L’article que nous publions a été écrit avant le coup d’Etat du CMRPN du 25 novembre 1980 qui a renversé Lamizana. Il a été publié dans le numéro 20 date de mars avril 1981 de la revue Peuples Noirs Peuples Africains dirigé alors par Mongo Beti, intellectuel camerounais aujourd’hui décédé. Nous l’avons extrait du site http://www.arts.uwa.edu.au où sont publiés petit à petit tous les numéros de cette revue.
Il montre que se diffusaient déjà à cette époque les idées révolutionnaires au sein des intellectuels voltaïques. Tout ce travail de conscientisation a contribué à la victoire de la révolution en aout 1983, qu’on ne saurait mettre uniquement au compte d’une frange de l’armée même si celle-ci dirigée par Thomas Sankara a joué un rôle majeur.
LA SITUATION DES NOUVEAUX CADRES VOLTAIQUES
Biny TRAORE
Cette étude a été rédigée plusieurs mois avant les bouleversements politiques dont la Haute-Volta a été le théâtre récemment.
Cet article a pour but d’exposer les graves difficultés auxquelles ont été confrontés nombre de cadres voltaïques au cours des récentes années, lorsque ayant terminé leur formation à l’étranger, ils rentraient tout couverts de diplômes, pour s’intégrer dans notre société.
Il tentera également de démontrer que cette révoltante et dramatique situation, loin d’être le résultat d’une inflation de nos cadres, est due en réalité à une politique calculée, organisée de concert par les forces impérialistes étrangères et leurs suppôts voltaïques dans le but inavoué de pérenniser la sujétion de la Haute-Volta aux puissances du centre hégémonique et de pouvoir exploiter impunément notre peuple ainsi que ses richesse en tous genres.
A – Les difficultés d’intégration des nouveaux cadres.
Toutes les grandes consciences voltaïques sont unanimes à reconnaître qu’aujourd’hui les nouveaux cadres qui rentrent de l’étranger rencontrent les pires difficultés pour leur intégration dans notre société. L’exposé que nous allons faire de ce problème pour des raisons d’objectivité ne doit pas se faire suivant un seul point de vue. Il faut y apporter quelques nuances, car il y a des cadres — certes les moins nombreux — qui ne rencontrent aucun problème pour leur intégration parce que celle-ci a été préparée depuis l’étranger, notamment depuis la France, mais il y a surtout ceux, de loin les plus nombreux, qui sont affrontés à d’importantes difficultés de toutes sortes dès leur retour au pays.
Voyons d’abord le cas assez restreint des cadres dont l’intégration ne présente aucune difficulté majeure. Partons de la position de notre pays par rapport au centre. La Haute-Volta est étroitement dépendante de la France, et des autres pays capitalistes. D’une façon générale, des cadres qui sont pour ce « statu quo » rencontrent peu ou pas du tout de problèmes à leur retour au pays. Depuis l’étranger, notamment depuis la France, ils sont en contact permanent avec les autorités néo-coloniales voltaïques. Ce contact est maintenu par le biais de la correspondance par lettres ou des coups de téléphone au demeurant onéreux. A chaque message, ils prêtent leur allégeance au régime et parfois, pour faire preuve de zèle, envoient des rapports déformés sur les organisations estudiantines voltaïques animées d’un anti-impérialisme rigide.
Ces Zombies, dès qu’ils rentrent au pays, ne rencontrent pratiquement aucun problème. Ils sont accueillis chaleureusement. Ils accèdent très rapidement aux postes les plus élevés du secteur aussi bien public que privé. Ils ont ainsi la charge, avec la collaboration des agents de l’impérialisme international, notamment français, d’assurer la reproduction de la société voltaïque dans une perspective de dépendance et d’aliénation sans limites.
