Nous publions ci-dessous les extraits d’un livre de Stephen Ellis, intitulé The Mask of Anarchy, sous-titré The destruction of Liberia and tje Religious Dimension of an African Civil War, publié par Hurst $ Company à Londres 2001 en 1999, réédité en 2001 puis augmenté et réédité en 2007.

Nous avons surligné en gras les passages qui nous ont semblé les plus significatifs.

Les témoignages des libériens traduits et retranscrits et en vidéo sont disponibles sur thomassankara.net. Pour y accéder, cliquer sur les liens.

Nous vous livrons ici la traduction des passages concernant le Burkina. La traduction a été réalisée par Jean Jaffré.

La rédaction


INTRODUCTION

AFRICAN WARS

A death in the night

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Le NPFL (National Patriotic Front of Liberia) avait lancé l’offensive en attaquant depuis la frontière ivoirienne à près de 300 km de Monrovia. Une centaine de combattants qui avaient été entraînés dans des camps en Libye et au Burkina Faso formaient le noyau dur de la troupe. Il ne comprenait pas seulement des Libériens mais aussi des aventuriers et des révolutionnaires d’autres pays ouest-africains que le NPFL avait recrutés dans des camps d’entraînement à l’étranger. Par la suite le gouvernement du Burkina Faso, l’un des trois pays soutenant le NPFL, mit à sa disposition des soldats de l’armée régulière. La présence de ces non-libériens au sein du NPFL, inquièta les pays anglophones de la sous-région. C’est ce qui incita les gouvernements du Nigéria, de la Sierra Leone, de la Gambie, du Ghana et de la Guinée, – le seul pays francophone

à envoyer un contingent – à participer à l’opération de maintien de la paix.

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Johnson avait certainement de bonnes raisons quand il a annoncé en juillet 1990, qu’il rompait avec Taylor. Cela faisait des mois que les deux hommes étaient en mauvais termes. Et Johnson pouvait penser non sans raison, qu’en ayant tué le président en exercice, il pouvait tenter de se faire reconnaître comme chef de l’Etat, comme Samuel Doe l’avait fait dix ans plus tôt, ou à tout le moins d’être faiseur de roi, c’est-à-dire de choisir lui-même le candidat à la présidence….La plupart des chefs d’Etat ouest-africain, qui ont organisé l’intervention de l’Ecomog, étaient eux-mêmes parvenus au pouvoir à la suite d’un complot.

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….Prince Johnson renonça rapidement à toute ambition présidentielle. Fin septembre 1990, le général nigérian Joshua Dogonyaro fut envoyé par Lagos pour remplacer l’infortuné général Quainoo, commandant des forces de l’Ecomog. Le général, qui ne s’en laissait pas compter, …., commença immédiatement par apporter son soutien à la formation d’un gouvernement intérimaire, dirigé par le Prof. Sawyer…. “Nous avons l’intention de mettre en place un gouvernement intérimaire, auquel ne participera aucun des chefs de guerre et qui sera chargé de préparer des élections”.(37)….

Prince Johnson Chef de guerreTrès vite Johnson n’eut même plus le contrôle de la flotte de voitures présidentielle, car des soldats nigérians se sont emparés des limousines et les ont fait sortir du pays. Pendant ce temps Taylor demeurait en position de force car il contrôlait la plus grande partie du Libéria et il pouvait se prévaloir du soutien des gouvernements du Libéria, du Burkina Faso, et surtout de la Côte d’Ivoire, le principal allié de la France en Afrique de l’Ouest. La guerre civile au Libéria avait provoqué de graves divisions entre les pays anglophones et les pays francophones de la sous-région. Johnson lui-même fut rapidement mis hors jeu et s’en alla au Nigéria dont il était devenu l’allié.

Note 37 “Quoted in Nigeria Considers Military Interventions in Liberia”, Financial Times, 4 Augus 1990.

