Nous vous présentons ci-dessous l’intervention de Firmin Diallo, dans le cadre d’une conférence publique sur le thème, « L’intellectuel dans une société en crise », organisée le 7 octobre 2023 à Ouagadougou par le Rassemblement des intellectuels pour la souveraineté de l’Afrique (RISA). On trouvera un compte rendu de cette conférence à laquelle ont participé d’autres intellectuels à https://lefaso.net/spip.php?article124974.

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Ci-dessous le document en pdf.

Contribution_de_l’intellectuel_dans_le_processus_révolutionnaire_1983_-_1987[1]


 

Introduction : La lutte des peuples est une continuité

Les « révolutionnaires » de 1983, en arrivant à la gestion des affaires de l’Etat étaient conscients qu’ils étaient sur un terrain non vierge, où avant eux des réalisations et des victoires, comme des défaites, avaient eu lieu. De même, ils savaient qu’ils venaient poursuivre la lutte de leur peuple, commencée longtemps avant eux. Lorsqu’à l’avènement du CSP en 1982, il leur fut proposé de prendre la tête de l’Etat, ils déclinèrent l’offre parce que disaient-ils, ils n’étaient pas prêts.

En effet, la lutte pour l’indépendance politique a commencé dès après la guerre de 1945. Mais en ce temps-là, comme chacun peut l’imaginer, les intellectuels africains et particulièrement de Haute-Volta n’étaient pas en grand nombre. En outre, il n’y avait pas des plateaux de télé ou des comptes Facebook ou je ne sais quoi d’autre comme aujourd’hui. C’est donc à travers les livres, les articles de presse ou les journaux d’associations ou de syndicats que les idées étaient véhiculées. Le flux d’étudiants originaires d’Afrique venus faire des études supérieures en Europe s’est accru, surtout au lendemain de la seconde guerre mondiale ; il s’est maintenu tout au long des années 50. Les mouvements d’étudiants africains avaient tous quasiment les mêmes objectifs, plus politiques que culturels. D’ailleurs, la plupart de ces mouvements, prirent des positions très radicales, visant au renversement complet du système colonial plutôt qu’à sa réforme.

Les intellectuels africains et tout particulièrement les étudiants se sont joint à la lutte que menaient les peuples africains. La FEANF (Fédération des Etudiants Africains d’Afrique Noire en France) est ainsi née après le recul «tactique» du RDA[1], créée par des étudiants qui y voyaient une trahison de la lutte pour l’indépendance. Pour ce qui est de notre pays l’AEVF voyait ainsi le jour en 1950 avec à sa tête le Pr. Joseph Ki-Zerbo, alors étudiant. Il créera le MLN (Mouvement de Libération Nationale), mouvement d’orientation socialiste (socialisme africain) en août 1958 à Dakar. L’UGEV naîtra sous la houlette de cette tendance du MLN en juillet 1960 par une fédération de l’AEVF et l’ASV (Association des Scolaire Voltaïques à Dakar) qui était membre de UGEAO (Union Générale des Etudiants d’Afrique Occidentale).

Le 15 août 1963, Amirou Thiombiano avec quelques camarades crée le PAI (Parti Africain de l’Indépendance), parti qui se veut marxiste-léniniste. Les étudiants qui lui étaient favorables obtinrent un rapport de force qui leur permit de prendre la direction de l’UGEV et impulser une nouvelle dynamique au mouvement. Les débats au sein du mouvement communiste international notamment contre le révisionnisme kroutchévien et « l’Etat de démocratie nationale » va peser sur l’orientation des partis africains et le mouvement étudiant. Une scission intervient au sein du PAI et voit une nouvelle tendance, celle de ce qui deviendra l’OCV (Organisation Communiste Voltaïque)2[2], proche de la pensée Mao Tse Toung. C’est cette tendance qui va prendre la tête du mouvement étudiant lors de son Veme congrès tenu à Ouagadougou du 10 au 14 août 1971 sous la direction de Youssouf Diawara.