Il y a d’autres manières qui sont proches de celle qui vient d’être indiquée, et qui permettent à des cadres voltaïques d’échapper au calvaire d’un chômage limité dans le temps mais combien éprouvant. C’est le poids des relations de toutes sortes. La Haute-Volta est désormais un pays où, lorsque l’on veut accéder à un poste quelconque, — à la réserve de quelques rares secteurs tels que l’enseignement primaire et secondaire —c’est moins la compétence que l’excellence des relations qui s’avère déterminante. Le nouveau cadre peut bénéficier des relations ou des influences de sa famille; des cadres qui militent dans un parti politique bien structuré, qui n’est pas au pouvoir, peuvent bénéficier de la force ou de la protection de leur parti. Par exemple, l’UPV a beaucoup de cadres à l’Université, notamment à l’école des lettres. Un militant de ce parti, qui veut entrer à l’Université, a beaucoup plus de chance qu’un autre qui n’est pas militant de ce parti, pour la bonne raison qu’à l’école les lettres, ce sont des militants de l’UPV qui contrôlent le système de cooptation des professeurs. Il y a d’autres facteurs qui jouent favorablement pour certains cadres. C’est notamment le cas de l’appartenance régionale ou ethnique. Mais en général, l’ensemble des facteurs décrits ici, et qui aplanissent souvent les difficultés des nouveaux cadres ne fonctionnent pas isolément. Ils se combinent.
Il y a enfin de rares cadres, qui sont pour l’instant les seuls dans leur spécialité. Ceux-ci sont souvent vite intégrés mais la règle n’est pas exclusive, elle souffre quelques exceptions.
Cette situation qui vient d’être décrite succinctement et qui montre une intégration relativement facile pour certains cadres voltaïques, ne doit pas constituer une excuse pour le problème de fond qui est posé — les énormes difficultés que rencontrent les nouveaux cadres voltaïques à leur retour au pays, – qui est d’ores et déjà un scandale intolérable dans un pays classé par les spécialistes parmi les plus pauvres du monde.
En effet, pour l’immense majorité des nouveaux cadres voltaïques qui sont rentrés ces dernières années, et ne bénéficient pas de la situation ci-dessus mentionnée, l’intégration dans la société voltaïque est une rude épreuve d’initiation.
Il n’y a pas comme c’est, semble-t-il, le cas en Côte d’Ivoire et au Niger, tous deux dominés par l’impérialisme français cependant, de véritables structures d’accueil pour les nouveaux cadres qui arrivent. Ceux-ci sont livrés à eux-mêmes. Ils doivent se battre au sens propre du terme pour leur intégration. Les postulants à l’intégration dans la société voltaïque, à compter de leur date de retour au pays, peuvent rester, sans travail, pour une durée allant de un à six mois voire plus. Quand on sait que la Haute-Volta est un pays où le sous-développement a atteint un seuil intolérable, donc où tout reste pratiquement à faire, c’est-à-dire en d’autres termes de façon immédiate et rationnelle, on reste ahuri face à une pareille situation. Les nouveaux cadres pendant tout le temps qu’ils restent sans travail, donc sans salaire, subissent la sévère épreuve des problèmes matériels et moraux. Les problèmes matériels! La vie en Haute-Volta devient de plus en plus chère. L’inflation, importée des pays occidentaux par le biais de la monnaie et des marchandises de toutes sortes, est dangereusement aggravée chez nous par la politique d’exploitation de la bourgeoisie compradore. A Ouagadougou, la hausse des prix se fait parfois deux fois dans le même mois. Par exemple, vers la fin de 1978, l’essence (mélange) passe de 120 F CFA à 140, puis de 140 à 150 F le litre, et les rumeurs concernant une nouvelle augmentation pour 1980 circulent déjà. Le peu d’économies réalisé par les nouveaux cadres à l’étranger s’effrite rapidement face au coût de la vie. Alors, ils se confient aux amis, souvent visiblement gênés, ou à des parents plus ou moins nantis.
