Nous publions ci-dessous l’intervention des membres du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) au colloque international Thomas Sankara qui s’est tenu à Ouagadougou du 26 au 28 juillet 2022 à l’université Thomas Sankara.
Auteurs :
NIKIEMA Dramane : Masteurant en Sociologie Université Joseph-Ki ZERBO, dramson81@gmail.com
FAYAMA Tiyonlé : Chargé de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique tionyele@yahoo.fr
BAGAYOGO Broulaye : Juriste et Secrétaire Permanent du Comité pour l’Abolition des Dettes illégitimes (CADTM/AFRIQUE) secretariatcadtmafrique@gmail.com
SAMPEBEGO Souleymane : Secrétaire Général de l’Association pour la Taxation des Transactions Financières pour une Action Citoyenne (ATTAC/BURKINA) samso_2005@yahoo.fr
Résumé
Cette contribution renforce l’actualité sur le bien fondé du refus du remboursement de la dette africaine à partir de l’appel historique de Thomas Sankara le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba, invitant ses pairs chefs d’États à constituer un front uni contre le remboursement de celle-ci. La résurrection d’un tel débat intervient dans un contexte où 12 pays africains sont à haut risque de surendettement et 9 pays en suspension de paiement, mais ce sont des pays loin d’être ceux auxquels l’on pourrait penser.
Les débats ont permis dans le cadre de cette recherche, de mettre en lumière toutes les formes d’exploitation, d’accords économique, de pillage des ressources naturelles, de fuite de capitaux dont l’Afrique est victime. La fuite des capitaux la maintient dans un déficit budgétaire structurel dont la conséquence est le recours à l’endettement continue. Pourquoi devrait-elle utiliser des sommes importantes chaque année pour assurer le service d’une dette illégitime et illégale hypothéquant ainsi son développement économique et social ?
Summary/Abstract :
This contribution reinforces the topicality of the refusal of the repayment of the African debt from the historic call of Thomas Sankara on July 29, 1987 in Addis Ababa, inviting his fellow heads of state to form a united front against the repayment of the latter. The resurrection of such a debate comes in a context where 12 African countries are at high risk of debt distress and 9 countries are in suspension of payment, but these are far from being the countries one might think.
The debates have allowed us to highlight all the forms of exploitation, economic agreements, plundering of natural resources and capital flight of which Africa is a victim. The flight of capital maintains it in a structural budget deficit whose consequence is the recourse to continuous indebtedness. Why should it use large sums of money each year to service an illegitimate and illegal debt, thus mortgaging its economic and social development ?
Introduction :
Situé au cœur de l’Afrique de l’ouest, s’étendant sur une superficie de 274 200 Km2, pays sahélien et enclavé, le Burkina Faso est un pays à vocation agro-pastoral. Selon le recensement général de la population et de l’habitat (2022), 73,7% de sa population vivent en milieu rural. Le pays regorge d’énormes et diverses ressources naturelles, minières, énergétiques, halieutiques et sylvopastorales. Bien avant qu’il ne soit découvert un potentiel minier très important dans le pays des « hommes intègres », l’or blanc est resté longtemps la première devise d’exportation. A partir de 2009, le pays a connu un boom minier faisant du métal jaune la première devise d’exportation. En effet, selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) Burkina Faso, le 31 décembre 2021, 577 titres miniers et autorisations valides avaient été attribués aux exploitants. Ainsi, sur ces 577 titres miniers et autorisations valides on y dénombrait 447 permis de recherche, 27 permis d’exploitation industrielle de grandes mines, 19 permis d’exploitation semi-mécanisée, 10 permis d’exploitation artisanale et 74 autorisations d’exploitation de substances de carrières. Grâce à la découverte de ce potentiel minier très important, la quantité d’or extraite au Burkina Faso s’est considérablement accrue d’année en année. Si l’on s’en tient au journal « l’hebdomadaire l’Economiste du Faso en 2007 », la seule mine industrielle en activité n’a produit que 0,4 tonne d’or contre 23,1 tonnes en 2010 produites par 6 sociétés minières pour ainsi atteindre en 2017 45,5 tonnes produites par 12 sociétés minières. Plus récemment, L’ITIE (op cit) dans son rapport révélait que la production industrielle de l’or s’élevait 66,858 tonnes contre 0,268 tonnes pour la production artisanale. Le même rapport note qu’entre 2018 à 2021, les productions d’or industrielle et artisanale se sont accrues respectivement de 6,55%, de 0,42%. La production du Zinc quant à elle, se chiffrait à 166343,630 tonnes en 2021 avec une croissance moyenne 9,05% entre 2018 à 2021. Même si la production du phosphate a décrue de 12,81% dans ce même laps de temps, elle s’est élevée à 2443, 650 tonnes en 2021.