Ce congrès identifie l’impérialisme, notamment français comme ennemi principal du peuple voltaïque et identifie comme étape de la lutte la révolution nationale démocratique et populaire. Il lance à ses militants le mot d’ordre d’intégration aux masses et appelle ses militant à être des cadres techniquement compétents et dotés de connaissances (politiques) théoriques.

Il faut dire qu’une grande confusion régnait quant au rôle et à la nature du mouvement étudiant. L’arrivée de l’OCV à la tête de l’UGEV a accentué cette confusion au point de confondre le syndicat étudiant avec le parti clandestin en gestation. C’est cette confusion qui a conduit l’UGEV en son temps à lancer des mots d’ordre aventuristes comme si le mouvement étudiant pouvait diriger la lutte du peuple voltaïque. C’est cette confusion qui a conduit à des pratiques nocives pour un mouvement syndical de masse comme l’UGEV et qui ont fini par être dénoncées par le M21 (Mouvement du 21 juin 1978), conséquence logique de la scission qui devait s’opérer au sein de l’OCV donnant naissance en 1978 au groupe Le Prolétaire[3] et au PCRV (Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque). Cette confusion prend son origine dans la conception sur la démarche vers la création du parti et sur la conception de l’utilisation des libertés démocratiques en régime bourgeois. Faut-il oui ou non profiter de ces libertés pour créer le parti et faire la propagande de ses idées ou faut-il rester dans la « clandestinité » et se « cacher » derrière le syndicat de peur de la répression ?

Le contexte général

Depuis le 3 janvier 1966, la Haute-Volta a vécu dans une certaine accalmie jusqu’en1975 où, pour faire barrage à la création du Mouvement National pour le Renouveau[4], une grève générale et populaire fut organisée les 17 et 18 décembre 1975. Le mouvement va aller en s’accélérant :

  • mai 1979[5]
  • octobre puis, novembre 1980 qui voit la chute de la 3eme République et l’avènement du CMRPN – Comité Militaire de Redressement National du Colonel Saye Zerbo dans une liesse populaire.
  • Moins de 2 ans après c’est la chute du CMRPN et l’avènement le 7 novembre 1982 du CPSP- Conseil Provisoire de Salut du Peuple qui devient rapidement le CSP – Conseil de Salut du Peuple avec à sa tête le Médecin-Commandant Ouédraogo Jean-Baptiste.
  • Avril puis mai 1983 : crise au sein du CSP et arrestation du Premier Ministre, le Capitaine Thomas Sankara. Marches et situation insurrectionnelle s’en suivent.
  • 4 aout 1983 : avènement du CNR et de la Révolution Démocratique et Populaire (RDP).

Qui est-ce qui explique cette instabilité ? Depuis 1966 avec le renversement du Président Maurice Yaméogo, le pays est géré par la couche supérieure de l’Armée et une classe politique qui a plus ou moins cheminé avec Maurice Yaméogo, et appartenant au RDA, PRA ou leurs démembrements, UNDD par exemple, à l’exception du MLN – Mouvement de Libération Nationale qui jusqu’en 1966 était contraint à la clandestinité. Parti réformiste, il prônait le socialisme africain.

Autour des années 1975, le paysage politique était animé à travers les syndicats, le mouvement étudiant et par d’autres forces politiques, des structures plutôt clandestines, se réclamant du communisme : PAI et son mouvement de masse, la LIPAD d’abord, et à partir de 1979 des organisations politiques issues du PAI : OCV dont la scission donnera l’ULC qui deviendra ULC-R et le PCRV notamment. Le débat est animé particulièrement sur l’étape de la lutte et l’orientation de développement qui sied au pays. En effet les 14 ans de pouvoir du Général-Président Sangoulé Lamizana et des anciennes forces politiques n’avaient pas apporté de véritable mieux-être des populations.

