Durant les mois d’avril mai juin 2012, l’affaire Sankara est revenu à l’ordre du jour au Burkina Faso,une plainte pour séquestration. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été appelé à se prononcer sur la plainte contre X pour séquestration déposée en 2002 par l’épouse et les deux descendants de l’ancien président disparu pour un dernier recours.

En 2003, la cour d’appel avait alors jugé de l’impossibilité pour la famille Sankara d’invoquer la séquestration, une première plainte pour assassinat déposée en 1997 étant toujours en cours d’instruction. C’est cette décision que les avocats entendaient remettre en cause.

Après plusieurs recours, la parties prenantes ont plaidé le 24 mai. Le 28 juin le verdict est tombé : “La cour de Cassation a déclaré” le dossier recevable en la forme, le rejette dans le fonds et condamne les demandeurs aux dépens”, selon la terminologie du langage juridique. En clair la famille était déboutée et cette plainte était définitivement rejeté.

A chacun de ces occasions, des appels étaient diffusés pour une présence massive afin de montrer la volonté que justice soit faire, les 26 avril, 24 mai et 28 juin.

Le 23 juin un conférence de presse était organisée dont nous publié ci-dessous la déclaration lue par Boukary Kaboré, dit le Lion, ancien campagnon de Thomas Sankara, et capitaine pendant la révolution, alors chef militaire de la région de Kougoudou.

Nous proposons ci-dessous, des extraits de la presse du Burkina Faso, un compte rendu de l’audience du 28 juin paru dans le Pays et une interview de maitre Prosper Farama, un des avocats de la famille explique les tenants et les aboutissants de l’affaire.

La rédaction

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La salle d'audience du Conseil d'Etat est comble

SUDinTour@fotodiLucaBrunetti

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La déclaration lue durant la conférence de presse du 23 juin 2012

Le samedi 23 juin s’est tenu une conférence dans le cadre de la campagne de mobilisation pour l’audience de la cour de cassation à Ouaga. Audience qui doit livrer le délibéré du procès pour “séquestration de Thomas Sankara”. Le principal animateur de cette rencontre avec la presse fut Boukari Kabore dit le Lion. Lire la déclaration liminaire faite à cette occasion.

Mesdames et messieurs les femmes et hommes de médias,

Mesdames et messieurs,

Chers camarades,

Monsieur le Doyen,

Madame Mariam Sankara née Sermé, Monsieur Philippe Relwendé Sankara et Monsieur Auguste Wendyam Sankara dont je suis le Conseil habituel, me chargent de déposer entre vos mains, une plainte contre X avec constitution de partie civile pour séquestration sur la personne de Thomas Isidore Noël Sankara. Depuis le 15 octobre 1987, alors qu’il était présent à Ouagadougou, où il exerçait ses fonctions de Chef de l’Etat du Burkina Faso, Thomas Sankara n’a plus réapparu (…) ».

C’est en ces termes que, l’avocat Maître Dieudonné Nkounkou, le 30 septembre 2002, s’adressait officiellement à la justice Burkinabè. Depuis cette date, la plainte est pendante devant la justice du pays des hommes intègres. Puis, 10 ans après presque jour pour jour, elle connait une certaine accélération avec le pourvoi en cassation prévu en janvier puis reporté en avril, pour finalement se tenir le 24 mai 2012.

Depuis ce 15 octobre là, Thomas Sankara a disparu. Personne ne l’a plus jamais vu. Une tombe, au cimetière des martyrs à Dagnoën, nous a été indiquée comme étant celle qui abriterait la dépouille de Thomas Sankara. Face au doute, la famille (et les amis) de Thomas Sankara dont nous sommes, ont demandé à l’Etat de faire la preuve par test ADN qu’il s’agit bien de lui. Refus du gouvernement ! Nous sommes face à un doute. Doute sur la réalité de ce qui est présenté comme étant la sépulture, la dernière demeure de Thomas Sankara.
Pourquoi l’on nous refuse la preuve irréfutable qu’il s’agit bien de lui ou non? Nous voulons juste, savoir : s’il a disparu et mort, qu’on nous en fasse la preuve scientifique ; s’il a disparu et vivant, qu’on nous le rende. Il y a quelqu’un qui avait disparu, a été déclaré mort pendant des années ; puis a réapparu à la surprise générale, avec les bénédictions du régime de notre pays. Alors, est-il interdit de penser que Sankara pourrait réapparaitre? S’il y a eu un cas, pourquoi pas d’autres ? Nous voulons savoir, preuves scientifiques à l’appui, ce qu’est devenu notre cher président Thomas Sankara.