Malgré son rang dans le top cinq du classement des pays africain producteur de l’or et troisième dans la production du coton avec sa balance commerciale structurellement déficitaire. En dépit, l’énormité et la diversité de ses richesses, le Burkina Faso croule sous le poids d’une dette qui ne cesse de croître. Pis, Il a toujours été présenté sous les projecteurs comme un mendiant qu’il faut toujours assister à travers des prêts, dons enrobés sous le vocable de l’aide publique au développement.
En effet, le stock de la dette du Burkina ne cesse de croitre malgré son élection aux initiatives pays pauvre très endettés, et de l’initiative de l’allègement de la dette multilatérale. Cinq ans après l’approbation de ces deux initiatives dans « l’assouplissement » de la dette du Burkina Faso, le stock de sa dette publique est passé de 1266,9 milliards en 2010 à 6 122,08milliards de FCFA en fin mars 2022. Aujourd’hui, des voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer l’annulation de la dette extérieure des États africains. Le Président Thomas SANKARA, pionnier dans le débat et de positionnement sur la dette, son discours en 1987 a inspiré la création des organisations comme le Comité pour l’Abolition des Dettes illégitimes (CADTM) pour réclamer l’annulation de la dette africaine. Dans ce discours historique, lors des travaux de la vingt-cinquième Conférence au sommet des pays membres de l’organisation de l’unité africaine à Addis-Abeba qu’il a invité ses pairs à constituer un front uni contre le remboursement de la dette extérieure. Il a même ironisé que s’il restait le seul à engager son pays le Burkina Faso à ne pas payer la dette extérieure, il ne participerait pas au prochain sommet. Effectivement, moins de trois mois après l’appel d’Addis-Abeba le 29 juillet 1987, le président Thomas SANKARA sera assassiné suite à un coup d’État militaire.
Mais, plus de trente-quatre (34) après, l’écho de cet appel historique lancé par le président Thomas Sankara continue de raisonner dans les consciences de nombreuses personnes en Afrique et partout ailleurs dans le monde. Ainsi, selon le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, jamais ; aucune cause n’a mobilisé autant la société civile dans le monde que celle de l’annulation de la dette à l’aube de l’an 2000. Il indique que le cadre de la campagne pour l’annulation de dette a obtenu 24 millions de signatures sous la forme de pétitions à travers le monde. Toutefois, une préoccupation demeure sachant que tout emprunt doit logiquement être remboursé, alors que le président Thomas SANKARA invitait ses pairs, chefs d’État africains à répudier les dettes que leurs États ont contractées auprès des institutions internationales de finances où d’autres partenaires. Dans le cadre d’une telle contribution, notre démarche visera à partir des données de terrain recueillies auprès d’acteurs et d’une revue documentaire à analyser les raisons profondes légitimant ou non le discours de Thomas Sankara dans la répudiation de la dette extérieure des États africains dans une perspective diachronique. D’où la question centrale « l’invitation faite par le président Thomas SANKARA à ses pairs à répudier la dette extérieure de leurs États le 29 juillet 1987 aux travaux de la vingt-cinquième Conférence au sommet des pays membres de l’organisation de l’unité africaine à Addis-Abeba était-ce une vision légitime ou une posture des Etats africains à ne pas s’assumer dans le remboursement de leurs dettes ? »
Méthodologie
Étant dans l’incapacité de conduire la collecte des données dans le cadre de cette recherche sur l’ensemble des États africains, nous avons circonscrit notre étude au Burkina Faso. Un tel choix répond au fait que le Burkina Faso est aussi l’un des pays de l’Afrique qui traîne une dette extérieure qu’elle peine à solder en dépit de son éligibilité aux initiatives pays pauvres très endettés en 2001 et de l’initiative de l’allègement de la dette multilatérale en 2006. De plus, ce choix répond au fait que c’est certainement à partir des réalités socioéconomiques du Burkina Faso qu’est née la prise de conscience de Thomas Sankara, à inviter ses pairs chefs d’États africains à répudier la dette extérieure de leurs États. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Z. Ziegler affirme (2014 :13) « ce qui fonde l’autorité, la crédibilité et le rayonnement de la parole du jeune capitaine, c’est son discours sur la dette nourri de son expérience publique et sociale, personnelle et singulière ». Le Porte-Parole du réseau International Éric Toussant dans son livre « le Système Dette », évoque la théorie de la doctrine de ma dette odieuse développée par Alexandre Nahum Sack en 1927. Ce juriste russe et spécialiste de droit bancaire et financier international à travers son œuvre intitulée : « Les effets, des transformations des États sur leurs dettes publiques et autres obligations financières » définit la dette odieuse de la façon suivante :
- Les besoins, en vue desquels l’ancien gouvernement avait contracté la dette en question, étaient « odieux » et franchement contraires aux intérêts de la population de tout ou partie de l’ancien territoire ;
- Les créanciers, au moment de l’émission de l’emprunt, avaient été au courant de sa destination odieuse.
