Mousbila SANKARA, ingénieur en télécommunication en retraite, est un parent de Thomas SANKARA . II a été ambassadeur dans la Lybie du colonel Kadhafi, du temps du régime du CNR.

Fidèle et proche parmi les proches du president Thomas Sankara, il a démissionné de son poste d’ambassadeur après le coup d’état sanglant du 15 octobre 87 qui a renversé le CNR.

Pour ce geste de défiance au nouveau régime du Front populaire, il va subir les pires tortures dans les geôles du Front populaire avec d’autres partisans d’infortune de Sankara. Il fera quatre pénibles années de prison avant d’être libéré en 1991.On trouvera différents témoignages des tortures subies à

On ne peut que s’étonner qu’aucune enquête ni aucune poursuite n’ai été engagés contre les tortionnaires.

Il fait partie des rares irréductibles partisans proches de SANKARA qui n’ont jamais collaboré avec le régime de Blaise Compaoré jusqu’à sa chute en 2014.

Aujourd’hui âgé de plus de 70 ans,il est membre du parti sankariste UNIR/PS qui a rejoint la majorité présidentielle conduite par le MPP, au pouvoir après les élections de 2015. Aujourd’hui le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne s’y sent pas à son aise au regard de la situation politique nationale.

Dans cette longue interview il revient sur son parcours. Temoin de première main, il raconte de nombreux souvenirs et anecdotes sur la période avant, pendant et après  la révolution burkinabè. IL donne son opinion sur les insuffisances et les problèmes de gouvernance actuelle au pays des hommes intègres et propose des recommandations s’inspirant de la vision Sankariste du développement endogène.

En filigrane , on retient une certaine amertume chez Mousbila Sankara, qui n’envisage rien de moins que de rompre avec sa famille politique actuelle pour rejoindre le camp de Yacouba Isacc ZIDA, éphémère Chef d’Etat et ancien premier ministre de la transition, pressenti candidat pour la prochaine présidentielle de novembre 2020.

Cet entretien a été publié dans le journal en ligne lefasonet le 10 avril 2020 (voir https://lefaso.net/spip.php?article96128) sous le titre de « Situation nationale : « Ce peuple n’a pas envie de s’en sortir ; ce ne sont pas les solutions qui manquent », pose l’ambassadeur Mousbila Sankara. Nous ne publions ici que des extraits concernant la période la Révolution. On trouvera de nombreuses autres interviews de Mousbila Sankara à http://www.thomassankara.net/?s=Mousbila+Sankara notamment sur la Révolution ou les tortures qu’il a subies..

Lisez…

Karim DeLabola


C’est un homme qui a visiblement mal à sa société, à la gouvernance de son pays, que nous avons rencontré à travers cette interview réalisée en deux temps ; le 5 mars 2020, sur un pan du parcours de l’homme lui-même, et le lundi, 30 mars 2020, pour prendre en compte l’actualité coronavirus qui s’est entretemps interposée. Mousbila Sankara (c’est de lui qu’il s’agit), ancien compagnon de feu Thomas Sankara, ancien ambassadeur du Burkina en Libye n’a pas pu retenir ses larmes lorsqu’il s’est agi de revenir sur certains temps forts de la Révolution (il venait d’ailleurs d’être écouté par le juge dans l’affaire Thomas Sankara sur des notes secrètes) et de faire une analyse comparative avec la marche actuelle de son pays, le Burkina Faso. « Je crois à de grandes luttes, mais je ne serai peut-être plus là. Mon problème aujourd’hui, ce sont les petits enfants, qui doivent aller à l’école, qui sont en droit d’attendre des générations actuelles, un Burkina meilleur, un pays d’espoir », peut-on résumer de la hargne qu’il exprime sur la vie nationale, malgré le poids de l’âge. Interview !

Sidwaya


Lefaso.net : Il semble que Mousbila Sankara, c’est aussi celui-là qui a connu une vie syndicale mouvementée !

Mousbila Sankara : C’est même de là qu’est parti l’esprit de lutte. Que ce soit dans ma vie de syndicaliste que de diplomate, ça n’a pas été simple. Prenez par exemple ce décret (il présente le document, ndlr) pris sous Saye Zerbo (chef de l’Etat de la Haute-Volta du 25 novembre 1980 au 7 novembre 1982, ndlr), et signé du ministre (de la Fonction publique), Alexandre Zoungrana ; nous avons été les premiers des syndicalistes sanctionnés, parce que nous sommes allés en grève pour soutenir Soumane Touré et on nous a licenciés.