L’avènement du CMRPN accompagné par les réformistes du MLN avait été accueilli en liesse. Mais les attentes des populations n’ont pas été satisfaites malgré les nombreuses sorties populistes du Chef de l’État, le Colonel Saye Zerbo, dans le pays, sorties à l’issue desquelles il revenait avec quelques moutons, cadeaux des populations rurales. Le régime du CMRPN n’a fait que mettre à nu le fait que cette classe politique ne se souciait que d’elle-même : conseils des ministres aux méchouis de mouton arrosés de champagne, ministres régulièrement en boîte de nuit, etc. Très vite le mécontentement populaire va se faire sentir de même que les bras de fer avec les syndicats et les partis non déclarés : mesures de restriction des libertés syndicales, arrestations de militants de partis clandestins, … Les organisations politiques s’activent, des cercles dits de réflexions se créent, bref, ça bouillonne.

C’est dans ce contexte qu’arrive le CPSP-Conseil Provisoire de Salut du Peuple puis, le CSP-Conseil de Salut du Peuple dirigé par la couche supérieure de l’Armée, de sensibilité politique droitière, alors que le CSP était majoritairement composé de soldats, sous-officiers et officiers plutôt de sensibilité de gauche. Cette situation et l’agitation politique nationale conduisirent le CSP à nommer Thomas Sankara comme Premier Ministre. Très rapidement, les contradictions vont s’aiguiser et le 17 mai 1983, Thomas Sankara est arrêté, le pays entre dans une situation quasi insurrectionnelle. Trois organisations politiques se concertent déjà depuis quelques mois : le PAI, l’ULC-R, et l’OMR-Organisation Militaire Révolutionnaire : un processus révolutionnaire est engagé et l’on arrive au 4 août 1983. Depuis les mouvements populaires des 20, 21 et 22 mai 1983 « tout le monde sait qui est qui, qui est avec qui et contre qui, qui fait quoi et pourquoi ».

Les apports, résultats de débats entre organisations

Ce sont les plus importants à travers les publications des organisations : « Bug Parga » pour le PCRV, « Voie prolétarienne » pour l’UCB (Union des communistes burkinabè), « Clarté » pour l’Union de la jeunesse communiste de Haute-Volta, « Jeune Volta » pour l’UGEV, « Le Patriote » organe d’information de la LIPAD (Ligue patriotique pour le développement), etc.

Il y a eu des apports individuels principalement dans des livres, articles ou autres produits entre autres par Somé D Valère, Cissé Abdoulkadri Kader, Somé Timothé, Bassolé Emmanuel, etc. Ces derniers n’ont pas été pris en compte ici.

  1. De la juste compréhension de l’indépendance politique de la Haute-Volta

Un point important est celui de la juste compréhension de l’indépendance politique. De sa juste compréhension découle la définition correcte des forces sociales en présence, de leurs alliances possibles et de la bonne définition de l’étape de la lutte à mener.

Ainsi, pour le groupe Le Prolétaire, la Haute-Volta est politiquement indépendante et souveraine. Son peuple dispose de son territoire, de son drapeau, d’un gouvernement et d’un parlement qui lui appartiennent, etc.

Pour le PCRV au contraire, le seul fait d’être une néo-colonie, de n’avoir pas une économie indépendante des monopoles impérialistes est la preuve que la Haut-Volta n’est pas indépendante.

Or Lénine écrit dans « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes »:

« Le capital financier, dans sa tendance à l’expansion, achètera et soudoiera “librement” le gouvernement démocratique et républicain le plus libre et les fonctionnaires élus de n’importe quel pays, fût-il “indépendant“.

Dans « Le Prolétaire » N°2 de Juin 1979 où l’on retrouvera tous ces débats il est écrit : «A l’époque où les multinationales imposent leurs lois, aucun gouvernement du monde capitaliste, que ce soit celui des États-Unis, de la France ou de la Haute-Volta, n’échappe à la corruption des magnats du capital financier, qui en profitent pour influencer la politique de ces gouvernements. Si on ne confond pas l’indépendance politique d’un pays et la politique gouvernementale de ce pays, alors on ne saurait, partir de la politique gouvernementale des pays néocoloniaux comme la Haute-Volta, pour nier leur indépendance politique ».

