Vous trouverez ci-dessous un compte rendu d’un cours d’histoire dans un lycée de la région parisienne. Le professeur a projeté le discours de Thomas Sankara sur la dette qui a ensuité été commenté en classe. Ce compte rendu a été publié sur le site du centre national de documentation pédagogique, à destination des enseignants.

Nous avons réussi à joindre l’enseignante Sophie Gaujal à qui nous avons pu poser des questions auxquelles elle a bien voulu répondre que nous publions ci-dessous après le compte rendu du cours.

Nous avons pensé utile de relayé cette initiative. C’est une manière pour nous d’interpeller les enseignants burkinabè qui pourraient peut-être faire de même, mais aussi pourquoi pas d’autres enseignants français ou d’autres pays d’Afrique.

A noter que nous avions été invité dans un autre lycée de la région parisienne à projeter un film et à répondre aux questions des élèves. Une séance qui selon l’enseignante avait été très positive.

La rédaction.

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Le compte rendu du cours rédigé par l’enseignante

Aujourd’hui nous avons étudié le discours de Sankara prononcé le 29 juillet 1987 (http://blog.crdp-versailles.fr/histargeo/index.php/post/05/12/2011/Apr%C3%A8s-la-colonisation-%3A-le-discours-de-Thomas-Sankara-juillet-1987)

Vous pouvez retrouver l’extrait montré en classe à cette adresse : http://www.dailymotion.com/video/x17idb_discours-de-thomas-sankara-a

Voici ce qu’on pourrait retenir sur ce texte :
– 1. Sankara est un pan-africaniste : ce discours est prononcé lors d’un sommet de l’OUA, organisation de l’Union Africaine. L’OUA a été créée en 1963 a à pour but de promouvoir d’une part l’unité et la solidarité des peuples africains, d’autre part d’empêcher les puissances occidentales de porter atteinte à sa ouveraineté, par des ingérences d’ordre économique / politique ou militaire). Sankara entend bien faire vivre l’OUA, comme le montre le premier paragraphe, dans lequel il ironise sur l’absence de certains pays africains.
– 2. Sankara est un anti-impérialiste, en rupture avec les autres présidents de l’Afrique de l’Ouest, qui se montrent plus dociles envers la France, leur ancienne métropole. Ces chefs d’Etats voient Sankara comme un jeune révolutionnaire (il a 38 ans quand il prononce ce discours). Cependant, on voit qu’ils sont séduits par son charisme et son discours très libre sur les occidentaux … il utilise un vocabulaire très imagé comme “baillements” ou “casino”. Il utilise pour qualifier les Occidentaux de divers adjectifs peu flatteurs : “colonisateurs, néocolonisateurs, assassins techniques, impérialistes, rusés, fourbes, tricheurs”.

Ces attaques contre l’impérialisme occidental le situent dans le mouvement des non alignés, mouvement qui a pris naissance en 1955 lors de la Conférence de Bandoung en Indonésie, et à laquelle participent les dirigeants des pays nouvelles décolonisés d’Afrique et d’Asie. Cette conférence est dominée par les interventions du chinois Chou En Laï et du 1er ministre indien Nehru. Les principes exprimés sont : trouver une soldiarité entre tous les pays qu’on appelle désormais le Tiers Monde / Etre neutre entre les deux grands (c’est la guerre froide) / poursuivre la lutte anti-coloniale notamment en Afrique. Cette conférence est suivie en 1961 de la Conférence de Belgarde, sous l’égide de Tito. Le mouvement prend ensuite progressivement de l’ampleur (1964 47 pays membres, 1973, 75 pays membres …).
– 3. Sankara est un tiers-mondiste : le tiers mondisme consiste à rendre les Occidentaux responsables des difficultés de développement du Tiers Monde. Pour Sankara, les Africains connaissent ces difficultés car ils sont endettés. Or selon lui, ils n’ont pas voulu cet endettement, il leur a été imposé par les anciennes puissances coloniales. Les africains n’ont donc pas à payer leurs dettes : car sinon ils vont mourir (argument pragmatique) / car ce que les Européens appellent une dette est en réalité un investissement, qui n’a donc pas à être remboursé / et car ce sont les Européens qui sont endettés envers eux : la dette du sang (argument moral). L’argument pragmatique est aussi utilisé par la ministre de Norvège, qui arrive à une conclusion moins radicale : il faut réduire la dette des africains.

