Entretien avec Aziz S. Fall

Politologue, Coordonnateur de la Campagne internationale Justice pour Sankara (CIJS)

 

Bonjour, avant d’animer la campagne Internationale justice pour Thomas Sankara vous avez créé et animé le GRILA (Groupe de Recherche et d’Information sur la Libération de l’Afrique), vous pouvez nous le présenter ainsi que ces activités?

Bonjour, merci de nous offrir cette opportunité. J’ai eu le privilège de coordonner d’autres initiatives dans le cadre de notre groupe, à l’instar du réseau contre l’apartheid. C’est d’ailleurs cet enjeu qui a amené la création du GRILA en 1984. A cette époque beaucoup d’africains voulaient soutenir la lutte en Afrique australe et achever l’apartheid et, au Canada, les conservateurs  fraîchement élus et avec une politique extérieure encore novice ont eu le courage d’appuyer l’ouverture vers le boycott et les sanctions contre l’Afrique du Sud. Nous avons donc soutenu cet élan, avons fait notre part et gagner la confiance de l’ANC et d’autres résistants de la région australe. Ensuite d’autres mouvements politiques à travers le continent nous ont fait confiance et nous nous sommes progressivement spécialisés dans le plaidoyer, l’appui intellectuel et matériel aux forces progressistes, la libération des prisonniers politiques comme Ken Saro Wiwa ou les pressions contre des multinationales comme Shell ou Talisman, ou des questions de géopolitique plus sensibles comme le Sahara occidental. Notre mouvement s’est massifié, est autonome à 100%, prône toujours un développement autocentré panafricaniste et internationaliste et compte différentes sections.

Comment le GRILA a-t-il été amené à s’occuper de l’animation de la campagne Justice pour Thomas Sankara? Comment s’organise cette campagne et en particulier la coordination d’une quinzaine d’avocats dans plusieurs pays?

Nous sommes nés la même année que la révolution burkinabè. Nous avions en commun une vision très similaire au niveau de notre programme « émancipation des femmes africaines et changements des mentalités masculines», et suivions avec grand intérêt son évolution. L’arrêt de l’expérience a été pour nous une immense déception, alors que le reste de l’Afrique s’enlisait dans les ajustements structurels et surtout qu’aucune explication de ces assassinats, et des autres qui vont suivre n’était donnée. Nous avons donc commencé à commémorer les 15 octobre, en films et conférences et tenter de perpétuer les enseignements de cette révolution et apprendre de ses erreurs. Lorsque le délai de prescription décennal approcha, nous avons immédiatement soutenu la plainte de la veuve de Sankara et de ses enfants. Nous avons fait un appel de mobilisation international qui a été entendu. Il s’est progressivement constitué une équipe d’une vingtaine d’avocats et d’avocates et des dizaines de personnalités et d’associations.  C’était vraiment, à notre connaissance, une première en Afrique. Ces avocats, dont nous saluerons jamais assez le courage et la solidarité, ont offert pro bono leur expérience et leur temps. J’espère qu’un jour une instance décernera courageusement un prix à ces avocats, et que les livres de droit incluront leur contribution dans la jurisprudence. Nos avocats fonctionnent en intra net et divers autres moyens depuis dix ans. De traditions juridiques et de cultures différentes, ils ont su mener à bien cette mission.

 

