Pour la troisième fois depuis 2009, la naissance du Président Capitaine Thomas Sankara a été célébrée à Ouagadougou le 21 décembre 2011. Anciens acteurs de la Révolution, étudiants, élèves, militants d’association… ont rallié une fois de plus le Centre de Presse Norbert Zongo pour rendre Hommage au Père de la Révolution d’août 1983 à 1987 au Burkina Faso. On trouvera ci-dessous, un reportage d’Amidou Kabre qui rend compte des différentes activités qui se sont déroulées durant cette journée, et un résumé de l’exposé introductif de Thomas Sankara.
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Sankara Revival 3eme édition. Reportage
Amidou Kabré
La date du 21 décembre est en passe de devenir sacrée pour les défenseurs de la pensée politique et de l’œuvre d’un homme d’Etat qui a vécu utile : le président Thomas Sankara. Cette date est consacrée au souvenir de sa naissance. Dans une brève allocution introductive qu’il a prononcée devant plus d’une centaine de participants, le principal organisateur de l’activité, Karim Sama alias Sam’S K Le Jah, a montré toute l’importance qu’il entend donner à la date anniversaire de la naissance du père de la Révolution Burkinabè assassiné le 15 octobre 1987. « J’ai voulu copier un peu les chrétiens et les musulmans qui célèbrent la naissance de Jésus et de Mohamed. Même si de temps en temps ils pensent à leur mort, ce ne sont pas des jours aussi fêtés que les jours de leur naissance. » Explique-t-il.
Cette nouvelle façon de rendre hommage à Thomas Sankara rompt ainsi avec les traditionnelles manifestations chaque 15 octobre, date anniversaire de son assassinat. En une journée, le reggaeman burkinabè et ses collaborateurs ont donc voulu faire le tour des idéaux de leur idole à travers, exposition, conférence, prestations d’artistes et échanges nourris de débats.
Le centre de presse Norbert Zongo qui a accueilli l’évènement ne s’est pas désempli avec la présence d’élèves, étudiants et plusieurs personnes ressources qui ont servi la cause révolutionnaire entre 1983 et 1987. Au cours de ce rendez-vous du « donner et du recevoir », le public a d’abord eu droit à une exposition d’œuvres audiovisuelles, romanesques, journalistiques et amateurs comme ces panneaux taillés au bois sur lesquels des citations extraites des discours de Thomas Sankara sont écrites. Accrochées sur les fleurs et parfois aux branches des arbres, ces citations donnent à revisiter les principaux rayons de la pensée combative et intrépide de l’homme du 4 août 1983, le père de la révolution burkinabè ou encore comme on l’appelle affectueusement dans certains milieux de luttes émancipatrices, le CHE AFRICAIN.
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L’autre point d’attraction de la journée de ce 21 décembre a été incontestablement la conférence-débats animée par le docteur Nébié Bétéo, un des intellectuels qui ont activement contribué à l’essor de la révolution dans le domaine de la recherche scientifique.
Linguiste de formation, il a servi à l’Institut des Peuples Noirs créé par Thomas Sankara. Avec une fierté imparable, il raconte son expérience en tant qu’acteur vivant de la révolution. Mais avant de commencer, le public est invité à suivre une sorte de prière comme, dit-il, le faisaient les ancêtres et dite par un Anglais en 1888:
«Dans les ténèbres qui m’acèrent, noirs comme un puits où on se noie
Je rends grâce au « dieu » quel qu’il soit pour mon âme invincible et fière
Dans de cruelles circonstances, tu n’es génie ni pluri
Meurtri par cette existence, je suis debout bien que blessé
En ces lieux de colère et de peur …
Je ne sais ce que me réserve le sort, mais je suis et je resterai sans peur
Aussi étroit le chemin, nombreux les châtiments infâmes
Je suis le maître de mon destin
Je suis le capitaine de mon âme »
Après ces paroles qui en disent long sur son attachement à la cause révolutionnaire, le docteur Nébié axe son intervention sur sa propre expérience sous la révolution que l’on peut résumer en trois points : la traduction de l’hymne nationale dans toutes les langues nationales maîtrisées par l’écriture (1985), son voyage à Libreville ou la découverte de l’estime et la considération réservées aux Burkinabè à l’extérieur du pays (mai 1987), ses vingt ans de service à l’Institut des Peuples Noirs.
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Dans son témoignage, le docteur Nébié révèle que sur initiative du Président Sankara que l’hymne national du Burkina Faso a été traduit et chanté en douze langues locales nationales par des linguistes Burkinabè dont il fait partie.