Conclusion : la réception du texte :
– à court terme les chefs d’Etats semblent séduits : bien que réticents envers Sankara ils sont séduits par son charisme et le ton libre de son discours : on entend rires et longs applaudissements
– quelques mois plus tard il est assassiné, dans des circonstances encore non élucidées. L’assassinat a sans doute été organisé par celui qui était considéré comme son frère, Blaise Compaoré, peut-être avec la complicité de la France, peut-être avec l’aide de Khadafi (oui, Khadafi, d’où ma confusion en cours tout à l’heure …) … cela illustrerait alors la division des Africains entre eux, loin du rêve panafricain de Sankara. le mouvement des non alignés connait la même infortune, l’apparente unité du mouvement montre rapidement ses limites.
– 15 ans après ce discours, il a été décidé un moratoire sur la dette africaine … Cependant, cela ne résoud pas les difficultés financières de l’Afrique comme le montre le film Bamako, dont nous avons visionné des extraits en classe quand on a fait le cours sur la mondialisation (http://blog.crdp-versailles.fr/histargeo/index.php/post/01/10/2011/Bamako)
– aujourd’hui, son discours connait une fortune diverse : alors qu’en Afrique, Sankara représente un véritable mythe, en France, son nom est inconnu ou presque … (en tout cas quand je vous ai posé la question, aucun d’entre vous ne le connaissait) mais ça et là, on assiste sur des blogs à des tentatives pour le faire connaître : par exemple celui-ci : http://www.les-crises.fr/ils-ont-joue-ils-ont-perdu/ (regardez la longueur des commentaires qui témoigne de l’actualité du sujet !) ou celui-ci http://polytricksss.blogspot.com/2008/04/les-discours-politiques-de-t-sankara.html. On peut penser que ce regain d’intérêt s’explique en partie sur l’actualité que prend le discours de Sankara aujourd’hui, la dette et son remboursement étant devenu un problème occidental … (crise des subprimes aux EU en 2008 / crise en Europe aujourd’hui …) (à ce sujet je vous recommande le documentaire Inside Job …). Il a également conduit 21 députés français, en août 2011, à demander à « faire le point sur le rôle des services de renseignement français, sur la mise en cause de la responsabilité de l’Etat et de ses services »…

Source : http://blog.crdp-versailles.fr/histargeo/index.php/post/06/12/2011/Le-discours-de-Sankara-%C3%A9tudi%C3%A9-en-classe-…

Commentaires (publiés sur le site à la même adresse)

1. Le 07 décembre 2011, par Bruno Jaffré

Bonjour

Les jeunes ici doivent aussi savoir que Thomas Sankara est omni présent sur la toile et que nombre de jeunes africains en font leur modèle de dirigeant politique, bien qu’il soit militaire, ce qui n’est pas le seul paradoxe autour de Thomas Sankara.

A propos de son assassinat, plusieurs témoignages accréditent la thèse d’un complot international (un exemple à http://thomassankara.net/?p=794 et un extrait video à http://thomassankara.net/?p=1085). C’est d’ailleurs ce qui a motivé la demande d’enquête parlementaire déposée par 21 députés français début iuillet 2011 dont le texte se trouve à l’adresse http://thomassankara.net/?p=1097. En particulier l’objet est de savoir dans quelle mesure la France était au courant de la préparation de l’assassinat de Thomas Sankara et si elle y a participé.

Pour en connaitre plus sur Thomas Sankara, le mieux est donc le site thomassankara.nett que nous voulons le plus complet possible.

Nous y mettrons d’ailleurs cet article comme un encouragement à d’autres enseignants…

Bruno Jaffré

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Interview de Sophie Gaujal

Question : Vous avez décidé de faire une activité autour du discours de Thomas Sankara sur la dette à l’OUA… C’est dans la cadre d’un cours d’histoire ? Pour quelle classe ? Au sein de quel chapitre ?

Sophie Gaujal : J’ai fait ce cours en histoire en terminale S, pour traiter du chapitre consacré au tiers monde : “indépendances, contestation de l’ordre mondial, diversification”. Je précise que c’est la dernière année où c’est possible avec cet intitulé, puisque l’année prochaine il n’y aura plus d’histoire en Terminale S.

Question : Vous pouvez nous dire les intitulés des programmes qui vous ont permis de penser à cet atelier ?

Sophie Gaujal : Voici le texte du BO (Buletin Officiel) : « On analyse l’émancipation des peuples dominés, les difficultés économiques et sociales auxquelles les États nouvellement indépendants sont confrontés et leurs tentatives d’organisation pour obtenir un poids accru dans les relations internationales. La diversification des États du Tiers-Monde s’accentue dans les années 1970 ».

Question : On peut donc enseigner Thomas Sankara en histoire dans un lycée français ?

Sophie Gaujal : Oui !!! C’est possible … je n’ai pas fait ce choix sans hésitations cependant … en effet, ce choix me semblait introduire une dimension politique dans la classe, or le didacticien F.Audigier a montré dans son modèle des 4R que les professeurs d’histoire ont un Refus du politique, et souhaitent que leur cours soit un Référent consensuel … parler de Th.Sankara ne me semblait ni consensuel ni neutre. J’ai donc du faire un “arbitrage interne” avant de décider de l’étudier avec les élèves ! De plus, mes connaissances sur le sujet étaient récentes, et donc superficielles … j’ai indiqué en conclusion à mes élèves les hésitations que j’avais eues et pourquoi finalement j’avais choisi de leur faire étudier ce discours.