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Si les habitants du Nimba County étaient très majoritairement hostiles à Samuel Doe, de même une majorité de Libériens vivant à l’étranger, la plupart dans des pays de l’Afrique de l’Ouest et aux Etats-Unis. La plus grande communauté d’exilés libériens se trouvait en Côte d’Ivoire, où s’étaient réfugiés des Américano-Libériens arrivés après le coup d’Etat de 1980 et qui ont fraternisé avec les nouvelles vagues de réfugiés, en provenance principalement du Nimba County. Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le patriarche de l’Afrique francophone, qui avait établi un réseau d’alliances dynastiques dans la sous-région, avait une rancune tenace contre Doe, depuis le meurtre d’Adolphus Tolbert, un parent par mariage, en 1980. Après sa mort, sa veuve Désirée Delafosse s’installa au Burkina Faso. Beaucoup de Libériens affirment qu’elle épousa en seconde noce le capitaine Blaise Compaoré, l’un des quatre jeunes officiers qui ont dirigé le Burkina Faso après 1983, bien que cela paraisse peu vraisemblable; en réalité Compaoré était marié avec Chantal Terrasson, une protégée du président ivoirien, (88) quoiqu’il semble que Delafosse fassa partie des familiers de Compaoré, ce qui probablement est la source de ces rumeurs. Ce qui est incontestable est que Compaoré, le commandant du régiment de parachutistes d’élite, était lié par mariage à Houphouët-Boigny et qu’il commença de s’intéresser au Libéria et aux exilés, qui parcouraient l’Afrique de l’Ouest en vue d’obtenir des soutiens

88 Huband, the Liberian Civil War, p.105.

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charles taylor en operation
Charles Taylor en opération

Après son évasion (d’une prison dans le Massasuchetts “dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées, ce qui laisse à penser que les services de sécurité américains ont fermé les yeux”) Taylor arriva à Accra en février 1986, en passant par le Mexique….Après juste une semaine au cours de laquelle il rencontra plusieurs responsables ghanéens, Taylor fut de nouveau arrêté. “Ils disaient qu’ils ne comprenaient pas comment j’avais pu m’échapper d’une prison américaine et que j’étais peut-être un espion de la CIA” raconte Taylor….Il fut libéré au bout de trois mois et les autorités ghanéennes lui ont accordé l’asile politique. Cette fois il se lia d’amitié avec l’ambassadeur du Burkina Faso à Accra, qui lui obtint un rendez-vous avec le président Thomas Sankara, alors un héros pour toute la jeunesse révolutionnaire en Afrique de l’Ouest. Au début de l’année 1987, les services de sécurité ghanéens l’arrêtèrent à nouveau, à la suite de nouvelle intrigues des dirigeants du MOJA, dont Fahnbulleh et Sawyer, affirme Taylor. (93). Libéré pour la seconde fois, il est allé au Burkina Faso, où se trouvait des groupes d’exilés libériens, auxquels le gouvernement burkinabè avait promis une aide militaire. Parmi ces déserteurs de l’armée libérienne, qui s’étaient retrouvés au Burkina Faso, il y avait Prince Johnson et Samuel Varney, des collègues de Quiwonkpa, qui avaient pris part au coup d’Etat manqué de 1985. Ce sont ces hommes que Blaise Compaoré contacta et à qui il a demandé de l’aider à renverser le président burkinabè Thomas Sankara. Selon un ancien collaborateur de Compaoré, le président Houphouët-Boigny était au courant du projet de l’ambitieux Compaoré.(94). Le 15 octobre 1987, des soldats burkinabè sous les ordres de Compaoré, avec le soutien d’un petit groupe d’exilés libériens, dont Prince Johnson, tuèrent Sankara. Blaise Compaoré, autrefois un ami proche de Sankara, devint président du Burkina Faso. (95)

93 Charles Taylor interview with Baffour Ankomah, Ghanaian Chronicle (Accra), 12-18 Oct. 1992

94 Bernard Doza, Liberté confisquée, Paris, pp.247-51

95 Agetua, Operation Liberty, pp.23-4

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Ainsi, dès 1987 l’opposition anti-Doe à l’étranger était devenue inextricablement impliquée dans le jeu des intrigues ouest-africaines. Après octobre 1987, les dirigeants de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, qui partageaient la même aversion à l’égard de Samuel Doe, ont formé une alliance. Compaoré était particulièrement redevable aux exilés libériens qui l’avaient aidé à s’emparer du pouvoir. En retour il les aida à nouer des contacts. C’est par l’intermédiaire de Compaoré que Charles Taylor eut la possibilité d’ouvrir une ligne de communication avec le colonel Kadhafi et a pu ainsi convaincre le dirigeant libyen de ses convictions révolutionnaires. Pour la première fois, Taylor s’adressait directement à un gouvernement étranger qui avait les moyens de financer et d’armer une insurrection importante. Kadhafi s’intéressa à ces intrigues ouest-africaines dans le cadre de ses vastes ambitions révolutionnaires qui embrassaient toute l’Afrique, le Proche et Moyen-Orient et le reste du monde depuis l’Irlande du Nord, en passant par la Colombie jusqu’aux Philippines. Les services secrets libyens avaient créé un organe connu sous le nom d’al-Mathabh al-Thauriya al-Alamiya (Quartier-général de la Révolution mondiale), un institut basé en Libye dont la principale mission était de former des volontaires à la guérilla révolutionnaire venus du monde entier. (96)