Les gens pensent que c’est sous le CNR (Conseil national de la Révolution) que les dégagements ont commencé, alors que non. Donc, nous avons été suspendus, jugés et condamnés. C’est le CSP I (Conseil du salut du peuple I) qui nous a repris. Il faut signaler que le CMPRN (Comité militaire de redressement pour le progrès national) avait supprimé le droit de grève, ce que nous avions refusé. Il y a eu des services qui étaient carrément fermés, il n’y avait personne, même l’agent de liaison était parti.

C’est un moment qui nous a préparés à la lutte. Mais la reprise des agents suspendus ne m’a pas trouvé ici ; parce que pendant le licenciement, j’ai eu un concours d’entrée à une école d’ingénieur ; sans savoir même ce que je deviendrai en allant à cette école. J’y suis allé donc suivre les cours (à Toulouse). C’est étant là-bas que j’ai appris qu’il y a eu changement de pouvoir, le CSPI (novembre 1982-mai 1983). Le 17 mai (arrestation du capitaine Thomas Sankara, ndlr) m’a trouvé là-bas (Toulouse).

C’est de là que j’ai appris que Blaise est parti à Pô en rébellion. J’ai suivi ce qui s’est passé et j’ai pris contact avec lui. On est donc resté ensemble jusqu’à l’avènement du 4 août (renversement du président Jean-Baptiste Ouédraogo par l’ancien Premier ministre Thomas Sankara et son clan ; c’est la Révolution qui est allée du 4 août 1983 au 15 octobre 1987, ndlr). C’est après cela qu’on m’a envoyé à Tripoli (Libye) comme ambassadeur. On était donc dans la période de la Révolution démocratique et populaire (RDP).

Lefaso.net : Parlant de cette période, la Révolution, faut-il comprendre que le fameux Discours d’orientation politique tenait lieu de programme politique ?

Mousbila Sankara : Tout à fait. Il a fallu le discours d’orientation politique pour que les gens sachent pourquoi la Révolution burkinabè (parce qu’il y avait des révolutions dans d’autres pays en Afrique). La Révolution burkinabè, qu’est-ce que c’est ? On y avait donc défini ce qu’il fallait comprendre par « Peuple », « masse populaire », etc. Les principales orientations, c’était l’éducation, la santé, le logement et l’auto-suffisance alimentaire.

C’était ces quatre axes. On avait également en tête, la suppression de ce qu’on appelait l’impôt de capitation (en langue mooré, yonr-yaodo, en dioula, nii songo, qui signifient droit de vie). C’était le type de taxe qu’on a imposé depuis la colonisation et ce n’était même pas pensable qu’à partir de 18 ans, quelqu’un ne le paie pas. Malheureusement, dans les zones où les gens n’étaient pas riches, il fallait partir chercher ce dû-là dans les champs de cacao et de café en Côte d’Ivoire ou au Ghana. C’était vraiment humiliant. Donc, on l’a supprimé.

Lefaso.net : On mesure les désagréments de cet impôt…, lorsqu’on sait qu’à l’époque, les gens tenaient à leur dignité !

Mousbila Sankara : Ah oui ! Et si tu ne paies pas, on t’amène au cercle (espace public, ndlr), on t’y maintient et tout le monde voit que tu n’as pas payé. Ça a été tellement difficile, au point que par la suite, si un commandant de cercle ou un chef de préfecture arrivait à recouvrer tout l’impôt de sa circonscription, on faisait un communiqué pour féliciter la bonne citoyenneté de ladite circonscription et les sous-préfets, préfets et commandants coloraient les cartes des circonscriptions en fonction de leur degré de citoyenneté. Et à cause de ça, des gens sont restés en Côte d’Ivoire, au Ghana ; parce que partis pour chercher l’argent pour s’acquitter de cet impôt, ils ont été confrontés à des contingences qui les contraints à y rester.

Lefaso.net : Et pour ce qui est des quatre axes de la Révolution ?

