Nous publions ci-dessous une interview de Mariam Sankara après la décision de l’ONU du 5 avril 2006 qui donne raison à la famille contre l’Etat burkina (voir la décision de l’ONU à l’adresse http://thomassankara.net/?p=159). Cette interview réalisée par Remi Rivière a été publiée dans l’hebdomadaire Bendré (voir http://www.bendre.africa-web.org/) du 26 avril 2006.
Mariam Sankara : « C’est une démarche de plus vers la vérité que je cherche »
Mariam Sankara a reçu avec « satisfaction » la décision de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU qui lui donne raison contre l’État Burkinabé dans ce qu’elle nomme un « déni de justice » : l’impossibilité de voir aboutir le procès contre X qu’elle a initié en 1997 au Burkina pour l’assassinat de son mari, ainsi que la reconnaissance de « traitements inhumains » à son égard par le régime du Burkina. Dans un entretien à Bendré, la veuve du PF fait part de ses espoirs, de ses attentes et de sa résolution. L’État est signataire du pacte relatif aux droits civils et politiques des droits de l’homme, et c’est à ce titre, en espérant « que le Burkina ne va pas violer ce pacte une autre fois » que Mariam Sankara souhaite que les autorités instruisent son affaire et qu’au Pays des hommes intègres « le procès commence ».
Q : Comment avez-vous reçu le verdict de la commission des droits de l’Homme de l’ONU ?
M. S. : J’étais contente. Cela faisait un moment que nous avions saisi cette commission et cette réponse nous l’attendions. Cela a été une satisfaction pour moi.
Q : Cela a quand même duré quatre ans ?
M. S. : Oui quatre ans. Il y a quatre ans que nous avons saisi la commission. Lorsque nous avons été confrontés, au Burkina, à un déni de justice, nous avons saisi la commission des Nations-Unis. C’est long quatre ans. Mais nous attendrons patiemment.
Q : Que va changer cette décision ?
M. S. : Cette décision permettra d’instruire le procès au Burkina. Si le régime burkinabè applique les recommandations des Nations-Unis, cela veut dire que les autorités compétentes Burkinabè vont instruire l’affaire et que le procès va commencer. Ce qui nous a été refusé depuis un moment. Le pouvoir burkinabè devrait permettre que se poursuive l’instruction. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de justice.
Q : On est encore loin de ce que vous avez demandé en 1997. En 1997, votre plainte déposée contre X portait sur un assassinat…
M. S. : Oui. Nous avons fait tous les recours possibles et les instances burkinabè nous ont refusé cette justice. Maintenant que le Comité des droits de l’Homme des Nations Unis a reconnu que le Burkina, en ne nous accordant pas cette justice, violait le pacte, je suppose que le Burkina devrait nous permettre maintenant de poursuivre…
Q : La commission des Nations Unis reconnaît également un « traitement inhumain » à votre égard. C’est un préjudice par rapport à la justice du Burkina ?
M. S. : Oui et par rapport à l’état burkinabé. J’ai dû quitter le Burkina Faso. Après l’assassinat de mon époux, j’ai été persécuté. Il a fallu que je parte. Il y avait même une décision qui disait que si je quittais Ouagadougou au-delà de quarante kilomètres, j’en serais responsable…
Q : Qui a dit ça ?
M. S. : J’ai une décision écrite venant de la direction de la sûreté du Burkina Faso. J’ai reçu des menaces. Il fallait qu’on parte. On était isolé. Mes enfants ont été secoués par l’isolement qu’on a crée en faisant des pressions sur les familles de leurs camarades. Outre les arrestations suivies de tortures, la même méthode a été utilisée pour faire de la famille sankara et de ses amis, des parias.
Q : Pour vous c’est la fin d’un isolement cette décision de la Commission ?
M. S. : J’ai droit à la justice. C’est une démarche de plus vers la vérité que je cherche. A condition que le Burkina respecte les recommandations de la Commission des droits de l’Homme…
Q : Selon vous, est-ce que le Burkina va respecter ces mesures demandées par la commission ?
M. S. : Oui parce que le Burkina a signé le pacte (des droits civils et politiques des Nations-Unis ndlr). C’est une autre question. Mais j’espère que le Burkina le fera. Parce que la décision de la Commission est obligatoire quand on a signé le pacte. J’espère que le Burkina ne va pas violer ce pacte une autre fois.
Q : La Commission dit que l’affaire que vous avez initiée en 1997 doit suivre son cours au Burkina Faso mais désormais devant un tribunal militaire. Pensez-vous qu’elle trouvera une issue face à ce tribunal ?
M. S. : C’est une juridiction comme une autre. C’est le procureur du Burkina qui a dit que ce dossier ne relevait pas de sa compétence et qu’il fallait saisir un tribunal militaire. C’est donc au ministre de la défense de donner maintenant l’ordre à cette juridiction de poursuivre notre démarche.
Q : En ce moment, en Sierra Léone se tient le procès de Charles Taylor. Le Général Tarnue a déjà déposé devant ce tribunal des Nations Unis en expliquant qu’en octobre 1987 il y avait une présence de soldats libériens qui auraient aidé Blaise Compaoré à faire assassiner Thomas Sankara. Pensez vous que le procès de Charles Taylor puisse permettre d’établir la vérité sur cette affaire ?
M. S. : C’est possible. On ne sait pas comment se déroulera ce procès. On espère qu’il amènera un éclaircissement sur le procès qui nous concerne…
Interview réalisée par Remi Rivière pour le compte de l’hebdomadaire burkinabè Bendré