Ces deux points étant établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par les dits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins.
La notion de dette odieuse et la théorie de l’exploitation marxiste s’interpénètrent dans la mesure où les éléments la structurant débouchent inéluctablement aussi sur l’exploitation, le pillage des ressources des États africains. En écoutant l’intégralité du discours d’Addis-Abeba, les fondements du refus du remboursement de la dette extérieure des États africains repose sur l’exploitation, le pillage de l’Afrique à travers la traite négrière, le colonialisme et le néocolonialisme, la fuite des capitaux, les accords de libre échange
Dans le cadre de cette recherche, nous avons privilégié l’approche qualitative avec comme outil de collecte, le guide d’entretien semi directif.
Résultats :
- La reproduction de la dette extérieure du Burkina Faso une conséquence de la fraude et de l’évasion fiscales
Les États africains disent recourir à l’endettement extérieur pour combler leurs déficits budgétaires structurels à cause de l’insuffisance des recettes fiscales.
Pourtant, de nombreux observateurs très bien avisés sur les questions économiques et de finances des États africains restent unanimes pour dire que n’eut été la fraude et l’évasion fiscales occasionnées par les multinationales, les recettes fiscales suffiraient à engager toutes les dépenses des États.
En effet, selon le Directeur Exécutif du Centre d’information de formation et d’études du budget OUATTARA Issouf avance que selon les déclarations des agents des impôts, l’État burkinabè en luttant sérieusement contre l’évasion et la fraude fiscales pourrait augmenter ses recettes fiscales à l’ordre de 25 à 50%. Il ajoute qu’en appliquant ce ratio au budget de 2021, le manque à gagner atteindrait au moins 25 à 30 milliards. »
Si l’on s’en tient aux déclarations de Zakaria Bayiré Secrétaire Général du syndicat national des agents des impôts et des domaines le manque à gagner à cause de la fraude et l’évasion fiscales que le Directeur exécutif du CIFOEB a déclaré est loin de saisir l’ampleur du phénomène et estime que n’eut été la fraude et l’évasion fiscales au Burkina Faso, les budgets annuels d’une moyenne de deux milliards auraient dû être relevés à trois mille, quatre mille voire cinq mille milliards. L.Watrinet reste aussi formelle pour indiquer que l’économie des pays en développement subit d’énormes pertes d’argent à travers l’économie criminelle. Elle montre quand bien même que les calculs soient sous-estimés l’aide publique au développement atteignait, en 2016, 142 milliards de dollars alors qu’au même moment les flux financiers illicites (l’argent de la fraude, de la corruption et du crime) qui s’échappaient des pays en développement s’élèveraient à 1000 milliards.
- L’Afrique dans une spirale de l’endettement produit de son pillage
Si l’Afrique perd d’importantes sommes à travers la fraude et l’évasion fiscales, elle subit également une hémorragie financière à travers le pillage de ses ressources minières, énergétiques, agro sylvo-pastorales. L’État burkinabè a favorisé l’investissement étranger à travers la mise en place d’un code d’investissement et minier attractif ce qui fait perdre au trésor public burkinabè d’importantes sommes d’argent chaque année. Selon ; Diallo Moussa Secrétaire Général de la CGTB « Le code minier a accordé des avantages fiscaux aux investisseurs étrangers, par exemple la part de la manne aurifère qui revient à l’État Burkinabè n’est que de dix pourcent (10%). Il eut fallu même qu’en tant que syndicat, nous dénoncions auprès du gouvernement la part de pourcentage de la manne aurifère déversée au trésor public burkinabè afin que celle-ci e passe de 5% à 10% sous la transition passée en 2015.
