Nous continuons la publication des articles de Mohamed Maïga, journaliste d’Afrique Asie, proche de Thomas Sankara qui a publié de nombreux articles de décembre 1982 à décembre 1983, la période de préparation de la Révolution et les premiers mois de la Présidence de Thomas Sankara.

On se rappelle que Thomas Sankara, premier ministre avait été écarté et arrêté à la suite d’un putsch de la droite de l’armée, le 17 mai 1983. Cet article analyse, ce que Mohamed Maïga appelle “un coup d’État militaire” qui s’est traduit par l’arrestation de Thomas Sankara et un changement d’orientation à la tête du pays. La “Cheville ouvrière du putsch de la droite“, comme le qualifie Mohamed Maïga, n’est autre que Somé Yorian, leader de la droite parmi les militaires que l’on a surnommé Cube Maggi. Mohamed Maïga explique l’origine de ce surnom au début de l’article. Pour situer ces évènements dans l’histoire de la Haute Volta qui deviendra le Burkina, vous pouvez consulter la chronologie à https://www.thomassankara.net/chronologie/. Cet article a été retranscrit par Gérard Amado Kaboré, membre de l’équipe du site. Vous trouverez l’ensemble des articles de Mohamed Maïga à https://www.thomassankara.net/?s=Mohamed+Ma%C3%AFga

La rédaction


LE COUP DE « CUBE MAGGI »

 Une « nouvelle sauce gouvernementale », mijotée par les tenants de l’ancien régime, vise à cuire définitivement la gauche.

PAR MOHAMED MAIGA

Plus que l’écartement et l’arrestation d’un Premier ministre devenu gênant pour les possédants voltaïques, africains et étrangers, c’est un véritable coup d’État militaire qui s’est déroulé à Ouagadougou, à l’aube, le 17 mai 1983. Un coup d’État fomenté par la droite militaire la plus classique dont les principaux instigateurs sont le colonel Gabriel Somé Yorian, chef état-major de l’armée, le lieutenant-colonel Harouna Tarnagda, ministre de l’intérieur et de la Sécurité, le capitaine Kamboulé (mû par la jalousie, étant moins connu que les jeunes capitaines progressistes du 7 novembre 1982), commandant du corps des blindés de la capitale, parent de Somé Yorian, et quelques gendarmes. Cheville ouvrière du putsch de la droite : Somé Yorian, dit « Cube Maggi », profil classique du « sous-off », formé par l’armée coloniale, modèle Bokassa et Amin Dada: Indochine; Algérie; quelques stages à l’étranger. Son surnom épicé lui vient du fait qu’il a été de tous les coups et toutes les « sauces gouvernementales » qu’à connus la Haute-Volta.

Officier d’ordonnance de Maurice Yaméogo (premier président du pays, évincé en 1966), Somé Yorian devient chef d’état-major, puis ministre de I ‘Intérieur, et encore chef d’état-major sous Saye Zerbo. Sentant le vent tourner, il ne s’oppose pas au coup d’État du 7 novembre 1982; il prend même le train en marche et conserve, curieusement, ses fonctions dans le Conseil de salut du peuple(C.S.P.) première version.

Autres comparses de poids : d’abord Adama Fofana, ministre de l’Information, éminence grise du nouveau pouvoir, un homme que l’on dit tenté par les Affaires étrangères. Ensuite l’actuel titulaire de ce poste (qu’il occupait du reste sous Saye Zerbo), Michel Kafando, très proche des « modérés » africains et des milieux néo-coloniaux français. Il semblait déjà au courant du putsch manqué de février dernier.

                                     Une scène étrange

 Ce coup d’État devait se faire en douceur, sur le modèle de celui réussi en 1981 par André Kolingba en Centrafrique. Avant tout, il fallait arrêter les capitaines Thomas Sankara, Blaise Compaoré et le commandant Boukari Jean-Baptiste Lingani (secrétaire général du C.S.P.). Ensuite, on présentait l’opération comme un recentrage du mouvement des forces armées.

Devait ensuite suivre une phase de « normalisation, » comportant notamment l’épuration de l’armée et la chasse à ses éléments progressistes; l’arrestation de leaders syndicalistes et des ministres issus de la gauche voltaïque (ce qui s’est produit le 21 mai avec l’arrestation de Soumane Touré, leader de la Confédération syndicale voltaïque -C.S.V.- et de plusieurs ministres et de leurs proches collaborateurs). La technique du « coup en douceur » s’explique d’abord par le fait que l’opération doit se dérouler sans effusion de sang afin qu’elle ne rencontre pas d’échos trop défavorables dans l’opinion internationale; qu’elle n’entraine pas de soulèvement dans les masses populaires voltaïques; et que soit évitée la réaction des autres unités de l’armée, surtout à l’intérieur du pays.