Pouvez-nous rappeler dans quelles conditions vous avez été amené à porter l’affaire devant la commission des droits de l’homme de l’ONU? Dans un article récent voir à l’adresse http://thomassankara.net/?p=0408 , vous synthétiser ainsi le document de l’ONU publié en 2005 :"Le comité par conséquent somme le régime Compaoré d’élucider l’assassinat de Thomas Sankara ; de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale ; de rectifier son certificat de décès ; de prouver le lieu de son enterrement ; de compenser la famille pour le traumatisme subi ; d’éviter que pareille tragédie ne se reproduise ; et de divulguer publiquement la décision du comité." Que s’est-il passé depuis? Le pouvoir burkinabé s’est-il exécuté? Comment arrivez-vous à financer cette campagne?
Pendant prés de 10 ans, le régime a gardé le silence sur sa mort, odieusement symbolisée par un certificat de décès arguant qu’il est mort de mort naturelle. En 1997, la CIJS, Campagne internationale justice pour Sankara avec 22 avocats et plusieurs groupes et personnalités, entamait au nom de sa veuve Mariam Sankara et de ses enfants une procédure judiciaire devant toutes les instances juridiques du Burkina Faso avant d’être déboutée de façon grotesque, après 5 ans d’efforts.  Devant le manque d’indépendance judiciaire de la magistrature du Burkina, le 15 Octobre 2002, la CIJS  a porté l’affaire devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU. La plainte de la CIJS s’articule sur la violation par le Burkina Faso de ses engagements au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ses deux Protocoles. Il y est dit que «3.  Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à: Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles».

Bien que plusieurs articles violés étaient avérés, deux seulement avaient été reconnus , soit le 7 et le 14 :


Art. 7

Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique

Art. 14 Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi

 


 

 

Le Comité de l’ONU a rendu son verdict dans l’affaire Sankara qui y est pendante depuis 5 ans, en faveur de la Campagne Internationale Justice pour Sankara*(CIJS) créant un précédent historique en  Afrique. Mais c’était une victoire à la Pyrrhus, l’ONU reconnaissait à sa veuve et ses enfants entre autres :

  

 


 

Par. 6.5

Concernant l’épuisement des voies de recours internes, eu égard à l’argument d’irrecevabilité de l’Etat partie tiré du défaut de l’utilisation des recours non-contentieux, le Comité rappelle que les recours internes doivent être non seulement disponibles, mais également utiles et que l’expression ” recours internes ” doit être entendue comme visant au premier chef les recours judiciaires. L’utilité d’un recours dépend également, dans une certaine mesure, de la nature de la violation dénoncée. Dans le cas d’espèce la violation alléguée concerne le droit à la vie, et est liée principalement à l’allégation du défaut d’enquête et de poursuite des coupables, et accessoirement à l’allégation de la non-rectification de l’acte de décès de la victime; et du non-aboutissement des recours engagées par les auteurs afin d’y remédier. Dans cette situation, le Comité estime que les recours non-contentieux invoqués par l’Etat partie dans sa soumission ne peuvent être considérées comme ” utiles ” aux fins de l’article 5(2)(b) du Protocole facultatif ‘

 

Par. 12.2 (…)le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils, contraire a l’article 7 du Pacte.[1]

 

Par. 12.2

La famille de Thomas Sankara a le droit de connaître les circonstances de sa mort (…)Le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de Pacte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils,

 


Mais le comité ne recommandait explicitement à la toute fin que la compensation et la preuve du lieu de sépulture. Il donnait, comme vous l’avez dit, 3 mois à l’Etat pour s’exécuter. Ce dernier l’a fait de façon cosmétique. Il a persisté à refuser de donner l’ordre de poursuite pour ouvrir une enquête. Il a enlevé le mot «naturelle» qui qualifiait «mort». Donc Thomas est mort. De quoi on ne le sait toujours pas. Qu’est ce qui prouve d’ailleurs qu’il est mort? Certains de nos avocats ont même, en marge de notre campagne, il y a quatre ans, déposé plainte pour séquestration, en arguant qu’est-ce qui prouve que l’État ne le séquestre pas depuis vingt ans? L’État a effectivement publié la décision onusienne dans ses journaux, et proclamé qu’il rendrait les honneurs à Thomas. Il a probablement converti la somme de la pension militaire et au titre de son programme de dédommagement des victimes dit son intention d’offrir 43 millions CFA à la famille. 