Mousbila Sankara : Après ça, il y avait la question du logement, il était très difficile de se loger à Ouagadougou et dans bien d’autres villes du pays. Et comme c’était surtout les fonctionnaires qui étaient confrontés à cette situation, on a essayé de voir comment trouver une solution. Pour ce faire, il fallait que chacun ait une parcelle ; parce que beaucoup étaient à mesure de construite, mais n’avaient pas de parcelle.

Beaucoup de quartiers attendaient d’être lotis (Tanghin, Pissy…, Gounghin qui était loti en partie). Alors, on s’est réuni pour se demander qu’est-ce qu’il faut faire (c’est Philippe Ouédraogo qui était le ministre des infrastructures à l’époque). Donc, on a demandé à chaque CDR d’évaluer les quantités de bornes qu’il fallait et on a sollicité de ministre des infrastructures pour seulement la coordination ; le reste, les CDR s’en occupent. Tout était dans une démarche participative avec les populations elles-mêmes.

Lefaso.net : Quel sentiment vous environne aujourd’hui avec les pillages, la spéculation autour des terres ?

Mousbila Sankara : Je vous assure, c’est énervant. Alors que la solution dans cette situation est très simple. On peut résoudre la question des terres et des parcelles. C’est même très facile. Les conditions à l’époque étaient que tu n’aies pas plus d’une parcelle. Si tu prends le risque de frauder et qu’on t’attrape, c’est à tes risques et périls. Tout était fait devant tout le monde, dans la transparence. Et comme les gens savaient que le travail était bien, ils ne cherchaient pas à tricher. Bref, on s’est donné, à tous les niveaux, l’obligation d’apporter le minimum au maximum de Burkinabè.

Pour ce qui est de l’auto-suffisance alimentaire, on a pris la RAF (réorganisation agraire et foncière). Il y avait des gens qui étaient propriétaires terriens, qui ne pouvaient pas cultiver plus d’un hectare, mais qui thésaurisent des centaines d’hectares. On dit désormais, la terre appartient à l’Etat, celui qui peut travailler, voici les conditions.

A partir de cette disposition, chaque famille était devenue presqu’une entreprise agricole et les organismes de développement avaient préparé les esprits dans ce sens par la formation des encadreurs des paysans. C’est pourquoi on a pu atteindre à un moment l’auto-suffisance alimentaire.
Pour la santé, il y avait la vaccination de masses, les vaccinations commandos. Le pays a même reçu un prix OMS pour cet effort. Quand vous avez une population en bonne santé, c’est un grand pas dans l’élan de développement.

Pour ce qui concerne l’école, on a également décrété l’enseignement de masses et pour cela, il fallait diminuer les frais d’accès à l’école. De sorte que tous pouvaient aller à l’école. Avec cette politique, nos parents qui étaient en Côte d’Ivoire, au Ghana et dans bien d’autres pays, comme l’école y étaient chère et qu’ils avaient de nombreux enfants, ils les envoyaient bosser ici au pays ; parce qu’avec les frais de scolarité d’un seul enfant là-bas, ils scolarisaient trois à quatre enfants au Burkina. Donc, c’était une politique qui avait favorisé le retour des Burkinabè nés à l’extérieur (ceux qu’on appelle les diaspos). Bref, on a travaillé pour la masse.

Lefaso.net : C’est aussi l’époque de l’intégrité, où des ténors du pouvoir étaient jugés, publiquement devant les TPR (Tribunaux populaires de la Révolution) !

Mousbila Sankara : Pour enlever le goût de vols et de corruptions aux gens, les TPR ont été instaurés et ont commencé par juger le président Lamizana (Sangoulé Lamizana : 3 janvier 1966-25 novembre 1980). Les premières séances des TPR ont jugé le président Lamizana, à la Maison du peuple et c’était radiodiffusé.

Quand le peuple a écouté Sangoulé, il a compris qu’il ne peut pas être condamné. C’est quelqu’un qui n’a pas profité du pouvoir et il l’a prouvé. Alors que sous lui, il y a des gens qui ont été condamnés pour avoir détourné : le Président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre.., tous ont été condamnés. Donc, Lamizana a été acquitté. Il était un exemple de probité.