Pendant une décennie la campagne de Kadhafi pour libérer l’Afrique de l’impérialisme européen s’était concentré sur le Tchad, son voisin sur le flanc sud, où il y avait eu des accrochages avec l’armée française. Mais une suite de revers avait amené Kadhafi à détourner son attention du Tchad et à tempérer sa détermination de contrer l’influence française, pour laisser libre-cours à son anti-américanisme. Kadhafi avait été traumatisé en avril 1986 par une frappe de l’aviation américaine contre sa résidence à Tripoli, au cours de laquelle l’une de ses filles a été tuée et dont lui-même sortit miraculeusement indemme. L’année suivante l’armée tchadienne infligea une série de cuisantes défaites aux troupes libyennes, dont les services secrets américains surent tirer profit.

Les Tchadiens avaient fait un grand nombre de prisonniers de guerre, que la CIA entreprit de retourner pour renverser Kadhafi. (97) Rendu prudent vis-à-vis de son voisin, Kadhafi prit des mesures pour rétablir de bonnes relations avec la France et concentra tous ses efforts pour se venger contre l’Amérique. La présence d’un nombre important d’exilés libériens au Burkina Faso et leurs étroites relations avec son ami Compaoré, lui donnèrent l’idée de cibler le Libéria, où se trouvait le principal bureau des services secrets américains pour l’Afrique de l’Ouest. Fin 1987, Kadhafi montrait de l’intérêt aux propositions d’héberger un mouvement anti-Doe et mettre à sa disposition les installations d’entraînement militaire du Quartier-Général de la Révolution mondiale.

96 Author”s interviews. See also “Abdullah, Bush Path to Destruction” in Journal of Modern African Studies

97 “USA/Chad: target Gaddafi”, Africa Confidential, 30, 1 (1989), pp.1-2

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Jusqu’à présent, Moses Duopu, un ancien ministre de Doe, était probablement le recruteur de soldats libériens exilés le plus efficace…..Pendant les années 1986 et 1987, tandis que Taylor faisait plusieurs séjours dans les prisons ghanéennes, Duopu établissait des contacts avec des opposants au gouvernement Doe, en particulier ceux qui avaient une expérience militaire et les invitaient à venir faire des stages d’entraînement au Burkina Faso. Parmi ceux-ci il y avait Prince Johnson, ancien aide-de-camp de Quiwonkpa, Samuel Varney et Elmer Johnson, qui avait servi dans un régiment de fusiliers-marins américain. C’est par l’intermédiaire de Duopu, que Johnson, Varney et d’autres, se sont trouvés au Burkina Faso en octobre 1987, à temps pour aider Compaoré à faire le coup d’Etat.(98)

Les quelques dizaines de Libériens exilés au Burkina Faso et en Libye restaient méfiants à l’égard de Taylor, mais une fois que ce dernier eut obtenu l’appui direct de Kadhafi, il réussit progressivement à s’imposer comme l’intermédiaire clef entre les différents soutiens internationaux et les soldats libériens qui allaient former l’élite de l’armée révolutionnaire. À la suite de l’appel pressant de Kadhafi à créer une armée révolutionnaire pan-africaine, Taylor commença de faire des navettes entre les capitales, généralement avec un passeport burkinabé. Il retourna à Accra où il a rencontré des opposants togolais, soutenus par le gouvernement ghanéen. (99)….

98 See profile of Samuel G. Varney in Torchlight (Monrovia), 1, 1 (26 October 1990) p.2.

99 Charles Taylor interview with Baffour Ankomah, Ghanaian Chronicle (Accra), 12-18 Oct. 1992; the best account of Liberian exile politics in this period is Huband, The Liberian Civil War, pp.45-62.

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.Dans les camps d’entraînement en Libye et au Burkina Faso, les Libériens furent en contact avec un large éventail de révolutionnaires africains, ayant participé à des coups d’Etat et des guerres, dont certains allaient jouer un rôle important plus tard. Dès juin-juillet 1987, Taylor avait réussi à sceller une alliance avec un groupe de Sierra Léonais, entraînés en Libye, dont le chef était un ancien caporal, Foday Sankoh et qui avaient nommé leur mouvement le Front Uni Révolutionnaire.(102)….

….Un certain Laurent-Désiré Kabila, le futur président de la R.D.C, a fait également un séjour dans un camp libyen. (106) Ces camps d’entraînement ont été les Harvard and Yale de toute une génération de révolutionnaires africains.