En avril 2008 le comité des droits de l’homme a considéré que  l’Etat parti a répondu à ses exigences. Ceci peut paraître surprenant. D’une part, les experts ont fondé leur jugement sur une erreur flagrante concernant la compensation. La conversion de francs CFA en euro avait fait ajouter un zéro en trop, ce qui donnait l’impression d’une somme faramineuse, ainsi commentée par des experts à huis clos. Nous avons rectifié le chiffre et expliqué aux experts que c’était 43 millions et non 430 millions que l’État offrait, que cela était dérisoire au titre du préjudice subi et que cette somme ne constitue pas une suite aux constatations de notre communication à l’ONU. Ce décret, relève du Fonds d’indemnisation issu de la Journée Nationale de Pardon de 2001 sensé indemniser les victimes de la violence politique depuis l’indépendance.   De même, aucune preuve n’a été donnée quant au lieu de sa sépulture. Il y a bien toujours l’endroit symbolique où on prétend qu’il est, mais rien ne le prouve. Lequel de ces 13 caveaux est vraiment le sien. C’est pourquoi la veuve, lorsqu’elle a en a la chance pour la première fois en 20 ans, lors de sa visite historique en octobre dernier, a rendu hommage à toutes les victimes comme si c’était son tombeau. Mais plus grave pour nous, est que certains des experts ont jugé bon de ne pas explicitement recommander l’enquête dont ils avaient pourtant reconnu le droit et la pertinence. Or cela est troublant, visiblement plus politique que juridique. Une potentielle véritable boite de pandores pour beaucoup de pays africains probablement. Derrière tout cela, il y a beaucoup d’intérêts en jeu, la Françafrique, la poursuite ou non de l’impunité etc. Pour nous, nous espérons que l’ONU continuera d’être impartiale et nous sommes conscients que le comité des droits de l’homme, qui vit une déchirante réforme, est soumis à diverses pressions d’intérêts divers, interpellant sa propre existence. Et, il faut bien l’admettre, le droit international est à cet égard mal fait, il dispose d’une batterie de lois, très peu de devoirs et de moyens de mettre en œuvre un travail sérieux contre l’impunité.  Il n’existe en fait pas d’instance juridique habilitée à traiter complètement de ce cas. Le travail doit néanmoins continuer et nous continuerons de financer ce travail en comptant sur nos propres forces.

 Ne faut-il pas demander la constitution d’une commission d’enquête internationale?

Mais à qui le demander? Les africains sont sensés désormais avoir une cour africaine, la cour africaine des droit de l’Homme et des peuples. Il est possible d’y inscrire une plainte, mais ce palier est peu contraignant. Elle serait un jour l’instance pour régler ce genre de situations. L’Afrique a un record d’assassinats d’hommes d’État et d’exactions politiques diverses qui doivent cesser. En réalité, quoi qu’on dise, l’impunité est le frein principal au développement. Car du sommet au plus bas échelon de l’État, ceux qui disposent de moyens et de l’autorité peuvent impunément faire les choses avec ou sans l’aide de l’extérieur, et freiner le développement de leur pays. Cela va du pillage des ressources, à l’enrichissement illicite, la corruption, l’incompétence etc… Mais ce manque de volonté politique fait l’affaire d’un ordre mondial dont bien des tenants se retrouveraient sur le bancs des accusés d’une telle juridiction. Donc, une telle commission n’aura pas lieu vraisemblablement, ce qui n’enlève en rien la pertinence de tenter de la faire naître. Ainsi on a réussi, après des dizaines de milliers de morts, d’avoir un TPI pour le Sierra Leone et le libérien Charles Taylor, un des complices dans l’assassinat de Thomas Sankara, y comparaît.  Les assassins de Thomas ne se cachent pas et n’ont pas disparu. Ceux de Cabral ou de Lumumba sont plus difficiles à trouver. Ceux qui les parrainent feront donc tout pour qu’une telle commission n’advienne pas.

Vous avez reçu des menaces de mort qui ont coïncidé avec celles qui ont touché Sams’K Le Jah? Pensez-vous qu’il y ait un lien entre ces deux affaires?

