par Jean-Baptiste Natama
publié le 15 décembre 2013, dans le N°43 du bimensuel Mutations
La disparition de Nelson Mandela suscite des témoignages sur la lutte de ce grand homme du continent. Dans cette tribune publiée dans Mutations N°43 du 15 décembre 2013, Jean Baptiste Natama, Directeur de Cabinet de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine et acteur de la Révolution burkinabé revient sur la contribution du Burkina révolutionnaire à la lutte contre l’apartheid. Lisez plutôt
<media1091|insert|left>C’est indubitablement pour moi un devoir de mémoire et de conscience, d’évoquer Mandela qui disparaît physiquement à un moment où, à titre personnel, je viens de publier un Manifeste à l’intention de la jeunesse. J’en parle parce que ce Manifeste porte sur des valeurs dont l’essentiel se rapporte à la vie de ce grand homme que fut Nelson Mandela, cet « iconoclaste géant politique » emblématique de notre ère, à qui par ailleurs j’ai dédié mon premier recueil de poèmes il y a 10 ans.
Plus qu’un penseur, Mandela aura été un homme d’action dont la vie en elle-même est un enseignement, une école à l’instar de celle de Tierno Bokar le sage de Bandiagara dont Amadou Hampaté Ba rapporte la droiture morale et la vie exemplaire dans ses nombreux ouvrages. Certes Mandela n’est plus, c’est l’ordre normal de l’existence, qu’un jour où l’autre, nous soyons arrachés aux nôtres, au monde. Cependant il demeurera à jamais dans nos cœurs, notre mémoire par le fait que son action jusque-là inégalée aura marqué la conscience universelle de façon heureuse et heuristique. Il aura su donner à sa vie un sens plein, à l’Histoire un héros, à l’humanité un nouveau visage, au temps un nouveau départ, une renaissance.
Homme de grand cœur, combattant engagé, infatigable sur les sentiers épineux de la liberté, de la paix et de la justice, Madiba aura surpris et conquis le monde entier par sa politique de pardon, de rassemblement des nationalités sud africaines, rappelant de manière magistrale à tous que le principe qui veut que tous les hommes quelque soit la couleur de leur peau soient « un » est possible dans son application, à condition que l’on ait la grandeur d’âme qui y sied. Il abhorrait la vengeance et la haine, houle meurtrière qui obligerait à confiner le sens des événements dans un cercle vicieux. L’intrépide choix pour lui aura été celui de l’amour de l’autre, de la tolérance, de la cohérence, du courage, de la conviction qu’à l’utopie prétendue irréalisable l’on peut, cependant, imposer la volonté de transformer le monde compartimenté pour ainsi en faire une nation arc-en-ciel riche de sa diversité.
Force est de rappeler l’inscription profonde de la philosophie de l’ubuntu dans la vie de Mandela, philosophie qui se résume par le principe de l’interdépendance « je suis celui qui suis ; mais je ne suis que parce que les autres sont ». Au contraire de maints autres visions sectaires et partielles du monde, mais qui se targuent dans leur partialité d’imposer le global, l’ubuntu prône une vision holistique de la réalité, la nécessité de considérer dans son approche, même les aspects contraires d’où émerge nécessairement une donnée nouvelle, le sens de la responsabilité de l’individu vis-à-vis de la communauté, le sens de la prévalence de la communauté quant à la construction et à l’édification de l’individu solidaire. La liberté ne naît qu’à la conjonction des responsabilités de l’individu et de celles de la collectivité, du partage solidaire et juste des biens de tous, de la vérité.
Il avait pour idéal une société libre, juste et démocratique. Au nom de cet idéal, il s’était gardé d’abuser de son aura et de sa notoriété, pour s’accrocher au pouvoir. Jamais l’idée ne l’a traversé de s’autoproclamer « messie » omniscient, éternel gourou du trône. Son peuple ainsi que l’humanité dont il aura à jamais marqué la conscience ont su le lui rendre en l’élevant au rang des immortels. Armé de principes justes, réglant sa vie sur des valeurs morales et doté d’une inaltérable volonté, il a fait montre de détachement dans sa relation au pouvoir dont il connaissait bien le caractère éphémère. Ce que malheureusement bien d’hommes politiques oublient lorsqu’ils sont au pouvoir.
