Au terme d’un long processus, de clarification politique au sein des civils, avec un travail sur le long terme des groupes marxistes clandestins, notamment via les organisations syndicales et au sein de la jeunesse , comme de l’armée, à la suite d’une succession de coups d’État, la journée du 4 août marque l’aboutissement d’un longue période de combats politiques. Le fil de la journée, minutieusement préparée, riche en rebondissements va se dérouler tel un scénario digne des meilleurs film à suspens.
La journée du 4 août commence comme une journée ordinaire à Po, une ville près de la frontière du Ghana au centre national d’entrainement commando (CNEC). Créé à sa demande par Thomas obtenu lorsqu’on l’avait nomme secrétaire d’Etat en Sankara, il avait obtenu que son adjoint, son ami Blaise Compaoré, le remplace en 1981.
Les hommes se lèvent tôt. Un court briefing rassemble Blaise Compaoré, son adjoint Gilbert Diendéré et les sous officiers. Les commandos partent ensuite s’entraîner comme d’habitude puis viennent quelques moments de détente.
Un scénario mis au point minutieusement
A Ouagadougou, la situation est tendue depuis quelques jours. Une certaine effervescence règne dans la ville, chacun s’attend au dénouement d’une crise qui n’a que trop durer avec les commandos de Po en rébellion, tandis que le camp adverse est quelque peu désorganisé, du fait des tiraillements entre Jean-Baptiste Ouedraogo, le président et l’aide droite du pouvoir qui veut en découdre. De nombreux civils ont rejoint la ville de Po pour se mettre au service de Blaise Compaoré, alors que Thomas Sankara est en résidence surveillée.
Les révolutionnaires, militaires et civils ont eu le temps de mettre en place tout un système de messagers qui permettent les liaisons entre la capitale, Po et les différentes villes de garnison où les amis de Sankara ont des partisans. Une réunion se tient fin juillet. La date de la prise du pouvoir, minutieusement préparée avait été fixée le 1er août. Deux jours avant, Blaise Compaoré était venu à Ouagadougou. Au cours d’un bal il s’était éclipsé, feignant comme il en avait d’habitude de partir avec une fille pour finalement retrouver Thomas Sankara et mettre au point les derniers préparatifs dont cette panne d’électricité mais aussi celle du téléphone en collaboration avec des civils. Le 1er août, les préparatifs commencent. Le téléphone est même momentanément coupé. Mousbila Sankara, un oncle de Thomas Sankara travaille en effet à l’ONATEL, l’Office National des Télécommunications où un groupe de travailleurs est dans le coup. La plupart sont militants du PAI, le parti africain de l’Indépendance, clandestin. Informé de l’annulation, il doit repartir en pleine nuit rétablir les communications. Puis on repousse au 3 août, puis au 4. L’inquiétude gagne de peur que quelqu’un parle et que les ennemis découvrent ce qui se prépare.
Vers midi à Po, un officier rentrant de Ouagadougou rapporte les bruits qui courent à Ouagadougou. Gabriel Somé Yorian et Fidèle Guebré, les leaders du de la droite au sein de l’armée, s’apprêteraient à profiter de la fête de l’indépendance pour prendre le pouvoir à l’aide de leurs commandos en écartant Jean-Baptiste Ouedraogo. On dit même qu’ils préparent une opération militaire contre Po. Il faut agir !
Ce n’est que l’après-midi que les évènements vont se précipiter.
Rebondissements
A Ouagadougou, en début d’après midi, inquiet des nouvelles qui lui parviennent en provenance de la gendarmerie, Jean-Baptiste Ouedraogo se rend chez le chef d’état-major, le colonel Tamini. Ce dernier semble ne pas s’inquiéter des informations qui circulent, mais néanmoins insiste pour que Jean-Baptiste Ouedraogo intervienne en médiateur. Celui-ci accepte et propose que les négociations se déroulent à son domicile.
Vers 15 heures des petits groupes investissent tous les services publics à Po, afin surtout d’éviter que l’on puisse prévenir la capitale par téléphone. Le CNEC manque de véhicules pour transporter les hommes armés jusqu’à Ouagadougou. Pas question qu’ils soient défectueux et ils doivent aussi pouvoir rouler vite. Une équipe s’empare des camions d’une entreprise canadienne utilisée dans un chantier à quelques kilomètres de là. Selon l’ancien journaliste Jacques Secretan, c’est Jerry Rawlings qui auraient demandé à des militaires ghanéens de les amener à la frontière très proche de la ville de Po.