Le délibéré du pourvoi en cassation dont l’audience s’est tenue le 24 mai 2012 est prévu pour le jeudi 28 juin 2012 à la Cour de Cassation de Ouaga. A cet effet, nous lançons un appel à la mobilisation de tous les adeptes du GRAND HOMME, à se rassembler ce jour là, jeudi 28 juin 2012, dès 7 heures 30 minutes devant les portes de la Cour de Cassation pour être témoins d’un éventuel déni de justice. Mais aussi et surtout, pour témoigner de notre attachement à la défense des droits humains et des idéaux pour lesquels L’HOMME fut porté disparu depuis le 15 octobre 1987 vers 16 heures 30 minutes.
Depuis l’annonce de l’audience (renvoyée) du 26 avril passé, un travail de mobilisation se fait à l’endroit de la jeunesse burkinabè dans son ensemble. Ce travail est mené en relation avec toutes les sensibilités sankaristes dont « Justice pour Sankara Justice pour l’Afrique » et la « Campagne Internationale Justice pour Sankara ». Ces deux entités citées ont centré leurs activités sur une campagne pour que justice soit rendue à Thomas Sankara et une campagne de collecte de signatures pour une pétition dont la finalité est de solliciter de l’assemblée nationale française la déclassification d’archives estampillés « secret d’état ». Le but final étant de permettre des investigations, ici et là-bas, d’une commission d’enquête indépendante sur les circonstances de la disparition du capitaine Sankara. A ce jour, cette pétition a déjà recueilli plus de 9000 signatures venant de tous les continents.

Notre propos du jour n’a pas de rapport avec le volet judiciaire (technique) du dossier qui sera mis en délibéré bientôt. Nous ne sommes pas mandés pour cela et du reste, nous ne sommes pas outillés en la matière. Il y a un collectif d’avocats nationaux et étrangers qui gèrent ce volet.

Notre propos ici, vise plutôt à demander aux Burkinabè, aux hommes intègres, de sortir très nombreux le jeudi 28 juin pour aller entendre par eux-mêmes, le délibéré à la Cour de Cassation à partir de 7 heures 30 minutes.

Libérez Sankara !

Justice pour Sankara !

La Patrie ou la Mort ; nous Vaincrons !”

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Le 28 juin. Photo Amidou Kabré. La salle n’est pas vide contrairement à ce que dit l’auteur de l’article ci-dessous.

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PLAINTE POUR SEQUESTRATION : La veuve de Thomas Sankara déboutée

La Pays, lundi 2 juillet 2012

Jeudi 28 juin 2012. Le président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation vide le délibéré de la plainte contre X pour séquestration sur la personne de l’ex-président du Faso, Thomas Sankara. En la forme, la Cour a déclaré le pourvoi recevable mais au fond, l’a rejeté au motif qu’il est mal fondé. Les avocats de la veuve de l’ancien président du Faso n’en démordent pas pour autant. Pour Boukary Kaboré dit le Lion, le verdict n’est pas surprenant. Pour Me Sankara, avocat de Mme Sankara, cette décision permet d’aller désormais au fond de l’affaire : « l’assassinat du président Sankara ».

Il est 8 heures passées de quelques minutes. La salle d’audience est vide. Sur le siège une pile de dossiers. Parmi eux, le très médiatique dossier Thomas Sankara. Dans la cour, ce n’est pas la mobilisation des grands jours. Il y a plus de journalistes dans le public que de badauds. Les 14 ans de procédure ont-ils fini d’user la ténacité des partisans de l’ancien président ? Quelques irréductibles se font quand même entendre. « Nous n’abandonnerons jamais ! Nous serons toujours là pour demander que la justice soit rendue à Thomas Sankara », s’exclame, en langue mooré un homme au milieu d’un petit groupe de cinq personnes. L’attente durera une heure. Le délibéré tombe : le pourvoi formulé contre le jugement de la Cour d’appel de Ouagadougou est recevable dans sa forme. Mais la Cour le rejette quant au fond.