C’est probable. En Décembre 2006, j’ai reçu à ma porte une enveloppe capitonnée vierge  avec une feuille de papier où était écrit «arrête ou on t’arrête». Je n’ai pas déduit qu’elle m’était destinée, car elle n’était pas adressée. En février 2007, j’en ai reçu une seconde, toujours pas adressée, avec un intitulé relativement similaire. Je ne l’ai pas liée à cette affaire. J’ai plutôt passé en revue toutes les cassettes de mes émissions de Télé de l’année, et autres articles sur différents sujets, essayant de voir qui j’avais bien pu offusquer. Jusque là je n’ai pas fait de lien avec l’affaire  Sankara, et n’étais d’ailleurs pas plus sûr que ces enveloppes m’étaient destinées. En mars 2007 par contre, j’ai reçu la dernière. Elle était explicite à mon endroit :«choisissez une seconde vie arrêté, par contre prépar votre suicide cette année ou dès aujourd’hui mourir exécuté Aziz». J’ai porté plainte le 23 Mars 2007. En avril 2007, j’ai été invité à venir présenter et animer le débat sur un nouveau film sur Thomas Sankara au festival Vues d’Afrique de Montréal. Cet évènement a été filmé par un cinéaste de Vues d’Afrique. Le surlendemain, je reçois du comité de la commémoration du 20 ème de Sankara, un courriel qui m’apprend que Sam’s K un animateur de radio et artiste burkinabé a été menacé pour la seconde fois dans son pays. Il aurait été intimidé le 18 et 28 avril. Ce jeune homme, que je ne connais pas, a été l’un des personnages du documentaire projeté au cinéma Beaubien. Je retorque au comité que moi aussi je l’avais été. Il me suggère alors  de figurer aussi dans son communiqué d’alerte. Je ne voulais d’ailleurs pas trop au début, de peur de démobiliser et de désorganiser la campagne. Le communiqué paraît finalement. Le 7 mai, de retour à mon domicile, j’ai un message téléphonique à l’accent indéfini et dans une tonalité hésitante mais pas haineuse dit ; «Bon, tu ne veux pas comprendre. En plus, tu alertes les flics. Tant pis pour toi, on fera ce qu’on t’a promis. Ce n’est pas ta bande d’avocats ni les flics qui vont te protéger».

En raison des menaces à Sam’s K et ensuite d’une tentative d’effraction à ma demeure, je prends l’affaire plus au sérieux et me rends de nouveau au poste de police. C’est là que nous repassons en revue les films sur mes conférences et tombons, par un heureux hasard sur trois personnes, qui ultérieurement prétendent ne pas se connaître,  mais qui sont ensembles sur cette bande et y ont un comportement ambiguë. Elles se sont à plusieurs reprises contredites par la suite.

Vous avez porté plainte au Canada où vous résidez, l’enquête a-t-elle donné des résultats?

Les enquêteurs ont interrogé deux de ces personnes et recherchent toujours la troisième.  Difficile de savoir si c’est un excès de zèle de partisans excédés par notre travail de dix ans ou quelque chose de plus structuré. Il y a aussi eu, disons d’autres troublantes coïncidences dans cette affaire. La police enquête, certaines ont une immunité, mais au moins, à présent, ils sont dans le collimateur de la justice. Ils savent que d’autres que nous savons… Dans tous les cas, nous nous laisserons ni corrompre, ni intimider, comme nous l’avons montré en participant à la tournée internationale Sankara 2007 et comme le montre la détermination de la famille Sankara, et la nébuleuse d’organisations, de personnalités et de militants qui oeuvrent dans cette affaire.

Quelles sont les revendications de la famille?

Je crois que cette famille est très digne, prête à tourner la page et à pardonner si on daignait les respecter et dire ce qui c’est passé et que des responsabilités soient assumées.
Le pouvoir a proposé de l’argent à la famille. Comment a-t-elle réagi?

