Dans cette interview accordée au journal Mutations daté du 15 juin 2017, Le Colonel Major à la retraite Bernard Sanou, camarade d’école de Thomas Sankara de Gaoua au PMK en passant par le lycée à Bobo, Président  du Comité international pour le Mémorial Thomas Sankara, témoigne sur  l’état d’évolution du processus de construction du Mémorial. Mais avant, il raconte les raisons pour lesquelles il a accepté de présider le Comité international Mémorial Thomas Sankara. N’ayant pas réussi à sauver la peau de Sankara, il veut maintenant se battre pour sauver sa mémoire. 

De cette interview, nous apprenons que Mariam Sankara, épouse du Capitaine Thomas Sankara, n’est pas d’avis quant au choix du Conseil de l’entente pour abriter le Mémorial. On note aussi que Bernard Sanou a été responsable d’une zone de sécurité de Ouagadougou, pendant la Révolution, en l’occurrence la zone n°5, ayant pour limite gauche l’Avenue Bassawarga et limite droite l’Avenue du Laarlé Naaba.

La rédaction du site


Le Colonel major à la retraite Bernard Sanou est le président du comité international pour le Mémorial Thomas Sankara. Il a officié dans l’armée pendant 42 ans avant de prendre sa retraite. C’est un ami d’enfance du père de la Révolution Burkinabè. Ils se fréquentaient dès l’âge de cinq (5) ans. Ils ont créé ensemble l’Arrête plus connu sous le nom de code du Regroupement des officiers communistes (ROC). L’homme se souvient des veillées débats qu’ils menaient très souvent à deux après une répétition de l’orchestre, les « Tout à coup jazz ». Ceux qui fréquentent « Gringo » -surnom qu’ils portaient à deux, Sankara et lui depuis l’époque du prytanée militaire du Kadiogo – ont le privilège de lui arracher chaque fois des témoignages et des anecdotes poignants. Sauf qu’ils doivent souvent faire avec les larmes émotionnelles de l’officier supérieur pendant le déroulement de certaines séquences. Il a accepté évoquer dans cette interview avec Mutations une partie de son témoignage sur Thomas Sankara et la Révolution et surtout le projet de la construction du Mémorial qu’il conduit pour honorer son camarade, ami et frère.

Pourquoi avez-vous accepté présider le Comité international pour le Mémorial Thomas Sankara (CIM-TS)?

J’ai été contacté par le camarade pharmacien Colonel Abdou Salam Kaboré et informé par lui de la mise en chantier d’un projet dont le but est de rendre un hommage au Président Thomas Sankara; un certain nombre d’activités devaient bientôt démarrer alors j’ai accepté de me joindre aux camarades avec enthousiasme car cela me semblait juste et excitant. Le Colonel Abdou Salam étant très pris avec ses responsabilités de maire d’une commune rurale, j’ai été coopté par les camarades pour le suppléer afin que nous puissions obtenir très rapidement les documents officiels de reconnaissance de l’Association CIM-TS et que nous nous attelions à la mise en œuvre du programme d’activités adopté lors de l’Assemblée Générale constitutive du comité de réflexion du projet mémorial Thomas Sankara en date du 2 Octobre 2016.

Comment se déroule le processus de la construction du Mémorial ?

Il faut rappeler que le projet de mémorial est une œuvre fédératrice visant à remettre en commun toute idée, initiative et moyens intellectuels, matériels, financiers etc… et ce, afin de voir naître enfin un espace, un site digne du père de la révolution burkinabè. Ce projet est aussi porté par un groupe d’acteurs de la société civile. Pour l’instant, l’association dénommée Comité international pour le mémorial Thomas Sankara travaille à lancer le projet et à mettre en place une structuration pour mieux conduire le projet. Ainsi, nous aurons quatre (04) niveaux d’organisation:

  • Un comité international d’honneur et consultatif
  • Un comité d’orientation
  • Un comité exécutif
  • Un comité justice et lutte contre l’impunité.