La salle se vide en une fraction de seconde. C’était le dernier dossier. Les journalistes prennent d’assaut Me Sankara. Le ton est à l’optimisme même si l’homme de droit sait que le chemin qui mène à la vérité sur la mort de Thomas Sankara est jonché d’embûches. D’autres procédures sont en cours, selon lui (voir encadré). Notamment la demande qui serait sur la table du ministre de la Défense à qui il est demandé de donner un ordre de poursuite pour rechercher les auteurs de la mort du capitaine Thomas Sankara. L’avocat pense qu’il y a « beaucoup d’espoir » malgré les quinze années de procédures. Pour lui, on aura beau tourné, on reviendra un jour sur les assassins du président Sankara.

Le crime étant imprescriptible selon lui. Cette plainte pour séquestration est consécutive à celle déposée par la partie civile contre X, le 29 septembre 1997, formulée ainsi qu’il suit : « Pour assassinat et faux en écriture administrative ». La Justice burkinabè, en son temps, avait déclaré que les juridictions de droit commun étaient incompétentes pour connaître du dossier. Se fondant, entre autres, sur cette décision tirée de l’article 34, alinéa 1er, du Code de justice militaire : « Les juridictions militaires sont compétentes pour instruire et juger les infractions de droit commun commises par les militaires ou assimilés dans le service ou dans les établissements militaires ou chez l’hôte ainsi que les infractions militaires prévues par le présent Code, conformément aux règles de procédure applicables devant elle » ; les ayants droit sont dans l’attente de cet ordre de poursuite qui devrait venir du ministre de la Défense, …. Blaise Compaoré, président du Faso.

La partie civile a rappelé qu’une autre procédure est en cours, notamment la demande de test ADN afin de s’assurer que c’est bien l’ancien président qui repose au cimetière de Dagnoen, depuis le 15 octobre 1987. La cour qui fait son entrée à 9 heures évacue un premier dossier, suspend l’audience et revient quelques minutes plus tard pour aborder des dossiers en « procédure spéciale ». Il s’agit de personnes qui, du fait de leur qualité, bénéficient de privilèges de juridiction. Il s’agit d’un commissaire de police impliqué dans une affaire d’extorsion de fonds et d’un maire adjoint poursuivi pour complicité de meurtre dans le cadre d’un affrontement meurtrier dans la zone de Solenzo. Ces deux affaires ont été confiées au doyen des juges d’instructions de la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso.

Me Sankara, avocat des ayants droit du président Thomas Sankara : « Nous avons désormais les coudées franches »

A l’issue du délibéré, nous avons tendu notre micro à l’avocat, Me Sankara, constitué avocat pour le compte de Mariam et des fils Sankara.

« C’est une décision de Justice. Nous en prenons acte. Je précise que ce n’est qu’un aspect de tout un arsenal de procédures que nous avions initiées. Et l’épuisement de celle-ci est une bonne chose d’une certaine façon. Cela nous permet désormais de nous consacrer au dossier de fond, qui est l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Rappelez-vous qu’il y a des procédures en cours sur l’expertise de la tombe, une demande de test d’ADN et nous avons une requête qui est devant le bureau du ministre de la Défense qui n’est autre que le président Blaise Compaoré, en sa qualité également de ministre de la Défense.

C’est lui qui doit donner l’ordre de poursuite que nous attendons pour que la procédure évolue. Vous avez vu que la Cour a estimé que notre recours était recevable mais l’a rejeté au fond en ce qui concerne la question de la séquestration du président Thomas Sankara. Il reste maintenant une question de taille : celle de l’assassinat du président Thomas Sankara. Nous avons désormais les coudées franches pour entamer cette procédure. »

Abdoulaye TAO

Source : Le Pays du 28 juin http://www.lepays.bf/?PLAINTE-POUR-SEQUESTRATION

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Affaire Thomas Sankara : “Nous sommes tout de même assez réalistes” (Me Prosper Farama)

L’Observateur Paalga du 1 juillet 2012

Saisie de la plainte contre X pour enlèvement et séquestration sur la personne de Thomas Sankara, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, en la forme, déclaré le pourvoi recevable mais, au fond, a rejeté la plainte car mal fondée. C’était le jeudi 28 juin 2012 à Ouagadougou. Dans l’interview qui suit, Me Prosper Farama, un des avocats de la veuve Mariam Sankara, réaffirme que le fond de l’affaire reste intact et espère que le ministre de la Défense, qui n’est autre que le président Blaise Compaoré, donnera suite à leur requête. S’exprimant sur la loi d’amnistie récemment votée par le Parlement au profit des anciens chefs d’Etat, l’avocat a estimé qu’elle n’est pas valable hors de nos frontières et que, tôt ou tard, ce bouclier judiciaire sera sans effet au Burkina.