102 Abdullah, “Bush Path to Destruction” Africa Development, p.67

106 Author’s interviews, Monrovia, April 1997

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Cependant il y avait aussi des exilés libériens qui détestaient Tayor et jalousaient son influence grandissante comme intermédiaire avec les principaux fournisseurs de subsides et d’armes. Kadhafi et Compaoré….

Charles Taylor et plusieurs autres libériens en exil, bien que divisés par des querelles, avaient réussi à obtenir le soutien de cet étrange trio formé par la Libye, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Peu de gens au Libéria et à l’étranger avaient entendu parler du NPFL, avant l’invasion du Libéria en 1989, mais le mouvement avait des combattants en formation au Burkina Faso et des soutiens en Côte d’Ivoire, sans compter l’attention bienveillante des services de renseignements des deux gouvernements. Des hommes d’affaires s’intéressaient à l’économie libérienne notamment au secteur minier (gisements de fer dans le Nimba) et à l’exploitation forestière. Taylor, qui à présent parlait le Français, ouvrit un compte bancaire à Abidjan et s’était lié avec des hommes d’affaires français qui avaient des contacts avec l’ambassade de France, l’une des plus importantes en Afrique. A Ouagadougou, le président Compaoré l’introduisit à des responsables politiques et hauts fonctionnaires français. (108)

108 François Prkic, the Economy of the Liberian Conflict” unpublished paper presented at a conference on Defence, Economics and Security in Mediterranean and Sub-Sahara Countries, Lisbon, 5-6 June 1998

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Le principal atout de Taylor était les contacts personnels à haut niveau qu’il s’était forgé à Abidjan, Ouagadougou et Tripoli, qui lui ont permis de s’assurer le soutien international dont le NPFL avait besoin. Lui avait réussi là où des exilés plus connus avaient échoué. Mais bien qu’il fût président du NPFL, il ne bénéficiait que d’un soutien modéré des combattants qui avaient suivi une formation dans des camps en Libye et au Burkina Faso. La plupart restait fidèles à leurs commandants, souvent d’anciens officiers de l’AFL, comme le Prince Johnson, ou à responsables politiques comme Moses Duopu, qui à l’instar des hommes de troupes étaient originaires du Nimba County. Mais une majorité des Libériens n’avait jamais entendu parler du NPFL, et ceux qui se rappelaient Charles Taylor en gardaient surtout le souvenir d’un familier de Doe et de Quiwonkpa, qui s’était enfui en 1983, avec des fonds publics.

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2 LEAN AND HARD YEARS

Les combats dans le Nimba County

page 77-78

De nombreux habitants de la capitale Monrovia avaient pressenti avec justesse que les combats n’étaient pas en faveur de l’AFL dans le Nimba County. Les forces gouvernementales dans la région avaient répondu aux premières attaques du NPFL, en arrêtant des suspects, ce qui voulait dire en pratique que c’était surtout des jeunes de l’ethnie Gio qui étaient arrêtées voire tués par l’armée contrôlée par les Krahn dans cette région considérée comme territoire ennemi. Quand le gouvernement imposa un couvre-feu, des milliers s’enfuirent en Guinée et en Côte d’Ivoire, laissant les troupes de l’AFL libres de piller les localités abandonnées. …..

Les Gio en particulier dans le Nimba, se sont enrôlés en masse dans les rangs du NPFL et attaquaient les Krahn, qu’ils considéraient collectivement responsables des atrocités de Doe, et les Mandingues, qui s’étaient rendus impopulaires en profitant du régime et en acquèrant des terres dans le Nimba, où ils n’étaient pas censés jouir de droits héréditaires…..La haine envers le gouvernement de Doe et de tous ceux qui lui étaient associés, était si vive dans le Nimba County, que tout ce que les combattants du NPFL avaient à faire, était de distribuer des armes qu’ils rapportaient du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire.

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Splits in the NPFL

page 81

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Taylor aussi avait une relation difficile avec l’homonyme d’Elmer, Prince Johnson, le commandant du corps d’élite du NPFL, les Forces spéciales et qu’on appelait aussi les Scorpions noirs. Johnson était né dans le Nimba County en 1952 mais il avait été élevé par un oncle à Monrovia. Il s’était enrôlé dans l’armée en 1971, ….et il avait pris part à la tentative de coup d’Etat de 1985. Après la mort de Quiwonkpa, il s’enfuit en Côte d’Ivoire. De là on l’a invité à se rendre au Burkina Faso, puis il fut envoyé dans des camps d’entraînement en Libye. Puis il devint l’instructeur en chef du NPFL. Le gros des combattants, qui avaient été formés en Libye et au Burkina Faso et qui entrèrent au Libéria au début de la guerre, étaient directement sous ses ordres….