En vous référant aux statuts et règlement intérieur, seul le comité d’orientation fonctionne et travaille à mettre sur pied ses cellules qui doivent être opérationnelles très bientôt et qui doivent donner plus de visibilité aux activités de l’Association. Enfin, la construction d’un Mémorial comporte plusieurs enjeux plus particulièrement celui dénommé Mémorial Thomas Sankara car il faut:

dépasser les clivages politiques et partisans

rendre populaire et accessible au grand public le projet politique de Thomas Sankara et de ses vrais camarades révolutionnaires dans la réalisation de défis de développement centré sur les ressources propres du pays. Ainsi donc quatre (04) phases ont été retenues pour mener un certain nombre d’activités à savoir:

  1. L’installation des comités, l’élaboration d’outils de communication et la finalisation du projet: (cf lancement du projet le 02 Octobre 2016 en présence de l’ancien Chef d’Etat du Ghana John Jerry Rawlings, parrain du projet.)
  2. Mobilisation des ressources (financière, documentaires, repérages de sites historiques etc…) et montage du dossier architectural (lancement effectué le 10 Mai 2017 et souscription nationale et internationale prévu pour le 04 Août 2017)
  3. Construction du Mémorial (à venir)
  4. La mise en place d’une structure de gestion crédible et opérationnelle suivie de la dissolution du Comité international.

Il semble que le lieu du Conseil pour ériger le Mémorial ne convient pas à la famille Sankara. Que se passe-t-il ?

L’ordre du jour de l’Assemblée Générale constitutive du Comité de réflexion du projet mémorial Thomas Sankara comportait les points suivants:

  1. l’Examen des grandes phases du projet M.T.S
  2. Examen des structures de gestion
  3. Stratégie de mobilisation des ressources.

Après l’exposé fait sur les objectifs du projet et les quatre(04) phases évoquées plus haut, une motion de remerciement a été suggérée et adoptée à l’endroit du gouvernement burkinabè à propos de la cession du Conseil de l’Entente au projet du Mémorial et une motion de résolution du Comité sur la justice. Suite à la réception d’un courrier de Madame Mariam Sankara, épouse du défunt camarade Président du CNR, nous avons dans notre réponse tenu à rassurer les uns et les autres sur le fait que nous pouvions avoir deux visions différentes d’une même chose; toutefois nous sommes tous d’accord sur le fond car il s’agit de sauvegarder, de préserver et promouvoir l’héritage politique du Président Thomas Sankara pour les générations présentes et futures. Contemporains de Thomas Sanakara, l’ayant connu ou ayant vécu pour certains une expérience personnelle avec lui, il va s’en dire que c’est avec émotion (à des degrés divers) que nous parlons de lui ou évoquons son souvenir. C’est pourquoi, il est important de nous dépasser, de dépassionner le débat et d’avoir le sens de l’Histoire. Thomas Sankara reste et restera un membre de sa famille biologique; mais il est devenu une icône, un patrimoine mondial. Lorsque nous ne serons plus là, qu’allons nous léguer aux générations futures pour nourrir leur pensée politique et former leur conscience en terme de l’idéal de Thomas Sankara?  Au niveau de l’Association CIM-TS, nous comprenons toutes les réserves à propos du site du Conseil de l’entente. Je me répète, le choix du site date depuis le lancement du projet en Octobre 2016 et depuis, nous n’avions reçu aucune proposition contraire, ni de démarches nouvelles pour l’acquisition d’un autre site. Les premiers projets de termes de référence du concours architectural international en cours qui mentionnaient ce lieu avaient été communiqués à des représentants de la famille Sankara en décembre 2016 pour amendements et propositions. Mais nous n’avons pas eu de suite à cela. En effet, pour une large majorité des membres du CIM-TS, nous convenons effectivement que le Conseil de l’Entente a une grande charge émotionnelle et chacun la vit à sa manière.

Que répondez-vous à ceux qui doutent de l’indépendance de votre comité par rapport au gouvernement ?

Il n’y a pas de sujets d’appréhension, ni d’inquiétude, ni de doute à avoir au sujet de l’Association. Il est vrai que les hommes qui la dirigent ne sont pas tous connus. Un effort d’inclusivité a été fait dans le cadre du processus de rédaction des textes fondamentaux et de la désignation des membres des instances dirigeantes. La participation et les avis des membres ont été toujours sollicités. Enfin, par sa nature et comme cela a été adopté de façon unanime par l’Assemblée Générale, le statut juridique du CIM-TS est celui d’une association de la société civile à caractère d’utilité publique. Nous veillons à son indépendance, à son autonomie de fonctionnement et de gestion. Et puis tous ceux qui sont actifs dans le projet sont animés d’un idéal. Moi par exemple, j’ai pris une résolution avec moi-même en me disant que si je n’ai pas réussi à sauver la peau de Thomas Sankara, je me battrai néanmoins pour sauver sa mémoire.

Avez-vous espoir que le projet va aboutir ?