Dans l’affaire Thomas Sankara, qu’est-ce qui s’est passé exactement le jeudi 28 juin 2012 ?

• La Cour de cassation a rendu son verdict relativement à une procédure qui avait été initiée par nos soins contre une décision préalable refusant d’ouvrir une enquête dans le cadre d’une plainte pour enlèvement et séquestration du président Thomas Sankara. La cour a estimé que dans la forme la plainte était recevable mais dans le fond l’a rejetée comme étant mal fondée. En résumé pour le profane, il faut retenir que pour la cour, il n’y a pas lieu, après examen du dossier, d’ouvrir une enquête.

Mais Me Farama, pourquoi « enlèvement et séquestration » ?

• Parce que nous sommes partis d’un simple constat. Au jour d’aujourd’hui, tout le monde suppose que le président Thomas Sankara est mort. Dans cette hypothèse, à part ceux qui l’ont tué et enterré, ni vous ni moi ne pouvons attester que Sankara est mort. C’est vrai qu’il y a eu un certificat de décès qui a été délivré à l’époque mais chacun sait les circonstances dans lesquelles il a été établi. Lorsqu’on établit un certificat en disant que le président Sankara était mort d’une « mort naturelle » alors même que lorsqu’il quittait sa famille il se portait bien car il n’avait pas été déclaré malade, on se demande bien de quelle mort naturelle il a pu mourir sans que sa famille n’ait pu entrer en possession de son cadavre. Ce sont tous ces éléments qui nous ont emmenés dans une logique purement juridique à déposer une plainte pour « enlèvement et séquestration » en supposant qu’éventuellement quelqu’un l’aurait enlevé et le détiendrait quelque part.

Pourtant il y a bel et bien une tombe Thomas Sankara au cimetière de Dagnöen à Ouagadougou où ses partisans font même régulièrement des pèlerinages…

• Bien sûr vous avez raison. Je pense que même du point de vue d’une logique pure et pragmatique, nous ne doutons pas que Thomas Sankara soit mort. Mais ici, nous parlons d’une logique juridique. Vous vous souvenez que nous avons fait une procédure qui est pendante devant les juridictions pour demander à ce que soient authentifiés les restes du président Sankara. Mais on n’a rien obtenu. Me Prosper Farama : « Cette loi d’amnistie n’est valable uniquement que devant les juridictions burkinabè »

Aujourd’hui, tout le monde va sur une tombe en supposant que c’est celle de Sankara. Mais qui peut juridiquement attester que c’est bel et bien la tombe de Thomas Sankara ? Même si on y avait enterré un mouton, c’est sûr, tout le monde irait s’incliner sur la sépulture en pensant que c’est celle de Sankara parce que tout simplement il est écrit dessus feu Thomas Sankara. Donc d’un point de vue strictement juridique, il est important qu’à un moment on puisse certifier, d’un point de vue scientifique, que ce sont les restes du président Thomas Sankara dans cette tombe.

La Cour de cassation vous a condamné aux dépens ; peut-on savoir combien cela pourrait éventuellement vous coûter ?

• Les dépens englobent les frais qui auraient été engagés pour les besoins de la procédure judiciaire et qui auraient été supportés par l’une des parties. Donc la partie qui perd le procès est appelée éventuellement à supporter ces frais. Mais à ce jour, nous ne voyons pas quel dépens l’Etat a pu engager dans cette procédure et que nous aurons à rembourser. En tout état de cause, nous attendons que l’Etat nous expose les dépens qu’il a pu engager.

Au point où nous en sommes, l’affaire « enlèvement et séquestration de Thomas Sankara » est-elle donc définitivement close ?

• Tout à fait car la Cour de cassation statue en dernier ressort. Cela veut dire qu’il n’y a plus de recours possible.

Si cette affaire est close, qu’en est-il judiciairement du dossier Thomas Sankara ?