Par ailleurs, au-delà du fait que le Burkina Faso ne perçoit que 10% de la valeur du métal jaune extrait de son sous-sol, le processus de contrôle de la quantité d’or extraite par les entreprises minières échappe totalement au contrôle de l’État. C’est bien ce que révèle le rapport général de la commission d’enquête parlementaire conduite en 2015 sous la transition sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières.
Dans le processus de production de l’or, les services de l’État burkinabè (la douane, les impôts, le BUMIGEB) n’ont pas accès aux opérations de la coulée de l’or. Ils assistent cependant à la pesée. Avant l’expédition, il est procédé à la vérification des documents à signer et toute la production est mise sous scellée. L’absence des représentants de l’État lors de la coulée permet d’émettre des doutes sur les quantités d’or effectivement produites.
Au-delà des manœuvres frauduleuses mises en place par les multinationales pour piller les ressources naturelles en Afrique, Broulaye Bagayogo, Secrétaire Permanent du CADTM, taxe les accords de libres échanges tels que libellés par les puissances impérialistes à travers l’organisation mondiale du commerce d’arnaque. Selon, lui les pays comme le Burkina Faso perdent d’importantes sommes d’argent à travers ses accords dont les conséquences sont désastreuses pour les économies nationales. Il poursuit en qualifiant d’irraisonnable voire d’un manque d’intelligence de la part des États africains de renoncer aux droits de douane sur leurs importations à hauteur de 70% sous injonction de l’Union européenne pour ne se contenter que des subsides qu’elle leur accorde à travers de viles mesures de compassassions. Parlant de l’inopportunité des États africains à renoncer aux droits douaniers sur leurs importations à hauteurs de 70% pour ne se contenter que des subsides compensatoires, le Secrétaire Permanent tourne en dérision tout en ironisant il convoque un proverbe en langue nationale Bamanan-Kan ou Dioula « on ne doit pas laisser le poisson qui est dans la main au profit de celui qui est sous le pied dans l’eau. Il termine pour dire, pourtant, le recouvrement intégral des droits douaniers pourrait couvrir l’essentiel des dépenses liées à la satisfaction des besoins les plus élémentaires des populations africaines qui doublera d’ici à 2050.
Dans la même perspective, de dénonciation de l’option faite par les États africains à s’engager dans les accords de libre-échange avec l’Union Européenne et le reste du monde dans le contexte actuel de la position de l’Afrique, dans le concert des nations L.Ilboudo nous renseigne que presque tous les pays qui se disent développés ont adopté une politique protectionniste même si par la suite ils ont opté pour le libre-échange. Sur la question en citant Paul Bairoch L. Ilboudo avance ceci : les États-Unis « patrie et bastillon du protectionnisme moderne » ont dès 1816 jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale ont le plus pratiqué le protectionnisme, mais, pas bien avant avoir consolidé leurs assises économiques. Il en est de même pour la Grande Bretagne qui a solidifié ses assises technologiques avant se porter porte-étendard du protectionnisme.
- Le ré-endettement des États africains une conséquence de l’omniprésence des pratiques corruptives et le détournement des deniers publics au sein des administrations publiques.