En guise de félicitation, le Président les rencontre un matin à la fin de leur travaux et leur parla en ces termes : « Camarades, je suis venu vous remercier parce que vous avez rendu tangible un mot de la révolution de la Révolution Démocratique et Populaire, à savoir que tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme. Si nous avions demandé à des spécialistes de venir faire le travail que vous avez abattu, ils auraient pris des années et des millions et ce n’est pas sûr qu’ils auraient été meilleurs. Mais vous l’avez fait en moins de deux mois pour rien. Et si je ne suis pas venu vous encourager auparavant, c’est parce que je voulais vous donner l’impression que j’étais sûr que vous pouviez le faire. En venant vous encourager, je vous aurais affaibli dans votre production. J’ai donc voulu vous laisser l’initiative que vous pouviez le faire. »
Et Sankara d’ajouter un secret: « Le jour où on avait décidé de traduire l’hymne national en langues nationales, c’est parce que j’étais le Président. Si on devait passer au vote au conseil des ministres, ce n’est pas sûr que cela allait passer car très peu de ministres étaient convaincus que l’hymne national pouvait être traduit en langues nationales. Or, c’est la chanson du peuple. Comment voulez-vous faire la chanson du peuple et le peuple ne peut pas la chanter ? Moi j’ai trouvé que ce n’était pas normal »
C’est ce jour-là, confie le docteur Nébié, que « j’ai eu l’honneur de serrer la main de Sankara pour la première fois. » Plus tard, il aura encore deux autres occasions aussi intéressantes l’une que l’autre de saluer le Président Thomas Sankara.
Au moment des débats avec le public, d’autres intervenants ont apporté des témoignages sur le traumatisme subi par le peuple Burkina et ailleurs en Afrique à l’annonce de l’assassinat de Thomas Sankara. Comme cet ancien voisin de quartier de Thomas Sankara, ils sont nombreux ceux qui sont revenus sur la vision humaniste, ses options politiques, son humilité qui lui donnaient cette force extraordinaire de reconnaître ses erreurs publiquement et de les corriger en conséquence.
L’autre point d’attraction de ce 21 décembre à Ouagadougou a été la projection vidéo du nouveau film de Thuy-tien HÔ intitulé «Burkina Faso, une révolution rectifiée ». Déjà auteur du film « Fratricide au Burkina », Tuy Tien-HÔ apporte à nouveau des témoignages édifiants de personnalités qui ont vécu la révolution comme acteurs de premier rang, mais aussi le décryptage d’observateurs d’augures différents qui ont vu la Révolution Burkinabè s’effriter dans une politique de coopération libérale aux couleurs sauvagement néocoloniales sous la conduite de Blaise Compaoré, depuis le 15 octobre 1987 à l’assassinat de Thomas Sankara.
Les activités de ce 62ème anniversaire de la naissance de Thomas Sankara ont pris fin aux environs de 23h avec des artistes comme K Djoba, Valian en slam, Djakassa et Samsk en reggae et Smockey en RAP.
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Rendez-vous a été donné pour le 21 décembre 2012 avec la conviction pour les uns et les autres que Thomas Sankara a réussi sa mission et qu’il faut avoir l’espoir, prendre le destin en main, intensifier la lutte et consolider le devoir de mémoire.
Amidou Kabré
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Pourquoi « Thomas Sankara revival » ?
Sams’K Le Jah
Pour la troisième fois consécutive depuis 2009, l’artiste musicien Sam’S K Le Jah rend hommage au Président Thomas Sankara. Cette année, il a choisi le Centre national de presse Norbert Zongo pour mener une série d’activités. Dans une brève introduction à la conférence animée par le Dr Nébié Bétéo sur son expérience sous la Révolution, il donne les raisons du choix de cette célébration du 21 décembre : «Thomas Sankara revival». Extrait …
Il [le Président Thomas Sankara] est né le 21 décembre 1949 à Yako. Malheureusement, beaucoup de jeunes et de vieux ne savaient pas cela. On a été formaté à se retrouver pour pleurnicher tous les 15 octobre [date anniversaire de son assassinat : ndlr]. Mais moi avec la profonde conviction que « Sankara n’est pas mort », j’ai voulu copier un peu les chrétiens et les musulmans qui célèbrent la naissance de Jésus et de Mohamed. Même si de temps en temps ils pensent à leur mort, ce ne sont pas des jours aussi fêtés que les jours de leur naissance.
En plus, Thomas Sankara nous a légué un immense héritage dans tous les aspects de notre vie. C’est-à-dire qu’un artiste qui s’intéresse à Thomas Sankara trouvera quelque chose à prendre. Un politicien qui s’intéresse à Thomas Sankara trouvera quelque chose à prendre. Un spirituel qui s’intéresse à Thomas Sankara trouvera toujours quelque chose à prendre. Ce qui veut dire qu’il a touché à tous les aspects de notre vie. Que fait alors la jeune génération de cet immense héritage ?
D’ailleurs il le disait dans un entretien avec Mongo Béti, « tuer Sankara aujourd’hui, il y aura des milliers de Sankara demain» parce qu’on a des gens comme Lumumba qui sont rentrés dans l’histoire, ainsi de suite.