• Ce n’est pas parce que la procédure pour « enlèvement et séquestration » est close que le fond de l’affaire ne demeure pas. Il reste aujourd’hui qu’il y a un problème Thomas Sankara relativement à son assassinat. Je vous disais tout à l’heure que nous étions dans une logique juridique, donc il y a aussi la présomption d’assassinat qui pèse sur certaines personnes dans la disparition du président Sankara. Cette procédure est pendante. Il faut souligner que le ministre de la Défense a été saisi par nos soins parce que par présomption, il s’agit d’une affaire qui se serait déroulée entre militaires dans une enceinte militaire et de ce fait, l’affaire relève de la juridiction militaire. Par conséquent, la procédure d’information ne peut être initiée que sur ordre du ministre. Et le ministre a été saisi à cet effet. Nous entendons tout mettre en œuvre pour que cette procédure aille jusqu’au bout.

Elle date de quand cette procédure ?

• C’est une vieille procédure. De longue date nous avons initié plusieurs procédures mais chaque fois qu’ils font semblant d’oublier les procédures, nous nous faisons le devoir de le leur rappeler parce que les faits ne sont pas prescrits si bien qu’on a le devoir et le droit de relancer les procédures qui sont en instance.

Le dossier Sankara serait donc imprescriptible ?

• Il n’y a pas de prescription ici. Il faut savoir que les prescriptions sont suspensives ou interruptives sur la base de certains actes. Le fait d’avoir déposé plainte suspend la prescription.

Maintenant comment allez-vous relancer la procédure ?

• En faisant ce que le droit nous autorise. Le droit dit de saisir le ministre de la Défense qui, à son tour, saisit le commissaire du gouvernement (procureur devant les juridictions militaires) pour lui donner l’instruction d’ouvrir une enquête. Ensemble nous verrons ce qu’il y a lieu de faire pour qu’au moins nous soyons situés sur ce que le ministre de la Défense a bien voulu faire relativement à notre saisine. Si on est saisi d’une plainte quelconque, c’est une obligation légale de donner une suite à cette plainte.

Il se trouve que ce ministre n’est autre que Blaise Compaoré. Avez-vous bon espoir que votre requête puisse prospérer ?

• Espoir ? oui. Si nous n’avions pas espoir, je crois que nous n’aurions pas engagé cette procédure. Mais nous ne sommes pas dupes, nous sommes tout de même assez réalistes. Nous savons très bien que demander à une personne d’autoriser des poursuites alors qu’elle est elle-même supposée impliquée dans une affaire ou d’en être l’initiatrice, c’est assez difficile. Mais il est évident que nous ne lâcherons pas prise tant que nous ne verrons pas le bout du tunnel.

Lorsqu’il est saisi d’une requête, le ministre de la Défense a-t-il un pouvoir discrétionnaire ou est-ce une obligation pour lui d’instruire le commissaire du gouvernement à ouvrir une enquête ?

• Du point de vue d’une appréciation purement juridique, il n’a pas de pouvoir discrétionnaire. Dans la procédure, ce n’est pas le ministre qui mène l’enquête, il est juste chargé de saisir l’équivalent du procureur du Faso auprès du tribunal militaire (commissaire du gouvernement). Il appartient donc à ce commissaire de mener l’enquête, de voir si la plainte est fondée ou pas. A partir de ce moment, juridiquement, le ministre de la Défense n’a pas un pouvoir discrétionnaire parce que la loi ne peut pas donner un tel pouvoir à une personne qui ne fait pas d’enquête de dire si oui ou non il y a des éléments suffisants pour ouvrir une enquête ou pas. Le ministre doit, c’est une question de procédure, saisir le commissaire du gouvernement parce qu’il s’agit d’un tribunal militaire et que l’ordre doit venir d’un supérieur hiérarchique. Blaise étant le ministre de la Défense, il a donc l’obligation légale de saisir le commissaire du gouvernement. S’il ne le fait, pour moi c’est une confession.

Une loi d’amnistie a été votée récemment par le Parlement et couvre tous les chefs d’Etat de notre pays de 1960 à nos jours. Alors, Me Prosper Farama, cette amnistie ne concerne-t-elle pas le dossier Thomas Sankara ?