De cette juste compréhension de l’indépendance politique découle la juste définition de l’étape de la lutte. Pour résumer, l’indépendance politique a été le résultat du programme du mouvement démocratique national bourgeois. L’ancienne domination dans sa forme brutale a cédé la place à une nouvelle forme de domination indirecte et plus subtile et sous les «couleurs nationales ».

  1. L’analyse de la disposition des classes et forces sociales et l’alliance nécessaire entre elles pour renverser l’ordre ancien

La juste compréhension du passage du colonialisme au néo-colonialisme a une incidence certaine sur la définition claire et résolue du contenu de l’étape de la lutte, notamment en Haute-Volta.

L’indépendance politique de la Haute-Volta marque une étape nouvelle dans la vie politique du pays. Du point de vue de la lutte de classes au sein de la société voltaïque, cela, revêt une importance particulière, car la question du pouvoir d’État ne se pose plus dans les mêmes termes que lors de la période coloniale. L’ennemi à renverser n’est plus le même.

Le passage du colonialisme au néo-colonialisme revêt un caractère stratégique, cela veut dire que la lutte dans la situation néocoloniale est restée quant au fond la même (elle demeure une lutte anti-impérialiste), mais que sa forme a changé (de nationale, elle devient une lutte de classes contre les forces internes de domination et d’exploitation). Il y a eu une re-disposition des forces sociales et de nouvelles alliances de classes se sont substituées aux anciennes. L’ennemi intérieur, direct n’est plus le même.

La lutte qui demeure quant au fond la lutte contre l’impérialisme n’est plus nationale, mais elle est devenue une lutte de classes au sein de la société voltaïque, à l’intérieur de la «nation voltaïque ». Les protagonistes de cette lutte dans ces nouvelles conditions sont tous des nationaux.

La lutte anti-coloniale s’est déroulée sur le terrain de la bourgeoisie avec les revendications nationales bourgeoises et petite-bourgeoises. Elle s’est menée sous le drapeau du nationalisme petit-bourgeois et bourgeois, du démocratisme petit-bourgeois et bourgeois avec ses deux tendances du national-réformisme et du national-révolutionnaire. La lutte anti-néocoloniale, tout en demeurant une lutte « anti-impérialiste, se déroule sur un autre terrain historique, celui où la classe ouvrière a fait son entrée et n’escompte céder en rien à la petite bourgeoisie et à la bourgeoisie.

Dans le n°2 du Prolétaire il est écrit : « La classe ouvrière dans ces nouvelles conditions marchera à la révolution non en tant qu’un simple auxiliaire de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie, mais en tant que force politique indépendante. Elle marchera hardiment et résolument à la révolution, non en se rangeant sous le drapeau de la bourgeoisie, mais en tenant fermement haut levé son propre drapeau. A la place de l’idéologie nationaliste de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie, elle affirmera avec force sa propre idéologie internationaliste. Et la paysannerie, de réserve principale de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie, marchera sûrement à ses côtés comme étant son allié le plus proche et le plus résolu ».

  1. L’étape de la lutte et le concept de révolution

Le PAI et le PCRV pour lesquels l’ennemi principal est l’impérialisme français, définissent l’étape de la lutte comme respectivement la RNDP (révolution nationale démocratique et populaire) et la RPLN (révolution populaire de libération nationale). Comme on le voit, dans les deux cas, le caractère national de la lutte est présent, l’ennemi principal est extérieur. Comme si toutes les couches et classes sociales du pays avaient le même objectif dans cette lutte.

