Nous publions ci-dessous les articles, parus au lendemain de l’assassinat de Thomas Sankara, de l’organe XARE BI, du parti sénégalais And Jëf / M. R. D. N. (Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle), un parti se revendiquant marxiste léniniste, dirigé par Landing Sanavé. Anf Jëf signifie ensemble en wolof. Il s’agit des ceux de la page 8 de ce journal. On y trouve un reportage d’un journaliste se trouvant à Ouagadougou durant ces évènements, et quelques autres informations. Sur Boukary Kaboré dit le Lion du Burkiemdé, seul officier ayant refusé de déclarer allégeance au nouveau pouvoir, la dénonciation d’un journaliste “mercenaire” et le récit de la censure d’un communiqué au Sénégal. Cette page a été retranscrite par Pathé Tidiane Barry et Bruno Jaffré.

La rédaction du site


J’ai vécu la tragédie du 15 octobre à Ouagadougou. Quand j’y arrivais le 11 octobre, venait de s’achever le symposium anti-apartheid ; et les affiches et banderoles à l’occasion du 20è anniversaire de la mort de CHE GUEVARA ornaient encore la ville.

Ce fameux jeudi noir, vers 16 h, on entendait des coups de feu du côté de la présidence. Il y eut aussitôt un mouvement de panique, les gens essayant de fuir dans tous les sens ; on parle même de quelques motocyclistes écrasés par des conducteurs de bus affolés.

Ensuite, il y eut la musique militaire à la radio et aux environs de19 h 30, tombait la lecture du premier communiqué annonçant le coup d’État ainsi que les autres mesures (couvre-feu de 19 h), fermeture des frontières, suppression des communications,etc…).

Il faut signaler qu’à la fin de la lecture de ce communiqué, il y eut quelques secondes de flottement avant l’annonce du Signataire :“Pour le Front Populaire, le Capitaine Blaise Comparé”. Aucune nouvelle sur Thomas Sankara. Ce n’est que le lendemain à 10heures que les gens vont apprendre la nouvelle de sa mort par France Inter, la radio Burkinabé elle se contentant de diffuser de la musique militaire, entrecoupée de communiqués injurieux à l’endroit du président défunt. Pêlemêle : traître, renégat, mégalomane, paranoïaque et même Pol-Pot burkinabé…

Ces insultes adressées à l’endroit de SANKARA qui vient d’être froidement assassiné et enterré à la sauvette dans une fosse commune au coin d’un petit cimetière ont rendu les populations furieuses contre le soi-disant Front Populaire. Cependant la Radio continuait à faire cas des soutiens dont on ne voyait aucune manifestation concrète et lançait des appels désespérés à l’organisation de marches qui ne seront suivis d’aucun effet.

Le peuple, lui, se rendait en masse au cimetière pour rendre hommage à Sankara..L’ampleur du phénomène ainsi que les réclamations de la famille du Président amèneront les militaires à tenter d’aménager une sépulture décente à Thomas et ses compagnons tués (au nombre de 13 officiellement).

Les gens ont continué à se rendre de plus belle devant la tombe, à déposer des fleurs, des poèmes, des larmes. J’y suis allé moi même déposer les larmes et le serment de fidélité de la jeunesse sénégalaise et africaine. Cette réaction de la population a amené les nouvelles autorités à changer radicalement de ton, à mettre les insultes au rencart et à tenter de présenter la mort de Thomas SANKARA comme un tragique accident.

Ce n’est que le lundi 19, soit 4 jours après les évènements que Blaise Compaoré s’adresse enfin à la nation présentant un profil bas, il a tenté de se disculper en·faisant état de. divergences de plus en plus profondes entre Thomas et les trois autres capitaines. Ce qu’il faut retenir essentiellement de ce discours, c’est l’explication assez simpliste et peu crédible selon laquelle THOMAS s’apprêtait ce jeudi 15 octobre à 20 heures à les faire arrêter et exécuter et que lui Blaise et les autres, informés, n’ont fait que prendre les devants ! Les divergences quant à elles n’étaient pas clairement explicitées sinon, il accusait Sankara d’être devenu “un autocrate, incontestable et incontesté”, et dans le même temps il indiquait qu’il y avait des réunions fréquentes entre eux quatre et que Sankara était toujours minorisé (NDLR : en minorité). Curieuse attitude pour un autocrate, d’autant plus, et c’est lui-même qui le révèle, que Sankara lui aurait proposé il y a quelques mois de devenir premier Ministre, et qu’il avait refusé.

Bref, personne n’était convaincu par les raisons avancées et même si cela était, disait-on, cela pourrait-il justifier le meurtre de Sankara?

Je suis resté une semaine supplémentaire à Ouagadougou avant que les frontières ne soient rouvertes. J’ai donc pu rencontrer des dizaines de burkinabés de toutes conditions, je n’ai vu personne qui approuvait le meurtre de Sankara, « cela aurait été la même chose si c’était Thomas qui avait fait le coup contre Blaise » disaient certains. Ainsi, le Front Populaire ne semble exister que sur le papier, et en tout cas les gens ne cachent pas leur mécontentement. Les perspectives au Burkina paraissent bien sombres et la nuit risque d’être longue. Le Dimanche 18 octobre à 16 heures, j’ai été présenter les condoléances de la Jeunesse sénégalaise, de And-Jef et de son Secrétaire Général à la famille de Thomas SANKARA, notamment à sa femme Mariam : elle m’a reçu, sereine, et j’ai pu lire dans ses yeux la tristesse mais aussi l’espoir et la détermination à poursuivre le combat, pour que jamais le grain ne meure.

