentative de coup d’État. Une foule de civils a déjà rejoint les unités militaires les plus proches ; ils réclament des armes. Ce sont des militants des C.D.R. (Comité de défense de la révolution) qui avaient reçu dans les centres de leurs quartiers l’entraînement militaire de base et les instructions en cas de mobilisation générale. Mais, à leur étonnement, les soldats opposent un refus et leur demandent de rentrer chez eux. Certains protestent, d’autres craignent le pire « Le coup aurait-il réussi ? »

On se précipite chez les dirigeants…qui ne semblent pas inquiets outre mesure. Ainsi, le secrétaire général du ministère de la Justice trouvera son ministre encore chez lui. N’est-il pas au courant ? Oui, il sait. En effet, le C.N.R. (Conseil national de la révolution) avait décidé de tester, ce 8 mai, le degré d’organisation de l’armée en pleine mutation et la réaction populaire en cas de tentative de coup d’État. Test politique, bien sûr, mais aussi test d’efficacité, car on a des raisons de s’inquiéter : les services de sécurité savent que quelque chose se prépare.

Des officiers d’active et d’autres, mis en retraite anticipée depuis le 4-Août, complotent. Ils veulent prendre le pouvoir. Par la force. Surveillé de près depuis quelque temps, leur groupe est infiltré par des hommes loyaux au régime du capitaine Sankara. Mais les ramifications et les appuis du réseau se trouvent surtout à l’extérieur, et on ne connaît pas encore son importance réelle. Un ministre plénipotentiaire, Paul Rouamba, ex-ambassadeur à Washington, généralement bien connu à l’étranger, entretient des contacts qui se révéleront très importants pour l’aboutissement du complot. Un capitaine, Jean-Claude Kamboulé, qui s’était enfui pendant la nuit du 4-Août en Côte-d’Ivoire, a également un rôle clef dans la coordination extérieure, alors qu’un homme d’affaires de Ouagadougou, Adama Ouédraogo, sera l’agent de liaison. Jouant la vedette, ce commerçant, connu pour sa mégalomanie, espérait que l’État voltaïque reviendrait à la traditionnelle équation : pouvoir égale gain ; avec, pour lui, un bon poste en prime. C’est ainsi qu’au nom des comploteurs, il rencontrera à deux reprises le professeur Ki-Zerbo à Dakar, un restaurant », précisera-t-il dans ses aveux.

« Dégagés » et affairistes

Connaissant le crédit dont le professeur aux ambitions de plus en plus démesurées jouit auprès de certains cercles politiques français et ses introductions en Occident, les comploteurs avaient misé sur lui comme candidat à la succession du capitaine Sankara. En fait, Ki-Zerbo devait jouer un rôle déterminant pour la réussite du coup assurer l’intervention des troupes étrangères. Le putsch ne pouvait aboutir sans cette « contribution » extérieure.

En effet, le lieutenant Maurice Ouédraogo, du groupement d’artillerie de Ouagadougou, qui aurait dû investir l’aéroport de la capitale toute proche de base, n’aurait pu résister indéfiniment. D’autant que c’est lui, encore, qui devait assurer l’occupation des autres points vitaux de la capitale. Même si la gendarmerie, dont étaient issus certains dégagés des officiers putschistes avait rejoint le camp puis le 4-Août des contre-révolutionnaires, comme ceux-ci pouvaient bien à tort l’espérer, ils n’auraient pas pu tenir longtemps les positions éventuellement conquises.

Aussi le deuxième volet du plan, l’intervention de troupes étrangères, devait suivre de peu le déclenchement de l’action des putschistes. Il suffisait pare de brûler quelques véhicules appartenant à des étrangers pour justifier » la thèse, classique dans ces cas-là, de l’insécurité des expatriés, explique-t-on à Ouagadougou. La question du timing, du jour J était également réglée. Ce serait lors de la visite officielle en Côte-d’Ivoire du président Sankara, prévue initialement pour le 20 mai et reportée au 28 mai à la demande des autorités ivoiriennes, L’absence du chef de l’État et la liquidation de certains dirigeants importants auraient atténué la responsabilité morale des commanditaires de l’intervention étrangère.

Pourtant, l’échec total des contacts, pris avec plusieurs responsables des garnisons du pays par l’électricien Sitongo Sawadogo (qui avouera ensuite), devait donner aux putschistes l’exacte mesure de l’état d’esprit de l’armée : elle n’est plus la même qu’avant le 4-Août.

Mais encore, last but not least, ils comptaient sur le « prestige » de l’ex colonel Didier Tiendrébeogo supposé capable de mobiliser les nostalgiques des « pouvoirs occultes » que la cour du Moro Naba, héritière du royaume mossi du Centre, avait eus sur les régimes antérieurs, cet officier ayant été l’un des représentants actifs de l’influence de la cour sur la politique d’État. Mais à l’heure des tribunaux populaires de la révolution, la réputation de l’ex-colonel, « dégagé » dès les premières heures du nouveau régime, était déjà bien trop ternie par le souvenir de sa gestion fort peu scrupuleuse de la ville de Ouagadougou, dont il avait été maire.