Bref, la Révolution, c’était tout cela ; des gens pensaient que ça allait être simple, qu’il suffisait d’être devant, crier, soulever le poing. Non, il y avait des conceptions qui devaient être faites pour de grandes ambitions comme la vallée du Sourou, les barrages de la Kompienga, de Bagré, la bataille du rail,… Quand on revit tout ce potentiel, on regarde l’engagement à l’époque, le potentiel qu’a le pays et ce qui se passe aujourd’hui, j’arrive à la conclusion que ce peuple n’a pas envie de s’en sortir ; ce ne sont pas les solutions qui manquent.

Lefaso.net : Ce ne sont pas les solutions qui manquent ; des niches comme Bagré et Sourou devraient pouvoir booster un développement !

Mousbila Sankara : Prenons le cas de Bagré, sur plus de 300 mille hectares prévus, après 30 ans, on n’a même pas mis en valeur le dixième.

Lefaso.net : Mais c’est quoi le blocage ?

Mousbila Sankara : En des termes simples : quand tu ne sais pas où tu vas, personne ne peut t’accompagner.

Lefaso.net : Pourtant ce pays dispose de personnes-ressources à même d’apporter leurs expertises à divers niveaux et de plusieurs manières !

Mousbila Sankara : Mon fils, combien de personnes disposent dans leur maison de ce qu’il faut pour être quelqu’un, mais qui ne le sont pas ? Souvent, c’est à la mort de certains que leurs fils se rendent compte que leur père était riche. Le vieux, lui-même, peut-être, n’en sait pas ou ne veut pas en parler. Les ressources, il y en a dans ce pays. C’est parce qu’on n’a pas la carte du Burkina sous nos mains, sinon j’allais te montrer un grand projet de lac d’eau douce qu’avait prévu Sankara dans la région du Centre-nord. Vous savez, à Kaya, il y a un lac. A quelques kilomètres de là, il y un autre et dans la même région à Kongoussi, on a le lac Bam et le lac de Bourzanga.

Tous ces lacs sont alignés. Figurez-vous qu’un jour, Thomas (Sankara) avait fait venir ici (au Burkina), un Pakistanais (qui l’avait accosté pour demander un travail, il voulait un chantier). Le président lui a dit : tu vas d’abord étudier pour voir si tu peux relier ces lacs ; parce que j’ai besoin d’un lac d’eau douce dans la zone. Si tu peux le faire, dis à combien. Le Pakistanais est effectivement allé regarder. Il a dit qu’il peut amorcer l’étude, mais que pour l’exécution, est-ce que le président lui permet d’associer d’autres entreprises (puisqu’il sait que le président Sankara n’aimait pas certaines puissances) qui ne sont pas forcément des amies.

Thomas lui a dit ceci : ce que je te demande-là, si tu peux le faire, et que moi je peux te payer, il faut aller amener le diable lui-même, le président américain comme commis et si tu veux tu prends Israël comme comptable, mais moi ce que je veux, c’est le lac d’eau douce. Le Pakistanais a ri. Et le président Sankara lui a présenté un deuxième projet qu’il avait vers Zorgho. Il a dit au Pakistanais : Ensuite, si tu arrives à faire ça, tu auras la main. Sur la route de Zorgho, on a des montagnes situées dans un village qu’on appelle Zampasgo.

Il faut voir comment entre les montagnes-là, tu peux construire une digue pour avoir un autre lac et la route de Niamey (route nationale N°4), on va l’allonger de quelques 20 kilomètres. Quand on est revenu de ces sorties, arrivé à la maison (je logeais en ce moment à Pag layiri), le Pakistanais m’a dit que pour le lac d’eau douce, il n’aura pas de difficulté à le faire ; parce qu’il a déjà un exemple en France, le Canal du Midi qui traverse les chemins de fer, des montagnes. Que mais pour le second projet-là, en dehors des volcans, lui n’a jamais vu ça d’abord. Qu’il va néanmoins y réfléchir parce que c’est même amusant et qu’il doit pouvoir avoir des gens qui vont s’intéresser au projet, qui est original.

C’était en 1986 … Malheureusement, 1987 est venue nous balayer. Imaginez que même quand on n’avait pas encore fait ce genre de réalisations, les gens nous traitaient déjà de fous, si on avait commencé une telle idée, ils allaient présenter un certificat médical pour dire qu’ils ont maintenant la preuve de notre folie. C’est pour dire que ce qu’on voulait pour ce pays n’a rien à avoir avec ce que nous vivons. Ce n’est pas pareil. Mon fils, il ne manque rien à ce pays-là pour être quelque chose. Rien ! La première ressource pour aller au développement, c’est l’homme. Or, au Burkina, il y a des hommes, mais ils sont mal utilisés ou mis à l’écart.