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page 82- 83

….Taylor faisait des nouvelles recrues surtout parmi la population civile. Il pouvait compter sur le soutien absolu des Small Boy Units et il avait aussi sous son contrôle direct des soldats de l’armée régulière burkinabé, fournis par le président Compaoré, ainsi que des partisans de la révolution, originaires de Gambie, du Ghana, Nigéria et d’ailleurs qu’il avait recrutés dans les camps d’entraînement en Libye et au Burkina Faso. ….

Charles au lieu de civils et d'hommes en armes
Charles au milieu de ses partisans

Taylor bénéficiait aussi du soutien financier considérable de plusieurs Américano-Libériens en vue, qui s’étaient réfugiés à l’étranger après le coup d’Etat de 1980, ou qui s’étaient fâchés par la suite avec Doe, et qui voyaient en Taylor quelqu’un à même de les aider à récupérer leurs anciennes positions. (35) Grâce à son téléphone satellitaire, et une utilisation habile des media, en particulier l’Africa Service de la BBC, Taylor avait réussi à s’imposer dans l’opinion comme le chef du NPLF.

35 George Klay Kieh, “Combattants, Patrons, Peacemakers and the Liberian Civil Conflict”, Studies in Conflict and Terrorism, 15 (1992), p.130.

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Page 86-87

…Au milieu des années 90, tous les gouvernements des pays francophones de la région, et certainement une majorité de Libériens, auraient accepté une intervention américaine pour arrêter le conflit, et il est probable que la France eusse persuadé le gouvernement ivoirien d’avaler la pilule. …C’est à ce moment crucial que les 1-2 août 90 l’Irak a envahi le Koweit, détournant l’attention de l’Amérique et écartant toute possibilité d’une intervention des Etats-Unis au Libéria.

…Le 7 août sous la pression nigériane le comité directeur de l’Ecowas a voté en faveur d’une intervention. Un corps expéditionnaire fut rapidement assemblé et envoyé à Freetown en Sierra Leone. Cette force qui a débarqué à Monrovia le 14 août, essentiellement composée de soldats nigérians, était perçue comme agissant surtout pour protéger les intérêts nigérians. Pas un pays francophone ne soutenait l’opération, et le Burkina Faso a même essayé de bloquer le déploiement de la force de l’Ecomog par des moyens diplomatiques. Charles Taylor, qui était dépendant du soutien du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire, et qui croyait que la prise de Monrovia ne serait qu’une question de temps, ne décolérait pas, car l’intervention de l’Ecomog constituait un nouvel obstacle à sa marche vers le pouvoir. Il jura de combattre l’Ecomog.

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Page 89-90- 91

Taylor, plus que jamais dévoré par l’ambition d’être président, s’est vite rendu compte qu’il y avait un avantage non négligeable d’être le leader d’un officieux Grand Libéria. On se rappelle qu’il avait développé des relations avec d’importants hommes d’affaires ivoiriens, français et libanais à Abidjan avant la guerre, et après la prise du port de Buchanan en mai 1990, il découvrit que ces gens et d’autres commerçants ne répugnaient pas à faire du business avec le nouvel homme fort du Libéria. ….Etant donné que le NPFL contrôlait maintenant tout le pays sauf la capitale, ils avaient tout à gagner à traiter avec Taylor. …..Il s’est révélé un négociateur avisé, qui aimait discuter d’affaires directement et personnellement…. Il accordait des permis d’exploitation en échange de paiements libellés en dollars. Avec ces revenus, Taylor était capable de se procurer des armes à des prix cassés dans les pays de l’ancien Pacte de Varsovie et qu’il importait via la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. (56). Il disposait de cet argent à sa guise pour les opérations militaires ou pour ses contacts politiques, tout en gérant ses comptes en banques à Abidjan, Ouagadougou ou ailleurs….La plupart des managers de ses affaires habitaient à Abidjan, où ils se rencontraient fréquemment à La Maison blanche, un restaurant connu.(57)

….L’ambassadeur des Etats-Unis, William Twaddell, a estimé que 75 millions de dollars par an passaient entre les mains de Taylor lors d’une déposition devant la sous-commission pour l’Afrique de la Chambre des Représentants en 1996 (58)…Les ministres des Finances et de l’Intérieur du gouvernement intérimaire à Monrovia, ont estimé à l’époque à plus de 100 millions de dollars le montant des revenus de Taylor. A noter que dans ces estimations n’étaient pas inclus les revenus tirés de l’exportation de la marijuana, cultivée dans le nord du Libéria, depuis les ports de Buchanan et de San Pedro en Côte d’Ivoire.(60)

