Par Merneptah Noufou Zougmoré
J’ai connu le journal l’Indépendant avant de connaître physiquement son directeur de publication Norbert Zongo. Depuis le début de l’aventure du journal, les jeunes qui étaient dans le sillage du militantisme en raffolaient. Nos aînés qui avaient commencé à travailler et qui épousaient les idées développées par le canard par précaution lisaient Norbert Zongo soit à la maison ou attendaient d’être à l’abri de regard indiscret pour commencer à lire les informations et les analyses qui étaient consignées dans le titre. J’évoque ces faits qui semblent être anecdotique aujourd’hui pour vous situer sur l’environnement socio-politique des années 1990. En effet le Burkina Faso a renoué avec le multipartisme en 1990.
La période va être faite d’agitation pressante. La classe politique revendiquait une conférence nationale à l’instar d’autres pays. Le Burkina Faso va connaître pendant la période l’existence de deux camps politique, à savoir l’ARDC (l’Alliance pour le respect de la démocratie et de la Constitution) qui regroupa l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail) de Blaise Compaoré et 27 partis et la CFD (Coordination des forces démocratiques). La CFD incarnait l’opposition et l’ARDC regroupaient les soutiens de Blaise Compaoré et son régime. C’était une époque charnière ou on tentait sous la pression du Discours de la Baule de ranger le treillis dans le placard pour troquer le Boubou ou le costume. Le discours prônait la démocratie mais on n’avait pas encore perdu les vieux réflexes de la violence politique. C’est dans ce contexte que Norbert Zongo va s’affirmer. Journaliste à Sidwaya ou malgré le prétendu changement les médias publics étaient toujours la voie de leur maître, celui qui aura pour nom Henri Sobgo, Augustine Nana… en plus de son titre de journaliste agent publique collaborera avec un journal lancé par un de ses confrères de la Radio, Saturnin Ky. Cette parution s’appelait La Clé. Il écrira aussi au Journal de Jeudi.
Quand il a eu maille à partir avec le Ministre Hien Kilmité qui l’avait enjoint de rejoindre Banfora comme correspondant de l’Agence d’information du Burkina (AIB) et qu’il a refusé, il décide alors de lancer l’Indépendant en 1993. Mais il était déjà connu comme un journaliste dangereux par le pouvoir en place. La preuve qu’il était dans le collimateur des princes de l’époque, ce sont les menaces qu’il essuyait après la parution de certains numéros de la Clé.
Norbert : le travail et l’abnégation
Pour jouir de son indépendance, il faut travailler à ne pas dépendre des gens. Il travaille un temps à la « Maison Commune », le quotidien Sidwaya où souvent pour des raisons diverses il avait été muté d’un desk à l’autre. Norbert raconte que pour certaines de ses positions, on avait fini par l’envoyé au Sport. Pour ses supérieurs et contempteurs c’était le domaine ou on allait avoir moins de problème avec lui. Moins d’un mois, ils se sont rendus compte que le domaine du sport n’était pas aussi innocent politiquement.
Quand il a quitté Sidwaya, ayant reçu au cours de sa formation en journalisme des cours de photo, il n’a pas hésité à ouvrir un studio photo pour certainement joindre les deux bouts. Ceux qui ont travaillé dans les médias savent que les piges à la presse écrite ne représentent pas grand-chose, sauf quand on est sollicité par les grands titres à l’international. Conscient de toutes ces difficultés, Henri Sebgo, son pseudonyme, va s’investir en plus de l’animation du journal qui est un symbole d’engagement, à la construction d’un ranch aux animaux dédié aux amis de la faune. Il s’est investi physiquement comme financièrement pour en faire un outil d’attraction pour les touristes et d’oxygénation économique pour lui et les projets qu’il portait. Les entrepreneurs de presse peuvent témoigner.