Les hommes démarrent, répartis en plusieurs groupes, chacun avec une mission précise. Le premier doit investir la Présidence, un autre la radio, un autre la gendarmerie, un autre la compagnie républicaine de sécurité et enfin le dernier le groupement blindé du régiment interarmes plus communément appelé le RIA, au camp Guillaume. Ce n’est que vers 18 heures, en retard sur l’horaire prévu, que la colonne s’ébranle. A la tête de la colonne, outre Blaise Compaoré, se trouve Vincent Sigué. Ancien légionnaire, admiré tout autant que craint pour ses qualités de guerrier, il s’est mis au service de la révolution, totalement dévoué à Thomas Sankara.
A une cinquantaine de kilomètres de la capitale, Sigué avec un jeune officier de Po, légèrement en avance par rapport au convoi, rencontre un homme en mobylette qui se présente comme un messager de Thomas Sankara. Il leur présente un mot écrit de sa main. Il demande à ce que les para-commandos ne dépassent pas Kombissiri. Il est parvenu à un accord avec Jean-Baptiste Ouedraogo Celui-ci accepterait finalement de négocier. Ils émettent quelques doutes. Ils ne connaissent pas l’émissaire. Ils ne sont sans doute pas au courant des tractations entamées depuis longtemps avec Jean-Baptiste. Ils soupçonnent une manœuvre pour retarder leur avance. En plus Sigué est plutôt partisan de la manière forte. Alors ils décident de ne pas transmettre le papier à Blaise Compaoré. Ils lui transmettent un autre message. Il faut foncer sur la capitale.
Que se passe-t-il entre les deux hommes ? Certains affirment que Blaise Compaoré aurait confié à Sigué qu’il se sentait mieux placé pour assumer la plus haute charge du pouvoir[1], ce qui expliquerait un conflit permanent entre les deux hommes durant les années qui vont suivre. Difficile à infirmer ou à confirmer, puisque Vincent Sigué a été tué le lendemain de l’assassinat de Thomas Sankara, tout prêt de la frontière avec le Ghana ?
Thomas Sankara, Henri Zongo, un autre capitaine ami de Thomas Sankara et le colonel Tamini se retrouvent comme prévus aux alentours de 19 heures. Après quelques échanges où chacun expose ses positions, Sankara déclare alors se mettre « à la disposition du groupe pour explorer avec moi les voies et moyens susceptibles de ménager une issue pacifique au conflit dans l’intérêt du pays ». La discussion se poursuit et Jean-Baptiste Ouedraogo, après avoir fait appel à l’unité et au patriotisme de chacun, propose de se démettre de ses fonctions « afin de faciliter la constitution d’un gouvernement de transition qui ferait l’unanimité ». Thomas Sankara se dit prêt à cette solution de compromis mais demande un délai de 4 ou 5 heures pour pouvoir en discuter avec Blaise Compaoré. Et tous se quittent vers 20h30 en prenant rendez-vous pour un peu plus tard vers minuit ou 1 heure du matin. On trouvera la version de Jean Baptiste Ouedraogo à http://thomassankara.net/?p=362.
Thomas Sankara envoie un émissaire auprès d’un dirigeant du PAI pour l’informer de l’accord et lui demander de rappeler ses militants. Une dizaine de membres de ce parti font partie des civils qui doivent guider les camions des commandos aux abords de la capitale. Mais il est trop tard. Ils sont déjà en place.
La progression vers la capitale continue. Peu avant 20 heures la colonne s’arrête aux abords de la capitale. Des militants révolutionnaires les rejoignent comme prévu aux endroits préalablement choisis et montent dans les camions. La capitale est plongée dans l’obscurité par une panne provoquée par des partisans de la révolution. Des employés de l’ONATEL se sont organisés comme prévus pour couper le téléphone selon les besoins, là où c’est nécessaire. Ernest Nongma Ouedraogo, cousin de Sankara, est directeur adjoint de la police nationale. Après le 17 mai, il a certes été écarté mais il est resté dans l’enceinte du camp de la direction de la police et peut encore accéder à certaines informations utiles.
L’électricité étant coupée, les civils montés dans le camion vont guider les para-commandos et leur permettre d’atteindre les différents objectifs malgré l’obscurité. Il faut en effet éviter de donner l’alerte et donc prendre des chemins détournés afin de ne pas se trouver nez à nez avec les hommes de Somé Yorian répartis un peu partout aux abords de la ville afin justement d’éviter la montée des para-commandos de Po.
L’assaut final
C’est à 20h30 que l’assaut coordonné des différents objectifs est lancé et les premiers coups de feu éclatent vers 21h. On croit d’abord en cette veille de la fête de l’indépendance à un feu d’artifice. Les tensions avaient petit à petit été oubliées par la population pour laisser place à une certaine insouciance, excepté parmi les militants qui pouvaient ainsi plus tranquillement se consacrer à la préparation de cette prise du pouvoir.