Oui, je n’ai pas d’inquiétude, ni de doute à cela, même si cela prendra encore des années. Vous étiez à Ouagadougou le 02 Octobre 2016, vous avez vu et apprécié la grande mobilisation de la jeunesse africaine et internationale. Je dors tranquille tout en espérant vivre le couronnement de ce projet.

Pourquoi selon vous, l’Etat doit contribuer à ériger un mausolée à la mémoire de Sankara ?·

Thomas Sankara était un chef d’Etat burkinabè en exercice· Thomas Sankara a été élevé au rang de héros national et ceci est très important: le pouvoir politique actuel aux commandes doit son avènement à l’assassinat de Thomas Sankara! Et puis, nous sommes au Burkina, sachons protéger et sauvegarder ce que d’autres nous envient.

Vous connaissez bien Sankara pour avoir fait l’enfance avec lui à Gaoua, puis le lycée à Bobo-Dioulasso et par la suite le PMK à Ouagadougou. Selon vous, qu’est ce qui le caractérisait le mieux ?

Je retiens de lui quelqu’un qui recherchait le savoir, qui aimait beaucoup lire, qui partageait ses réflexions avec les autres au cours de longues discussions, de débats interminables car lui, il fallait le convaincre de la justesse de votre thèse. Il avait une grande culture et j’en suis à me demander encore aujourd’hui à quel moment avait-il accumulé et enrichi tout ce savoir, toute cette connaissance des choses.

Après le PMK, Sankara est parti à Madasgascar. A son retour, vous avez créé le Regroupement d’officiers communistes (ROC). Quel rôle jouiez-vous à l’intérieur de ce groupe ?

Col. Major Bernard Sanou sympathisant avec un ancien soldat

J’étais un camarade militant de base et un compagnon d’armes. Chacun devait se former politiquement, comprendre les grandes théories et la philosophie des partis de gauche (communisme, socialisme etc…) et en tirer l’essentiel de ce qui paraissait profitable au Burkina Faso, aux pays africains en général, comme dit précédemment, afin de relever les défis du développement centré sur les ressources propres du pays.

Comment Blaise Compaoré a-t-il intégré le groupe ?

Je ne saurais le dire, mais depuis mon retour du Sahel en été 1978, j’ai retrouvé un certain nombre de camarades dont il faisait partie, tels que les Colonels à la retraite Ouédraogo Kassoum, Gnoumou Kani Gaston, Boni Moussa Georges, Zongo Henri, Yaméogo Paul Benjamin et bien d’autres.

Quelles étaient les principaux objectifs du groupe ? Défendre les intérêts des sous-officiers et des soldats ou prendre le pouvoir ?

Tout d’abord, être des chefs modèles dans nos unités, vivre en symbiose avec les subordonnées et gagner leur confiance et leur respect inconditionnels. Dans la mesure où nous suivions l’actualité politique, nous nous préparons tous intellectuellement, socialement et politiquement à assumer nos responsabilités de cadres citoyens, conscients et soucieux de l’avenir de notre pays lorsque la nation nous le demandera. En janvier 1983, Sankara est nommé Premier ministre. Il vous appelle dans son cabinet. Ça n’a pas été une partie du plaisir.

Racontez-nous les péripéties de cette aventure qui n’a duré que 5 mois.

Je ne sais pas d’où tenez-vous cette information. Mais cela n’a jamais été le cas. Néanmoins, à ceux qui lui ont toujours proposé de me nommer à un poste ministériel, il a toujours répondu ainsi: “Si je nomme ce type, ministre, je serai obligé de le renvoyer au prochain conseil de ministre!” car comme dit l’adage, qui s’assemble, se ressemble! Lui aimait beaucoup discuter, moi également! Ce qui produisait des séances de 10 ou 12 heures!

A l’avènement du 4 Août 1983, vous disparaissez du cercle restreint de Sankara à la présidence. Pourquoi ?

La réponse est très simple: j’étais absent du pays depuis 1980 suite à des affectations bizarres dont certains membres comme Thomas Sankara, Zongo Henri et autres ont été touchés et la suite, ce fut l’arrivée au pouvoir du Col. Saye Zerbo. Donc moi je fus mis en stage “forcé” et surtout obligé à me consacrer à des études supérieures dans une spécialité pour laquelle je ne m’étais pas préparé.

Quels étaient vos rapports avec Sankara sous la Révolution ? Aviez-vous facilement accès à lui ?