Il est difficile d’avoir une réconciliation sans justice. Cette famille là n’est pas mue par l’argent. L’histoire retiendra le cynisme dans cette affaire, non seulement le pouvoir persiste à cacher la vérité et les assassins, mais la somme proposée elle-même apparaît indécente au regard de l’enrichissement illicite qui sévit là et que d’ailleurs les populations, de moins en moins dupes, dénoncent au regard de ce qu’elles endurent pour joindre les deux bouts.

Vous avez lancé une pétition voir à l’adresse http://www.ipetitions.com/petition/Sankara20/ dont le titre est "Soutenons notre victoire contre l’impunité", en quoi estimez-vous avoir obtenu une victoire?

Comme nous l’avons dit précédemment, il n’existe pas de précédent en Afrique de cette ampleur. Un État qui est pris en flagrant délit de violations dans le cas de l’assassinat de son chef d’État. Comme vous le savez, nous avons un cortège d’assassinats politiques en toute impunité. Ceci dit, cette pétition, dont nous n’avons d’ailleurs toujours pas fini de rentrer sur le web les milliers de signatures manuscrites engrangées, visait à encourager l’ONU. Nous savons que l’impartialité de ses experts est soumise à dure épreuve, et que le rapport de force est inégal contre ces forces qui s’opposent à ce que la vérité affleure et qui sont d’ailleurs parmi celles-là mêmes qui freinent le développement de l’Afrique. C’est donc clairement un précédent historique dans le monde et en Afrique dans le cas du meurtre d’un chef d’État. Hélas le droit international en la matière est peu coercitif. Les commanditaires et assassins peuvent toujours s’en tirer en toute impunité. Ce genre de décision indexe la communauté internationale encline à soutenir aveuglément ce type de régime alors qu’il viole les droits de la personne. Cela aide à ce que les décideurs ne perpétuent pas l’impunité. Mais l’histoire sera probablement le meilleur juge  et l’ONU, le Burkina et notre travail seront appréciés à leur juste valeur.

Quelles sont les nouvelles échéances? Et qu’attendez-vous de nouvelles sessions du comité des droits de l’homme de l’ONU?

Il existe encore des possibilités de déposer une nouvelle communication à cette instance ou à une autre. Si comme l’Afrique du Sud, le Burkina osait prendre le taureau par les cornes, il exorciserait ce syndrome qui risque de le hanter longtemps tant que la culture d’impunité perdurera, que ce soit dans l’affaire Zongo, la vente illicite de diamants ou l’immixtion dans les conflits régionaux etc..

Depuis quelques temps des écrits et des interviews pointent une éventuelle implication de la françafrique et de pays voisins dans l’assassinat de Thomas Sankara. Les avocats ont-ils des éléments accréditant cette thèse?

Oui nous en avons, mais à notre connaissance rien de nouveau, car ce qui affleure  est su  depuis bien longtemps et pas seulement de nos avocats.

Ce n’est que tout récemment que la mort de Lumumba a été entièrement élucidée, pensez-vous qu’il faudra attendre 40ans pour que celle de Sankara le soit aussi?

Lumumba n’a pas eu la chance d’avoir un collectif pour le défendre, et la nébuleuse qui l’a assassiné a vainement tenté de cacher cette vérité. En l’espace de dix ans, nous avons obtenu des choses importantes et l’essentiel de ce qui s’est passé est en fait connu, mais pas reconnu. Tschombé ou Mobutu, au fait de leur gloire, ont  aussi cru qu’ils étaient au dessus des lois et soutenu éternellement par leurs parrains. Aujourd’hui, ce qui importe c’est de se rendre compte que c’est cette même culture d’impunité qui a fait inflation au Congo qui compte prés de 4 millions de morts qui auraient pu être évités. Ce silence coupable sur cette condition tragique, cette culture de l’impunité doit être combattue. Les africains et les africains doivent savoir que c’est leur avenir qui en dépend, et apprendre à soutenir leurs élus qui défendent leurs intérêts. Nous n’avons plus le luxe d’attendre trente ans de plus pour cela, dans les termes iniques de la mondialisation et du pillage de l’Afrique. La jeunesse africaine doit se ressaisir et faire barrage à cette impunité, moteur de la compradorisation des élites. Il y aura toujours des cas irrésolus de par le monde, car la raison d’État est terrible, mais cela ne signifie pas un syndrome congénital à l’Afrique. Nous méritons que des leaders, véritablement préoccupés de la condition de leur peuple, vivent et accomplissent leur devoir démocratiquement.