La gendarmerie et la compagnie républicaine de sécurité sont rapidement investies. La base aérienne et le groupement d’artillerie comptent en leur sein de jeunes officiers acquis à la révolution qui ont été associés aux préparatifs de cette journée. Conformément au plan prévu, ces deux camps sont rapidement neutralisés. Le ralliement des soldats ne fait aucune difficulté après quelques explications tant la popularité des officiers progressistes est grande.
La situation est plus difficile autour de la présidence. Les soldats de la garde sont disposés tout autour sur deux rangées de défense et les para-commandos se voient même un moment presque encerclés avant de finir par prendre le dessus. Mais c’est surtout au groupement blindé que la riposte est plus vive. Jean-Claude Kamboulé, qui le commande, avait été un des principaux instigateurs du 17 mai qui avait écarté Thomas Sankara du poste de premier ministre. Il faudra un peu plus de temps pour s’emparer du camp. Les commandos doivent utiliser des lance-roquettes et des grenades anti-chars grâce auxquels ils parviennent à détruire deux chars. Les assiégés réalisent assez rapidement que leur chef s’est enfui et finissent par se rendre.
Autour de la résidence de Jean-Baptiste Ouedraogo les hommes de la garde présidentielle échangent un feu nourri avec un groupe de para-commandos dirigés par Vincent Sigué. Celui-ci menace à haute voix de tuer tout le monde si la garde ne se rend pas. Les fusillades durent un bon moment avant que les hommes de la garde présidentielle ne se rendent. Blaise Compaoré arrive vers 22h puis Thomas Sankara vers 23h. Il ordonne à tous de cesser le feu et entre dans la maison.
« – J’ai proclamé la révolution déclare-t-il.
– C’est bien lui, répond Jean-Baptiste Ouedraogo, car au moins c’est plus clair et maintenant on est tous tranquilles. Mais avant ce n’était pas la ligne arrêtée. Et moi qu’est ce que je deviens ?
– Si tu veux je te fais évacuer, toi et ta famille car tu connais le peuple, il ne va pas te laisser tranquille.
– Moi aussi je connais le peuple. S’il en est ainsi, je préfère rester au pays et nous allons tous suivre la Révolution ».
Tous deux ressortent assez rapidement. Le président déchu est emmené en lieu sûr au palais de la présidence par Vincent Sigué où il va passer la nuit. Sankara vient le voir le lendemain matin vers 7h30 pour lui rendre compte de la situation et lui promettre de le libérer dès que la situation le permettra. Jean-Baptiste Ouedraogo est ensuite transféré au Conseil de l’Entente dans la matinée puis le soir à Po où il sera incarcéré deux ans à Po avant d’être mis en liberté surveillée.
Cependant les deux véritables maîtres du pouvoir déchu sont encore libres. Lorsque les commandos investissent la maison de Gabriel Somé Yorian, ils découvrent qu’il est déjà en fuite. Peu confiant dans la capacité et la volonté des troupes ouagalaises à s’opposer à l’opération en cours qu’il comprend vite comme le retour des officiers progressistes, il s’est enfui rejoindre le commandant Lompo Karim à Ouahigouya. Fidèle Guébré, lui, est à Dédougou à la tête de ses commandos. Ils finiront par se rendre le 7 août. Ils seront tous les deux exécutés, officiellement « à la suite d’une tentative d’évasion ».
Peu avant 22 heures, Thomas Sankara, accompagné de Gilbert Diendéré et d’une dizaine de commandos arrivent à la radio. Ils tambourinent à la porte pour se faire ouvrir mais aucun coup de feu n’est tiré. Emu et quelque peu essoufflé il lit une déclaration où il rend hommage aux militaires qui viennent de s’emparer de la prise du pouvoir et annonce la création d’un conseil national de la révolution.
Une révolution commence qui bouleversera la Haute Volta, devenue l’année suivante le Burkina Faso, « le pays des hommes intègres ».