Dès le lundi 16 mai, il se produit une scène étrange à l’aéroport international de Ouagadougou. L’ambassadeur de France fait en sorte que soient évacués tous les journalistes voltaïques venus attendre l’avion de Guy Penne, le conseiller de I‘Elysée pour les Affaires africaines. Guy Penne ne sera ni filmé, ni photographié à son arrivée dans la capitale voltaïque. Contrairement à l’usage, il va loger chez l’ambassadeur, et non dans la villa prévue pour lui à la « cité du Conseil de l’entente. » L’ambassadeur aurait-il déjà eu vent de ce qui se tramait à Ouagadougou?

Le mardi 17, à quatre heures du matin, cinq blindés légers encerclent la résidence du Premier ministre, le capitaine Sankara, appuyés par une centaine de fantassins. A la même heure, trois blindés similaires (des Cascavel brésiliens offerts par la Libye) et une vingtaine de soldats entourent la résidence du chef de I‘État. Une dizaine de gendarmes font irruption dans la résidence du commandant Lingani et procèdent à son arrestation. Toujours à quatre heures, une dizaine de gendarmes se présentent au domicile du capitaine Blaise Compaoré. Il est absent. Il prolonge son séjour à Bobo-Dioulasso, à la demande du Premier ministre qui l’avait chargé d’une mission. Au même moment, au camp Guillaume, une dizaine de blindés et une centaine de fantassins prennent position autour des baraquements qu’occupaient quatre-vingts commandos détachés de la base de Po pour la sécurité du président et du Premier ministre.

                                               Plus d’armes

Pendant ce temps, les putschistes s’emparent des arsenaux de Ouagadougou : ainsi, toutes les autres unités de la capitale se retrouvent sans une arme. Toujours à l’aube, l’ambassade de Libye est cernée par la gendarmerie. A quatre heures et cinq minutes, le capitaine Sankara, réveillé par sa garde, demande à ses hommes de ne pas résister. Il téléphone au chef de l’État, qui lui confie que sa résidence est également encerclée. Il semblerait que Jean-Baptiste Ouedraogo ait téléphoné au colonel Yorian qui, pour le rassurer, lui affirmera que les blindés ne sont là que pour sa sécurité et qu’en réalité il vient d’engager l’opération visant à éliminer le Premier ministre. C’est peut-être à ce moment-là que le président se rallie aux exécutants du coup d’État. L’occasion est belle pour lui de se débarrasser d’un chef de gouvernement qui lui porte ombrage et gêne son autorité.

Vers six heures, Thomas Sankara demande à ses hommes de se rendre. Il est arrêté et transféré au camp de la gendarmerie; sa résidence restera encerclée jusqu’à treize heures. A dix heures, selon des témoignages sûrs, le président s’est entretenu téléphoniquement avec ses homologues de Côte-d’Ivoire et du Togo. Pour les rassurer sur le « succès » de l’opération ou les informer de son propre ralliement? On se le demande encore… C’est seulement au matin que les écoliers et les travailleurs, qui se rendent à leurs lieux de travail, s’aperçoivent qu’il se passe quelque chose; un air de déjà-vu à Ouagadougou : le camp Guillaume et les résidences des deux dirigeants sont encerclés. Mais, la radio diffusant un programme normal, l’aéroport n’étant pas fermé, on se contente de supputations.

Coup de froid vers six heures du matin: la gendarmerie de Bobo-Dioulasso annonce à Ouagadougou que le capitaine Compaoré a quitté la ville.

Et la chasse à l’homme s’organise à Ouaga. Mais Blaise Compaoré, qui était parvenu dans la capitale vers cinq heures du matin, après avoir longtemps roulé en voiture depuis Bobo, comprend ce qui se trame et parvient à s’enfuir. Se faufilant à travers la ville, il gagne, en fin de matinée, Po, où ses commandos sont déjà en alerte.

