L’affaire Sankara n’en finit pas de se heurter à des blocages. L’information qui nous en parvient est par trop parcellaire et partisane, quand ce n’est pas le langage judiciaire qui nous embrouille.

Mais qu’on ne s’y trompe pas. De puissants réseaux ont permis que le comité des droits de l’ONU se désaisissede l’affaire alors que ce même comité avait pourtant semblé intervenir pour que la famille puisse obtenir justice (voir notamment une analyse de ce retournement à http://thomassankara.net/?p=569). D’autres puissants réseaux au Burkina, empêchent que la justice se saisisse du fond de l’affaire et ordonne de véritables investigations. Mais le pouvoir de Blaise Compaoré apparait de plus en plus faible, et nous osons espérer pour bientôt qu’enfin une enquête pourra être lancée au Burkina avec une justice libérée, des pressions du pouvoir actuel.

Il restera que la vérité sur le complot international, ne pourra venir que des investigations au Burkina. Il importe donc qu’à l’étranger, en France, aux USA, en Côté d’ivoire, en Libye et au Togo, des enquêtes aient lieu, les archives soient ouvertes.

De nombreuses procédures ont été lancées au Burkina. Toutes ont été rejetées, pour des motifs divers et variés. Aussi, comme de nombreux observateurs, nous pensons que ce dossier ne pourra évoluer tant que Blaise Compaoré sera au pouvoir. Dernière en date une demande d’expertise pour vérifier que le corps de Sankara est bien dans ce qui est présenté comme sa tombe. Alors que pourtant personne n’a pu reconnaitre le corps et que le doute a depuis grandit sur le fait que le corps de Thomas Sankara s’y trouve bien.

Par delà ce que nous pensons, l’article que nous reproduisons ici, au delà de ce titre accrocheur, se place sur le registre de la justice et fait un effort de restitution des arguments des deux partis. Nous le reproduisons donc tout naturellement à titre information.

La rédaction

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Affaire Thomas Sankara Les avocats de l’Etat exigent la comparution des enfants de Sankara.

publié dans bimensuel MUTATIONS N°53 du 15 mai 2014

par Touwendinda Zongo

La tombe de Thomas Sankara ne sera pas ouverte. En tout cas pas dans l’immédiat. Les enfants Phillipe Relwendé, Wendyam Auguste et la veuve Mariam Sankara n’ont pas reçu l’autorisation expresse de la Chambre civile du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou. C’est le verdict qui a été donné le 30 avril dernier à la procédure d’ « assignation aux fins d’expertise tendant à l’identification d’un corps par la méthode d’empreintes génétiques ».

…Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort ; vu les articles 21, de la loi 10-93 ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire au Burkina Faso, 192, 193 et 194 du code de procédure civile ; se déclare incompétent ; renvoie les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront ; met les dépens à la charge des demandeurs.» C’est en ces termes que la présidente du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, la juge Fatoumata Sanou, a livré le verdict du jugement N° 373 du 30 avril 2014.

La Chambre civile du Tribunal de grande instance de Ouagadougou s’est déclarée «incompétente »pour statuer sur la requête d’exhumation de la supposée tombe du président Thomas Sankara.

Le tribunal a invoqué les dispositions légales pour motiver son verdict. Il s’agit notamment de l’article 21 de la loi 10-93 ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire au Burkina Faso qui définit les compétences de la Chambre civile et le code de procédure civile en ses articles 192,193 et 194 (voir ci-dessous).

C’est le 15 octobre 2010 que par acte d’huissier, les ayants droit de Thomas Sankara ont intenté une action judiciaire pour demander à l’Etat qu’il soit ordonné l’identification du corps se trouvant dans la tombe dite de Thomas Sankara érigée par le gouvernement du Burkina Faso. Les requérants sollicitaient en outre «la désignation d’un expert ou d’un laboratoire notoirement reconnu, habilité, à l’effet de procéder à cette mission d’identification par la méthode dite des empreintes génétiques. »

Cette procédure judiciaire s’inspire de la décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies en date du 5 avril 2006 (CCPR/86/1159/2003). La dite décision a mentionné au point 14 qu’en vertu du paragraphe 3a de l’article 2 du pacte, que « l’Etat partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. »

Comme on pouvait s’en douter, cette procédure a occasionné une confrontation des arguments, par écrit, entre les avocats de la famille Sankara emmenés par Me Bénéwendé Stanislas Sankara et ceux de l’Etat représentés par l’Agence judiciaire du trésor et Me Antoinette Ouédraogo.

L’Etat burkinabè à travers ses représentants a d’abord plaidé pour l’incompétence de la juridiction saisie, à savoir la Chambre civile du TGI. Pour lui, la mort du président Sankara relève du domaine pénal et par conséquent, tous les actes se rapportant telle l’identification du corps par expertise relèvent de la juridiction pénale. Ce à quoi les avocats des demandeurs ont rétorqué que le litige ne relève pas du juge pénal.

L’absence de domicile des demandeurs mise en cause

Outre l’incompétence du tribunal, l’Etat à travers ses avocats a aussi plaidé pour la nullité de l’assignation pour défaut d’indication du domicile des demandeurs. L’assignation du 15 octobre 2010 précise la date, le lieu de naissance et le statut des demandeurs (étudiant pour les enfants et sans profession pour la veuve), mais reste muet sur leur résidence contrairement à la requête de 2009 qui les localisait tous à Montpellier. Pour contrer cet argument, les avocats de la famille ont rappelé que les trois demandeurs, à savoir les deux enfants et leur mère ont élu domicile au cabinet de Me Ferdinand Djammen Nzepa au 21 boulevard André Netwiller 31200 Toulouse et disposent de conseils qui sont établis à Ouagadougou, au Burkina Faso. Les intéressés restent ainsi joignables à tout moment de la procédure. Et que mieux, selon l’article 57 du code de procédure civile, la constitution d’un mandataire vaut élection de domicile chez celui-ci.