En me livrant à ce témoignage sur cet illustre fils d’Afrique, je ne puis m’empêcher de penser à la contribution de mon pays à la lutte contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Remonter l’histoire, n’est pas toujours anecdotique ; surtout la nôtre qu’il nous semble important de l’écrire ou de la réécrire nous-mêmes africains.
En effet, à un moment où le régime raciste blanc au pouvoir en Afrique du sud se radicalisait du fait qu’il perdait du terrain dans la partie australe du continent africain (victoires des nationalistes africains en Namibie et au Zimbabwe, ex-Rhodésie), naissait du refus de l’injustice et de l’exploitation des faibles, dans l’ex-Haute Volta, une révolution humaniste elle-aussi, et qui ne pouvait rester indifférente aux souffrances du peuple sud africain.
Le leader de cette révolution, le Capitaine Thomas Sankara prend, au nom de l’internationalisme et de la solidarité révolutionnaire agissante, dès lors, fait et cause pour la lutte contre l’apartheid en utilisant toutes les tribunes pour dénoncer ce régime cynique, inique et ignominieux (aux réunions des Nations Unies et de l’Organisation de l’unité africaine, lors de la visite du Président Français François Mitterrand à Ouagadougou, etc.). Dans la foulée de cet engagement, le Conseil National de la Révolution (CNR) baptise une avenue et un lycée au nom de Mandela dans la capitale et prend la décision d’offrir symboliquement des armes à la branche militaire de l’ANC (Umkhonto we Sizwe).
Le 4 août 1984, lorsque le nom du pays change pour devenir le Burkina Faso, les tous premiers passeports burkinabè sont délivrés aux noms de Nelson et de Winnie Mandela figures de proue de la lutte de libération de l’Afrique du sud. La contribution du pays des hommes intègres se poursuit, avec la tenue, à Ouagadougou du 09 au 11 octobre 1987, de la réunion du Comité anti-apartheid Bambaataa (nom d’un chef Zulu ayant lutté contre la colonisation Britannique et Hollandaise et qui a réussi à conserver son territoire et son identité propre en Afrique du sud), juste le lendemain des cérémonies de commémoration du 20ème anniversaire du décès du révolutionnaire Ernesto Che Guevara.
Cette réunion a rassemblé dans la capitale burkinabè des représentants de tous les partis et mouvements anti-apartheid d’Afrique du sud mais aussi des autres pays africains et de la diaspora pour définir les stratégies et actions décisives à mener pour obtenir la libération de Mandela et de ses camarades mais aussi pour mettre fin au régime inhumain et honteux de l’apartheid. Une fois de plus, un autre lycée de Ouagadougou est baptisé Bambaataa pour fixer, dans la mémoire collective et l’histoire, l’événement.
Au moment où le monde entier fait ses adieux à Nelson Mandela en lui rendant hommage, il me paraissait essentiel, de rappeler ces quelques faits, afin que notre peuple, particulièrement sa jeunesse, soit légitimement fier de l’apport de notre pays à une partie de ce qui est célébré aujourd’hui comme l’accomplissement de l’homme exceptionnel qu’il a été.
Mandela, s’en est allé mais, comme tous les êtres d’exception, sa légende survivra à son départ. Il nous a laissé un héritage et il reste seulement à espérer qu’il puisse contribuer à inspirer les actes individuels et collectifs des africaines et africains dans la construction de ce continent en pleine quête de renaissance. Le meilleur hommage qui soit, à mon avis, consiste à honorer sa mémoire en rendant possible le rêve qui était le sien ; l’exigence de la responsabilité solidaire, le don de soi pour une fraternité universelle, faire du cercle vicieux, un cercle vertueux.
Adieu Madiba !
Jean-Baptiste Natama
Jean Baptiste Natama est actuellement Directeur de Cabinet de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine. Une campagne semble se développer sur les réseaux sociaux afin qu’il soit candidat aux élections présidentielles de 2015. Il ne s’est pas encore formellement prononcé pour cette candidature, mais a déclaré récemment qu’il avait le droit de se présenter. Il avait choisi le 15 octobre 2013, pour dédicacer son dernier essai intitulé “manifeste pour une jeunesse responsable”. Une date qui n’est pas choisie par hasard. (NDLR, note de la rédaction du site’).