• Moi j’attends qu’on me le dise. Quand on me dit que c’est une amnistie qui concerne tous les présidents, je crois qu’il faut dire les choses comme elles sont : c’est une amnistie qui a été concoctée pour le président Blaise Compaoré. Parce que rien que sur un plan strictement juridique, les anciens chefs d’Etat qui ont pu poser des actes quand ils étaient en fonction, même pour les crimes, bénéficient de la prescription. Ces présidents n’ont donc pas besoin d’amnistie puisque les faits sont prescrits et que légalement on ne peut plus les poursuivre. Si on regarde le dernier président avant Blaise, c’est Thomas Sankara. Ce dernier a été assassiné voilà bientôt 25 ans. Donc même si Sankara était vivant et qu’il avait commis des actes durant sa présidence, ces actes seraient déjà prescrits.

Le seul président qui, juridiquement, peut être poursuivi, c’est bien Blaise Compaoré. Je pense que l’honnêteté intellectuelle aurait voulu qu’on nous dise clairement que la loi d’amnistie n’est valable que pour Blaise Compaoré car pour les anciens chefs d’Etat, c’est un non-sens de leur accorder une amnistie pour des faits qui sont déjà prescrits. Thomas Sankara (à d.) et Blaise Compaoré (à g.) au temps fort de la révolution quand les deux filaient le parfait amour

Maintenant, est-ce que l’amnistie concerne l’affaire Thomas Sankara ? Je suppose qu’essentiellement c’est pour cette affaire Sankara et l’affaire Norbert Zongo que cette loi d’amnistie a été votée. Mais moi j’ai espoir que cette loi taillée sur mesure n’aura aucun effet dans ce pays. Autant aujourd’hui l’Assemblée nationale est souveraine pour voter cette loi, autant le peuple souverain peut revenir sur des décisions prises dans un contexte pour des intérêts bien personnels. Moi je suis sûr et certain que le jour viendra où cette loi d’amnistie n’aura aucun effet dans ce pays.

Dans le domaine du droit, une loi d’amnistie peut-elle s’appliquer à une affaire qui est déjà devant les juridictions ?

• Si vous avez jeté un coup d’œil sur les termes de la loi, c’est clair parce que la loi parle de faits qui ont eu lieu, donc il ne s’agit pas de faits à venir, mais qui se sont déjà produits. Or il se trouve que l’affaire Sankara a eu lieu sous le régime de Blaise Compaoré. De mon humble avis, l’intention de ces députés qui ont voté cette loi, c’est bel et bien de couvrir toutes les affaires y compris celles pour lesquelles des procédures sont en cours. Evidemment, il y aura un débat juridique qui va s’ouvrir sur ces questions mais au-delà, le peuple aura à se prononcer en dernier recours.

Pouvez-vous courir un risque quelconque en voulant relancer une affaire couverte par le manteau de l’amnistie ? On a vu en Espagne que le juge Baltazar a été sanctionné pour avoir voulu instruire sur des affaires amnistiées…

• On ne court pas un risque d’avoir emprunté une voie légale. Mais avec cette amnistie, attendons de voir. Normalement, la personne qui s’estime bénéficiaire d’une amnistie et qui est poursuivie devant les juridictions, doit invoquer la loi d’amnistie devant la justice. Attendons donc de voir. Peut-être que Blaise Compaoré, au sujet des plaintes qui sont déposées concernant l’affaire Sankara, viendra invoquer la loi d’amnistie, comme ça on sera définitivement situé. Parce que si vous demandez une amnistie liée à un fait, cela suppose que vous reconnaissez avoir été auteur de ce fait. Car si vous ne vous reconnaissez pas avoir été auteur d’un fait, vous ne pouvez pas invoquer l’amnistie. Nous attendons donc de voir quelle va être l’attitude de Blaise Compaoré.

Une loi d’amnistie est-elle juste valable sur le territoire national ou est-ce partout ailleurs dans le monde ?

• Une loi d’amnistie n’est valable uniquement que devant les juridictions burkinabè. Cette loi d’amnistie n’a aucune valeur devant une juridiction française, américaine, ou devant toute autre juridiction dans le monde. Si elles sont saisies, elles peuvent se déclarer incompétentes, mais les juridictions étrangères ne peuvent pas se voir imposer une loi d’amnistie qui aura été votée par le Parlement ou le peuple burkinabè car la seule loi à laquelle ces juridictions sont soumises, c’est la loi de leur pays.

Propos recueillis par San Evariste Barro

Source : L’Observateur du 1 juillet 2012 http://www.lobservateur.bf/index.php?option=com_content&view=article&id=15033

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