Lefaso.net : Faut-il comprendre qu’il y a trop de rancune qui fait qu’on n’arrive pas à avoir une suite dans les actions ?

Mousbila Sankara : La rancune, oui, mais c’est vite dépassé. Il y a des sentiments qui ne peuvent pas être partagés ; parce que la rancune, il y a des gens qui sont capables de l’oublier, d’autres, non. Mais ce n’est jamais un sentiment commun.

Lefaso.net : Il faut donc des dirigeants éclairés !

Mousbila Sankara : Oui, il faut avoir quelqu’un qui voit plus que toi et qui cherche à toujours voir loin. Des dirigeants qui ne ramènent pas tout à eux-mêmes ; c’est cela qui bloque. Même au niveau des entreprises, cette façon de faire bloque l’avancée, toujours. Sinon, aujourd’hui, le Burkina n’a aucun problème, mis à part le terrorisme que nous vivons.

Et même avec la vision de développement que Sankara avait pour le pays, les zones qui sont aujourd’hui sous l’emprise terroriste ne l’aurait pas été parce que le développement allait être partagé. Même pour le phénomène terroriste, on n’avait pas besoin de grand-chose, parce qu’on voyait les choses venir. Si quelqu’un décide de se tuer, cela veut dire qu’il vit une situation qui est pire que la mort. Alors, avons-nous cherché à savoir ce que vivent ces gens-là qui s’adonnent à ces actes ? Qu’est-ce que ça nous coûte d’aller voir ?

Quand nous disons qu’au temps de Blaise Compaoré, il n’y avait pas ces attaques, ça veut dire qu’il faisait quelque chose, même si vous n’êtes plus avec lui, allez-y demander comment il s’y est pris ! De plus, l’esclavage a été abolit en 1885, or il y a des gens qui vivent, jusqu’à ce jour, dans l’esclavage. Pensez-vous qu’ils vont continuer à regarder les choses ainsi ? Il y en a qui sont dans ces zones-là qui ne sont pas considérés comme des personnes. Mais tout cela, c’est l’absence de l’Etat qui le favorise. Au Burkina, il y a des gens qui ont des expressions du genre : Dieu aime le Burkina. Ce n’est pas faux. Mais est-ce que nous-mêmes, nous sommes conscients de cela ?

Quand vous regardez au Burkina, les gens sont sobres, ils ne sont pas du tout exigeants ; tu verras un Burkinabè, avec 150 francs, il paie quelque chose, il mange à midi et tout est gagné. Là où on demande trois repas, le Burkinabè, lui, s’il a un, il mange et part travailler. Malgré ça, on n’arrive pas à avancer. Il y a quelque chose qui ne va pas, il n’y a pas de direction. Regardez par exemple, même les syndicats, quand la situation le nécessite, renoncent à leurs gains et consentent d’énormes sacrifices. Mais, comme si ça ne suffisait pas, on impose des charges aux travailleurs dans un contexte déjà très difficile, et tout en sachant que dans ces conditions, ils ne vont pas reculer.

Lefaso.net : Sous la Révolution, vous étiez quand même, et visiblement, loin des sphères diplomatiques, mais comment êtes-vous arrivé comme ambassadeur ?

Mousbila Sankara : C’est compte-tenu de la lutte (syndicale) et de mes rapports avec les responsables de la Révolution. La lutte syndicale nous a permis de connaître des acteurs politiques et surtout le changement entre le 25 novembre et le 17 mai, nous avons travaillé ensemble beaucoup. Ce sont donc des postes de confiance.

Lefaso.net : C’est pendant cette lutte que vous avez connu Thomas Sankara ?