Chaque année l’État burkinabè recourt en l’endettement sous le prétexte de déficits budgétaires structurels. Pourtant, les rapports annuels produits par les structures de contrôle des dépenses de l’État révèlent une prédation à grande échelle et une corruption endémique entretenues au sein des services publics de l’État. Au-delà même de ces rapports, les faits de corruptions et de détournements de deniers publics révélés à chaque parution des bimensuels comme Le Reporter, l’Evènement et le courrier confidentiel foisonnent. - En guise d’exemple, on peut lire à travers quelques-uns de ces bimensuels : Sotraco forte odeur d’enrichissement personnel du directeur général in l’Evènement n° 458 du 25 novembre 2021, De faux ordre de mission établis pour s’offrir indûment des frais in Le Reporter n°313 du 1er au 14 juillet 2021, Ministère des Transports, la pompe à Sous du ministre Dabilgou in l’Evènement n°430 du 25 septembre 2020. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Broulaye Bagayogo dit ne rien comprendre de l’acceptation voire la légalisation par l’État burkinabè de pratiques corruptives, de prédation et de détournements de fonds à l’heure où il s’est engagé sur un vaste chantier comme le programme de développement économique et social 2016- 2020 exigeant une enveloppe d’environ 2000 Milliard de Francs CFA par an pendant toute sa durée. Or, ce montant représente environ 30% de son PIB avec des recettes fiscales mobilisées représentant en moyenne 15,5% de son PIB pendant les trois (3) dernières années précédant son adoption et des dépenses courantes absorbent environ 13,5% du PIB créant ainsi un besoin de financement important à combler. C’est bien d’ailleurs la raison pour laquelle le Directeur Exécutif du CIFOEB établit une très forte corrélation entre la corruption et l’endettement d’un État. Pour lui, la courbe du niveau de corruption croit au même rythme que celle de l’endettement. Une telle corrélation selon lui, s’observe à plusieurs niveaux. D’abord, les agents de recouvrement des impôts en se faisant corrompre recouvreront peu au profit du trésor public. Ensuite, le peu qui est recouvré est aussi détourné par ceux qui en auront sa gestion si bien qu’à la fin il n’y’ aura pas grand-chose il faut recourir à l’endettement. Aussi dit-il, il est inconcevable que des montants d’argents contractés par l’État burkinabè pour des réalisations de projets soient détournés à travers des pratiques corruptives. Ces montants détournés contribuent à la dégradation de la qualité des infrastructures en chantier ou en finition si bien qu’il faut les reconstruire en si peu de temps en se réendettant sans avoir remboursé les premières. Parlant de la mauvaise qualité des infrastructures, cette dernière décennie l’État burkinabè a été mis à rude épreuve suite à des effondrements récurrents d’édifice publics en chantier ou en finition au point même de nommer le vent où la pluie de contrôleur naturel. C’est ce que le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la réalisation des infrastructures publique et l’acquisition d’équipements par les maîtres d’ouvrages délégués exprime mieux. Selon ledit rapport entre 2010 et 2016, l’État burkinabè il a été dénombré sur toute l’étendue de son territoire, 502 infrastructures publiques en souffrance. La qualité des infrastructures incriminées portait essentiellement sur leur mauvaise exécution dont le manque à gagner de l’échantillon prélevé sur les 502 infrastructures se chiffrait à la somme de cinq milliards deux cent soixante millions deux cent quarante un mille huit cent quatre (5 263 241 804) F CFA.
Pourtant si l’on en croit Jean-Baptiste Natama Secrétaire Permanent du mécanisme africain d’évaluation par les pairs cité par le secrétaire général du SNAID Zakaria Bayiré (2020), le manque à gagner aurait dû relever de 25% de son produit intérieur brut. Et si l’on se base sur le PIB actuel du Burkina, celui de 2014, ça nous fera à peu près 1000 milliards de francs CFA »
Malheureusement, l’État burkinabè et les institutions de Breton Wood refusent d’analyser aussi le déficit budgétaire comme la conséquence de la corruption et des détournements de deniers public encore moins de les combattre. Mieux, ils font l’apologie d’une économie criminelle en décorant les grands prédateurs de l’État. A contrario, les dénonciateurs des pratiques corruptives et de la prédation au sein des administrations publiques font le plus souvent l’objet d’intimidations, d’affectations arbitraires dans des localités très loin de la capitale et subissent parfois même des licenciements abusifs. Le cas le plus récent nous est révélé par « l’Évènement » dans sa parution n°457 du 10 novembre 2021 dans lequel quand bien même le Directeur Général Adjoint des Douanes, l’inspecteur divisionnaire William Allassane Kaboré soient mis en examen et placé sous contrôle judiciaire en juin 2020, pour enrichissement illicite, délit d’apparence et de blanchiment de capitaux, ils furent proposés comme travailleur méritant pour être décorés dans le cadre de la célébration du 61e anniversaire des ‘’indépendances’’ le 11 décembre 2021.
Cependant, le directeur provincial de la police d Zondoma le commissaire principal Pascal Ilboudo a subi les menaces du directeur régional de la police du Nord, pour avoir dénoncé le clanisme, la corruption, le refus de réintégration malgré une décision de justice des policiers affiliés à l’Alliance Police Nationale licenciés abusivement. N’eut été la décision du tribunal administratif de Ouahigouya annulant les sanctions et celles qui étaient en cours le commissaire principal pascal Ilboudo devrait répondre de franchise et son honnête devant un conseil de discipline.
