Contrairement à ce qui est dit dans le générique, cette vidéo dont l’introduction précise qu’elle est issue de INTERNATIONAL KAINFR ne date pas de 1984 mais du 21 août 1983. Nous étions alors entrés en contact avec la personne qui s’était donné le pseudonyme de Romsiten qui avait bien voulu nous la passer pour que nous la mettions en ligne. Qu’il soit ici chaleureusement remercié.


Nous vous proposons cette autre vidéo car la précédente n’est pas complète. Il s’agit d’un reportage sur le sommet de l’ONU où Sankara a prononcé son fameux discours sur la dette, puis de sa visite en Libye. Et ensuite comment la conférence de presse au temps 6’40″”.



La retranscription a été effectuée par nos soins.

Question : Monsieur le président, le 4 août est perçu par certains comme étant une action revancharde à l’encontre des tenants du pouvoir de l’après – 17 mai. Alors comment présentez-vous cette action ?

Thomas Sankara : J’ai, moi aussi entendu de telles analyses. Mais enfin, il faut considérer que, pour certaines personnes, le problème du peuple voltaïque se pose simplement en termes de clans. Il faut considérer aussi qu’il est tout à fait normal pour certains de voir dans chaque action des actions revanchardes, des reprises, des retours, etc.

Nous, nous pensons que le 4 août est simplement l’aboutissement, la concrétisation d’une volonté populaire que vous avez pu suivre ici en Haute-Volta. Du reste, nous disons que tous ces Voltaïques qui se sont mobilisés à Ouagadougou et ailleurs, après ce fameux coup d’Etat du 17 mai dernier, tous ces Voltaïques ne se sont pas mobilisés simplement à cause du capitaine Sankara et de ses camarades, mais à cause d’un processus auquel ils étaient très attachés le processus de libération du peuple voltaïque. Ils se sont mobilisés pour que le peuple prenne son destin, son développement, en mains. Ils se sont battus parce qu’ils n’admettaient pas les gifles infligées au peuple voltaïque. Ils se sont battus parce qu’il y avait une trahison des intérêts du peuple voltaïque, trahison qu’ils ne pouvaient pas admettre.

S’il y a revanche, il y a revanche du peuple contre la réaction qui s’était regroupée autour de quelques hommes, quelques individus. Mais il n’y a pas revanche d’un groupe contre un autre.

Question : Monsieur le président, le Conseil national de la révolution (CNR) est-il une continuation du Conseil du salut du peuple (CSP) d’avant le 17 mai ?

Sankara : Nous sommes d’accord : nous affirmons que le CNR est une continuation du CSP d’avant le 17 mai et un dépassement de celui-ci. C’est ce CSP d’avant le 17 mai qui nous a permis de nous lier au peuple voltaïque, de l’amener à s’exprimer et de nous dire quelles étaient ses sincères et profondes aspirations, de les connaître. Cela nous a permis de définir à partir de ce moment une politique, celle du CSP de l’époque, qui devait progressivement amener le peuple voltaïque à prendre et à assumer réellement le pouvoir à son profit.

Vous savez que le CSP d’avant le 17 mai a pris fin précisément avec le 17 mai, c’est-à-dire que quelque part quelqu’un a trahi le peuple. Et cette trahison s’est opérée le 17 mai.

Question : Monsieur le président, lors d’un entretien que vous avez eu avec les journalistes du Carrefour africain, alors que vous étiez Premier ministre, vous aviez dit que le CSP cherchait une stratégie pour mettre fin aux putschs militaires en Haute-Volta. Maintenant que vous présidez aux destinées du peuple voltaïque, pensez-vous que le CNR peut être la dernière intervention de l’armée dans les affaires politiques de l’État voltaïque ?

Sankara : En tout cas nous le souhaitons et nous sommes convaincus que la meilleure façon de limiter l’usurpation du pouvoir par un groupe d’individus, militaire ou non, c’est de responsabiliser d’abord le peuple. Entre des fractions, entre des clans, on peut perpétrer des complots et des coups d’Etats. Contre le peuple, on ne peut perpétrer un coup d’État durable. Par conséquent, la meilleure façon d’éviter que l’armée ne confisque à elle seule et pour elle seule le pouvoir, c’est de faire partager d’ores et déjà ce pouvoir par le peuple voltaïque. C’est ce vers quoi nous tendons.

Question :Monsieur le président, beaucoup d’observateurs politiques vous ont attribué la paternité de l’avènement du CSP le 7 novembre 1982. Si tel était le cas, pourquoi n’en avez-vous pas pris la direction politique ? Cela aurait pu du reste éviter les événements du 17 mai ?