Suite à votre action les familles des personnes fusillées sous la révolution pourraient être tentées aussi d’intenter une action en justice? Qu’en pensez-vous?

Je ne vois pas ce qui les en empêche. Il me semble que ces situations différent des exécutions extrajudiciaires et du complot local et international contre Sankara et sa dizaine de camarades, car il y a eu procès. Mais si la justice burkinabé ne les prescrit pas, pourquoi pas. Après tout, le pouvoir actuel qui est contre la révolution de cette époque devrait être leur allié et les soutenir dans cette démarche.

Quel appel souhaitez-vous lancer aux gens qui se sont mobilisés à travers le monde pour commémorer la mort de Thomas Sankara?

Nous les remercions de l’appui offert dans cette épreuve, mais nous souhaitons qu’ils restent mobilisés. Thomas Sankara a incarné l’espoir d’un changement basé  essentiellement sur la contribution des forces endogènes de ses concitoyens. Ce fut la dernière révolution africaine, interrompue alors qu’elle commençait à engranger des fruits prometteurs. A 37 ans, comme Che Guevara, Sankara rejoint le panthéon des grands internationalistes. Contre un développement de type néo-colonial, Thomas Sankara a privilégié l’agriculture et les paysans pour le sursaut national; voulu créer un marché intérieur de biens de consommation de masse accessible et variés; tenté de satisfaire pour le plus grand nombre les besoins essentiels; contribué à l’émancipation de la femme et des forces rurales; eu une gestion patriotique des deniers publiques en refusant la subalternisation qu’impose le système mondial et en appliquant un internationalisme agissant. Sankara a  incarné un développement autocentré et panafricain, une rupture radicale avec les désordres antérieurs, mais aussi bien des mentalités et autres rigidités culturelles. Il suppose une adhésion populaire, un engouement des masses, un sens du sacrifice des couches possédantes. Des conditions qui font de Sankara un visionnaire. Son projet de société demeure valable pour l’essentiel.   Bref beaucoup d’initiatives radicales et contraires à la norme en vigueur dans le système mondial. Il s’aliéna vite des tenants locaux, régionaux et internationaux du pré-carré français.

Aujourd’hui, alors que la crise alimentaire s’exacerbe, que des jeunes désespérés bravent tout pour s’expatrier, que la mondialisation réserve une partition étriquée pour l’Afrique, il importe qu’elle se prenne en main, qu’elle se consolide par le panafricanisme et le développement autocentré endurable et plus de coopération Sud/Sud. Il lui faut développer une culture démocratique et l’éradication de la corruption et de l’impunité. L’intégrité de Thomas Sankara en la matière est une source d’inspiration. La lutte pour faire reconnaître sa contribution, comme celle visant à lui rendre justice sont indissociables. Cette lutte est contre l’impunité, surtout celle qui perpétue les assassinats des internationalistes qui osent infléchir le développement de leur peuple vers ses besoins essentiels. Mais l’indispensable alliance nationale et populaire, inhérente à toute rupture avec la compradorisation et la mondialisation néolibérale est un épisode vicieux, qui nécessite constamment une repolitisation démocratique des populations et un sursaut panafricaniste. Nos jeunes doivent donc prendre exemple sur Sankara, en symbiose avec les masses populaires dont il fit l’ardente promotion et un  internationalisme humaniste et universaliste essentiel à un authentique «mondialisme».

 

Propos recueillis pour le site thomassankara.net le 20 mai 2008.

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