- L’appel du 29 juillet 1987 vision légitime ou responsabilité inassumée ?
D’après ce qui précède en faisant le bilan de l’Afrique, dans son cheminement à travers l’Histoire des peuples et des relations internationales entre elle et le reste du monde, nous déduisons que l’appel de Thomas Sankara à l’endroit de ses pairs à constituer un front uni contre la dette africaine est bel et bien une posture légitime d’autant plus que la quintessence et l’essence de son appel reposent fondamentalement sur les deux conditions essentielles formulées par Sack pour répudier une dette. C’est en cela que Jean Ziegler montre qu’en replaçant le discours de Thomas Sankara dans son contexte, son originalité et son actualité a laissé entendre ceci : « Le discours sur la dette tenue le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba est probablement, parmi les discours de Sankara le plus impitoyable, le plus profondément intelligent. Il mettait radicalement en question le système international qui écrase l’Afrique. Les propos tenus ce jour-là par le Président du Burkina Faso sont d’une totale actualité »
Pour le Secrétaire Général du MBDHP l’appel lancé par Thomas Sankara le 29 juillet 1987, à l’endroit de ses pairs est bel et bien légitime et d’actualité dans la mesure où la dette extérieure des États africains se présente comme un instrument de domination. Selon, lui, il est démontré que la dette africaine a été inutile, elle n’a pas permis d’améliorer les Droits Humains, d’enclencher un développement réel pour nos États. Tout au contraire, les fortes sommes utilisées par le Burkina Faso pour assurer le service de la dette auraient pu être réaffectées dans l’investissement, les secteurs sociaux comme l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable, la création d’emplois pour les jeunes. En ce qui concerne l’impact du service de la dette sur les droits humains, sous l’hypothèse que la dette africaine est indue, en se prêtant à l’exercice du Centre de formation d’information et d’étude sur le Budget sur les trop perçus des membres du gouvernement de Rock Marc Christian Kaboré de 2016-22020 et en prenant en compte le service de la dette du Burkina Faso rien que ces six dernières années, on ne peut que déduire que le service de la dette publique du Burkina Faso hypothèque sérieusement les droits humains des populations.
En effet, entre 2016-2020 en violation au décret 2008-891/PRES/PM/MEF du 31 décembre 2008 portant rémunération du Premier ministre, des présidents d’institutions et des membres du gouvernement, le CIFOEB a détecté que certains membres du gouvernement de Rock Marc Christian Kaboré ont bénéficié indûment des salaires de trop perçu s’élevant à 2.090. 741.505 FCFA. Pour le CIFOEB si cette somme de trop perçu avait été investie dans la construction d’infrastructures publiques, elle aurait servi à la construction de 69 blocs de 3 salles de classes ou 38 CEG ou 67 maternités ou encore 272 dépôts MEG de 2016 à 2020. Si l’on reproduit cet exercice en lien avec les 2785,82 milliards qui ont servi à assurer le service de la dette ces six dernières années, l’on se rend compte que les populations burkinabè ont été privées de la construction 91939,43 blocs de 3 salles de classes, 50633,31 CEG, 89274,52 maternités et 362427,90 dépôts de médicaments essentiellement génériques.
En plus, les politiques d’austérité imposées au Burkina Faso à travers les PAS en lien avec le remboursement de la dette ont contribué à réduire drastiquement les budgets alloués aux secteurs sociaux tels l’éducation, la santé et l’emploi. Cette réduction drastiques des budgets alloués à ces secteurs a eu pour conséquence la privatisation de la santé, de l’éducation et à une poussée du chômage juvénile. Si l’on s’en tient à l’annuaire statistique de l’enseignement post-primaire et secondaire (2022) il a été recensé au titre de l’année scolaire 2020-2021, 2202 établissements privés sur l’ensemble des 4306 établissements de l’enseignement général soit un taux de 51, 14. La privation de l’école est très criarde dans la région du Centre abritant la capitale Ouagadougou.
