Nous vous proposons ci-dessous des extraits du journal du Tarmac, la salle du parc de la Villette qui a accueilli le spectacle pendant un mois. Nous n’avons gardé que ce qui concerne le spectacle “Tourments Noirs” alors que le journal rend compte aussi du spectacle intitulé “Il ou Elle” de Boris Ganga Bouetoumoussa qui était joué en même temps. Le tout est consigné dans le journal du Tarmac disponible à l’adresse http://www.letarmac.fr/ .La présentation du spectacle est à l’adresse http://thomassankara.net/.
Inspirations chérégraphiques
Auguste OUEDRAOGO : Je tire mon inspiration de la société, de la complexité des relations entre les hommes. Ses joies, ses peines, ses faits insolites. Buûdu / Le Songe du peuple et Tin Souk Ka / Au milieu d’ici sont deux pièces chorégraphiques dont les thématiques traitent des questions sociales.
Je m’inspire aussi des expériences que j’amasse au cours des tournées et des rencontres qu’elles occasionnent. Ma rencontre avec les plasticiens Liliane Maurin, qui n’est plus, Jacques Pibot et Jean Chazy a été à la base de la création de Traces, un duo qui ose la rencontre de deux disciplines distantes et pourtant si proches, la danse et les arts plastiques. L’inspiration part de tout et de rien. Aujourd’hui, un discours politique est le point de départ de mon solo Tourments Noirs.
Les enjeux de la danse en Afrique
Bernard MAGNIER : Pourriez-vous nous dire ce que représente le choix de la danse contemporaine comme moyen d’expression artistique aujourd’hui au Burkina Faso, au Congo, sur le continent africain ?
Compagnie AUGUSTE-BIENVENUE : La danse est un vecteur sincère pour ressentir et transmettre, une gestuelle, une culture, une façon séculaire d’aborder la vie. Avec la danse, il n’est pas question de se retrancher derrière les outils qu’offre l’évolution technologique tels que les effets spéciaux et la vidéo. La danse est une façon pour les acteurs d’aborder notre quotidien, et de dire autrement les choses au Burkina Faso.
Bernard MAGNIER : Quel est l’accueil réservé à cette forme d’expression artistique nouvelle ?
Compagnie AUGUSTE-BIENVENUE : Au départ, l’accueil a été mitigé et le reste pour ceux qui ne l’ont pas encore vraiment découverte. La danse contemporaine évolue lentement mais sûrement pour devenir un art majeur. Je suis convaincu que la place socioculturelle qu’occupe la danse, dans nos anciennes sociétés et dans celle d’aujourd’hui, impose une sensibilisation pour une adhésion de la population à cette forme d’expression. L’expérience que nous avons engagée en 2007 avec la diffusion du spectacleTraces dans quatre villes du Burkina Faso semble avoir été appréciée au vu de l’accueil et de l’engouement des spectateurs. Il est vraisemblable qu’avec des actions de sensibilisation de ce type auprès du public, nous pourrons parvenir à un élargissement de celui-ci.
Bernard MAGNIER : Quelles sont les principales difficultés ? Quels en sont les enjeux ?
Compagnie AUGUSTE-BIENVENUE : Les principales difficultés se situent au niveau des bailleurs de fonds qui expriment une préférence manifeste pour la musique et le théâtre dans une moindre mesure. Ce qui fait que la plupart des projets artistiques sont soutenus par des institutions financières européennes. Mais là aussi, les fonds se rétrécissent rendant encore plus difficile le décollage de la danse contemporaine en Afrique.
Toutefois, avec l’évolution que connaît la danse ces dernières années en Afrique, avec la création de structures dédiées à cet art (création du CDC La Termitière au Burkina Faso, de l’Ecole des sables au Sénégal…) et de festivals (Dialogues de corps, Dense Bamako Danse, Danse l’Afrique Danse…), l’espoir est permis. Mais, pour y arriver il faut de la volonté politique et de la persévérance des acteurs du milieu.

AUGUSTE OUEDRAOGO : « Traduire par la légèreté des mouvements du corps la profondeur de la pensée visionnaire »
Bernard MAGNIER : Tourments noirs est un spectacle de danse chorégraphié à partir d’un discours de Thomas Sankara. Comment vous est venue cette idée ?
Auguste OUEDRAOGO: Le discours de Thomas Sankara est la raison même du spectacle. Sankara a été un homme politique plein de charisme et aux pensées visionnaires qui a voulu sortir son pays, et bien au-delà, son continent de ce cercle vicieux de malheurs qui le frappent.
En effet, dans bien des discours, on ramène trop souvent l’Afrique à un continent de tous les maux : guerre, famine, sécheresse… À qui la faute ? Les uns se précipitent pour accuser les autres, et au bout du compte l’on s’enferme dans un cycle infernal d’accusations et de contre-accusations. Sans jamais pouvoir situer les responsabilités. Est-ce l’esclavage, l’apartheid, la colonisation, le néocolonialisme… qui sont à l’origine de nos malheurs ? Ou est-ce l’Afrique elle-même qui se refuse au développement ? Faut-il à chaque fois qu’il nous arrive malheur trouver un bouc émissaire pour expliquer notre retard ? Ne faut-il pas regarder autour de soi et commencer à prendre conscience de notre part de responsabilité et surtout de notre rôle à jouer dans ce contexte de mondialisation ?