Pour l’ULC par contre, bien qu’il s’agisse d’une lutte anti-impérialiste, l’ennemi principal est interne et est désigné comme étant les classes exploiteuses nationales alliées à l’impérialisme. Elles tiennent le pouvoir d’Etat. Contre elles la classe ouvrière, la paysannerie, la petite-bourgeoisie révolutionnaire, la bourgeoisie nationale. La lutte se pose en terme de révolution populaire, anti-impérialiste et démocratique. C’est une révolution qui du point de vue économique ne peut être qu’une révolution à contenu démocratique bourgeois car elle devra balayer la domination impérialiste et les rapports sociaux précapitalistes. Ce sera la RDP – révolution démocratique et populaire.

Et finalement c’est quoi la révolution ? Le Prolétaire N°6 nous répond : « Les Révolutions qu’elles soient bourgeoises ou prolétariennes à notre époque, débutent par la prise du pouvoir politique, ce pouvoir étant utilisé comme levier pour les transformations radicales à réaliser. La révolution est le mouvement insurrectionnel au pouvoir qui se dote d’organes insurrectionnels. C’est un mouvement qui ne prend pas fin avec la conquête politique du pouvoir, mais qui acquiert son plein essor avec celle-ci. La conquête du pouvoir politique est dans ce contexte le moment essentiel, le point culminant de la Révolution qui est un Processus en aval et en amont duquel se situent les transformations qui interviennent dans les rapports sociaux et au niveau des forces productives.

La Révolution est-elle juste le changement d’hommes à la tête de l’État ? Non, car “Le passage du pouvoir d’une classe à une autre est le caractère premier, principal, fondamental d’une révolution, tant au sens strictement scientifique qu’au sens politique et pratique du mot.” Par exemple la révolution bourgeoise a vu le renversement de la féodalité par la bourgeoisie. Et plus près de nous, avant la Révolution d’Août 1983, tout le pouvoir appartenait à la Bourgeoisie réactionnaire et aux Forces sociales oppresseuses des structures sociales de type féodal. Pendant la Révolution d’Août il a existé deux types de pouvoir :

  • Le pouvoir officiel que la petite-bourgeoisie a concentré entre ses mains ;
  • Le pouvoir du peuple c’est-à-dire des ouvriers et paysans, embryonnaire mais qui se consolidait de jour en jour.

Cette situation de la Révolution d’Aout 1983 ne pouvait être que transitoire parce que la petite-bourgeoisie de par sa situation même, est soit pour la bourgeoisie, soit pour le prolétariat-. Ou cette petite-bourgeoisie œuvre pour la restauration c’est-à-dire la remise du pouvoir entre les mains de la bourgeoisie, ou elle travaille à l’approfondissement de la révolution, en reconnaissant l’hégémonie du prolétariat à travers son parti. Ce qui amène un intellectuel petit-bourgeois, à ne plus se considérer comme tel, c’est le fait qu’il renonce à sa position de classe pour se ranger à celui du prolétariat. Et c’est ce qui a conduit au 15 octobre 1987.

  1. Le contenu de la RDP

Prononcé le 2 octobre 1983, le discours d’orientation politique déroule le programme que s’était fixé le CNR dans ses grandes lignes ainsi que les transformations qu’il entendait effectuer dans la société et le pays. Le DOP définit le contenu de la RDP et caractérise la Haute-Volta d’alors comme un pays agricole arriéré qui participe au système capitaliste mondial et de ce fait suit la voie de développement capitaliste sous la direction politique et idéologique de la bourgeoisie réactionnaire. Après avoir fait l’analyse des forces sociales en présence le DOP indique que tout en étant une révolution anti-impérialiste, la RDP s’effectue encore dans le cadre des limites du régime économique et social bourgeois. La révolution en cours présente de ce fait un double caractère démocratique et populaire c’est-à-dire :

  • pour le caractère démocratique la tâche est de liquider la domination et l’exploitation impérialiste, l’épuration de la campagne de toutes les entraves sociales, économiques et culturelles qui la maintiennent dans un état d’arriération.
  • le caractère populaire tient de ce que les masses populaires voltaïques sont partie prenante à part entière dans cette révolution et se mobilisent conséquemment autour de mots d’ordre démocratiques et révolutionnaires qui traduisent dans les faits leurs intérêts propres opposés à ceux des classes réactionnaires alliées à l’impérialisme. Il réside aussi dans le fait qu’en lieu et place de l’ancienne machine d’État s’édifie une nouvelle machine à même de garantir l’exercice démocratique du pouvoir par le peuple et pour le peuple. C’est le mouvement de l’immense majorité au profit de l’immense majorité.

