Doit-on encore pleurer le capitaine Sankara ?

 

Kassim Kongo

 

15 octobre 87-15 octobre 2008. Voilà déjà 21 ans que succombèrent sous les balles assassines, le président du Faso, le capitaine Thomas Sankara, et une douzaine de ses compagnons, réunis un jeudi soir pour un think tank.

La perte fut immense pour le Burkina et toute l’Afrique, la douleur de la barbarie du crime l’est encore plus même deux décennies après l’assassinat.

Aujourd’hui, doit-on toujours pleurer Thom Sank ? Oui et non ; oui parce qu’une mort aussi violente et la première pour un président du Faso constitue une raison fondamentale d’épuiser des paquets et des paquets de kleenex. L’homme avait crû en la révolution, au développement de son pays classé pauvre parmi les pauvres. Des prémices de sortie du trou se faisaient voir quand il y a eu ce complot ourdi par l’impérialisme qui ne dormait plus parce que le petit pays agricole arriéré qu’est le Burkina montrait des signes évidents que le développement ne peut être qu’endogène, avec l’apport et l’engagement sans failles des populations.

En un mot comme en mille le Burkina progressait, avait amorcé son développement. Mais pas celui chanté aujourd’hui par des musiciens du dimanche pour qui, le développement se résume à ces immeubles de Ouaga 2000 appartenant à une toute petite poignée de privilégiés, et à ces voitures de luxe derniers cris. Le développement à une seule vitesse, n’est pas certainement fait pour la grande majorité des Burkinabé. Rien que pour ces raisons, on doit pleurer l’Homme Sankara. Mais comme le dit un dicton dioula, « la bonne sauce ne dure pas longtemps dans la marmite ». Le capitaine est parti sans avoir fini tout ce qu’il avait entrepris. Cependant, il a tracé les sillons pour les successeurs ; il avait aussi prévu le coup d’arrêt brusque de son œuvre, c’est pourquoi il a souhaité qu’après lui, naissent des milliers de Thomas Sankara, encore plus vivaces et plus pointus que l’original. Pour une des rares fois, la photocopie doit dépasser l’original. Et 21 ans après sa mort, la prédiction du capitaine Thom Sank, se révèle chaque jour un peu plus aux Burkinabé et aux Africains de façon générale. Il n’y a pas longtemps, pour une affaire de jugement de Charles Taylor, le bourreau des libériens et des Sierra léonais, le dossier Thomas Sankara s’est invité de façon impromptue aux débats par le biais de Prince Johnson, cet autre chef de guerre, tortionnaire à souhait et barbare jusqu’aux bouts des ongles. Prince Johnson, dont la mort avait été annoncée à grands coups de pub médiatique au Burkina a révélé au Tribunal pénal international (TPI), qu’il a participé à l’assassinat de Thomas Sankara.

Quel coup de tonnerre, quand on sait que l’ONU -contre toute attente- a fait du « poncepilatisme » sur le dossier déposé par les avocats de la famille Sankara qui réclament la lumière sur son assassinat. Ponce Pilate, himself avait fait mieux que l’ONU, car cette organisation s’est tout bonnement débinée, remettant les compteurs du dossier à zéro. Mine de rien, le dossier « Thomas Sankara » refuse de mourir comme l’a visiblement accepté Thom Sank.

Il est comme un poisson silure, très gluant si bien que lorsqu’on l’attrape par un bout, il glisse de l’autre. Car bien avant la révélation de Prince Johnson, un officier togolais avait fait une annonce concernant l’assassinat du capitaine Thomas Sankara lors de la conférence de réconciliation togolaise. On avait vite fait de lui ôter cela de la bouche car cela ne concernerait pas les Togolais. Après lui et Prince Johnson, il y aura d’autres voix plus précises sur les événements du 15 octobre 1987 ; tôt ou tard, le jour va se lever.

Pour cela, on ne doit pas pleurer Thom Sank, car il est toujours vivant, il regarde son pays et le guide par messages outre tombe. Mais pour les prédateurs, il reste toujours le révolutionnaire qui sanctionne. Effectivement beaucoup perdent le sommeil une fois qu’on atteint le mois d’octobre de chaque année. Ils sont hantés, les cauchemars succèdent aux angoisses, aux inquiétudes et même à la peur de son ombre.

Au lieu de ces défenses en ligne pour Thomas Sankara, il y a que l’ordre des choses semble rouler en faveur de Thom Sank. Avec la vie chère qui est presque devenue la vie normale, nombre de Burkinabé ne cessent de se rappeler les mots d’ordre du Conseil national de la Révolution (CNR), à savoir « produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons ». La vie chère est venue en avocat défenseur de la cause de la Révolution incarnée par Thomas Sankara. De nombreuses personnes regrettent pratiquement la fin de la Révolution, car là au moins, les citoyens avaient leur mot à dire dans la gestion de la cité. Personne n’osait narguer les autres tout simplement par étalage de ses richesses ; on ne fermait pas les usines, les entreprises à tour de bras.

La corruption ??? Si d’aventure des gens s’amusaient à accepter les pots de vin ou bien à les donner, il leur fallait user de stratagèmes et le fruit se consommait dans la discrétion la plus totale sinon Ngaw ! Il ne venait à l’idée de personne de se pavaner en faisant étalage de ses biens matériels, à telle enseigne que les voitures 4×4 étaient vraiment utilitaires (les ONG, les services spécifiques…).

Aujourd’hui, il y a comme des gens ayant signé un contrat avec les fabricants de voitures. Une fois qu’un nouveau modèle sort, on le voit dans les rues à Ouaga. On dépense des centaines de millions à payer des voitures de luxe pour se montrer dans une vaste étendue de misère.

Autre temps, autres mœurs. Les choses que combattait Thomas Sankara, sont aujourd’hui monnaie courante et c’est pourquoi le capitaine Thom Sank, bien que physiquement absent continue et continuera de rester dans le cœur de ses concitoyens et dans celui des peuples épris de justice. Pour emprunter aux églises évangéliques, on peut dire de Thomas Sankara « Il est vivant ». Les actions et les intentions de l’homme politique qu’a été le président du CNR obligent aujourd’hui à se référer à lui et à le regretter, tout en se disant qu’il a tracé le chemin, il faut donc le suivre.

21 ans après sa mort, le président du CNR demeure toujours une icône pour ses contemporains ; ceux qui l’ont assassiné se retrouvent aujourd’hui toujours mal à l’aise, car bien que le mensonge ait pris l’ascenseur, la vérité par les escaliers l’a rattrapé et dépassé. Le vrai débat aujourd’hui n’est plus de savoir comment et qui a assassiné le président du CNR. Mais la question fondamentale reste ce qu’on a fait de meilleur qu’en son temps. Et là, c’est une vraie colle car il n’y a pas de photo, hier vaut nettement mieux qu’aujourd’hui.

Kassim Kongo

Source : Bendré du jeudi 16 octobre 2008 http://www.journalbendre.net

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Saisissez votre commentaire svp!
SVP saisissez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.