Que faire de Sankara?

Par Newton A. Barry

Cette question rend les Burkinabè assurément perplexes. Ceux qui l’ont assassiné se débattent pitoyablement avec son fantôme. Mort, il est devenu encore plus présent et plus encombrant. Est-il possible de gagner contre un mythe ? C’est dans ce combat épuisant que se sont engagés Blaise Compaoré et les siens, depuis maintenant vingt ans. Au risque d’aligner des impairs. La grande critique qui est faite à la gouvernance de Thomas Sankara, c’est l’absence de liberté et de démocratie. C’est une insuffisance grave au regard du contexte actuel de la gouvernance politique. Pour les partisans de Blaise Compaoré, c’est naturellement un avantage comparatif. Chantre de la démocratie ou de la renaissance démocratique, c’est effectivement un label qui vaut son pesant d’or. Comme c’était le ventre mou du régime de Sankara auquel ils ont participé, on ne pouvait trouver mieux pour contrer la déferlante sankariste. Mais cette belle aubaine est en même temps d’utilisation difficile pour Blaise Compaoré. Vingt ans de démocratie avec la même personne, cela fait désordre. En démocratie, il y a des durées de règne maximales à ne pas dépasser. Le plus long bail à la tête de l’Etat démocratique, c’est le septennat, renouvelable une seule fois. Alors, quand on en arrive à vingt ans, on est forcément hors délai. Il y a donc un malaise à concilier “paternité démocratique” et “trop long règne “. Dans le contexte actuel, vingt ans de règne, Cela rappelle les ” timoniers “. Or, cela est passé de mode. En France, le général de Gaulle qui est le père de la Vè République, celle qui a apporté la stabilité à l’Etat français, n’est pas resté plus d’une décennie au pouvoir. Et pourtant, il a marqué les institutions de son pays.

En rappelant à coup de tapage et de monopolisation des médias, dont certains sont achetés à prix d’or, qu’il est là, à la tête de l’Etat burkinabè, depuis 20 ans, le risque est grand d’aboutir à l’effet inverse de ce qui est recherché. Vingt ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré, on en retient davantage le nombre d’années au pouvoir qui jure avec ce qui est ordinairement admis pour ce type de régime. Ensuite, il n’est pas de bon ton de fêter la gouvernance démocratique. Car c’est oublier ou méconnaître que le mandat présidentiel, en démocratie, s’exerce par délégation. Le président démocratiquement élu a reçu mandat du peuple pour exercer un pouvoir, dont il n’est pas le propriétaire. On ne fête pas ce qui ne vous appartient pas. Et puis, la démocratie est une quête perpétuelle. C’est le régime de ” l’éternelle incertitude “. Ce qu’on a fait bien jusque-là peut être totalement effacé, par une peccadille conjoncturelle. Regardez ce qui est advenu de Aznar en Espagne. C’est incontestablement le meilleur chef de gouvernement que l’Espagne ait eu ces vingt dernières années. Il commit l’erreur de méjuger le sentiment réel des Espagnols à propos de la guerre contre l’Irak. Ses compatriotes ne le lui ont pas pardonnés. Un régime démocratique ne fête donc pas les règnes. Quand il prend le risque de le faire, on aboutit aux travers que nous constatons présentement. Tout le pays s’est mis au service de Blaise Compaoré pour fêter “la renaissance démocratique” de façon exclusive. Les Sankaristes n’ont pas eu droit aux espaces publics et sont boudés par les médias d’Etat.

Il se produit donc que ce qui devait être l’avantage comparatif des Blaisistes s’est mué en un désavantage. Présentement, celui qui muselle, ce n’est plus Sankara, mais plutôt Blaise Compaoré. C’est la renaissance démocratique vieille de vingt ans qui refuse la contradiction. Ce sont les Sankaristes qui sont aujourd’hui bâillonnés. Même sur le terrain qui devait lui être favorable, a priori, Blaise Compaoré est battu. On voit donc très vite les limites de ce combat épuisant contre un ” fantôme “. Blaise Compaoré s’épuiserait dans un tel combat, où il veut s’auto proclamer vainqueur, en lieu et place de la postérité. La décantation se fera incontestablement et la mémoire historique rétablira chacun dans son rôle et dans sa posture. De Sankara, elle a déjà retenu son intégrité et son amour pour sa patrie, jusqu’au sacrifice suprême. De Blaise Compaoré, retiendra-t-elle la renaissance démocratique ? Il faut attendre de voir. On peut incontestablement avancer ce qui est déjà considéré comme acquis, c’est-à-dire le plus long règne à la tête de l’Etat moderne burkinabè. Le reste dépendra, pour beaucoup, des conditions de sortie du pouvoir. Sa prise a été dans des conditions calamiteuses. Notre confrère L’Observateur paalga a parlé ” d’orgie de sang “.

Après avoir élevé Sankara au rang de héros national, au point de lui croire digne d’un mausolée de plus de 200 millions de francs, il eût fallu être conséquent jusqu’au bout. Saisir cette occasion pour transférer ses restes à son panthéon. Pour les gouvernants d’aujourd’hui, ceux de demain jugeront à la lumière de la vérité historique.

 Newton A. Barry

 Source : L’Evènement spécial 15 octobre 2007 http://www.evenement-bf.net

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