Il fallait donc édifier un État nouveau, l’État de démocratie populaire. Objectif final de la révolution, cette édification ne sera pas l’œuvre d’un seul jour. « C’est une tâche ardue qui exigera de nous des sacrifices énormes. Le caractère démocratique de cette révolution nous impose une décentralisation et une déconcentration du pouvoir administratif afin de rapprocher l’administration du peuple, afin de faire de la chose publique une affaire qui intéresse tout un chacun. Dans cette œuvre immense de longue haleine, la carte administrative du pays a été remodeler pour une plus grande efficacité Les CDR, … c’est l’instrument que le peuple s’est forgé pour se rendre véritablement souverain de son destin et étendre de ce fait son contrôle dans tous les domaines de la société. Les militants des CDR doivent se forger une nouvelle conscience et un nouveau comportement en vue de donner le bon exemple aux masses populaires.

De ces éléments les tâches suivantes de transformation de la société ont été dégagées (ce sont ci-dessous des extraits du DOP):

  1. Créer une armée nationale populaire

Les peuples conscients assument eux-mêmes la défense de leur patrie. De ce fait 3 missions leur sont assignées :

  • être en mesure de combattre tout ennemi intérieur et extérieur, et participer à la formation militaire du reste du peuple ;
  • participer à la production nationale ;
  • être au sein du peuple comme un poisson dans l’eau.
  1. Transformer la femme voltaïque

La révolution et la libération de la femme vont de pair. Créer une nouvelle mentalité chez la femme voltaïque qui lui permette d’assumer le destin du pays aux côtés de l’homme est une des tâches primordiales de la révolution. II en est de même de la transformation à apporter dans les attitudes de l’homme vis-à-vis de la femme.

  1. Bâtir une économie nationale indépendante, auto-suffisante et planifiée au service d’une société démocratique et populaire, ce qui induit les réformes suivantes :
  • La réforme agraire. Il s’agit d’atteindre l’autosuffisance alimentaire par :
    • L’accroissement de la productivité du travail par une meilleure organisation des paysans et l’introduction de techniques modernes d’agriculture dans le monde rural ;
    • o Le développement d’une agriculture diversifiée de pair avec la spécialisation régionale ;
    • o L’abolition de toutes les entraves propres aux structures socio-économiques ;
    • o Le développement de l’industrie avec l’agriculture comme point d’appui.
  • La réforme de l’administration pour la rendre opérationnelle en la débarrassant des maux comme la bureaucratie lourde et tracassière. Il s’agit d’obtenir une administration peu coûteuse, plus opérante et plus souple.
  • La réforme scolaire pour promouvoir une nouvelle orientation de l’éducation et de la culture. Les diplômés qui en sortiront seront au service des masses populaires et non pas au service de leurs propres intérêts.

Quant à la culture, elle célèbrera la dignité, le courage, le nationalisme et les grandes vertus humaines. Il s’agira de créer les conditions de l’éclosion d’une culture nouvelle. Les artistes et les écrivains sont invités à mettre leur génie créateur au service d’une culture nationale révolutionnaire et populaire en puisant ce qu’il y a de bon dans nos traditions , ce qu’il y a de positif dans les cultures étrangères pour donner une dimension nouvelle à notre culture.

La source inépuisable, pour l’inspiration créatrice des masses, se trouve dans les masses populaires.