56 William Reno, “Foreign Firms and the Financing of Charles Taylor’s NPFL”, Liberian Studies Journal, XVIII, 2 (1993), p.181

57 Taylor’s Cabinet in Côte d’Ivoire, West Africa, 3940 (29 March 1993), p.503

58 Testimony by Ambassador William H. Twaddell, reproduced in The Inquirer (Monrovia) 5, 55 (13 août 1996) pp.2-4

60 Observatoire Géographiques des Drogues, Atlas mondial des drogues, Paris, 1996 p.159.

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pages 92-93

La plupart des proches collaborateurs de Taylor étaient des étrangers, notamment des Gambiens révolutionnaires, ou des Américano- Libériens. Une majorité des garde-du-corps étaient des Burkinabé. En dehors de ses activités commerciales et les opérations militaires, il distribuait emplois et largesses afin de maintenir un équilibre entre les divers soutiens ethniques et au niveau de la sous-régionl, ce dont sont coutumiers les responsables politiques en l’Afrique de l’Ouest. Le contrôle de la frontière ivoiro-libérienne avait été confié à un commandant gambien, Mustapha Jallob, qui parlait couramment le Français et l’Espagnol….L’un des principaux contacts de Taylor à Abidjan était un homme d’affaires français Robert Saint-Pai, qui avait vécu à Monrovia avant la guerre et était en bon terme avec des hommes d’affaires et des politiques ivoiriens influents. Saint-Pai avait aussi ses entrées auprès de l’ambassadeur de France à Abidjan, Michel Dupuch, qui est allé à Gbarnga et Buchanan, et entretenait d’étroites relations avec Taylor. Il fut promu plus tard conseiller principal pour les affaires africaines du Président de la République. (66)

Libéria ados armés font la fête

..Taylor lança aussi des offensives à l’extérieur du pays. Il cherchait depuis longtemps à se venger du président sierra-léonais Momoh, qui l’avait offensé personnellement quand il lui avait demandé son appui et pour avoir offert une base au corps expéditionnaire de l’Ecomog en 1990. Renouant avec ses connaissances au sein du Front révolutionnaire uni (RUF), qu’il avait rencontrées en Libye et au Burkina Faso, Taylor lors d’une déclaration à la radio avertit les Sierra Léonais qu’ils leur feraient “goûter les fruits amers de la guerre”. En mars 1991. il a dépêché plusieurs des meilleures unités de ses troupes pour aider un groupe de combattants du RUF à franchir la frontière de la Sierra Léone, attaquant les villages dans les districts riches en ressources diamantaires dans les environs de Koindu, centre commercial actif, où venaient fréquemment des camions immatriculés en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal (67). Le RUF fut bientôt capable d’établir son quartier-général permanent en territoire sierra léonais, sous le commandement de Foday Sankoh, un ancien caporal, que Taylor connaissait depuis plusieurs années.

66 Agir Ici-Survie, Jacques Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart?, Paris, 1995. p.24

67 William Reno, Corruption and State Politics in Sierra Leone, Cambridge, 1995, p.147.

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3 THE MECHANICS OF WAR

Punishing Monrovia

p.114

Les Mandingues, qui vivaient dans le Nimba County au début de la guerre étaient très souvent des grossistes et des commerçants, et ils avaient donc des marchandises à piller…..Dès juillet 1990, on les retrouvait en abondance sur les marchés en Côte d’Ivoire, notamment à Danana, où elles avaient été acheminées par la route par des combattants du NPFL.

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4 BUSINESS AND DIPLOMACY

The game of nations

p.158, 159

C’est par une mutuelle hostilité à Samuel Doe que le virulent anti-américain Kadhafi s’est retrouvé dans le même réseau d’alliances que Félix Houphouët-Boigny, le doyen de l’Afrique francophone. La rhétorique révolutionnaire et pro-libyenne des jeunes officiers qui gouvernaient le Burkina Faso depuis 1983, causait de graves soucis à Houphouët-Boigny. Le président burkinabé, Thomas Sankara, dynamique, bon orateur, d’allure séduisante, était devenu le héros de toute la jeunesse ouest-africaine. La crise économique des années 80 avait aliéné la génération née après les indépendances, qui s’attendaient à ce que les gouvernements leur procurent une bonne éducation et des emplois. Dans toute l’Afrique de l’Ouest il y avait des étudiants radicaux, de futurs révolutionnaires, en quête de modèles, que ce soit le système de comités révolutionnaires en Libye pour les uns, le régime communiste nord-coréen pour d’autres, etc… (20)C’est ainsi qu’un certain nombre de ces jeunes mécontents se sont retrouvés dans des camps d’entraînement, organisés par le régime de Kadhafi.