Ce n’est pas un domaine où on se fait de l’argent. Surtout pour le type de journalisme que Norbert Zongo faisait. Il fallait d’autres appuis pour tenir et ne pas s’aliéner. Norbert c’était aussi la parution régulière de l’Indépendant ou l’essentiel du travail était fait par lui. Quelques intellectuels envoyaient leurs réflexions sur la marche du pays mais ces écrits ne tenaient que sur 2 ou 3 pages du journal. Le reste était fait de la prose de l’ancien instituteur que certains avaient continué à appeler « Karensmba » (maître). Pour avoir moi-même travaillé à la presse écrite pendant au moins 20 ans, je mesure l’étendue du travail qu’il abattait. Dans un style simple et attrayant sans coquille l’Indépendant était servi comme plat aux lecteurs chaque lundi dans l’après- midi même si son jour de parution était mardi.
Norbert : journaliste patriote
En 1990 le Burkina Faso s’enorgueillissait qu’il allait au programme d’ajustement structurel (PAS) débout et qu’il n’était pas sur une civière comme beaucoup d’autres pays africains. On n’était pas loin de la période d’auto-ajustement menée par la Révolution sankariste. Le regretté Pascal Zagré, un grand économiste de ce pays a consacré un ouvrage sur l’auto-ajustement ou malgré qu’il avait servi Blaise Compaoré en tant que Ministre disait tout le bien de cette politique économique menée par le Conseil national de la Révolution (CNR). Après que nous ayons sauté pied joint dans le PAS suivra la privatisation d’importantes société dans le pays. L’essentiel de la production de Norbert Zongo sur les deux premières années du journal tient sur le PAS et ses conséquences. La privatisation de X9, l’arnaque de la privatisation de l’Hôtel Indépendance symbole de notre souveraineté sont autant des problématiques qu’il soulevait dans ses parutions.
En plus de l’intérêt journalistique que ces sujets suscitaient, dans le traitement on lisait la plume d’un patriote préoccupé par l’avenir de sa patrie et le sort intenable qui étaient réservés à ses milliers de compatriotes laissés en rade et qui subissaient les affres du chômage. Norbert était aussi attaché à son pays. Après ses études il avait la possibilité de s’établir ailleurs mais il a tenu malgré la possibilité de rester dans ces pays mieux lotis économiquement de revenir au Burkina Faso. Pour les consultations dont il ne manquait pas. Il avait estimé que le travail qu’il faisait pour renseigner certains bailleurs était bien rémunéré mais des suites n’étaient pas données à ces renseignements. Il avait malgré que c’était bien payé décliné l’offre parce qu’il estimait que ceux qui commandaient les enquêtes étaient complaisant envers l’État Burkinabè. Tous ces faits est la preuve qu’il avait de l’amour pour son pays et une attache éthique. Il disait d’ailleurs qu’il faut craindre quelqu’un qui n’a pas d’attache.
Henri Sebgo était nourri par la culture
Comme l’avait dit Laurence Haim, correspondante de la Télévision Canal plus à Washington : « Le journalisme n’est pas un métier. C’est un choix de vie » Henri Sebgo en avait fait un choix de vie. Il l’ avait embrassé sans connaître le B.A.B.A déjà au cours normal à Koudougou. Il écrivait sur les feuilles volantes qu’il placardait devant les salles de classe. Il l’appelait la voix du cours normal. Quand il a acquis la connaissance du métier, il a tenu à son indépendance jusqu’à ce qu’il boive dans le récipient de la mort. Norbert était également écrivain. Il a son actif Le parachutage et Rougbenga. Pour avoir été lui-même auteur, il s’épuisait financièrement et intellectuellement dans les ouvrages. Edouard Ouédraogo témoigne qu’il a participé à un séminaire avec Norbert Zongo à Dakar. Quant à la fin on leur a payé les perdiems, Norbert a laissé presque tout l’argent dans une librairie pour les achats des ouvrages. Il était friand de la connaissance et avait de l’admiration pour ses collègues écrivains dont les plumes servaient à des causes nobles.