Sankara : C’est bien dommage qu’il y ait des observateurs qui voient les événements politiques comme des bandes dessinées. Il faut un Zorro, il faut une vedette. Non, le problème de la Haute-Volta est plus sérieux que cela. Cela a été une grave erreur d’avoir cherché coûte que coûte un homme, une vedette, jusqu’à en créer une, c’est-à-dire jusqu’à attribuer la paternité de l’événement au capitaine Sankara qui en aurait été le cerveau etc.

Je vais vous dire que le 7 novembre est une histoire très complexe, pleine d’anecdotes. Le 7 novembre a donné naissance à un pouvoir qui était très hétérogène,très composite avec des contradictions inévitables. Le 7 novembre, tous nos efforts, à mes camarades et moi, cherchaient à empêcher le déroulement de ce coup d’Etat. C’est curieux, mais nous n’étions à Ouagadougou que par coïncidence. C’est curieux, mais nous avions tout fait auprès de ceux qui avaient intérêt à ce que ce 7 novembre ait lieu pour qu’ils abandonnent leur projet. Mais vous comprenez que la vision des problèmes politiques n’est pas la même pour tous. Pour certains, il suffit d’avoir les armes, d’avoir avec soi quelques unités, pour prendre le pouvoir. Chez d’autres, c’est une autre conviction qui prévaut. Le pouvoir doit être d’abord l’affaire d’un peuple conscient. Par conséquent, les armes ne constituaient qu’une solution ponctuelle, occasionnelle, complémentaire.

Il est bon pour vous de savoir que, ce 7 novembre, quelques acteurs bien cachés avaient essayé de faire partager leur projet, ou en tout cas de réaliser leurs ambitions en exploitant et en utilisant d’autres personnes. C’étaient ceux qui voulaient placer un homme je veux parler du colonel Somé Yoryan que l’on cherchait à placer à la Présidence de la République de Haute-Volta. Ces hommes étaient aussi ceux qui voulaient libérer certains éléments de la Troisième république détenus alors par le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN)’.

Pour réaliser ce projet, pour atteindre cet objectif, il leur fallait des militaires. Et la meilleure façon pour eux qui se sentaient, qui se trouvaient isolés au sein de l’année d’avoir des militaires, c’était de proposer par-ci, par-là dans des unités, la participation de tous ceux qui voulaient, disait-on, libérer les officiers détenus. C’est-à-dire le capitaine Blaise Compaoré, le capitaine Henri Zongo, le capitaine Sankara, et d’autres, comme le commandant Lingani qui était menacé’.

Cela a fait recette parce que beaucoup de militaires se sont crus un devoir moral vis-à-vis de ces officiers-là, de donner leur caution. Ils ont accepté de se battre, ignorant que tous les officiers que j’ai cités étaient eux-mêmes contre ce coup d’Etat. Ils l’avaient exprimé à des officiers comme le capitaine Kamboulé, comme le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo et j’en passe. Ils leur avaient expliqué, ils leur avaient fait comprendre tous les risques tous les dangers que comportait un tel coup d’Etat.

Mais la vision politique des choses n’était pas la même. Nous avons passé des heures, des nuits entières à discuter, à essayer de convaincre ces officiers-là. Ils sont néanmoins passés aux actes et il y a eu le 7 novembre. Naturellement devant les contradictions qui sont nées entre eux, ils n’ont pas pu placer le colonel Somé Yoryan comme chef d’Etat. Certains étaient satisfaits d’avoir pu libérer des éléments de la Troisième république, mais en même temps étaient déçus que d’autres éléments de cette même Troisième république aient été aussi libérés. Ce sont là des contradictions qu’il faut comprendre.

Et ils n’ont pas hésité à dire que le capitaine Sankara était l’homme fort ; à rejeter la responsabilité du coup d’Etat sur le capitaine Sankara en se disant que de toute façon, le vin était tiré, il serait bien obligé de le boire.

Je sais que la presse a repris cette information, nous condamnant ainsi à accepter les responsabilités politiques que nous avions refusées auparavant à cause de nos convictions politiques.

Nous commencions à être obligé de les assumer, là encore, pour des raisons purement politiques. Vous comprenez qu’un régime qui est né de cette façon ne pouvait pas durer très longtemps.

Il faut aussi savoir que, malgré toutes les contradictions, les divergences et les oppositions qu’il y avait entre nous, et bien que nous détenions et la force militaire et la force politique au niveau des débats démocratiques contre le clan des putschistes, nous avions toujours tenté peut être par sentimentalisme, peut-être aussi par naïveté, peut-être par honnêteté de ramener les putschistes à une meilleure compréhension des choses. Nous avons tenté aussi d’éviter tout accrochage violent dont nous serions sortis vainqueurs bien naturellement.