A l’instar d’autres chefs d’Etat ouest-africains, Houphouët-Boigny considérait ses relations amicales en diplomatie, les rapports commerciaux et les alliances matrimoniales, à la fois comme essentielles aux relations politiques et à la fierté nationale, comparables aux mariages royaux et alliances dynastiques de la vieille Europe. Quand le capitaine Compaoré, qui avait épousé l’une des nombreuses protégées de Houphouët-Boigny, eut renversé Sankara en 1987, le président ivoirien a été rassuré: le Burkina Faso ne présentait plus de menace. Quand un autre jeune ambitieux, Charles Taylor, se lia d’amitié avec le président Compaoré, et quand ces deux-là ont utilisé la Côte d’Ivoire pour lancer une attaque contre le Libéria, Houphouët-Boigny ne prit même pas la peine de rencontrer Taylor. Ce n’est que bien plus tard, lors de l’une de ces innombrables conférence de la paix sur le Libéria, qu’il l’a rencontré pour la première fois.

20 Cf. special number of Africa Development, XXII, 3-4 (1997), especially Ishamaïl Rashid, “Subaltern reactions: lumpen, students and the left”, pp.19-44.

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pp.160,161

Ainsi vers la fin des années 80, un nouveau rapport de forces est apparu dans la région tandis que les divisions remontant à la Guerre froide se délitaient. Le Nigéria qui avait des desseins hégémoniques sur l’Afrique de l’Ouest, devint le principal allié du Libéria. La Côte d’Ivoire, pays leader de l’Afrique de l’Ouest francophone, était fermement dans le camp anti-Doe. Et également le Burkina Faso depuis que Blaise Compaoré s’était emparé du pouvoir en octobre 1987, ce dernier étant un allié de la Libye. Charles Taylor et d’autres chefs du NPFL reçurent des cargaisons d’armes en provenance de la Libye, et selon Prince Johnson, des millions de dollars en coupures pour financer l’offensive. Taylor faisait des navettes entre la Libye, le Burkina Faso, où une majorité des combattants du NPFL avaient terminé leur formation, et la Côte d”Ivoire, à partir de laquelle l’attaque devait être lancée. Les hommes d’affaires qu’ils soient Américains, Français, Britanniques ou Japonais lorgnaient sur un projet d’extraction de minerai de fer au Mount Nimba, à cheval sur la frontière guinéenne et le Nimba County. Pendant les premières années du conflit libérien l’intéret porté par la communauté internationale à la question libérienne s’expliquait grandement par le désir des milieux d’affaires internationaux d’exploiter les gisements de minerais de fer.

sierra leone enfant mutiléQuand il est devenu clair que la Côte d’Ivoire soutenait le NPFL, Taylor a pu compter sur la sympathie des pays francophones dans la sous-région, et il a vite bénéficié du soutien important de la France. Le lancement de l’offensive du NPFL pendant la période de Noël 1989, inquièta particulièrement les gouvernements anglophones, qu’effrayait la présence de nationaux révolutionnaires dans ses rangs. Les autorités d’Abuja craignaient qu’une victoire du NPFL fisse basculer le Libéria dans le camp francophone et que Taylor, s’il devenait président, utilisasse le Libéria comme base pour déstabiliser le Nigéria, en fournissant des armes et en mettant à disposition des camps d’entraînement aux opposants en exil.

pp 162-163

….L’invasion du Koweit par l’Irak en août 1990 détourna l’attention des Etats-Unis vers une autre région du monde, et écarta toute possibilité d’une intervention militaire américaine au Libéria.

Le gouvernement nigérian pour sa part a pris très au sérieux la situation au Libéria. Les encouragements de Washington à inciter le Nigeria à prendre la tête d’une opération régionale de maintien de la paix, ulcérèrent Houphouët-Boigny, qui comme l’a remarqué un responsable des renseignements français, s’était plaint que “les Américains poussaient le Nigéria à jouer le rôle de gendarme dans la sous-région, ce qui selon le président ivoirien, était inacceptable dans son principe et dans le cas d’espèce. (32). Le Nigéria obtint rapidement l’accord de l’Ecowas, malgré les objections ivoiriennes et burkinabè, pour mettre sur pied une force de maintien de la paix, l’Ecowas Monitoring Group ou Ecomog…La Guinée a été le seul pays francophone à participer à l’opération.