Porté sur les affaires, Didier Tiendrébeogo ne se trouvait pas, même après son « dégagement, dans la détresse. C’est ce dont témoignent les factures des loyers qu’il percevait un million de francs C.F.A. par mois. Ainsi, on peut comprendre qu’il fut difficile à croire quand il justifia sa récente visite à l’ambassade américaine par un laconique mais révélateur : « Je cherchais un emploi… » Peut-être celui de ministre de la Défense !

Coïncidence troublante : à Ia même période, le capitaine Kamboulé se rendait en Israël. État avec lequel aurait également dû prendre contact le professeur Ki-Zerbo, aux dires du commerçant Adama Ouédraogo. Quant à la rédaction de la déclaration du putsch et du programme du nouveau régime, elle avait été confiée par le groupe à Paul Rouamba, « le seul qui en aurait été capable », précise le quotidien de Ouagadougou « Sidwaya ». Et c’est la veille de la date fixée pour le coup que le capitaine Sankara mettra fin au complot ; le premier groupe sera arrêté pendant la nuit du samedi 26 au dimanche 27 mai, les autres en l’espace de quelques jours, sur la base des aveux obtenus entre-temps.

Sévérité et clémence

Tous passeront devant la cour martiale le 11 juin. Le verdict sera à la mesure du danger que les comploteurs ont fait courir au pays : sept condamnations à mort sentence immédiatement exécutée- Il s’agit des six militaires, dont trois en activité, et de l’homme d’affaires Adama Ouédraogo. Les cinq autres inculpés, dont l’ex-ministre plénipotentiaire, sont condamnés à des peines de travaux forcés. Quant aux membres du gouvernement pressentis par les putschistes, ils seront purement et simplement relaxés, faute de preuves tangibles et irréfutables.

La sévérité de la sentence a certains observateurs étrangers qui remarquer que le régime Sankara a tourné une page dans l’histoire de la Haute-Volta. On oublie cependant que les mises en garde n’ont pas manqué depuis plusieurs mois. Les dirigeants voltaïques ont conscience preuves concrètes en main que la partie qui se joue est décisive et qu’au-delà de leurs vies qui sont menacées c’est tout un processus qui est visé.


BLAISE COMPAORE : « Ce que nous souhaitons de Paris… » …

S’il est vrai qu’en mai 1984, les rapports entre la France et la Haute-Volta du 4-Aout étaient encore entachés du péché originel » la complaisance Paris à l’égard du coup de force anti-Sankara du 17 mai 1983 tout portait à croire que la normalisation était en bonne voie. Et la visite à Paris du Capitaine Blaise Compaoré, prévue depuis plusieurs semaines, s’inscrivait dans cette optique, Mais, encore une fois, les événements de mai ont fait renaître la méfiance…

Ki-Zerbo aurait-il obtenu de certains milieux politiques français l’assurance d’une aide pour réussir le putsch ? Aucun élément concret ne permet de répondre par l’affirmative. Si, à Paris, on dément qu’une telle éventualité pouvait être les putschistes ont déclaré dans leurs aveux que Ki-Zerbo s’était engagé auprès d’eux à obtenir cette aide étrangère. C’est dans un climat empoisonné par ce doute qu’est intervenue la visite de Blaise Compaoré, numéro deux voltaïque, les 18 et 19 juin dernier.

A l’issue de deux longs entretiens avec Guy Penne, conseiller du président Mitterrand, et le ministre de la Coopération, Christian Nucci, le capitaine Compaoré nous a déclaré : « De part et d’autre, nous avons posé très franchement les problèmes. Je crois que cela a été positif, car bien des nuages ont été dissipés. » Quant à la coopération entre les deux États, « on a constaté une identité de points de vue précisait le capitaine, qui repartait pour Ouagadougou en compagnie du chef de la délégation du ministère de la Coopération pour la deuxième série de rencontres concernant la révision des accords.

En juillet, lors de la visite de Nucci en Haute-Volta, les nouveaux textes seront adoptés. Pour nous, a-t-il ajouté, cela est d’une importance capitale, car on ne peut faire une politique nouvelle dans le cadre néocolonial d’accords signés voici vingt-trois ans. Nous ne demandons, en tait, que l’application de la politique préconisée par le 10-Mai.

En effet, toutes les conditions paraissent réunies pour une coopération dans les termes souhaités par Paris ainsi que l’affirmait, le 13 juin dernier, l’ambassadeur français à Ouagadougou, Jacques Leblanc : « Le gouvernement voltaïque a une attitude exemplaire dans le choix des projets. » Le dialogue entre Ouagadougou et Paris est donc préservé. L’intérêt mutuel commande qu’il soit développé. C’est en tout cas, le souhait des Voltaïques.

CHERIFA BENABDESSADOK et AUGUSTA CONCHIGLIA

Source : Afrique Asie N°325 du 2 juillet 1984

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