Mousbila Sankara : Non. Au fait, nous sommes de la même famille. Mais c’est pendant la lutte que j’ai connu Blaise (Compaoré), Henri (Zongo). Lingani (commandant Jean Baptiste Lingani, ndlr), lui, je l’ai connu par Thomas (Sankara) parce qu’ils étaient presque tout temps ensemble. Henri Zongo, c’est lors d’une commission d’enquête (dont il était d’ailleurs le responsable) sous le CMPRN diligentée sur la gestion des entreprises (je l’ai rencontré plusieurs fois au nom de syndicats) et Blaise Compaoré, c’est à travers Ernest Nongma Ouédraogo, qui est un camarade. Quand j’ai vu Blaise Compaoré faire la médiation au Mali, ça m’a inspiré, je me suis rendu compte qu’il ignorait totalement le danger devant lequel il se trouvait, je lui ai adressé une lettre ouverte, mais il n’a pas réagi.

Lefaso.net : Votre vie d’ambassadeur, comment l’avez-vous vécue ?

Quand je suis parti (en Lybie), comme de toute façon ce n’était pas un cadre classique, je n’ai pas eu de difficultés ; puisque les relations extérieures de l’époque m’avaient envoyé un conseiller qui était rompu aux relations diplomatiques et qui parlaient surtout arabe. Aussi, dans le cabinet de Muhammad Kadhafi, il y avait des cadres qui étaient de la même promotion de formation que moi, quand je faisais la gestion à Turin, en Italie (74-75).

A Turin, dans ma promotion, il y avait beaucoup de Libyens ; parce que le pays venait d’entrer dans la Révolution et a avait besoin de ressource humaine. Donc, il y envoyait beaucoup de Libyens pour se faire former. Donc, quand je me suis retrouvé là-bas en tant qu’ambassadeur, tout était facile, à telle enseigne que Kadhafi lui-même plaisantait parfois en disant que j’ai truffé son cabinet de ‘’mafieusaux’’ et comme lui-même avait de bons rapports avec Thomas (Sankara), je n’avais aucune difficulté.

Lefaso.net : Entre temps, la malheureuse date survient. Aviez-vous des prémices ?

Mousbila Sankara : Non, je n’ai pas perçu ça. La dernière fois que j’ai rencontré Blaise Compaoré, c’était le 1er septembre 1987, à l’occasion de la fête de la Libye. C’est lui qui était venu représenter le Burkina. Quand on a fini la cérémonie officielle, on s’est retrouvé à la résidence, on a préparé notre tô traditionnel et après on est resté causer. Je lui ai posé la question suivante : camarade ministre d’Etat, il y a des tracts orduriers qui circulent à Ouagadougou, dont on vous fait passer pour l’auteur. Il a marqué son étonnement.

Je lui ai dit qu’il s’agit de lui et Thomas : quand on écrit contre toi, on dit que c’est Thomas, quand on écrit contre Thomas, on dit que c’est toi ; parce qu’il y a des choses qu’on révèle qui ne doivent être connus que par vous deux ou, en tout cas, par un cercle très restreint. C’est là il a dit que si c’est de cette littérature-là que je parle, effectivement, ce sont des choses qui existent, que mais eux, quand ils reçoivent ça, ils se le passent pour que chacun sache ce qui se dit. Je dis, mais pour moi, c’est dangereux et ils devront faire en sorte que les gens sachent qu’ils n’y sont pour rien dans ça.

Il dit que justement, ils ne veulent pas en parler, qu’il suffit qu’un d’eux en parle et les gens diront que comme ils en parlent-là, c’est que ça existe. Que c’est pour cela qu’ils ont convenu de ne pas en parler, que mais ils trouveront une occasion pour régler ça. Juste après ça, moi je suis parti en mission aux Etats-Unis, à la 42ème session de l’ONU. C’est de là-bas que j’ai appris le coup d’Etat. Je ne voyais donc pas venir les choses, je savais qu’il y avait des difficultés, comme dans tout régime, mais je ne voyais pas venir…

Lefaso.net : Quelle a été votre dernière rencontre avec Thomas Sankara ?

Mousbila Sankara : Nous sommes partis en mission, et en rentrant, j’ai fait un crochet ici pour le voir, c’était en août (1987). Je suis venu, parce que les Libyens m’avaient chargé aussi de l’inviter et qu’ils souhaitaient le voir personnellement à leur fête (du 1er septembre). Je lui ai donc transmis la commission, il m’a dit oui, l’ambassadeur libyen au Burkina lui en a déjà parlé, que mais son calendrier ne lui permettra pas d’être là, parce qu’il avait des rencontres qui étaient prévues aussi à Ouagadougou et qu’il ne ferait pas bien d’être absent.