Par principe, je prends de la distance avec une relation proche lorsque celle-ci accède à une fonction étatique (Chef d’Etat, Ministre). Mais avec lui, les choses étaient différentes car j’ai été nommé responsable d’une zone de sécurité de Ouagadougou, en l’occurrence la zone n°5, ayant pour limite gauche l’Avenue Bassawarga et limite droite l’Avenue du Laarlé Naaba. Et lorsque je n’étais pas satisfait du traitement d’un dossier surtout sécuritaire, je demandais à le rencontrer et il fixait le rendez-vous auquel je me rendais généralement avec les membres de mon réseau.

A l’approche de la date fatidique du 15 Octobre 1987, qu’avez-vous fait ou entrepris pour le prévenir, vous qui étiez responsable de la sécurité de la zone de Ouagadougou ?

Je suis désolé de ne pouvoir répondre en ce moment à cette question, ce sont des informations à donner au juge d’instruction chargé du dossier 15 Octobre 1987. Où étiez-vous ce jour jour-là ? Depuis plus de trois (03) semaines, je souffrais de douleurs au ventre et sur instruction du Médécin Colonel Ouoba, alors chef de Service Radiologie de l’Hôpital Yalgado, j’y fus conduit par mes éléments de sécurité dont le chef était le Caporal Norgho Achille de Dapoya. Après ma consultation et selon le diagnostic d’ulcères gastriques et du duodenum, le Médecin Colonel décida de me mettre en situation de PTAC, c’est à dire une autorisation de repos médical de quinze (15) jours loin de toute activité ou préoccupation intellectuelle quelconque. C’est ainsi que dans l’après-midi, je me suis rendu à la place de la Révolution face au Camp Guillaume Ouédraogo en compagnie de mon adjoint, le Colonel Kambou Daprou, afin de lui donner les détails de la mission confiée au Génie militaire de procéder au nivellement de ladite place dont la finition du travail technique serait le bitumage assuré par l’entreprise de travaux OK. Plongés dans nos débats techniques, nous n’avons pas remarqué le changement intervenu dans la circulation, jusqu’au moment où Madame Diendéré Haoua, épouse du Général Traoré Ibrahim, arriva en trombe en nous interpellant. Elle expliqua rapidement la situation de panique et de débandade créée par de la fusillade nourrie émanant de la zone du Conseil de l’Entente et nous exhorta de nous replier car il y avait danger. Après quelques instants de réflexion, j’ai décidé de rejoindre mon corps après une escale à mon domicile du Camp de l’unité pour me mettre en tenue de combat. J’ai fait récupérer par mes éléments le Col. Pharmacien Abdou Salam Kaboré alors Ministre des sports et dont les bureaux étaient situés dans l’enceinte du stade du 04 Août. Nous sommes restés ensemble et aux environs de 21h45, après de multiples tentatives, j’ai pu avoir la connexion téléphonique avec le Conseil, d’où le Commandant Lengani nous confirma le décès du Camarade Président Thomas Sankara.

Avec le recul, que savez-vous du déroulement du drame ?

Les mêmes informations livrées par la Radio-télévision nationale et par quelques témoignages d’éléments militaires du Centre national d’Entraînement Commando (CNEC) de Pô attachés à la sécurité des autorités du CNR à cette époque.

Après le drame, quel a été votre sort ?

J’ai demandé une audience au Capitaine Blaise Compaoré pour lui rappeler les inquiétudes et appréhensions que je lui avais soumises lors d’un tête-à-tête que j’avais sollicité et obtenu de lui, en tant que numéro deux du CNR, compagnon d’armes et camarade politique. Par la suite, il me fit retirer du commandement du Génie Militaire, sur proposition, selon ses propos, du Commandant en chef, le Chef de Bataillon Lengani Jean Baptiste et me fit nommer comme Secrétaire général de la Grande Chancellerie des Ordres Burkinabè. J’y suis resté jusqu’en 1990, date à laquelle je suis retourné au Commandement à la tête de la 5è Région Militaire, chef-lieu Ouagadougou. J’ai occupé par la suite les fonctions suivantes:

Adjoint au Commandant en Chef du Haut Commandement des Forces Armées Nationales
Secrétaire général du Ministère de la Défense sous le gouvernement d’ouverture
Inspecteur Général des Forces Armées Nationale

Conseiller à la Présidence du Faso

Secrétaire Permanent de la Haute Autorité du Contrôle des Armes et de leur importation

De février 2002 à Août 2010, je suis resté sans fonction précise à la disposition de mes supérieurs hiérarchiques des Forces Armées et de l’Administration publique et appelé à faire valoir mes droits à la retraite le 21 Août 2010 exactement.

Interview réalisée par Idrissa Barry

Source : Mutations n°127 du 15 au 30 Juin 2017.

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