Au décès de Sony labu tansy, il lui avait consacré une page hommage dans l’Indépendant. Ce professeur certifié de la brousse congolaise par son œuvre avait fini par se tailler une place de choix parmi les auteurs d’œuvres littéraires. Ils s’étaient rencontré au Danemark et avait des projets qui n’ont pas pu se concrétiser à cause du départ prématuré du dramaturge, romancier… l’homme à de multiples facettes dans la littérature. Pour faire œuvre utile, il faut se cultiver et je crois qu’il l’avait compris dès le bas âge en prenant d’assaut la bibliothèque de son parents Henri Guissou à Koudougou. Quand plus tard il y eu de la ressource, ses dépenses étaient destinées aussi la nourriture intellectuelle.
Il dénonce l’implication du Burkina au Libéria
Dans les années 1990 parmi les titres qui paraissaient au Burkina Faso figurait le journal la Clé. Norbert Zongo et son ami Basile Baloum travaillait dans ce canard qui appartenait à un certain Ky Saturnin. Pendant la période la guerre faisait rage au Liberia. Les Rebelles du MPFL de Charles Taylor bagarraient avec l’Armée restée loyale à Samuel Doe. Le Burkina Faso de Blaise Compaoré qui avait pris faits et causes pour Taylor procède à un recrutement clandestin des combattants pour aller guerroyer auprès de la rébellion libérienne. Ce recrutement avait pour nom « l’Opération Jean ». Norbert Zongo mis au courant écrit une série d’article dont le titre d’un des papiers s’était intitulé « Libérez-nous du Libéria ».Ces articles vont lui coûter des nuits d’insomnies. Un coup de fil anonyme va l’alerter un jour de ne pas quitter le journal parce que des éléments étaient à ses trousses.
Après cette expérience, ils ne savaient pas où mettre la tête avec ce journaliste. Norbert qui n’avait jamais refusé de vivre avec les masses va pourtant décliner une affectation en province. Pour la simple raison qu’on voulait se débarrasser de lui. Quand il a quitté Sidwaya collabore avec les journaux d’ici et d’ailleurs dont le Journal de Jeudi un hebdomadaire satirique de l’époque, mais prend le soin d’installer un studio photo pour faire face à ses besoins pressants. Celui par lequel il avait été sanctionné et contraint de quitter Sidwaya, un Ministre de l’Information militaire entre temps avait des difficultés à gérer une affaire sentimentale. Il était en concurrence avec un expatrié sur une fée de l’époque. Le concurrent ayant pris le dessus sur le brave officier de ministre, il s’est mis à boire. Un jour cette personnalité sous l’effet de l’alcool tombe dans un ravin. Les gens alertent Norbert qui se déplace sur les lieux. Dès que M. le Ministre a pris conscience, il s’est écrié qu’il est mort. Il attendra jusqu’à sa mort sans que Norbert Zongo ne daigne parler de cette affaire dans un journal.
Comme pour dire que son journalisme s’occupait des grandes affaires qui concernaient le pays et non des dérives domestiques. Les chiens écrasés n’était pas sa tasse de Thé. En dehors de Laurent Bado personne au Burkina Faso n’a donné de conférence à l’intérieur du pays comme Norbert Zongo. Quelquefois à l’université, une enseignante qui lui était proche l’invitait à venir s’entretenir avec les étudiants au département du journalisme. Certains lycées étaient dotés par l’Indépendant à titre gratuit, deux journaux par numéro pour la formation de ces esprits juvéniles.
L’Indépendant paraissait chaque mardi mais dès lundi dans l’après-midi on pouvait se le procurer dans les alimentations. Je rends hommage à Issa Yanogo, jeune commerçant à l’époque qui dès 16 heures avait son journal. Après avoir fini de le lire, il me le passait immédiatement vers 20 heures parce qu’on était voisin. Pendant la période mon combat, c’était m’assurer le bol du riz. Malgré la modicité du prix du journal et l’envie de lire, je ne pouvais pas m’offrir le plaisir de payer un journal. Issa a été d’un grand apport dans ma formation. Il n’avait pas été loin à l’école mais avait un grand intérêt pour les grandes causes. Ce qui lui faisait dépenser dans les livres et journaux.
Merneptah Noufou Zougmoré
Article publié en 2025 sur la page facebook de l”auteur voir https://www.facebook.com/merneptahnoufou.zougmore