Thomas Sankara, héros, précurseur de la lutte pour une mondialisation à visage humain
L’enjeu de la mondialisation au sens des partisans de la conférence de Davos (Suisse), c’est l’évolution du système capitaliste dans la mesure où les frontières nationales s’estompent et où le marché se généralise à l’ensemble de la planète. C’est la formation d’un « village planétaire » selon la formule de MAC LUHAN. La conséquence d’une telle vision défendue par les « grands du monde » (tous ceux qui par leurs positions politiques, économiques, financières voire syndicale ont une capacité d’agir et d’influencer l’évolution du système capitaliste) est que l’on assiste à une compétition sauvage entre nations, entre entreprises, entre individus et entre cultures dans laquelle seule la loi du marché ou la force détermine la chance de
Au même moment que se tient la conférence de Davos, se réunissent à Porto Alègre ( Brésil) tous les mouvements associatifs, alternatifs, politiques et syndicaux qui réclament une autre mondialisation plus soucieuses des problèmes économiques, sociaux, culturels et écologiques. Cette initiative reprend et développe la conception de l’ordre socio-économique mondial prôné par Thomas SANKARA. SANKARA a défini sa vision à travers ce plaidoyer : « Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire ou qu’ils sont de culture différente et bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal…Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis………Je parle au nom des mères de nos pays démunis, qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.
Je parle aussi au nom de l’enfant. L’enfant du pauvre, qui a faim et qui louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une vitre épaisse. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier, placé là par le père d’un autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir parce que représentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système.……. Je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons….Eh bien, je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde, ils peuvent se faire entendre. Oui je veux donc parler au nom de tous les "laissés pour compte" parce que "je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger" ».
Pour lui, l’économie mondiale dispose des ressources matérielles et humaines ainsi que des capacités technologiques et scientifiques nécessaires pour abréger les souffrances des classes défavorisées. Il pense qu’il faut rechercher la cause principale de la marginalisation dans le système d’organisation ou dans les mécanismes mis en place par des entreprises, des individus et des Etats dans le seul objectif d’engranger le maximum de profit ou de persévérer dans leur domination.
SANKARA, dans cette lutte ne dénonce que les grandes puissances. Il précise que cette « faunes suceuse du sang du peuple » se compose d’acteurs qui exploitent les citoyens ou abusent d’eux. Ces individus proviennent aussi bien des pays riches que des pays sous-développés.
Déjà, SANKARA percevait également le danger du recul des autres civilisations au profit de la civilisation occidentale qui a la prétention de s’afficher comme une civilisation universelle. Afin que le Révolution Populaire et Démocratique ne soit pas une simple usine à parole et peu engagée sur le terrain des réalisations, il a donné une impulsion fort remarquable à la civilisation de son pays le Burkina Faso. Les produits locaux, notamment, le Faso Dan fani, une cotonnade locale et la boisson traditionnelle locale, extraite des céréales produits par la paysannerie ont connu un franc succès. SANKARA, tout en reconnaissant les valeurs de la langue française soutenait que le français doit reconnaître la langue des autres était un combattant de l’acculturation.
Plus tard, la loi sur l’exception culturelle française par exemple, reprendra la conception sankariste sur ses aspects culturels. Cette disposition française signifie que la France refuse que la culture (cinéma, livre, musique) obéisse aux lois du libre échange comme les produits alimentaires et industriels. C’est ainsi que la France a sauvé son cinéma.
Par ailleurs, la propension de la langue anglaise qui menace d’autres langues notamment la langue française amène la France à mieux organiser la francophonie.
