Vendredi 12 Novembre 2010
Patriote dans l’âme et brillant orateur, l’ancien président burkinabé a impressionné tous ceux qui ont pu l’écouter à une tribune. Préférant lutter avec la parole plutôt qu’avec les armes (le comble pour un militaire), le discours du capitaine Thomas Sankara est plus que d’actualité 23 ans après son assassinat au nom de la “Rectification” de Blaise Compaoré. Même si l’anniversaire de sa mort (15 octobre) passe de plus en plus inaperçu sur le continent, il est clair que Sankara continue d’inspirer des jeunes en Afrique parce que son combat est plus que jamais d’actualité.
” J’ai parcouru des milliers de kilomètres. Je suis venu ici pour demander à chacun de vous que nous puissions mettre ensemble nos efforts pour que cesse la morgue des gens qui n’ont pas raison, pour que s’efface le triste spectacle des enfants mourant de faim, pour que disparaisse l’ignorance, pour que triomphe la rébellion légitime des peuples, pour que se taise le bruit des armes et qu’enfin, avec une seule et une même volonté, luttant pour la survie de l’humanité, nous parvenions à chanter en chœur” !
Tel a été le message livré par Thomas Sankara lors de la 39e session de l’Assemblée générale des Nations unies le 4 octobre 1984. Cette intervention était un condensé de sa vision politique, de ses convictions morales et de son engagement pour sa patrie qu’il a défendue au prix de sa vie. Et en écoutant la chanson “African Revolution” de l’album du même nom de Tiken Jah Fakoly, je ne puis m’empêcher de penser au discours et au combat de Thomas Sankara qui était né le 21 décembre 1949 à Yapo.
Ce révolutionnaire patriote et intègre a été lâchement assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou par celui qu’il considérait et protégeait comme son frère : Blaise Compaoré. Le nouvel album de Tiken vise à affranchir les Africains du néocolonialisme, de l’analphabétisme et de la dictature ainsi que de la gabegie de nos dirigeants. De 1983 à son assassinat “Thom Sank” a aussi mené une politique d’affranchissement du peuple burkinabé.
De 1983-1987, en Haute-Volta qui deviendra Burkina Faso par la suite, un jeune militaire est porté au pouvoir suite à un coup d’Etat. Pendant quatre ans, il incarnera l’espoir de toute une jeunesse africaine soucieuse de son propre destin et de l’avenir d’un continent qui ne cessait de sombrer dans la famine, les guerres civiles et la pauvreté malgré ses immenses potentialités.
Derrière une tenue de militaire et un discours marxisant, l’Afrique de la génération consciente s’était donc découverte un chef, un jeune et dynamique leader qui parlait enfin le même langage panafricaniste que les pères des indépendances africaines. Par sa volonté, la Haute-Volta est rebaptisée le Burkina Faso, c’est-à-dire “le pays des Hommes intègres”.
Le pouvoir au peuple redevenu maître de son destin
Intégrité, conscience citoyenne et professionnelle ! Tels étaient le socle du combat de Thomas Sankara qui a redonné le pouvoir au peuple en l’amenant à prendre conscience qu’il est l’artisan de son propre destin. Le prodige de Yapo a démystifié le pouvoir sans bafouer l’autorité de l’Etat. Ce sont ces valeurs qu’il incarnait à merveille qui ont fait sa popularité et, hélas, qui ont aussi causé sa perte. En engageant un combat sans merci contre la gabegie, la corruption, le népotisme, l’enrichissement illicite, le gaspillage des ressources de l’Etat, le pillage des richesses de l’Afrique par les puissances coloniales…, Thomas s’est allié la jeunesse et les masses laborieuses.
Mais, il s’est aussi mis à dos les néocolonialistes, ceux qui assimilent le pouvoir au bien-être personnel voire familial, la chefferie coutumière dont les intérêts étaient ainsi menacés. Par la félonie d’un officier sorti de l’ombre par ses soins, ils ont fini par avoir une tête mise a pris depuis les premières heures de la Révolution. Peu à peu, le “Che africain” était parvenu à sortir son pays de la misère, à accéder à l’autosuffisance alimentaire.
La volonté de Sankara de s’affranchir de la tutelle étrangère, notamment occidentale, pour développer son pays se heurta naturellement aux intérêts néocolonialistes de la France, qui a toujours voulu maintenir son contrôle sur ses anciennes colonies. Pour la France de Mitterrand, tous les moyens étaient bons pour éviter que les idées de Sankara ne se propagent dans l’ensemble de la région. Comme l’ont écrit plusieurs confrères et observateurs, Sankara a été attaqué par ceux qui au nord et au sud de la planète profitent financièrement d’une Afrique asservie et spoliée de ses richesses.
