Publié le 14 mars sur http://courrierconfidentiel.net
Par Hervé d’Afrik
L’ex-président, Blaise Compaoré, a de gros soucis. Il a cru bon de se flanquer de la tunique d’ «Ivoirien naturalisé», mais dans sa résidence de Cocody, à Abidjan, il ne cesse de passer des nuits blanches. L’affaire Thomas Sankara et celle des victimes de l’insurrection d’octobre 2014 lui collent à la peau. Le Tribunal militaire burkinabè déposera bientôt sur la table des autorités ivoiriennes une demande d’extradition. La convention signée, à ce sujet, entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, dont nous avons obtenu une copie, est bien claire: si les autorités ivoiriennes refusent de l’extrader, sous prétexte que l’ancien «homme fort du Burkina» est devenu «Ivoirien», elles devront le juger en Côte d’Ivoire.
Les petites pirouettes de Blaise Compaoré pour échapper à la Justice risquent de ne pas prospérer. Il va devoir répondre de ses actes. Le Justice militaire burkinabè lui fera bientôt une piqûre de rappel. Elle entend exploiter, à fond, la «Convention relative à l’extradition» signée, le 30 juillet 2014, entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Selon nos sources, le dossier semble être bien avancé. Une grosse enveloppe devrait donc être acheminée, dans les prochaines semaines, au parquet militaire de Côte d’Ivoire par voie diplomatique. Cette action judiciaire pourrait faire voler en éclats la carapace d’ «Ivoirien naturalisé» de Blaise Compaoré. Des juristes qui défendent cette thèse affirment en effet, que l’ancien président burkinabè n’était pas Ivoirien au moment de la commission des faits qui lui sont reprochés. Il ne saurait donc se réfugier derrière sa nouvelle «nationalité ivoirienne» pour tenter d’échapper à la Justice. Blaise Compaoré lui-même le sait. «A ses visiteurs qui abordent avec lui cette question, il affirme qu’il ne se reproche absolument rien», confie l’un de ses anciens compagnons politiques qui fait la navette, avec un carré de ses fidèles, entre Ouagadougou et Abidjan. Mais derrière le sourire qu’il affiche et les grosses lunettes qu’il se plaît à porter lorsqu’il reçoit certains de ses confidents, se cache une grosse angoisse. Il regarde l’avenir mais pas du tout avec sérénité. Il sait qu’à tout moment, malgré la protection politique des autorités ivoiriennes, le grappin de la justice peut se refermer sur lui. Et c’est d’ailleurs pourquoi, après sa fuite du Burkina, «l’un de ses avocats français, Me Olivier Sûr, lui avait conseillé de déposer aussitôt, auprès de ceux qu’il a aidés, pendant la rébellion ivoirienne de 2002, à devenir rois, une demande de naturalisation», confie-t-on dans son premier cercle. Et c’est ce qu’il a fait. Sa demande a été acceptée. Et il s’est sans doute dit qu’avec la casquette d’ «Ivoirien», il ne serait pas extradé, jugé et probablement humilié dans son propre pays, le Burkina Faso. En feuilletant la Convention relative à l’extradition, signée entre les deux pays, l’ancien président burkinabè a dû faire une halte à la page 3. Là, c’est écrit noir sur blanc, que l’extradition peut être refusée «si la peine encourue est la peine de mort». Il a dû applaudir à tout rompre, se disant probablement qu’il disposait ainsi d’un bon parapluie pour échapper à la rigueur de la Justice, tout en croisant bien sûr les doigts pour que les autorités ivoiriennes ne le lâchent pas. Et que son «ami» Alassane Dramane Ouattara reste accroché au fauteuil présidentiel, souhaitant même probablement de tout cœur que lorsque ce dernier quittera le pouvoir, un président qui lui est hostile ne soit pas aux commandes.
L’ex-chef de l’Etat burkinabè croit ainsi tenir le bon bout. Si les faits «d’assassinat» (ou de «complicité d’assassinat) de son «ami et frère» Thomas Sankara, brandis contre lui, sont avérés, il encourt, selon le Code pénal burkinabè, la peine de mort. La Côte d’Ivoire pourrait donc trouver un bon prétexte pour ne pas l’extrader.
Mais la demande d’extradition, en pleine gestation au Tribunal militaire, devrait permettre de créer un déclic dans l’action judiciaire. Si la Côte d’Ivoire estime que Blaise Compaoré ayant été naturalisé Ivoirien, elle ne souhaite pas l’extrader, elle va devoir alors engager une procédure contre lui, à la demande du Burkina Faso, auprès des juridictions ivoiriennes. L’ex-président burkinabè a dû sursauter lorsque ses yeux se sont posés sur l’article 4 de la Convention: «(…) Si l’une des parties refuse l’extradition d’un de ses nationaux, elle s’engage à le faire poursuivre et juger conformément à son droit interne. Dans ce cas, la partie requérante lui adressera par voie diplomatique une demande de poursuite accompagnée des dossiers et documents y afférents en sa possession. La partie requérante sera informée de la suite réservée à sa demande».
Mais si la Côte d’Ivoire, saisie par le Burkina, s’engageait à «faire poursuivre et juger» Blaise Compaoré «conformément à son droit interne», il pourrait avoir une cacophonie dans la conduite des actions judiciaires. Un maillon essentiel manquera au dossier Thomas Sankara si le Tribunal militaire du Burkina venait à organiser un procès dans le cadre du dossier en cours. Blaise Compaoré, absent, gardera, à coup sûr, par devers lui, une page importante de la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara. Et de l’autre côté, en Côte d’Ivoire, s’il venait à être jugé, il le serait probablement sans les témoins requis et les acteurs clés de l’affaire qui auront déjà été jugés au Burkina Faso. Et même si ces derniers, déjà condamnés ou relaxés, étaient présents à un éventuel procès de Compaoré en Côte d’Ivoire, ils auraient des attitudes différentes, leur sort ayant déjà été scellé par le Tribunal militaire burkinabè. Pas évident donc qu’un procès de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire permette à la vérité de se manifester dans toute sa plénitude.
L’ex-président burkinabè se dit probablement que ce dossier pourrait être, à la longue, prescrit. Et classé ainsi sans suite. A moins que la Côte d’Ivoire et le Burkina ne décident, conformément à l’article 22, d’amender ou de réviser la Convention relative à l’extradition. Mais pas sûr que ce soit la bonne formule. Les autorités ivoiriennes ont été catégoriques : pas question de «livrer un compatriote Ivoirien».
Mais le mandat d’arrêt, lancé par la Justice burkinabè, plane toujours sur la tête de celui qui, le 31 octobre 2014, a fui du Burkina en plein midi. Interpol, la police des polices, va-t-elle réussir, un jour, à le prendre dans ses filets ? Compaoré se pose sans doute de multiples questions. L’ombre de Sankara ne cesse de troubler son sommeil. Et sans doute aussi celui de son épouse Chantal.
Par Hervé D’AFRICK
Source : http://courrierconfidentiel.net/index.php/decryptage/1371-affaire-thomas-sankara-blaise-compaore-sera-t-il-juge-en-cote-d-ivoire