Décédé le 4 avril 2011 en RDC où il était en mission de maintien de la paix pour le compte de l’ONU, la dépouille mortelle du colonel Jonas Somé est arrivée à Ouagadougou le jeudi 21 avril 2011. L’officier burkinabè a trouvé la mort avec une trentaine de personnes lors d’un crash d’avion à l’aéroport de Kinshasa au moment de l’atterrissage alors qu’une pluie s’abattait sur la ville. Le colonel Jonas Somé n’est pas un officier inconnu au Burkina Faso. Son nom est cité lorsqu’on évoque la période qui précède celle des évènements tragiques d’octobre 1987 qui ont mis fin à la révolution d’août 1983. Il s’avère nécessaire d’édifier la mémoire des jeunes générations sur le rôle qu’il a joué dans l’histoire du Burkina Faso au moment où sa famille pleure sa disparition.

Le 2 octobre 1987, les Burkinabè qui ont toujours en mémoire la célébration du 4ème anniversaire du Discours d’orientation politique (DOP) se rappellent l’intervention de Jonas Somé, représentant CDR des étudiants, qui a pris le contre-pied du président Thomas Sankara, semant la zizanie dans la tête des Burkinabè à cette période où des rumeurs sur les mésententes entre le président Sankara et Blaise Compaoré bruissaient.

Des informations faisant état de projet d’assassinat de l’un par l’autre et vice-versa, alimentaient les conversations des Burkinabè depuis le mois d’août. Le problème de la mésentente a été posé au cours d’une réunion en mi-septembre 1987. Tous les quatre leaders de la révolution ont pris la parole à tour de rôle et chacun a démenti les rumeurs qui circulaient. Toutes les personnes présentes dans la salle sont reparties réconfortées parce qu’ils ont tous reconnu qu’il n’y avait aucun nuage entre eux.

Aussi, pour couper court aux rumeurs sur son assassinat, le président Sankara a choisi de se rendre à Tenkodogo ce 2 octobre 1987. Déjà le 4 août 1987, le président Sankara prônait la rectification de la révolution dans un discours prononcé à Bobo-Dioulasso. Dans un numéro de L’Indépendant datant d’octobre 2007, le journal écrivait sous la plume de Michel Zoungrana que ce discours « se voulait un diagnostic sans complaisance de la situation. En substance, le Président du CNR admettait les nombreuses erreurs commises, notamment dans le domaine des droits de l’homme et la fatigue des populations en raison du rythme très accéléré du processus engagé. Il demande aux camarades de se faire un peu de place dans le cœur pour ceux qui ne sont pas encore en harmonie avec le DOP. Il lance quelques piques à l’endroit de ceux qui, parmi eux, caressent le rêve de raccrocher, mais qui se font encore des scrupules. En des termes plus ou moins ésotériques, il aborde la question du parti dans lequel devraient se fondre toutes les organisations politiques se réclamant du CNR. « Il nous faut rectifier », a-t-il même assené dans ce message conciliant qui a suscité contre toute attente un tollé au sein de certaines de ses organisations dites de gauche avec à leur tête l’Union des Communistes Burkinabè (U C B). Pour ces organisations, prôner la conciliation de classe telle que l’a fait Sankara à Bobo-Dioulasso relève de la pure démence ».

Dans son intervention à Tenkodogo, le responsable des étudiants Jonas Somé, que l’on connait comme membre de l’UCB accuse Sankara : « d’abandonner les révolutionnaires et de céder à une dérive droitière ». Pour lui : « L’unité selon le D.O.P ne peut se faire que selon l’approfondissement de la lutte des classes tant il est vrai que partout il y a la contre-révolution. Le DOP, nous éclaire sur ce point : ils ne sont sensibles et ne comprennent que le langage de la lutte de classes révolutionnaire contre les exploiteurs et les oppresseurs des peuples. Notre révolution sera pour eux la chose la plus autoritaire qui soit ». Une véritable réplique au propos du président à Bobo-Dioulasso.

Le président Thomas Sankara qui a bien compris le manège abandonne son discours préparé pour l’occasion et dans une improvisation qui lui ait propre tente de répondre à l’affront qu’il vient de recevoir. Il lance tout haut : « il vaut mieux faire un pas avec tout le peuple que d’en faire mille sans le peuple ».

Mais pourquoi c’est Jonas Somé, responsable des étudiants qui a lu un tel discours ? Pour les observateurs de la scène politique révolutionnaire, Jonas est un proche de Blaise Compaoré chez qui il aurait même passé ses vacances avant l’incident de Tenkodogo. Après la fin de la cérémonie, ce fut le sauve-qui-peut.

Le président Sankara laisse tout le monde à Tenkodogo et rentre précipitamment à Ouagadougou. Valère Somé reconnaît dans une interview accordée au quotidien Le Pays qu’il a regagné Ouagadougou dans la voiture d’Alpha Condé, l’opposant guinéen exilé à l’époque au Burkina. Une semaine après Tenkodogo, un meeting pour soutenir le discours de Jonas Somé est organisé à Bobo-Dioulasso.

Mais avant son assassinat, le président Sankara et l’étudiant contestataire Jonas Somé se sont rencontrés. C’était précisément le 14 octobre 1987 et l’étudiant Jonas Somé aurait remis au président Sankara une autocritique. On croyait l’incident clos dès cet instant. Mais c’était sans compter avec la témérité de certaines personnes qui voulaient en finir avec Thomas Sankara. Le régime d’austérité et d’intégrité qu’il avait imposé ne convenait pas à tout le monde. Il fallait qu’il parte par toutes les manières. La suite on la connaît puisqu’il a été assassiné le 15 octobre 1987 au environ de 16h00. Dès que les premiers coups de feu ont éclaté, il est sorti de la salle les mains en l’air en disant aux personnes présentes : « Restez, c’est moi qu’ils cherchent ». Il a été canardé malgré tout. Que la terre libre du Burkina Faso soit légère pour les officiers Thomas Sankara et Jonas Somé.

PB

Source : l’Indépendant N° 920 du mardi 3 mai 2011 http://www.independant.bf/article.php3?id_article=1794?&sq=arti

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