S’il est indéniable que l’Afrique piétine sur le chemin du développement à cause des actions impérialistes et néocolonialistes de l’Occident, ce retard est également accru de nos jours à cause de nous-mêmes. Nous refusons de nous reconnaître et de vivre africains. Or, nous dit Thomas Sankara : « Nous devons accepter de vivre africain. C’est la seule façon de vivre libre et de vivre digne. » D’où la problématique de l’identité de l’Homme Noir.
Ce sont ces questionnements qui m’ont conduit à chercher à connaître davantage ces hommes qui ont lutté jusqu’au dernier souffle pour sortir le continent africain du gouffre. Mes recherches m’ont amené à me familiariser avec les pensées des grands leaders noirs, Martin Luther King, Nelson Mandela… Mais, mon attention a été retenue par Thomas Sankara qui, dans son discours du 4 octobre 1984, à l’ONU, répondait avec éloquence mais surtout pertinence à ces questions.
J’ai donc voulu traduire par la légèreté des mouvements du corps la profondeur de la pensée visionnaire de cet homme qui reste à jamais un modèle pour les jeunes générations.
Je suis convaincu que cette pièce pourrait être un relais intéressant pour la survie dans nos mémoires de cet homme auquel j’ai tenu à rendre hommage.
Bernard MAGNIER : Quelles sont les raisons qui vous ont fait choisir ce discours plutôt qu’un autre ?
Auguste OUEDRAOGO : Les pensées de Thomas Sankara ne se limitaient pas au cadre restreint de son pays, le Burkina Faso. Il touchait aussi du doigt les tristes réalités des autres contrées du monde.
Le discours choisi résume assez bien ce nouveau souffle qu’il voulait insuffler dans la prise en main par les peuples défavorisés de leur destinée. Pour lui, la seule voie de sortie pour l’Afrique est une révolution vis-à-vis de ce joug colonial. Le développement de l’Afrique ne peut s’envisager sur la base d’une dépendance aveugle des puissances occidentales.
Aujourd’hui, le temps a passé, rien n’a véritablement changé. Ce discours vieux de plus d’une vingtaine d’années est donc encore d’actualité. C’est tout naturellement que mon choix s’est porté sur celui-ci.
Bernard MAGNIER : Quelle est selon vous l’actualité de ce discours ?
Auguste OUEDRAOGO : Il suffit d’observer et de savoir lire pour se rendre à l’évidence que ce qu’a dénoncé et combattu Thomas Sankara est toujours aussi vrai qu’à son époque. Les mêmes maux, les mêmes problèmes, les mêmes tares subsistent et freinent l’Afrique sur le chemin du développement.
La famine frappe, les guerres déciment, la gangrène de la corruption gagne du terrain, l’analphabétisme est loin de régresser…
Tout cela est aggravé par le fait que les pays africains restent encore pour une grande part dépendants de l’aide extérieure, une aide qui, faut-il le dire, contribue à ralentir l’Afrique dans son élan vers le développement. La mondialisation vient sceller cet asservissement millénaire du continent en s’attaquant à ce qu’il a encore de valeureux, sa culture.
Bernard MAGNIER : « Danser le discours » un vrai défi ? Une gageure ?
Auguste OUEDRAOGO : Un vrai défi certainement, mais une gageure, je ne dirais pas. Donner à voir sur un plateau un discours aussi profond, traduire en mouvements toute l’essence de sa pensée peut sembler, en effet, chose impossible. Mais je pense plutôt que ce spectacle osé, audacieux, à la limite dérangeant, marque aussi mon engagement à voir les choses bouger. L’heure est venue pour l’Afrique de prendre en main son destin. Et cela ne se fera qu’à travers un engagement total de tous.
Bernard MAGNIER : Le spectacle est intitulé Tourments Noirs, pouvez-vous nous expliquer ce titre ?
Auguste OUEDRAOGO : La situation alarmante que vit l’Afrique fait couler tant d’encre et de salive. Elle suscite des interrogations multiples quant à l’avenir de ce continent. Ces multiples questionnements ne sont que la pointe émergée de la souffrance de ces peuples meurtris dans leur chair et dans leur âme. Je pense que ce titre traduit bien tout cela.
Bernard MAGNIER : Parmi les leaders africains, y a-t-il d’autres figures qui seraient susceptibles de vous inspirer ?
Auguste OUEDRAOGO : Thomas Sankara n’a pas été le premier panafricaniste, il ne sera certainement pas le dernier. Patrice Lumumba, Kwamé Nkrumah, Agostinho Neto, Amilcar Cabral ou encore Nelson Mandela sont aussi des figures emblématiques de ce vaste mouvement révolutionnaire à l’échelle du continent.