La conception de l’économique, du social, du juridique, du culturel et de l’ethnique, en somme, l’idéologie politique de Thomas SANKARA, est incarnée en ces termes : « Nous préférons faire un pas avec le peuple, que de faire dix pas sans le peuple ». En plaçant le peuple au centre de son action politique, SANKARA assure au citoyen son droit légitime à l’épanouissement par la promotion d’une prise de conscience de ses potentialités et par la promotion de ses droits fondamentaux, à savoir le droit à l’éducation, à l’alimentation, à la santé, à l’habitat, à la liberté, en un mot, il assure au citoyen sa dignité. Dans l’optique de consacrer effectivement les dividendes de l’effort du peuple à ses besoins, ses nécessités, ses urgences ci-dessus, il a défini un plan aussi original que pratique de lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics et à également procédé à la rationalisation du train de vie des dirigeants. Ce système de gouvernance a mis réellement le peuple à l’abri de l’état de nature hobbesien dans lequel les plus forts abusent des faibles économiquement et socialement. Dès lors, autant il est judicieux de reconnaître à Montesquieu, constitutionaliste français, le mérite d’avoir défini les trois (3) pouvoirs traditionnels que sont le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, autant, il nous parait légitime de reconnaître à Thomas SANKARA, le mérite, la volonté et le courage politique d’avoir mis en œuvre un quatrième pouvoir, que nous désignons, le pouvoir moral. Il faut lui reconnaître le mérite d’avoir opérer au profit des masses, des changements significatifs dans un contexte africain où la souveraineté nationale a crée une classe de privilégiés qui se coupe de la masse. Il faut également lui reconnaître un humaniste suffisamment prononcé pour avoir redéfini les rapports entre les classes et le mode de gouvernement. Il a instauré un nouvel ordre socio- économique au niveau national. Il a préféré courir le risque de vexer certains régimes africains ou à l’extérieur et certains compatriotes, plutôt que de se rendre complice d’une exploitation des véritables propriétaires des richesses, les populations. Il a révélé à son peuple et à l’opinion publique internationale la possibilité d’une redistribution moins inégalitaire des richesses, la possibilité d’une affectation rationnelle et plus productive des ressources et surtout sa capacité à les traduire en actes concrets. Assurément, Thomas SANKARA, acteur de l’un des pays les plus pauvres, a, par son programme d’activités étayé remarquablement la pensée de l’économiste et sociologue français Jean BOBIN lorsque celui-ci soutient qu’ « il n’est ni richesse ni de force que d’homme ». SANKARA a su ingénieusement mettre au profit de ses ambitions de développement et des populations son intelligence, son humanisme, son leadership, son charisme de guide. Il a confirmé que c’est à l’homme, de par sa volonté qu’il revient d’élaborer des mécanismes de développement pertinents pour réaliser la fin de l’existence, c’est-à-dire, le bonheur. SANKARA définit le commandement politique, non comme le simple fait de commander, de prendre des décrets, de donner des ordres, mais comme l’action d’organiser la cité de manière efficiente de sorte à assurer aux citoyens la meilleure condition socio-économique dans la mesure des potentialités naturelles, économiques et humaines de l’Etat. S’il est vrai que l’icône de la gouvernance pour l’essor du peuple n’a pas user de sa plume pour définir de façon pédagogique son système de gouvernance, ce quatrième pouvoir, il est tout aussi vrai qu’a travers ses discours courageux et humanistes et surtout ses actions, ses pratiques originales, pragmatiques, SANKARA est incontestablement l’un des pionniers de la bonne gouvernance. Il n’a pas attendu la conférence de la Baule (France) en 1989 et la conditionnalité des institutions de Breton Woods pour définir ses programmes de réduction de la pauvreté, d’amélioration de la couverture sanitaire, de réduction du taux d’analphabétisation, d’équipement des zones rurales en hydraulique villageoise et d’amélioration de la condition de la femme. SANKARA est à cet egart un Précurseur, un visionnaire, un pionnier, un bâtisseur, un humaniste qui s’est inverti corps et âme à rappeler à son pays, à l’Afrique et à l’humanité le besoin, la nécessité, l’urgence et surtout la possibilité de procéder à un partage moins inégalitaire des ressources. Face à l’entretien d’un train de vie de prestige des dirigeants africains, pendant que le flux d’individus vivants en dessous du seuil de pauvreté s’accroît ; face à la quasi-inexistence d’une véritable société civile forte et indépendante des gouvernements ; face à un pouvoir judiciaire inféodé au pouvoir exécutif dans la majorité des Etats africains, auxquels s’ajoute l’entrée prématurée de l’Afrique dans la mondialisation, faut-il désespérer du continent noir dans un univers qui s’identifie chaque jour un peu plus à l’état de nature de Thomas HOBBES où seule une compétition à visage inhumain détermine la seule chance de
Konan N’GUESSAN, Côte d’Ivoire