A huit heures, les quatre-vingts hommes retranchés à l’intérieur du camp Guillaume et commandés par le capitaine Henri Zongo refusent toujours de se rendre. A neuf heures trente, Guy Penne confère officiellement avec le ministre de I‘Information qui assure l’intérim de son collègue des Affaires étrangères. Ce dernier se trouve à Paris où il négocie de nouveaux accords militaires franco-voltaïques.

A midi, l’armée occupe l’aéroport et la gendarmerie prend la radio. Quelques minutes plus tard, Jean-Baptiste Ouedraogo, otage des nouveaux hommes forts de Ouagadougou, enregistre le texte de Somé Yorian. Il passe sur les ondes à 13 h 2, précédé et suivi de I‘hymne national. Le coup d’État, banalisé, est présenté comme une simple restructuration du C.S.P. On n’annonce pas encore officiellement l’arrestation de Sankara et de Lingani.

A treize heures a débuté, à l’hôtel Silmandé, le déjeuner officiel en l’honneur de Guy Penne. L’ambiance est décontractée. Le ministre de l’Information est en manches de chemise et en pantalon de velours violet : son « battledress » diront certains. Le ministre de l’Intérieur fait figure de héros. A la même heure, les blindés, retirés des abords des deux résidences, sont envoyés sur la route de Po, afin de verrouiller l’accès à Ouagadougou.

A quinze heures, Sankara est conduit à l’aéroport à bord d’une voiture de son escorte, une Datsun blanche. Avant d’embarquer pour son transfert à Ouahigouya, il lance quelques plaisanteries à l’adresse des soldats. Il leur lance surtout un sonore « au revoir et à bientôt ». A la même heure, le chef de I‘État reçoit les officiers de la garnison de la capitale. Il tente sans grand succès de justifier ce putsch pas comme les autres. Plusieurs officiers lui reprochent le non-respect flagrant du règlement du C.S.P., en limogeant et en faisant arrêter le Capitaine et en ayant, par une « initiative personnelle », menacé l’unité de l’armée, La même scène se répète le lendemain lors de la rencontre au camp Guillaume avec les sous-officiers.

On remarquera que les véritables auteurs du coup se tiennent toujours dans l’ombre, laissant au chef de l’État le soin de justifier l’injustifiable. A dix-sept heures, le médecin-commandant Ouedraogo (qui a décidément une journée chargée) reçoit Guy Penne, qui lui remet une invitation à se rendre à Paris et annonce, comme Christian Nucci (ministre délégué à la Coopération et au Développement), quelques jours plus tôt, qu’en 1983, la France accordera à la Haute-Volta une aide sans condition de vingt-deux milliards de francs C.F.A. A dix-huit heures, réception remarquée à l’ambassade de France en I‘honneur de la visite de Guy Penne. Les principaux auteur civils et militaires du putsch y assistent joyeusement.

Vers dix-huit heures, le capitaine Compaoré, qui a repris son commandement à Po, adresse deux messages à Ouagadougou. Le premier au capitaine Kamboulé. Le texte est court : « je suis bien arrivé à Po. Nous nous retrouverons très prochainement. » Le deuxième texte, adressé au chef d’état-major, est une mise en garde contre toute action inconsidérée qui mettrait en danger la vie des commandos retranchés au camp Guillaume. Le message se termine ainsi: « Libérez-les ou nous venons les chercher ». Ils seront libérés le 19 et regagneront Po.

                                    Les acquis de novembre

Devant l’évolution inattendue de la situation, Guy Penne reporte au lendemain son départ, qui devait avoir lieu le soir même pour Dakar. Jean-Baptiste Ouedraogo annule la visite de travail qu’il devait effectuer à la même époque à Bamako (Mali). Guy Penne, murmurent certains, aurait conseillé aux putschistes de négocier avec les hommes restés fidèles au Capitaine » car en cas de coup dur, l’intervention de l’armée française, comme les putschistes pourraient le lui demander, serait impossible compte tenu de la politique définie par le Parti socialiste lui-même dès le 10 mai 1981.

Mais à Po, fief des commandos, on est décidé à se battre, et Henri Zongo, Blaise Compaoré et leurs hommes, comme l’ensemble des forces progressistes voltaïques, semblent déterminés à défendre les acquis du 7 novembre 1982. Car il est certain qu’en cas de victoire des forces conservatrices, la politique qu’elles mèneront sera des plus musclées afin que, comme on le dit à Ouagadougou, « la gauche ne puisse plus à terme, relever la tête »

Mohamed Maïga

Source : Afrique Asie N° 297 du 6 juin 1983

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