Editorial : Au nom du droit à la vie et à la justice !

Tout se passe comme s’ils avaient une pierre à la place du cœur. Ils ont commencé par dire que le Président Sankara était «mort de mort naturelle». Et ils l’ont écrit sur son certificat de décès. Mais jamais ils n’ont présenté le corps à sa famille, ni à ses parents. Ensuite, ils ont déclaré irrecevable la «plainte contre X pour assassinat et faux en écriture administrative», déposée, en 1997, auprès du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, par la veuve Sankara et ses enfants. Et même lorsque, en désespoir de cause, la partie civile, ne pouvant faire son deuil car n’ayant jamais vu le corps de Sankara depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987, a déposé, en 2002, une plainte contre X pour séquestration sur la personne de Thomas Sankara, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel avait estimé que cela n’était pas possible. Arguant du fait que la famille ayant déjà déposé une plainte contre X pour assassinat, elle savait que Sankara avait été assassiné et qu’il n’était pas, de ce fait, possible de déposer une autre plainte pour séquestration.

Mais ce 26 avril, les avocats de la partie civile entendent «casser» cet arrêt rendu, en 2003, par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Ouagadougou. L’impunité est d’autant plus criarde qu’une autre requête, déposée en 1999 par Mariam Sankara et ses enfants afin de savoir, par expertise ADN, si le corps qui se trouverait dans la tombe érigée par le gouvernement burkinabè au cimetière de Dagnoën, était bien celui de Thomas Sankara, est restée sans suite. Où est donc passé Thom Sank ? Est-ce bien son corps qui se trouve dans cette tombe ? Mystère et boule de gomme. Il est temps, grand temps, de crever l’abcès et de faire la lumière totale sur cette affaire. Il faut impérativement mettre fin à cette impunité ambiante. Le pays des «hommes intègres» ne peut pas continuer de traîner un tel boulet d’impunité, savamment orchestré par quelques individus. Ne l’oublions pas, l’impunité entraîne toujours des révoltes sociales. Et si l’on n’y prend garde, ce sont ces révoltes qui feront jaillir la lumière dans l’affaire Sankara et dans bien d’autres affaires pendantes. La vérité, prise en otage, finit toujours par se libérer. Et par triompher, de fort belle manière.

Hervé TAOKO

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Cimetière de Dagnoen : Cette tombe est-elle vraiment celle de Thomas Sankara ?

Le doute pèse lourdement sur l’authenticité de la sépulture érigée au cimetière de Dagnoën, au secteur 29 de Ouagadougou, et présentée officiellement comme étant la tombe du défunt Président Thomas Sankara. La dépouille mortelle du père de la Révolution d’Août n’ayant jamais été présentée en public, ni à sa famille après les événements sanglants d’octobre 1987, très peu de gens croient en la présence du corps de Sankara dans cette tombe. Sous la pression du Comité des droits de l’Homme des Nations unies, le gouvernement burkinabè avait présenté cette sépulture à la veuve Sankara et ses enfants, comme étant celle de l’ancien président du Faso. Mais aucune preuve ne permet d’y croire. En tout cas, la famille Sankara, de même que les défenseurs des droits de l’homme ont le droit d’en douter. Les avocats de Mariam Sankara et de ses enfants avaient d’ailleurs introduit, à ce sujet, une requête auprès du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, «afin d’être autorisé à assigner à bref délai». Objectif, savoir, par expertise ADN, si le corps qui se trouverait dans la tombe, est bien celui de Thomas Sankara.

Le dossier date du 14 octobre 2009. La requête est conjointement exposée par Philippe et Auguste Sankara (fils du Président défunt) et Mariam Sankara (épouse), qui demandent clairement «une mesure d’expertise par la méthode des empreintes génétiques, celle du corps se trouvant dans la sépulture érigée par le gouvernement du Burkina devant être comparée à celle d’un ou des deux enfants de Thomas Sankara». Cette requête faisait suite à une communication du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, qui sommait l’Etat du Burkina à procéder, entre autres, à une «reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara». En réponse, le gouvernement avait mentionné dans son mémorandum que la tombe de Sankara était de notoriété publique au Burkina Faso, qu’elle était vénérée chaque année à l’occasion de la commémoration du décès du Président Sankara, et que la famille Sankara connaissait pour le moins bien la tombe de Thomas Sankara. Le mémorandum gouvernemental indique que Mariam Sankara a d’ailleurs eu l’’occasion de se rendre à l’endroit indiqué.

