EXCLUSIF SENEPLUS – 21/02/2023/ Voici que l’État burkinabè parce que tout puissant refuse d’écouter sa famille qui a besoin d’un peu de sérénité pour commencer enfin son deuil après cette longue marche pour dignifier sa mémoire.

Par Koulsy Lamko

L’on aura beau éprouver une immense sympathie pour les nouveaux dirigeants du Burkina Faso et pour cause le caractère anti impérialiste de l’orientation politique qu’ils essaient d’imprimer à la marche du pays, les velléités panafricanistes avec la création d’une fédération Burkina-Mali, le courage et la détermination dont ils font preuve dans la mobilisation des forces vives en vue de la libération du territoire et la  guerre contre les djihadistes…, l’on ne peut que déplorer la décision hâtivement prise de faire fi de l’avis de la famille Sankara quant au site de  l’inhumation décente des restes du capitaine-président.

Les observateurs, la presse nationale et internationale, les réseaux sociaux, se font depuis quelques temps l’écho d’une espèce de raté monumental qui laissera une fois de plus dans l’histoire de la patrie des hommes intègres un goût d’inachevé grave. Cela depuis l’annonce par les autorités burkinabè des cérémonies de ré-inhumation des restes des martyrs du 15 octobre, exhumés en 2015 pour les besoins de l’instruction de l’affaire Sankara. Qu’en est-il donc ?

Un clin d’œil rétrospectif : depuis plus d’une trentaine d’années la veuve Sankara, ses enfants, entourés de la famille et accompagnés par le Collectif des avocats Sankara, le Comité International Justice pour Sankara réussissent à imposer et de façon digne, la nécessité de la lutte contre l’impunité. Le procès historique des assassins du père de la révolution et de ses compagnons qui a eu lieu en 2021-2022 vient couronner une longue marche. L’on se perdrait d’ailleurs dans les dédales du labyrinthe, des allers retours devant les instances juridiques les plus inattendues, des procès avortés, des tentatives de corruption et d’humiliation, des menaces à l’endroit des avocats, etc. si l’on voulait en arpenter les méandres.

Le verdict du procès qui condamne les assassins est donné par un tribunal lui aussi digne, juste, et, qui n’attend que d’être exécuté. Inhumer enfin Thomas Sankara ? Pourquoi pas ? Un enterrement décent pour qu’enfin repose ce héros et digne fils de la nation !

Cependant, sa veuve, ses enfants et sa famille souhaitent que les événements qui accompagnent ce cycle se fassent en bonne entente et concertation pour trouver un consensus qui conserve cette dignité à laquelle ils tiennent et qu’ils veulent préserver.

En effet, et pour rappeler les faits récents de décembre, lors des réunions d’organisation des obsèques, à l’initiative du Service des pompes funèbres militaires, la famille du défunt a marqué son désaccord quant au choix du lieu : le Conseil de l’Entente, théâtre de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons. Il n’est d’aucun mystère que ce lieu de mise à mort violente et où d’autres crimes odieux ont été perpétrés, reste négativement chargé pour ses proches et bien d’autres gens. De nombreuses autres propositions ont été faites par la suite par la même famille pour trouver un consensus de sorte que les restes soient inhumés dans un espace tiers tel que le Monument des Martyrs à Ouaga 2000, le cimetière de Dagnoën, ou éventuellement d’autres encore moins marqués en l’occurrence le Jardin de l’Amitié au bout de l’avenue Thomas Sankara.

Force est de constater que les autorités en charge du service des pompes funèbres militaires et le gouvernement opposent catégoriquement une fin de non-recevoir aux doléances de la famille. Les raisons évoquées publiquement pour l’élection du site du Conseil de l’Entente sont nombreuses. Il est cependant difficile de se rendre aux arguments égrenés par le Colonel Major Sibiri Coulibaly, l’officier du service des pompes funèbres, pour ce qu’ils n’ont rien de convaincant.

Primo, dans l’émission du journal télévisé de 20h du 17 février 2023, une mise au point sans doute motivée par les nombreux messages et vains appels de la famille Sankara, l’officier-major dit ceci : « les autorités coutumières nous ont fait savoir qu’il faut ramener les restes là où le drame a eu lieu, si vous voulez qu’on lave vraiment le sol et que ce soit profitable pour tout le monde et pour toute la nation. » Une justification on ne peut plus surprenante eu égard à son coté un tantinet pensée magique et qui naît d’un préjugé irrationnel. Ré-inhumer les restes de Thomas Sankara serait alors garant de paix et d’unité, pourvu que ce soit au même lieu où il a été assassiné : le Conseil de l’Entente ! Difficile d’épiloguer sur les croyances et superstitions des uns et des autres puisqu’ici la subjectivité s’y invite nécessairement. Un autre pourrait dire qu’un ange lui a parlé dans son sommeil et que le message de Jéhovah ou Raël lui recommande que jamais l’on n’enterre un corps de supplicié à l’endroit où le sang a été versé.