Mariam et la tombe de Sankara

Les conseils de l’Etat burkinabè sont allés au tribunal avec plusieurs arguments pour contrer les demandeurs et espérer obtenir l’annulation de la procédure. Ils n’ont donc pas hésité à tout tenter et à tout prospecter.

L’Etat, selon ses représentants dans cette procédure, a plaidé pour le mal fondé de la demande au motif que le rapporteur du Comité des droits de l’homme des Nations Unies a félicité le Burkina Faso concernant la suite donnée à ses constatations. En effet, il est indiqué que le rapporteur commis au suivi des constatations des recommandations du Comité soumet à une session du Comité son rapport pour validation ou contestation.

Concernant la communication 1159/2003 présentée au Comité au nom de Mariam Sankara et autres, le rapporteur au suivi a soumis au Comité son rapport qui a été adopté lors de la 92e session du Comité tenue du 17 mars au 04 avril 2008 à Genève. Ils ont aussi indiqué que la recommandation du Comité fait expressément état de l’indication du lieu de sépulture et non d’une quelconque expertise. Comme s’ils entendaient faire feu de tout bois, ils ont également soutenu qu’après les recommandations du comité en 2006, Madame Sankara, la veuve, a volontairement décidé le 15 octobre 2007 de se rendre sur la tombe de Thomas Sankara pour y déposer une gerbe de fleurs. Ce geste, selon les avocats de l’Etat, serait la preuve que Mariam Sankara s’est résolue à acter que la tombe qui se trouve au cimetière de Dagnoin serait celle de son défunt époux. « S’agissant de la reconnaissance officielle du lieu de sépulture, l’Etat du Burkina Faso a démontré que tout le monde est témoin que chaque 15 octobre, la famille et les amis de Thomas Sankara se retrouvent au cimetière de Dagnoin pour lui rendre hommage et que son épouse s’y est elle-même rendue le 15 octobre 2007. », argumente Me Antoinette Ouédraogo. En guise de réplique, Me Sankara et ses confrères fait savoir qu’il appartenait au Gouvernement du Burkina Faso de prouver qu’il s’agit effectivement de la tombe de Thomas Sankara.

Qu’assurément, « ce n’est pas le fait que madame Sankara se soit rendue en Octobre 2007 sur ce qui a été présentée comme la tombe de Sankara qui constituera juridiquement cette preuve. » Enfin, l’Etat qui dit douter des intentions réelles des demandeurs a fini par exiger la présence physique des deux enfants au tribunal. « L’Etat burkinabè soutient que selon les demandeurs, Phillipe et Auguste auraient déjà satisfait aux prélèvements biologiques nécessaires à la comparaison des empreintes génétiques et les résultats pourront être tenus à disposition de la justice ; qu’il émet des doutes sur leur intention et leur motivation réelle ; qu’il plaira alors au Tribunal en vertu des articles 219 et 224 du code de procédure civile d’ordonner leur comparution personnelle.» Cette demande de l’Etat a été jugée sans intérêt par les avocats des demandeurs dans la mesure où ce qui est demandé dans l’acte d’assignation est parfaitement formulé et qu’il n’y aurait aucun doute sur leur prétention.

Quant aux juges qui ont apprécié les plaidoiries des parties en dernier ressort, ils ont estimé que la Chambre civile du tribunal de céans n’est saisie ’aucun litige dont la solution dépendrait de l’expertise demandée. Ils ont trouvé que la demande tend à obtenir une mesure d’instruction in futurum (pour le futur). Qu’or, il résulte de manière non –équivoque de la lettre de l’article 194 du code de procédure civile que la loi a entendu exclure de la compétence de la Chambre civile du TGI l’appréciation d’une demande tendant à obtenir des mesures d’instruction in futurum…

Les juges du Tribunal se sont appuyés sur cette disposition de la loi pour forger leur intime conviction. En déclarant le Tribunal « incompétent » pour statuer de l’affaire, l’affaire n’a pas été jugée au fond.

Mais quel tribunal de l’ordonnancement judiciaire aurait compétence alors pour autoriser l’exhumation et l’identification du corps supposé être celui de Thomas Sankara? La question fait débat au sein des hommes de droit.

Touwendinda Zongo

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L’article 21 de la loi portant organisation judiciaire au Burkina Faso stipule que « La chambre civile a compétence générale dans toutes les affaires civiles pour lesquelles compétence n’est pas attribuée expressément par la loi à une autre juridiction.

Elle a en outre compétence exclusive dans les matières suivantes :
– L’état des personnes : mariage, divorce, séparation de corps, filiation,
adoption, absence et la disparition, contestation sur la nationalité ;
– La rectification des actes de l’état civil ; les régimes matrimoniaux, les
successions ; les réclamations civiles dont le montant du principal est
supérieur à un million de FCFA.
– Les actions en matière immobilière ; les actions en matière de droit d’auteur
et de propriété industrielle (brevet d’invention, marque de fabrique,
appellation d’origine )
– Les actions intentées par ou contre les officiers ministériels en règlement de
leurs frais. ) »

Le code de procédure civile stipule :
– Article 192 Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, en tout état de cause, à la demande des parties ou d’office, être objet de toute mesure d’instruction légalement admissible, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.
– Art 193 : Les mesures d’instruction que le juge peut ordonner sur un fait non prouvé ont pour objet de recueillir les déclarations des parties ou des tiers, de faire par lui-même ou de faire par un tiers toute constatation utile et de prendre l’avis de toute personne compétente en raison de sa technicité.
– Art 194 S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

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