Le dénouement d’un long processus
Cette prise de pouvoir résulte d’un processus en cours depuis plusieurs années et d’une crise politique et économique aigüe (voir pour plus de détails un article intitulé Thomas Sankara leader d’un authentique processus révolutionnaire à http://thomassankara.net/?p=535). Le pouvoir néocolonial mis en place en 1960 est contesté et renversé dès 1966. Différentes formes de pouvoir vont se succéder jusqu’en 1980, avec une période de pluralisme politique qui verra même l’élection d’un des présidents après un ballotage. Les partis traditionnels vont petit à petit se déconsidérer pour leurs joutes parlementaires stériles dans un des pays le plus pauvre du monde. Des jeunes officiers autour de Thomas Sankara vont se regrouper petit à petit, d’abord pour revendiquer l’amélioration de leurs conditions de vie et de celles de leurs soldats et certains d’entre eux, influencés par le marxisme s’organiseront clandestinement. Tandis que des groupes marxistes clandestins pour travailler à s’emparer des directions syndicales, puis à organiser de nombreuses grèves. A partir de 1980, une succession de coups d’état vont aggraver la crise politique. Plusieurs clarifications successives vont écarter les militaires formés dans l’armée coloniale, puis certains groupes clairement à droite. La jonction va se faire entre les civiles et les militaires qui vont collaborer ensemble, Sankara poussant à ce que les organisations civiles travaillent ensemble. Le 17 mai 1983, Sankara est arrêté, puis mis en résidence surveillée, alors que des manifestations de rue sont organisées par les groupes révolutionnaires clandestins. Blaise Compaoré réussit à passer à travers les mails du filet et à rejoindre sa base de Po. De nombreux civils vont le rejoindre, parfois suivre une formation militaire. De armes vont être livrées à Po, fournis pas Kadhafi qui vont transiter par le Ghana, dont les frontière est proche de la ville de Po.
Deux clans s’affrontent au sein de l’armée alors que les idées révolutionnaires ont très largement gagné les couches moyennes non commerçantes, les élèves et les fonctionnaires. Le 4 août 1983 se traduit en réalité par l’affrontement entre ces deux, et le résultat de ce long processus, une convergence de conditions objectives et subjectives, ayant créé cette situation révolutionnaire.
Trahi par son ami, assassiné sauvagement
Tout le pays va se mettre au travail, la population retrouve confiance et dignité. En 4 ans, ce pays va connaitre d’énormes progrès dans tous les domaines. Thomas Sankara va s’avérer pour l’occident un ennemi à abattre. Porte voix des miséreux, sur la scène internationale, il dénonce les USA, et la France comme responsable des inégalités et de l’oppression des palestiniens comme des noirs d’Afrique du Sud en particulier. A l’intérieur, les révolutionnaires vont s’entre déchirer. Thomas Sankara, et sept de ses collaborateurs sont assassinés en pleine réunion, le 15 octobre 1987, par les hommes de son ami Blaise Compaoré, Gilbert Diendéré son ajoint. Plusieurs témoignages convergents laissent penser qu’un complot international a contribué à l’organisation de cette élimination sanglante. Une expérience révolutionnaire la plus prometteuse du continent est brutalement interrompu, prenait fin brutalement, mettant fin à l’espoir qu’elle suscitait sur tout le continent. 30 ans après Sankara prend sa revanche. La popularité de Thomas Sankar ane cesse de grandir tandis que celle de Blaise Compaoré est au plus bas et que le peuple burkinabé vient coup sur coup d’organiser deux manifestations demandant son départ.
Bruno Jaffré
Cet article contient de nombreux extraits du chapitre intitulé la prise du pouvoir de Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort, paru chez l’Harmattan en 2007 (voir la présentation à http://thomassankara.net/?p=441)
[1] Moussa Diallo lors de son audition au procès de l’assassinat de Thomas Sankara est revenu sur l’ambition de Blaise Compaoré de ne pas donner le pouvoir à Thomas Sankara. Il l’aurait confié à Vincent Sigué , mais pas le 4 août mais avant. Sigué l’aurait entendu de la bouche de Blaise Compaoré et en aurait prévenu Thomas Sankara. Moussa Diallo affirme être venu le dire à Thomas Sankara qui avait effectivement été mis au courant. Ce dernier en avait discuté alors avec Blaise Compaoré qui l’aurait rassuré (voir https://lefaso.net/spip.php?article110390).
Il y a 30 ans, Thomas Sankara tait port au pouvoir
L’assassinat sauvage de thomas sankara a bocoup attrist le peuple burkinab et tous les africains en gnral.Aujourd’hui nous sommes fiers de voir que sankara est devenu une icone internationale.
Les africains ont soif de connaitre la vrai histoire sur son assassinat.
Il est important de rectifier certaines choses.D’aprs les propos de boukari kabor la tlvision bf1 ; une tlvision prive au burkina le coup d’tat du 04 aout 1983 qui a port sankara au pouvoir n’est pas l’oeuvre de blaise compaor.Selon lui c’est le capitaine lingani qui a pris le pouvoir.