SEYDU


MAL PARTI

Les premières mesures annoncées par le Front Populaire sont la levée du port obligatoire pour les cadres de la tenue nationale le “Faso Dan FANI” et la suppression du sport de masse jugées «impopulaires ». Or, à Ouaga, on explique la 2ème mesure par le fait que le nouveau régime, veut éviter tout rassemblement. Quant a la première on raconte que Brigitte (NDLR : erreur du journaliste, elle s’appelle Chantale comme tout le monde le sait aujourd’hui), l’épouse franco-ivoirienne de Blaise a toujours eu horreur du “Faso Dan FAN” et que SANKARA a même refusé une fois de la recevoir car elle n’était pas habillée en tenue nationale. Or le peuple burkinabé a toujours porté la Faso Dan Fani. C’était donc une réhabilitation et une mesure économique.


 LA PARENTHÈSE KABORE

Le capitaine KABORE n’était pas dans le pays au moment du Coup d’État. A son retour au pays des rumeurs ont couru sur son désaccord avec le “Troïka” puis la panique s’est répandue à Ouagadougou où on a annoncé qu’il marchait avec ses troupes sur la ville.

Deux ex-ministres de SANKARA (Le Ministre de l’Intérieur et celui des Affaires financières) ont été arrêtés parce qu’on leur reprochait d’avoir fait de l’intoxication en déclarant que Kaboré ne serait pas d’accord avec le Front Populaire. Finalement ce dernier s’adressera lui-même à la presse pour condamner le nouveau régime avant d’être contraint quelques jours plus tard à s’enfuir. Il faut noter que les populations civiles sont restées dans l’expectative considérant, après l’assassinat de Sankara, que l’affaire était désormais strictement militaire. Blaise a du dissoudre le CNR et l’OMR dont il était pourtant un membre influent et il n’a pu malgré les appels à la population obtenir l’organisation d’une quelconque marche de soutien à son régime, ni former un gouvernement. Finalement, il semble bien que Blaise et ses deux compères sont les seuls vrais autocrates de cette affaire. Malgré les apparences, l’armée reste profondément traumatisée et divisée par les évènements.


ALY KHEURY NDAW Mercenaire de la plume

 De tous les journalistes qui ont commenté les évènements survenus le 15 octobre au Burkina Faso, c’est Aly Kheury Ndaw qui a le plus déçu, le plus indigné, pas uniquement ses confrères, mais tous les sénégalais honnêtes qui l’ont lu. Aly Kheury Ndaw est certainement l’archétype du mercenaire de la plume. Au delà du martyr Thomas Sankara, Aly Kheury Ndaw non seulement a déversé sa bile sur la révolution burkinabé mais sur la révolution en général. Les insanités développées dans le soleil des 17/18 octobre dépeignent Thomas Sankara comme un flibustier « l’arme de poing fourrée dans un étui blanc, serrée de près et prêt lui-même à s’en servir » ses sorties tendancieuses et abjectes sur “les dérapages et tous les excès inhérents à tous les régimes dits révolutionnaires et qui ne sont selon lui, en fait que des pouvoirs totalitaires » ne l’honorent pas non plus.

Sans doute, en accueillant la centaine de journalistes du monde entier lors du dernier FESPACO, Sankara ne soupçonnait pas que parmi eux figurait une taupe camouflée du titre « grand critique cinématographique” qui épiait ses faits et gestes pour pouvoir le moment propice lui asséner un coup. Mais ce coup a été le coup de grâce.


 

Nous savions que Abdou Diouf et Djibo Kâ étaient des hommes de droite, mais jamais nous ne soupçonnions le fait qu’ils étalent si réactionnaires au point de refuser la diffusion des communiqués relatifs à l’hommage que nous devions rendre au Président Thomas Sankara le 21 octobre car des hommes de droite de cœur et de raison il en existe et nous les respectons. Voilà le film de l’évènement.

Le lundi 19 octobre 1987 un communiqué politique portant sur cette question est déposé vers 10 heures au cabinet du ministre de la communication mais c’est le silence total sur ce sujet à 13 heures et à 21 heures. Le mardi 20 octobre à peu près à la même heure un autre communiqué nécrologique payant est déposé à la régie des avis et communiqués de la SPT mais l’agent préposé à ce service refuse de prendre le communiqué. A 16 heures 36 minutes, le refus a été constaté par huissier requis par nous.

Le Mercredi 21 octobre à 9 heures 55 un autre communiqué est redéposé au Ministère de la Communication avec une lettre circonstanciée mais silence de la radio à 13 heures. Voilà les faits. Mais qu’est-ce qui les justifient ? En veulent-il à Sankara parce qu’il avait démystifié la fonction présidentielle comme le disait Landing SAVANE lors de la cérémonie du 21 octobre? Sa popularité les dérangeraient-ils ? De toute façon, le dossier est présentement entre les mains de notre avocat.

Source : Xare Bi N°14 de novembre 1987

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