En effet, sur les 929 établissements de l’enseignement général recensé dans la région du Centre 772 sont privés soit un taux de 83, 1. Le comble c’est que les promoteurs des établissements accordent plus d’importance à la maximisation du profit plutôt qu’à la qualité de l’enseignement. Il n’est plus rare de voir des privés se constituer dans le paysage éducatif du Burkina sans aucune autorisation préalable. En rappel, le secrétaire général du MENAPLN à travers le communiqué N°2019/000775/MENAPLN/SG/DGEFG/DGEP du 08/08/2019 informait les élèves et parents d’élèves de ce que 315 établissements d’enseignement officiaient sans aucune reconnaissance du ministère. Il a ajouté que 789 établissements d’enseignement officiant dans des irrégularités moins graves que celles à fermer bénéficieront d’un accompagnement de la part de l’État.
En se fondant sur ces listes publiées et concernant ces établissements illégaux nous nous sommes interrogés comment un nombre si important d’établissements ont pu fonctionner pendant des années en toute impunité dans la formation des décideurs de demain. Or Joseph Ki zerbo (1990) avait déjà mis en garde toute nation qui brade son système éducatif périra.
De même, dans le domaine de la Santé, le gouverneur de la Région du Centre Sibiri de Issa Ouédraogo par arrêté N°2022/E0001/MATDS/RCEN/GVTO/SG du 06/1/2022 informait de l’opinion publique nationale de la fermeture 46 établissements sanitaires privés de la région du Centre ne respectant pas les dispositions des autorisations d’ouverture des formations sanitaires privées.
Bien avant une telle décision, la RTB annonçait le 16 mars 2021 du démantèlement de trois cabinets médicaux existant dans l’illégalité par la gendarmerie de l’arrondissement de Nongr Massom. En 2015, le rapport général de la commission d’enquête parlementaire sur le système de santé au Burkina Faso conduite sous la transition avait noté l’existence de structures de santé privées fonctionnant dans l’illégalité parmi les nombreux autres problèmes qui hypothèquent la garantie de la qualité des soins de santé aux populations. L’ouvrage titré « une médecine inhospitalière, les difficiles relations entre soignants et soignés dans cinq capitales d’Afrique de l’Ouest » sous la direction de Yannick Jaffré et Jean Pierre Olivier de Sardan rend mieux du dysfonctionnement du système de santé au Burkina. Comment des Centres de santé malades peuvent garantir une santé aux malades qui les fréquentent. S’interrogent-ils ?
Cependant, Le directeur de publication de l’hebdomadaire économique l’Économiste du Faso Abdoulaye Tao estime quant à lui que les États africains continuent de bénéficier de la confiance des créanciers quand bien même les mécanismes de d’endettement sont forts bien critiquables. Il reconnaît que les créanciers en criblant les États africains de dette vise leur insolvabilité pour faire main basse sur leurs richesses ce qui est moralement détestable. Il faut le combattre. Mais, comme on a dit on négocie souvent avec le couteau sur la gorge. Pour se soustraire il faut déjà vider le stock de dette, développer votre économie au point d’être indépendant !
BROULAYE BAGAYOGO rétorque en indiquant que l’appel de Thomas Sankara est actuellement plus d’actualité qu’au moment où il interpellait ses pairs le 29 juillet 1987 à constituer un front uni contre la dette dans la mesure où le degré de pillage des richesses minières énergétique agrosylvo-pastorales n’avait pas atteint celui d’aujourd’hui. A l’heure où Thomas Sankara lançait cet appel on n’avait pas encore découvert des gisements de minerais encore moins de les piller. Au-delà du niveau des taux élevés, le suivi et le respect strict des mesures des PAS sont une condition pour bénéficier de nouveaux prêts. Or, les PAS ont créé une impasse au développement. En réalité, toute la dette africaine n’a pas existé, certaines sont fictives à travers le truchement du jeu monétaire. Ce jeu monétaire s’exprime par le fait qu’une partie non moins négligeable du remboursement du stock de la dette s’effectue en devise. Les africains perdent beaucoup d’argent lorsque leurs recettes d’exportation sont converties en dollars. En guise d’exemple, leurs recettes d’exportation de 1500 Millions de Dollar équivalent en 1 500 Millions de Dollar si un Euro est égal à 1 Dollar. En revanche, cette même recette d’exportation se réduit à un Milliard d’Euro lorsque l’Euro s’apprécie et s’échange à 1,5 Dollar on constate ici une perte d’échange sérieuse des Africains de 500 Milliards de Dollars