  • La réforme des structures de production et de distribution, parce leur contrôle effectif progressif par le peuple est indispensable pour édifier une économie indépendante au service du peuple.
  • La transformation révolutionnaire dans le domaine sanitaire et de l’assistance sociale. Cela se résume avec l’engagement conscient des masses populaires elles-mêmes, sous l’orientation révolutionnaire des services de santé par les objectifs à atteindre suivants :

o une santé à la portée de tous ;

o La mise en oeuvre d’une assistance et d’une protection maternelle et infantile ;

o Une politique d’immunisation contre les maladies transmissibles par la multiplication des campagnes de vaccination ;

o Une sensibilisation des masses pour l’acquisition de bonnes habitudes hygiéniques.

  • Entreprendre une politique vigoureuse dans le domaine de l’habitat pour mettre fin aux spéculations immobilières, procéder aux lotissements rapides de quartiers, développer sur une grande échelle la construction de maisons d’habitation modernes et accessibles aux travailleurs.
  • Développer une politique qui vise à l’union de la multitude de nationalités qui forment la nation pour qu’elles vivent dans l’égalité et jouissent des mêmes chances de réussite. Pour ce faire, un accent particulier sera mis sur

o Le développement économique des différentes régions ;

o L’encouragement des échanges économiques entre elles ;

o Le combat contre les préjugés entre les ethnies, le règlement des différends qui les opposent dans un esprit d’union ;

Le châtiment des fauteurs de divisions

Conclusion

Comme on le constate le débat d’idées, particulièrement au sein des militants de gauche a été riche et a permis de définir l’étape qui a été la RDP, les forces en alliances qui pouvaient la faire aboutir ainsi que le programme de transformations sociales, politiques et économiques à réaliser. Et tout particulièrement ces débats ont permis que le processus révolutionnaire débuté en mai 1983 débouche sur l’insurrection victorieuse du 4 août 1983 à laquelle les intellectuels révolutionnaires ont pris part activement.

Pendant la période de 1983 à 1987 ces débats se sont mené à ciel ouvert pendant les conférences et les veillées débats qui se tenaient tous les week-end pour sensibiliser, convaincre, défendre les orientations ou expliquer des concepts.

Ces débats ont été d’un apport théorique, idéologique et politique certain. Ils se sont déroulés pour l’essentiel avant l’avènement de la RDP et se sont poursuivi pendant la gestion du CNR.

Il est important sinon fondamental de permettre ou maintenir la liberté d’expression et laisser libre cours à l’expression des opinions et partis politiques. Leur musèlement étouffe le débat.

C’est de la pluralité des idées, de la contradiction que jaillit la lumière.

Je vous remercie pour votre patience et espère avoir répondu à vos attentes.

Firmin Diallo

[1] Le RDA était étroitement lié au PCF (Parti communiste français) dont il était membre du groupe parlementaire. Il comptait dans ses membres des étudiants de la FEANF. Lorsque le 17 octobre 1950 le Président du RDA, Félix Houphouet-Boigny décida de séparer le RDA du PCF, cela fut vécu comme une trahison et de nombreux étudiants quittèrent le parti en signe de protestation.

[2] En 1969, Jean-Baptiste Oualian, Youssouf Diawara, Hubert Yaméogo, Baza Somé, Ahmed Barry et Clément Ouédraogo, étudiants en France, rompent avec le PAI pour former un noyau communiste. Ils sont soutenus par des camarades de l’ASV, Etienne Zoungrana, Souleymane Diallo et Drissa Touré.

[3] Le Groupe Le Prolétaire était dirigé par Valère Somé. Il deviendra ULC (Union de Luttes Communiste) avec Basile Guissou comme Président.

[4] MNR – Mouvement National pour le Renouveau : Parti unique que voulait créer le Général-Président Sangoulé Lamizana à l’instar du MPR (Mouvement Populaire pour la République) du Zaïre de Mobutu dont il s’était inspiré

[5] 23 – 31 mai 1979 : grève générale de 3 centrales syndicales (CSV, CNTV et OVSL) pour exiger la libération de syndicalistes arrêtés et incarcérés.

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