(Soit dit en passant, il devint nécessaire et vital à nous peuples africains d’apprendre à cesser de nous confier aux visions médiévales que nous érigeons en principes et arguments d’autorité par soucis de culturalisme, de respect religieux ou de traditionnalité. Un peu de rationalité dans nos politiques et systèmes de gestion ne nous fera pas de mal. Surtout lorsque des décisions doivent se prendre dans les cercles de gestion de la chose publique. Et, que l’humanisme dont nous nous réclamons se décline par rapport aux exigences objectives d’actions et de pratiques ! Les présupposés tirés de la manche du prestidigitateur comme un ramier blanc, deviennent à la longue des mantras sans signifiance mais qui confortent les peuples dans l’obscurantisme : la fabrique de l’esprit non critique bénéfique au leadership organique prompt à « apprendre aux gens à croire plutôt qu’à penser. » parce que c’est le plus facile à organiser dans les stratégies de contrôle des masses et d’ingénierie sociale.)

Qu’on se le dise : que l’on s’en remette à l’opinion des responsables coutumiers culturels traditionnels et religieux (devenu argument d’autorité) pour décider de l’issue d’un sujet aussi grave laisse pantois. Ce n’est certainement pas par la pensée magique que l’on restaurera l’intégrité du territoire burkinabè. Les militaires le savent bien, eux qui risquent leur vie à tout moment sur les champs de bataille. Le système monstre clientéliste qui a gangrené le Faso post Sankara, la corruption rampante, l’embourgeoisement éhonté de certains responsables des forces de l’ordre et militaire, la propension à l’insouciance petit-bourgeois d’une certaine élite politique prompte à louvoyer, à migrer et à transhumer d’un parti politique à l’autre, d’une Assemblée à l’autre, ont créé les conditions de la fragilité d’un pays autrefois uni et fier et par là même celle de la facile pénétration du djihadisme. Bien sûr cela n’explique pas tout du succès que rencontre la guerre par proxy que l’Occident et les pays arabes font aux peuples sahéliens, mais… encore.

Secundo. Le service des pompes funèbres fait état des résultats de l’étude qu’auraient menée des experts communaux pour estimer que le site du Monument des martyrs ou autres espaces, ne sont pas des lieux adéquats pour des raisons de sécurité… Un petit bout des trouvailles éclairées de cette consultation technique et logistique des sites, dévoilé, nous aurait permis de comprendre pourquoi les restes de Thomas Sankara et de ses compagnons, ont pu demeurer pendant une vingtaine d’années au cimetière de Dagnoën en sécurité (sans profanation) et qu’ailleurs ils ne le seraient pas… Il n’en fut rien. Hors du Conseil de l’Entente, point de salut !

Enfin, la grande « parabole du corps du militaire qui appartient à l’armée » : « Sankara est militaire et étant militaire, le corps appartient à l’armée et c’est elle qui doit s’occuper de tout… décider de tout. On associe juste la famille pour l’organisation des obsèques… Et puis il a été président…  Il n’est pas question d’écouter d’autres personnes… ». Bien sûr que le corps du militaire vivant est dédié à la défense de sa patrie. Il en prend l’engagement et c’est ce qui fonde même sa dévotion extrême et son abnégation totale dans l’exercice de ses fonctions. Sacro-saint principe ! Mais si le Colonel Major avait daigné nous lire le texte de loi pour nous convaincre de ce qu’il peut advenir « au corps mort », nous l’aurions découvert dans son entièreté : Loi n°038-2016/an portant statut général des forces armées nationales. Article 183 : En cas de décès du militaire, la dépouille mortelle appartient à l’armée. Toutefois, dans certaines circonstances et sur demande de la famille, l’armée peut, après la cérémonie militaire remettre le corps aux parents » Toute disposition prévue par les textes qui ne consacre en rien l’impératif catégorique que l’on veut nous faire avaler. A moins que les textes aient changé entretemps.