correspondant à 250 Milliards de Francs CFA. Cela veut dire que si l’Euro vaut demain le double de la devise Américaine, les revenus d’exportation des Africains seront amputés automatiquement de leur moitié. Je vous prends un exemple pour vous faciliter la tâche : soit une dette Africaine de 100 Milliards de Dollars, si un Dollar est égal à un Euro alors 100 Milliards de Dollars de dette est 100 Milliards d’Euro ; mais lorsqu’un Dollar est égal 1,25 Euro ou si un Euro est égal 0,80 Dollar alors la dette Africaine devient 125 Milliards d’Euro par la pratique du jeu monétaire. Donc, notre dette à grimper sans un emprunt complémentaire à travers la pratique du jeu monétaire. Une autre dette qui n’a pas existé, ça c’est la dette coloniale, les créanciers se sont endettés pour venir coloniser nos pays, après les indépendances on nous dit de rembourser cette dette ; cette dette a servi a qui et pendant la même colonisation vous conviendrez avec moi que les européens ont construit leur fortune grâce au commerce triangulaire. Et donc on parle aussi de la dette de sang, alors tout le monde sait l’histoire des tirailleurs Sénégalais, tout le monde sait que nos grands-parents ont libéré la France des mains de l’Allemagne. Voilà tout cela constitue une dette que SANKARA aborde dans son discours la dette de sang qui ne nous a pas été remboursée. Ensuite, des chercheurs ont dit que 20% des prêts accordés à l’Afrique constituent des pots de vins. Donc SANKARA a alerté la conscience de ses collègues sur cette problématique qui ont refusé malheureusement de l’écouter !
L’artiste ivoirien Moussa Doumbia plus connu sous le nom de Tyken Jah Fakoly ne donne-t-il pas raison à Broulaye Bagayogo lorsqu’il dit être étonné qu’on dise que l’Afrique est endettée, à travers le 13e titre de son 7e album baptisé « coup de gueule l’Afrique doit du fric ». Ce titre fait allusion à la dette et à esclavage de sang. Dans son deuxième couplet, il fait allusion à la fuite des capitaux, à la corruption, les détournements de deniers publics. A travers son troisième couplet, l’artiste fait référence à la mise en place par l’occident des valets locaux à la tête des États africains à leur solde pour piller et appliquer les politiques néolibérales contre le développement de l’Afrique. Dans son quatrième couplet il fait référence à l’argent sale que les puissances occidentales et leurs valets locaux engrangent à travers des guerres causant le malheur des africains. C’est pourquoi il insiste dans ce couplet sur la reconnaissance de la dette de sang non après 400 ans d’esclavage, plusieurs années de travaux forcés. Dans son sixième couplet, il dénonce l’économie criminelle érigée par les institutions de Breton woods de connivence avec ses valets locaux.
Conclusion :
Jusque-là l’Afrique reste enfermée dans le piège de l’endettement, pourra-t-elle s’en sortir dans ce trouble jeu où les règles et les mécanismes d’endettement lui échappent. Étant entendu que l’appel de Thomas Sankara relève d’une vision légitime il sied de remettre le débat du refus de remboursement de dette sur la table en mobilisant les arguments. Il sied de créer un rapport de force autour de fortes mobilisations pour exiger l’annulation de la dette.
Par la suite, exiger un audit de la dette publique africaine à travers un collectif composé de toutes les couches sociales de la société notamment les victimes des plans d’ajustements structurels, des personnes compétences sur les questions de l’économie, de droit et de sociologie pour analyser les aspects sociologiques de la dette c’est-à-dire son impact sur les droits humains, l’économiste quant à lui analysera l’impact de la dette sur les économies nationales et enfin le juriste déterminera si les accords de prêts ont respecté les normes nationales, le caractère usurier ou non des taux d’intérêts des emprunts. À ce stade une fois le rapport d’audit validé, l’opinion saura les emprunts qui ont servi aux intérêts des peuples et ceux détournés au profit des dirigeantes et les créanciers.
Plaider pour l’encadrement strict du recours à l’endettement pour se protéger contre les dérives observées depuis plusieurs décennies en procédant à la constitutionnalisation de la dette comme l’ont fait Equateur et la Bolivie
Renforcer les mécanismes de recouvrement des recettes fiscales en mettant fin au pillage des ressources naturelles et à l’impunité des multinationales
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Source : https://www.cadtm.org/Colloque-international-Thomas-Sankara-et-le-developpement