Lefaso.net : Cette réponse n’impliquait-elle pas que les relations n’étaient plus au beau fixe avec Kadhafi ?

Mousbila Sankara : Les relations avec Kadhafi se sont détériorées courant 1986. Il y avait deux raisons : la guerre au Tchad, où des fractions en son temps, Kadhafi avait son camp et Thomas voulait faire la médiation. Ce qui n’était pas la compréhension de Kadhafi, qui voulait que tout le monde se retrouve dans son camp (alors que Thomas avait introduit un document à l’ONU, cherchant à rapprocher les factions). Il y avait aussi la situation au Libéria, que Kadhafi préparait avec Charles Taylor et Thomas avait refusé de recevoir ce dernier ici. On savait donc ces points irréconciliables et c’était une attitude de principe.

Lefaso.net : Comment vous est parvenue la nouvelle du malheureux évènement ?

Mousbila Sankara : J’étais en travaux de commission à l’ONU avec des camarades, lorsqu’un membre de l’Ambassade est venu nous informer qu’ils ont reçu un télex de Ouagadougou, parlant de coup d’Etat que mais c’est Blaise qui a pris le pouvoir et qu’il ne s’est pas encore exprimé, que celui qui a parlé, c’est un lieutenant. C’est là j’ai dit que si c’est un lieutenant qui s’est exprimé, c’est que c’est lui-même qui a pris le pouvoir ; Blaise ne peut pas prendre le pouvoir et laisser quelqu’un d’autre parler. Ce fut ma réaction et on a commencé à se chercher.

Lefaso.net : Fin de mission donc ?

Mousbila Sankara : Oui, toute la mission. J’ai cherché à joindre Blaise, que j’ai réussi à avoir. Il m’a dit que lui, il a été débordé et qu’il me demandait de ne pas rentrer avant qu’il ne m’invite à rentrer, de rejoindre mon poste directement. Je suis rentré directement à mon poste. J’ai donc travaillé avec lui, jusqu’à ce qu’il attaque Koudougou.

Quand ses forces ont attaqué Koudougou, je me suis dit, mais si tu dis que tu étais débordé et que tu n’es pas au courant de ce qui s’est passé, Boukary (Boukary Kaboré dit Le lion) devait être ton allié ! Mais si tu l’attaques, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas bien. Et à partir de ce moment, j’ai dit que je démissionne. Je suis rentré, et aussitôt rentré, on m’a mis en prison, pendant quatre ans (87-91).

Lefaso.net : Mais depuis, l’avez-vous rencontré (Blaise Compaoré) ?

Mousbila Sankara : Non, j’ai demandé plusieurs fois à le rencontrer, mais je n’ai jamais eu cette occasion. Moi, je ne l’ai jamais fui ; parce que vu ce que nous avons fait ensemble, si les choses s’étaient déroulés autrement par rapport à ce qui s’est passé le 4 août, on aurait pu être condamnés en même temps. Donc, je ne l’ai jamais abandonné. Mais, comme toute vie humaine, on n’épouse pas tous les actes.

Lefaso.net : Avec ce que vous avez vécu sous la Révolution, la vision que vous aviez, vous sentez-vous aujourd’hui dans la politique ?

Mousbila Sankara : J’ai milité avec les sankaristes, la Convention des partis sankaristes (CPS) d’Ernest Nongma Ouédraogo, maintenant, avec l’UNIR/PS. Mais, c’est à défaut du mieux, parce que je n’ai jamais eu une activité politique ou syndicale dans laquelle j’ai un intérêt direct, c’est toujours des intérêts globaux qui m’y entraînent.

Politiquement, j’aurais voulu voir une autre forme de gestion des affaires de l’État, et j’ai cru dans ma participation à ces partis. Mais comme je n’ai fait qu’accompagner des gens qui ont créé leur parti avec leurs camarades et leurs proches, si ça ne va pas, c’est moi qui fou le camp, ce n’est pas la peine de les embêter. Moi, je peux dire que mon avenir est derrière moi. Ce qui m’intéresse, c’est de me rendre compte que j’ai mis quelque chose en place, qui servira à ceux de demain

…/…

Interview réalisée par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net

Source : https://lefaso.net/spip.php?article96128

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