Vous savez que le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo était protégé, était gardé par des commandos formés par nous et qui gardent à notre égard toute la loyauté, toute la fidélité que les troupes d’élite savent tisser entre les chefs et les hommes. Nous aurions donc pu à tout moment perpétrer un coup d’État contre lui, si nous avions voulu. Nous avons même pris des risques pour éviter qu’il ne se fasse de coup d’État contre lui.

Il faut donc dire que le 7 novembre a été pour nous un coup très dur, très, très dur. A un moment donné, nous avions même donné notre démission au président Jean-Baptiste Ouédraogo. Il ne l’a jamais rendue publique, mais il s’en souvient. Nous avions donné notre démission parce que nous n’étions pas d’accord avec sa politique. Nous savions qu’il continuait de recevoir des mots d’ordre de quelque part. Nous savions aussi que nous ne pourrions pas le ramener à nos positions. Mais nous ne voulions pas non plus faire un coup d’Etat. Nous avons préféré lui donner purement et simplement, par honnêteté, notre démission. Il ne l’a jamais acceptée.

Voilà donc dévoilés les dessous du 7 novembre. Des mystères restent encore sous la couverture. L’Histoire pourra peut-être en parler plus longuement et situer les responsabilités plus clairement.

Question : Pour revenir à une de vos réponses précédentes, est-ce que vous pouvez d’ores et déjà envisager une échéance au terme de laquelle l’année retournera dans les casernes ? D’autre part, quel type de relations souhaitez-vous établir avec les forces politiques civiles qui existaient dans le pays et, plus généralement, comment pensez-vous préserver la liberté d’expression à laquelle vous vous étiez vous-même, je crois, déclaré par le passé très attaché ?

Sankara : Première question : retour de l’armée dans les casernes. Vous affectionnez cela, c’est votre droit. Mais comprenez que pour nous, il n’y a pas les révolutionnaires dans les casernes et ceux qui sont hors des casernes. Les révolutionnaires sont partout. L’armée est une composante du peuple voltaïque, une composante qui connaît les mêmes contradictions que les autres couches de ce peuple voltaïque et nous avons fait sortir le pouvoir des casernes.

Vous avez remarqué que nous sommes le premier régime militaire à n’avoir pas établis notre quartier général dans un camp militaire. Cela est hautement significatif, mieux : nous l’avons installé au Conseil de l’entente’. Vous m’avez compris.

Il ne s’agit pas pour les militaires de prendre un jour le pouvoir et de le rendre un autre jour. Il s’agit pour les militaires de vivre avec le peuple voltaïque, de souffrir avec lui, de se battre avec lui à tout moment.

Donc, il n’y a pas d’échéance qui tienne. Bien sûr, vous pensez, j’en suis convaincu, à ceux qui déclaraient que les militaires ne doivent plus faire de la politique. Ceux-là avaient enchanté certains milieux voltaïques pour lesquels certains militaires ne devaient plus faire de la politique. C’est tout ce que cela voulait dire. La preuve, c’est qu’il y avait des militaires au pouvoir qui le déclaraient pour maintenir d’autres militaires en résidence surveillée.

Quant à nos rapports avec la classe politique, quelles relations auriez-vous voulu que nous tissions ? Nous nous sommes expliqués face à face, directement avec les dirigeants, les anciens dirigeants des anciens partis politiques parce que, pour nous, ces partis n’existent plus, ils ont été dissous.

Et cela est très clair. Les rapports que nous avons avec eux sont simplement des rapports que nous avons avec des citoyens voltaïques, ou, s’ils le veulent, des rapports entre révolutionnaires, s’ils veulent devenir des révolutionnaires. En dehors de cela, il ne reste plus que des rapports entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires.

Vous parlez de la liberté d’expression à laquelle j’étais très attaché. Je dirai que je suis très constant, quand bien même je change parfois de casquette. Je suis très constant, je suis toujours attaché à la liberté d’expression. Je dis simplement que chaque Voltaïque pourra toujours défendre la liberté, défendre la justice, défendre la démocratie. C’est tout ce que nous permettrons.

Tous ceux qui veulent s’engager pour un tel combat trouveront place dans notre presse, dans les colonnes de nos journaux, au sein de nos médias, et même dans les rues, tant qu’ils veulent défendre la liberté d’expression, la démocratie, la justice.

Hors de ce combat, il ne reste plus que le combat entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires. C’est-à-dire que nous nous affronterons.

Source : Radio Nationale du Burkina

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