Le “Rebelle” sera trahi par son plus proche collaborateur, le narcissique et mégalomane Blaise Compaoré, soutenu par l’égocentrique Félix Houphouët-Boigny dont l’influence géopolitique était éclipsée par l’aura du jeune capitaine révolutionnaire. Comme on le craignait, celui qui incarnait désormais le rêve et l’espoir du continent par son discours pertinent et ses actes courageux a été assassiné en fin d’après-midi de ce triste 15 octobre 1987. Mort à 38 ans pour ses idées, son patriotisme et son panafricanisme, Thomas est devenu le “Che africain”.
Résistance mentale
23 ans après son assassinat, que reste-t-il du combat de notre héros Thom Sank ? Son essence bien sûr ! Le changement de mentalité était un axe prioritaire de la révolution d’août 1983. “Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture-là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu’il a été grand hier et donc, peut-être aujourd’hui et demain. Fonder l’espoir“, avait-il défendu lors d’une conférence de presse animée en août 1984.
Aujourd’hui, le Burkinabé brille par son mental. Loin du complexe développé par ses sœurs africaines, la jeune étudiante du Faso n’a pas de complexe à “grimper” sur la bicyclette pour aller à la Fac. Elle ne regarde pas les autres, mais les moyens qui sont à sa disposition pour atteindre l’ambition qu’elle s’est fixée. Et rarement, vous verrez un cadre burkinabé vivre au dessus de ses moyens. Il n’a pas en tout la folie des grandeurs de nombreux cadres africains. Les “Hommes intègres” ont hérité ce mental de décomplexé de la révolution. Et ils font aujourd’hui preuve de résistance mentale pour rester eux-mêmes malgré le poids de la survie.
Il est vrai qu’avec la restauration assimilée à une “Rectification” par Compaoré et compagnie, le Burkina Faso est revenu à la notion de classe sociale avec une bourgeoisie minoritaire qui écrase et appauvrit la majorité du peuple, mais le travail demeure une valeur essentielle pour le commun des Burkinabés. Et cela grâce à la Révolution qui a amené les masses laborieuses à comprendre que seul le travail leur permettra de changer leur destin et celui de leur pays. Hélas, avec le retour de l’injustice et de l’inégalité sociales, le travail est loin d’être un bouclier contre la pauvreté et la misère d’autant plus que ses fruits sont confisqués par une minorité inféodée au pouvoir.
” Notre révolution n’aura de valeur que si, en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les Burkinabés sont, grâce à elle, un peu plus heureux. Parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents, parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. (…) La révolution, c’est le bonheur. Sans le bonheur, nous ne pouvons pas parler de succès“, avait souligné le militaire-intellectuel dans un brillant discours prononcé à Tenkodogo le 2 octobre 1987, c’est-à-dire moins de deux semaines avant qu’il ne soit assassiné par des mercenaires de Compaoré.
De 1983 à nos jours, le Burkina a fait d’énormes progrès. Certes, que le pays aurait pu connaître un autre rayonnement si la Révolution était allée à son terme et si une partie non négligeable de ses ressources n’étaient aujourd’hui détournées de leur finalité. Mais, même si elle a été précocement interrompue, c’est la Révolution d’août 1983 qui a permis au Burkina Faso de se hisser au niveau où il se trouve aujourd’hui.
L’économie du Faso y puise son dynamisme. Par exemple, le Mali produit plus de mangue que le Burkina Faso. Et pourtant, c’est le jus de mangue burkinabè qui est écoulé sur le marché malien et non le contraire. Le pays affiche la même compétitivité dans de nombreux secteurs comme l’agriculture, l’agro-industrie, l’artisanat… Et cela parce que la politique d’affranchissement de Sankara faisait de l’autosuffisance une priorité absolue.
” Ces aides alimentaires qui installent dans nos esprits ces réflexes de mendiant, d’assisté, nous n’en voulons vraiment plus ! Il faut produire ! Produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés”, disait-il à la première conférence nationale des CDR (Comité de défense de la révolution), le 4 avril 1986. “Notre pays produit suffisamment de quoi nous nourrir. Nous pouvons même dépasser notre production. Malheureusement, par manque d’organisation, nous sommes obligés de tendre la main pour demander des aides alimentaires. Ces aides alimentaires qui nous bloquent, qui nous inspirent, qui installent dans nos esprits, cette habitude, ces réflexes de mendiants, d’assistés…“, avait-il déploré dans un autre discours.
Son gouvernement avait donc entrepris des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l’éducation, l’agriculture et le statut des femmes. Son programme révolutionnaire se heurta à une forte opposition du pouvoir traditionnel qu’il éclipsait ainsi que d’une classe moyenne peu nombreuse, mais relativement puissante, car manipulée par l’extérieur.
Les ennemis de Sankara ont eu raison de lui, mais pas de sa vision et de sa pensée politique qui continuent et continueront à inspirer les jeunes conscients de leur responsabilité à l’égard de leurs pays et de leur continent. Cet espoir-là, Blaise Compaoré ne pourra jamais l’assassiner. Il a beau se succéder au pouvoir, la patrie l’emportera un jour !
Alphaly
Source : http://www.bamanet.net/index.php/actualite/les-echos/12059-thomas-sankara-le-patriote.html