Autre élément, on se trouve dans un contexte difficile. Il y a eu des moments et même jusqu’au aujourd’hui, porter un tee shirt de Thomas Sankara dans certains milieux est un symbole de provocation. Si vous le faites dans certains milieux, vous serez refoulé. Pourtant il a été proclamé héros national par celui-là qui a profité de son assassinat, c’est-à-dire son frère et ami. Je ne dis pas son nom. (Rires du public)…
Si on parle de Judas aujourd’hui c’est parce qu’il a permis à Jésus d’accomplir sa prophétie. Donc qu’on le veuille ou non, son nom [celui qui a profité de l’assassinat de Thomas Sankara : ndlr] est aussi inscrit dans l’histoire même si ce sont dans les pages sombres comme Sankara l’avait dit en substance: les grandes tragédies révèlent les grands hommes et ce sont les minables qui les occasionnent.
C’est dans ce cadre que depuis trois ans, nous avons décidé de marquer la date du 21 décembre pour inviter la jeunesse, nos papas ou nos grands frères qui ont été les acteurs sous la révolution et qui sont des témoins vivants ayant des choses à raconter à la jeunesse parce qu’on sait que lorsque le chasseur revient de la chasse, il ne va jamais nous raconté comment il fuit devant le lion. Raison pour laquelle ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont mis tout en ouvre pour nous faire croire le contraire de la réalité sur certaines choses. Nous avons eu l’occasion de faire venir des acteurs de la révolution à la deuxième édition, il y a aura encore pour cette édition. Et c’est l’occasion de poser toute les questions parce que notre travail se veut un travail historique quand bien même nous ne sommes pas des historiens. Que chacun puisse écrire quelque part des choses qui se sont passées mais qui ont été différemment racontées ailleurs.
Nous aurons pour ce faire le Dr. Nébié Bétéo qui a eu l’occasion, l’opportunité et le bonheur comme lui-même m’a souvent dit, d’apporter sa contribution sous la révolution. Et Sankara dans sa dynamique de réunifier tous les Africains et de revendiquer son africanité avait initié avec d’autres personnes l’I.P.N. (Institut des Peuples Noirs). Sous la révolution c’était réellement un terreau où tous les élèves et les étudiants allaient faire des recherches. Je pense même que l’idée des organisations comme la génération Cheick Anta Diop représentée ici par Osiris Issouf Sawadogo sont parties de ces éléments que nous avons eus sous la révolution.
Alors le Dr. Nébié Bétéo est là pour nous parler de son expérience en tant qu’acteur de l’I.P.N. et surtout de lorsque Thomas Sankara avait demandé à un certain nombre de personnes de traduire notre hymne national dans nos langues, il y a en qui avaient dit que ce n’était pas possible. Mais eux, ils se sont enfermés pour traduire l’hymne national qui est chanté en (12) langues nationales Mooré, en Dioula, Peulh, Gourounssi, Gourmatchéman, Lobiri, etc. C’était dans l’optique de mettre en valeur les langues que nous pratiquons.
Il y avait aussi ce qu’on appelait « L’ECOLE BANTAARE » qui permettait de traduire tout ce qui était écrit pour permettre aux gens de lire dans leurs langues. Tout cela fait partie de l’histoire.
Le Dr Nébié a eu la chance de saluer le Président Thomas Sankara trois (03) fois.
Sams’K Le Jah
Retranscription réalisée par Amidou Kabré
Thomas Sankara REVIVAL, 3ème édition, un reportage de Amidou Kabré
Chers amis,
C’est avec beaucoup de joie que je constate que vous allez faire renaître à nouveau dans quelques jours la mémoire de cet homme exceptionnel qu’était Thomas Sankara.
Lors de mon court séjour à OUAGA fin 2009, j’ai absolument voulu me recueillir sur sa tombe.
Il mériterais de figurer, avec ses compagnons assassinés, dans un haut lieu symbolique de votre capitale. A la vue de tous.
Il a su redonner sa dignité à votre pays et prouver au monde que vous pouviez trouver votre chemin hors d’un néo-colonialisme dépassé.
En cinq ans il a su galvaniser son peuple, restauré l’autonomie alimentaire et était un précurseur du “produire et consommer local”.
Mais il va vous falloir être vigilants pour donner une suite concrète à votre “coup de balai citoyen”.
La reconquête des leviers politiques et économiques de votre pays doit se poursuivre.
De même que l’application concrète de l’intégrité individuelle et de la vertu en politique.
Vous le devez à sa mémoire.
Je suis triste de ne pouvoir partager avec vous tous ce grand moment d’émotion.
Daniel Méthot
Un français de France qui partage votre idéal et admire depuis longtemps Thomas Sankara.