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La réponse de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso à l’initiative nigériane a été d’accroître leur soutien au NPFL. Une dépêche de l’AFP indiquait en septembre 1990 que 100 soldats burkinabè du régiment d’élites cantonné à Po, ainsi que des Ivoiriens, participaient aux combats au côté du NPFL. En septembre 1990, le correspondant du Monde et de Radio France Internationale, fut expulsé de la Côte d’Ivoire après avoir affirmé que le gouvernement ivoirien soutenait le NPFL. Plus vraisemblable il a été sanctionné pour avoir écrit qu’un avion libyen avait atterri à l’aéroport libérien Roberts International, sous contrôle du NPFL, afin de livrer des armes de fabrication française.(33). L’un des frères de Charles Taylor, Bartus habitait à Danane, dans le nord de la Côte d’Ivoire où il jouait le rôle de consul pour Taylor.(34). Le Burkina Faso a soutenu Taylor sans discontinuité pendant toute la durée du conflit. Plus tard, le président Compaoré a admis publiquement avoir envoyé 700 soldats au Libéria, tandis que Taylor avait à sa disposition un Fokker F28 de la compagnie Air Burkina.(35). Il a habité à Ouagadougou pendant les premières années de la guerre et il pouvait entraîner des troupes dans le camp militaire de Po.(36).

Ainsi vers la fin du mois d’août 1990, les Etats-Unis ayant opté définitivement pour la non-intervention, chacune des deux principales forces armées déployées au Libéria – Ecomog, dominée par le Nigéria et le NPFL soutenu par les Ivoiriens – avait d’étroites relations avec un ou plusieurs alliés dans la région qui cherchaient à préserver leurs intérêts politiques et économiques. Ces puissances régionales pouvaient compter sur des appuis internationaux, celui de la France pour la Côte d’Ivoire et le NPFL, tandis que les Etats-Unis, qui initialement avaient encouragé le Nigéria à intervenir, par le truchement de ses diplomates tantôt dénonçaient la corruption dans le pays, tantôt soufflaient le froid et le chaud à l’égard de Taylor….Herman Cohen, le sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires africaines, a déclaré… que son plus grand regret avait été son “impuissance à résoudre pacifiquement la crise libérienne au début des années 1990. (37)

32 Silberzahn, Au coeur du secret, p.206. Sur l’implication des Etats-Unis

33 Le Monde, 29 August 1990; on the expulsion of Robert Minangoy, Fraternité-Matin (Abidjan), 4 September 1990.

34 Agence-France-Presse, 1 September 1990

35 “Liberia” in L’Indépendant (Ouagadougou), 108 (29 August 1995), p.10.

36 “Compaoré and Regional Security” West Africa, 4026 (28 November 1994), p.2022; Mark Huband, Liberians Train Mercenaries in Burkina Faso” The Guardian, 19 December 1991.

37 Quoted in Robert A. Mortimer, “Senegal’s Role in Ecomog: the francophone dimension in the Liberian crisis”, Journal of Modern African Studies, 34,2 (1996), pp 305-6.

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Le fait est que toute l’Afrique de l’Ouest regorgeait d’armes. D’après les services de renseignements américains, on estimait à 7-8 millions le nombre d’armes à feu dans la sous-région en 1997.(102). Une enquête de l’Onu sur la prolifération des armes légères a estimé que le problème remontait au milieu des années 80, quand le président Sankara avait institué des comités de quartiers d’auto-défense armés dans le cadre de son programme révolutionnaire. Un grand nombre de ces armes ont disparu rapidement et on en retrouva une partie vendue au marché noir. Par la suite, des conflits au Sénégal, Mali, Libéria, Sierra Leone et Niger ont accru la demande d’armes. Des mouvements rebelles, comme le NPFL en 1990, ont bien reçu de temps en temps d’importantes livraisons d’armes, mais selon les Nations unies, les transferts d’armes d’un pays à un autre étaient davantage dûs à des transactions entre particuliers qu’à des importations à grande échelle. Les armes étaient considérées comme n’importe quelle marchandise et passaient d’une zone de conflit à une autre. Cependant la mission d’enquête onusienne n’a pas trouvé la preuve d’un important mouvement organisé d’armes légères dans aucun pays. Une exception peut-être l’entrée d’armes et de matériel au Libéria à partir d’autres Etats de la sous-région….(103)

102 Communication by Col. Moussa Diabité of Malian Commission nationale de lutte contre la prolifération d’armes légères, 17 April 1998.

103 Brigadier-General (ret.) Henny van der Graaf, “The Findings of the UN Advisory Missions to the Sahara-Sahel” 25 November 1996 (draft).