Mais pour la famille du regretté président du Faso, le problème se pose autrement : il est question d’être rassuré que le corps qui se trouve dans la sépulture érigée par le gouvernement est bien celui de Thomas Sankara. C’est pour cela que veuve Sankara et ses enfants ont sollicité une mesure d’expertise par la méthode des empreintes génétiques. C’est une technique simple et fiable qui consiste à comparer les empreintes génétiques du corps enseveli dans la «sépulture érigée par le gouvernement» à celles d’un ou des deux fils de Sankara.

La requête, telle que endossée par un Collectif d’avocats internationaux ayant élu domicile au Burkina, en l’Etude de Maître Prosper Farama, propose, à la Justice, de confier la mission à un expert ou à un laboratoire international reconnu et habilité à procéder à des missions d’identification par empreintes génétiques. Aussi, dans le souci d’éviter toute contestation éventuelle, les prélèvements devraient être réalisés, selon les avocats, de manière contradictoire. Au demeurant, Philippe et Auguste Sankara ont déjà satisfait aux prélèvements biologiques nécessaires à la comparaison des empreintes génétiques et les tiennent à la disposition de l’expert ou du laboratoire à qui sera confiée la mission.

Côté gouvernement burkinabè, on se dit prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux recommandations du Comité des droits de l’Homme des Nations unies. Mais ces déclarations d’intention ont, dans certains cas, du mal à être concrétisées. Dans la requête demandant l’expertise ADN, les avocats de la famille Sankara ont été clairs. Morceau choisi: «Les exposants sollicitent, qu’il vous plaise, conformément aux dispositions de l’article 464 du Code de procédure civile, de les autoriser à assigner, par devant vous, et ce, à bref délai, Monsieur l’Agent judiciaire du Trésor, pris en sa qualité de défenseur de l’Etat du Burkina Faso, pour voir ordonner l’identification du corps se trouvant dans la tombe dite de Thomas Sankara érigée par le gouvernement du Burkina Faso; commettre tel expert ou tel laboratoire internationalement reconnu, habilité à procéder à des missions d’identification par empreintes génétiques; dire que l’expert ou le laboratoire commis devra effectuer les prélèvements biologiques sur le corps supposé de Thomas Sankara et sur ceux de ses fils Philippe et Auguste, et ce, de façon contradictoire; dire que les frais d’expertise et ceux non compris dans les dépens seront à la charge de l’Etat du Burkina Faso; s’entendre condamner l’Etat du Burkina Faso aux entiers dépens».

Ce dossier brûlant est sur la table du président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou depuis 2009. Son évolution s’est limitée aux déclarations de bonnes intentions du gouvernement à l’endroit du Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Le gouvernement s’était pourtant engagé «à prendre toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux recommandations du Comité des droits de l’Homme». Pour le reste, quelqu’un a fort probablement mis le pied sur ce dossier dérangeant. En tout cas, comme une machine grippée, il est bloqué quelque part dans un tiroir au palais de Justice de Ouagadougou. On n’en parle presque plus. Mais la famille de Sankara et ses conseils, eux, ne peuvent l’oublier; ils attendent toujours l’expertise ADN pour savoir quel crédit accorder à la tombe dite de Thomas Sankara. Une tombe autour de laquelle les politiciens se réclamant du sankarisme et de nombreux citoyens se bousculent tous les 15 octobre pour déposer des gerbes de fleurs, rendre hommage au leader de la Révolution d’Août et ses compagnons tombés, le 15 octobre 1987, sous les balles assassines des auteurs du coup d’Etat. Mais aussi pour faire quelques exercices de levée du poing.

Paul-Miki ROAMBA

Source : Courrier Confidentiel N°8 du 25 avril au 9 mai 2012 www.courrierconfidentiel.net

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