Bernard MAGNIER : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la musique et l’environnement sonore qui accompagneront votre chorégraphie ? S’agit-il d’emprunts musicaux ? D’une musique inédite créée pour le spectacle ?
Auguste OUEDRAOGO : La danse est principalement portée par le discours de Thomas Sankara, par des essais du compositeur Adama Kouada, et par quelques emprunts musicaux. Mais, au-delà d’un simple accompagnement, la musique prend aussi corps avec la danse dans son évolution, en ce sens qu’elle naît à partir de certains éléments du spectacle, notamment le discours et la gestuelle.
La musique intègre beaucoup de sons de clavier, dégageant une atmosphère assez tranquille, par moments perturbée par des sons aigus et graves. Ce mélange sonore suggère à la fois les sentiments d’énervement, de rage, de colère mais aussi d’espoir. Il vient en soutien au discours de Thomas Sankara, qui est entendu tout au long du spectacle, et à la danse.
Itinéraires
Bernard MAGNIER : Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à la danse ? Pouvez-vous nous retracer votre itinéraire artistique ?
Auguste OUEDRAOGO : Je ne saurais dire exactement ce qui m’a amené à la danse. Je dirais volontiers que la danse est une vocation pour moi, bien plus, une passion innée qui attendait le moment opportun pour s’exprimer. Déjà tout petit, comme me l’ont confié mes parents, j’étais captivé par toutes les formes artistiques que je voyais.
J’ai commencé à danser en 1993 dans une troupe burkinabè dénommée Le Bourgeon. J’y suis resté jusqu’en 2000. Par la suite, j’ai participé à plusieurs ateliers de danse animés par des chorégraphes africains, comme Salia Sanou, Seydou Boro, Opiyo Okach, et des chorégraphes européens tels que Christophe Cheleux, Robert Seyfried, Xavier Lot, Angelin Preljocaj… J’ai également été invité aux Ateliers du Monde en 2001 et 2002 lors du Festival Montpellier Danse où j’ai rencontré Laurence Levasseur, Susanne Buirge et Bernardo Montet.
Toutes ces expériences ont conforté en moi le choix de la danse comme expression artistique, mais elles m’ont surtout ouvert des perspectives. En 2002, j’ai été invité par Claude Brumachon et Benjamin Lamarche au Centre Chorégraphique National de Nantes pour participer à un stage international, un « Laboratoire de Création ».
J’ai collaboré à la création de plusieurs spectacles : le défilé Kôyan Kôté en 2000, chorégraphié par Salia Sanou, Seydou Boro et Cyril Viallon ; Transpace, en 2002, avec la Compagnie DIT de Robert Syfried.
Je suis également l’auteur de plusieurs pièces : le solo Kuum / Mort, en 2001 ; Bûudu / Au Milieu d’ici en 2002 ; le duo Sèg Sègbo / Rencontre la rencontre en 2004, avec la collaboration de Hind Benali ;Toupie or not Toupie en 2006, dans le cadre du Laboratoire des pratiques au CNDC Châteauvallon etTraces en 2007, réalisé avec l’assistance de Bienvenue Bazié et la collaboration de Jacques Pibot, Liliane Maurin et Jean Chazy de l’Association des plasticiens le Génie de la Bastille de Paris.

Auguste Ouedraogo
Bienvenue Fernand BAZIÉ : Mes premiers pas dans la danse remontent à 1993, avec la troupe polyvalente et artistique, Le Bourgeon. J’y ai suivi jusqu’en 2000 une formation pluridisciplinaire en danse, théâtre, conte et musique. J’ai aussi suivi des stages et ateliers de formation avec des chorégraphes burkinabé comme Salia Sanou et Seydou Boro et des chorégraphes européens tels que Claude Brumachon, Benjamin Lamarche, Mattéo Molles, Xavier Lot, Eric Mezino… avant d’intégrer la compagnie Kongo Bâ Teria. Cela m’a permis de danser dans des spectacles comme Frères sans stèles, Vin nem, et Nagtaba, fruit de la collaboration de Kongo Bâ Teria et de la compagnie Tché Tché d’Abidjan.
En 2002, Wilfried Souly et moi avons assisté Auguste Ouedraogo dans la chorégraphie du spectacle Bûudu. En septembre 2004, j’ai collaboré avec la compagnie Ulal Dto de Xavier Lot, et interprété le solo Welcome to Bienvenue. En 2006, la collaboration a continué dans le cadre du duo Derrière les Mur/murs.
En 2005, assisté d’Auguste Ouedraogo et de Wilfried Souly, j’ai repris la pièce Tin Souk Ka de la compagnie Tã. En 2007, j’ai assisté Auguste Ouedraogo dans la création du duo Traces, un spectacle Danse-Arts Plastiques réalisé avec la collaboration de trois plasticiens du Génie de la Bastille de Paris.
Propos recueillis en avril 2009
Source : http://www.letarmac.fr/