C’est en tout état de cause, dans cette marge si étroite soit-elle que s’inscrit la requête de la veuve Sankara et des enfants, que le Colonel-Major se garde bien de désigner puisque pour lui il n’est pas question d’écouter d’autres personnes. Ces autres personnes, répétons-le, sont la veuve et les enfants de Thomas et sa famille ! Et qui, avouons-le, ne sont pas moins légitimes que les autorités coutumières religieuses traditionnelles et les membres du bureau du Comité du Mémorial. Quant au mépris à l’endroit de la veuve, l’on n’oserait pas pousser l’indélicatesse de dire qu’un peu moins de culture misogyne ne nous fera pas de mal non plus. D’autant plus que celui dont il s’agit et dont tous nous nous réclamons des idéaux, a fait de la libération de femme et de la santé de l’enfant quelques points cardinaux de sa politique révolutionnaire. Et si l’État fort doit décider de tout, à coup d’impératifs socio-culturels et de sécurité, il devrait alors aussi, magnanime, prendre en compte la douleur d’une veuve et des enfants que l’on a violemment sevrés du père.

Tout compte fait, l’on en arrive à se poser des questions de détails… incongrues. Et dans ces circonstances-là c’est dans les détails que se dissimule le diable. En effet, pourquoi donc organiser l’événement d’enterrement décent en deux temps ? L’une des étapes en février 2023 (obsèques et ré-inhumation selon les rites funéraires coutumiers et militaires) et l’autre à la date du 15 octobre (cérémonies nationales et internationales d’hommage aux victimes) ? Quels sont les raisons qui prévalent à tel agenda précipité ? Pourquoi ne pas en prendre le temps de l’organisation surtout qu’en ce moment crucial de l’histoire du pays, les forces mobilisées sont dirigées vers la lutte pour préserver l’intégrité du territoire national ? Le procès en appel a-t-il déjà clos définitivement ses portes… lorsque certains condamnés vont et viennent librement sans être en rien inquiétés et que l’État lui-même organise leur promenade ? Difficile de trouver des réponses objectives.

Le Mémorial Thomas Sankara, parlons-en ! Belle initiative pour être un projet porté par un groupe d’acteurs composés de cinéastes, d’artistes, de journalistes, des compagnons de la lutte de la révolution d’août 1983. D’Afrique en Europe jusqu’aux États-Unis, plusieurs collectes et levées de fonds ont été initiées pour construire le monument sur le site du Conseil de l’Entente. Et le projet se définit comme un site touristique et de pèlerinage… à Ouagadougou au Burkina Faso. Il est bâti sur le lieu symbolique du Conseil de l’Entente où a lieu l’assassinat de Thomas Sankara ... La statue géante du père de la révolution Burkinabè a connu une correction avant d’être ouvert officiellement en 2020. »

Pourquoi donc ne pas garder du Mémorial juste le caractère symbolique, du moment qu’il se présente comme un lieu « touristique » ou de « pèlerinage » ?

Le danger est là qui souvent nous guette, même au plan des représentations symboliques que l’on cherche à incarner par des expressions artistiques modernes d’architecture, d’installation sculpturales et autres objets artistiques marketing. On marche sur une fine crête, parfois en voulant bien faire. Le mélange des genres est à l’affût, qui peut très vite nous faire basculer et nous inscrire dans ce que l’autre décrit par les mots suivants, s’agissant de la tragédie du nègre construit par le regard occidental : « dans les étapes du culturalisme, l’on court le risque de succomber à la progression du : tu deviens un profil scientifique, un type, un débat anthropologique, pour finir en sujet photographique » : la reddition à l’esthétique désincarnée ou au culte de la personnalité.

Sankara s’est battu de son vivant pour nous arracher à nos destins de colonisés vautrés dans l’impuissance et l’applaventrie dans lesquelles nous enfermaient les visons de soumissions réactionnaires. De la femme, de l’enfant, il a tenu le bras, le poignet pour les planter debout. De la culture il en a fait un espace dynamique dont il fallait extirper le caractère féodal obscurantiste pour en conserver ce qui nous projette dans le monde contemporain intelligible, fait de rationalité et de bon sens.

Voici que l’État parce que tout puissant refuse d’écouter sa famille qui a besoin d’un peu de sérénité pour commencer enfin son deuil après cette longue marche pour dignifier sa mémoire ! La famille a raison quand elle dit que ce sera une seconde mort de Thomas.

L’on ne peut s’empêcher de penser à Antigone emmurée vivante dans le tombeau des Labdacides, par Créon pour avoir voulu enterrer décemment le corps de son frère Polynice. Hélas l’on nous dira que les lois de la cité sont au-dessus des lois naturelles. Et puis Antigone, c’est de la Grèce antique. Pas d’Afrique !

Koulsy Lamko

Source : https://www.seneplus.com/opinions/quenfin-thomas-sankara-repose-en-paix

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