Question : Comment avez-vous pris cette décision ?

Sophie Gaujal : Je trouvais le cours que j’avais prévu initialement sur le Tiers Monde trop descriptif : je ne voulais pas énumérer des conférences, Bandoung, puis Belgrade, puis Le Caire etc. … je voulais que les élèves prennent conscience des enjeux et des acteurs, et il m’a semblé que Thomas Sankara pouvait incarner certaines des problématiques que je voulais développer : l’union des pays du Tiers Monde, au sein de l’OUA pour l’Afrique ou au sein du mouvement des non-alignés pour l’ensemble des pays / l’anti impérialisme et le tiers mondisme qui représentent une remise en cause de l’ordre mondial. Enfin, l’assassinat de Th.Sankara me semblait illustrer l’échec de cette tentative de contestation, à cause de la désunion des pays du Tiers Monde entre eux et de l’ingérence des anciennes puissances coloniales. L’analyse du discours me permettait par ailleurs de répondre également à des objectifs méthodologiques, puisque l’étude d’un document est une des épreuves du bac.

Question : Vous avez découvert Thomas Sankara de quelle façon ? Vous dites qu’aucun élève ne le connaissait mais qu’en est-il des adultes à qui vous avez parlé de ce cours ?

Sophie Gaujal : Je connaissais déjà le nom de Th.Sankara … sans plus … un ami m’a envoyé un lien vers son discours il y a trois semaines. Je l’ai visionné et j’ai eu tout de suite envie de le montrer aux élèves.

J’ai peu parlé de ce cours autour de moi ; quand j’en ai parlé j’ai eu le sentiment que le nom de Th.Sankara était familier, mais que mes interlocuteurs ne savaient pas à quoi le raccrocher (l’Afrique mais où ? quelle période ? Quelles idées ?). Aucun élève ne connaissait son nom.

Question : Vous avez donc passé en classe un extrait de la vidéo où il prononce ce discours. Comment vos élèves ont-ils réagi ?

Sophie Gaujal : L’extrait était de très mauvaise qualité, c’est pourquoi je leur avais préalablement demandé de lire le texte du discours. La projection leur a plu, comme toujours quand on passe un film en classe ! Ils se sont amusés de la mauvaise qualité de l’enregistrement. Mais ils ont aussi pu mesurer l’importance du public, la présence de Yasser Arafat. L’extrait leur a fait prendre conscience du climat … les rires, les applaudissements ; ils ont aussi pu voir que Th.Sankara était jeune, qu’il parlait français … ça a semblé évident et normal à tout le monde, qu’il parle français, mais j’ai trouvé important de le souligner. L’extrait vidéo a donc permis d’apporter un supplément de “réalité” au cours …

Question : L’expérience vous semble-t-elle positive?

Sophie Gaujal : J’ai pris beaucoup de plaisir à faire ce cours. Non seulement j’ai pu avancer le cours et faire travailler les élèves sur la méthode, mais j’ai pu montrer l’actualité de ce discours, les élèves étaient très attentifs, et chacun a pu y trouver un intérêt : certains parce qu’ils étaient contents d’entendre une voie “dissonante”, contestant l’ordre mondial et émanant d’un africain, d’autres parce qu’ils faisaient le lien avec la dette des pays européens aujourd’hui. Tous parce qu’ils ont mesuré l’actualité de ce discours. J’ai eu le sentiment que ce cours pouvait permettre aux élèves d’avoir une approche plus complexe de “l’ordre mondial”.

Question : Y aura t il une suite ?

Sophie Gaujal : Je ne sais pas … il y a déjà une suite, puisque je vous écris, et que les élèves ont vu le commentaire que vous avez posté sur le blog histargeo …

Question : Comment ont réagi vos collègues enseignants ? L’administration du lycée ? Les responsables du centre nationale de documentation pédagogique qui abrite le blog où vous avez rendu compte de votre cours ?

Sophie Gaujal : Personne n’est au courant ! Vous croyez qu’il faut que je les avertisse ???!

Question : Vous pensez possible des cours sur la françafrique ?

Sophie Gaujal :Bien sûr. Ce cours faisait écho à un cours que j’avais fait en géographie en début d’année sur les limites de la mondialisation, et où j’avais fait écouter aux élèves un extrait du film Bamako, et dans lequel l’institution du FMI était remise en cause … autre contestation de l’ordre mondial …

Propos recueillis en décembre 2001 par courriel.

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