Pour les nouveaux cadres qui ont femme et enfants, la situation est plus inquiétante, sinon dramatique. Il faut loger la famille et cela n’est guère facile chez des amis pour des raisons que l’on devine. Et louer une maison à l’arrivée est presque une utopie pour les nouveaux cadres! La spéculation immobilière fait rage à Ouagadougou. Les propriétaires des maisons demandent maintenant aux locataires deux à trois mois d’avance. Et une maison commode à Ouagadougou, avec eau courante et électricité, hormis la périphérie de la ville, ne coûte pas moins de 25.000 F à 30.000 F CFA par mois et ceci ne concerne pas les villas qui vont de 60.000 à 100.000 F voire plus par mois. Il faut insister sur le fait que les loyers sont devenus très chers à Ouagadougou, ce qui pousse les gens à aller vers les zones non loties. Des maisons qui étaient à 4.000 F CFA par mois, coûtent aujourd’hui 12.000 à 17.500 F CFA. Quand on résout le problème du logement et de l’alimentation qui coûte aussi très cher à Ouagadougou (la tine de mil coûte 1.250 F et le riz 1 000 F à 1.500 F) il y a encore un autre problème non moins important : la santé.
Ouagadougou, souvent noyé dans un nuage de poussière, grillé par un soleil tropical sans merci en toute saison, favorise les maladies de toutes sortes. Les morts par courtes maladies sont devenues monnaie courante. On dirait qu’une épidémie d’un genre nouveau s’est abattue sur la Haute-Volta, singulièrement sur les centres urbains. Et il est rare de pouvoir se faire soigner gratuitement dans les hôpitaux et les infirmeries. D’ailleurs il n’y a pas de médicaments. Les patients, surtout ceux des basses classes, et les nouveaux cadres qui arrivent et ne sont rien à leur début, reçoivent toujours des ordonnances lorsqu’ils se rendent dans les centres sanitaires. Parce que ces ordonnances se réfèrent à des médicaments souvent très chers, certains patients les jettent ou les mettent au fond de leur tiroir, en attendant le hasard d’une guérison ou la mort.
Outre les problèmes matériels, très importants et toujours déprimants, il y a les problèmes moraux. Les nouveaux cadres, pendant qu’ils luttent pour s’intégrer dans la société, sont en interaction permanente avec les autorités publiques et privées. Le contact avec les aînés, les initiés, s’effectue rarement dans de bonnes conditions. Les nouveaux cadres sont considérés comme des concurrents. On les regarde avec des yeux peu sympathiques, Certains responsables ne reçoivent même pas les nouveaux cadres dans leur bureau. Ils les rencontrent dans quelque couloir et leur disent parfois « Bon, il y a trop de travail. Il n’y a pas de temps, nous avons tout juste cinq minutes, faisons vite… » Il arrive aux nouveaux cadres de demander rendez-vous. Deux attitudes négatives leur sont souvent réservées. Soit, on refuse tout simplement de les recevoir, soit on les fait attendre des heures durant ; au terme de cette longue attente, les nouveaux cadres, qui ne comprennent pas pourquoi on les traite de cette façon, s’entendent souvent dire qu’il faut revenir une autre fois. Cette attitude dilatoire des chefs de service est calculée. Elle consiste à prolonger le calvaire des nouveaux cadres. Ceux-ci sont victimes des vexations et des humiliations de toutes sortes. En effet, beaucoup de responsables de l’autorité administrative, par leurs comportements, montrent aux nombreux cadres qu’ils ne sont rien, qu’ils doivent se mettre à genoux s’ils veulent obtenir ce qu’ils désirent. Tout se passe comme si on attendait les nouveaux cadres pour se venger d’eux d’on ne sait quel crime abominable.
L’auteur du présent article a été victime de presque tout l’ensemble des difficultés exposées ici, et auxquelles sont confrontés la plupart des cadres voltaïques qui rentrent au pays ; n’ayant pas voulu se taire sur les injustices, les provocations et humiliations, il a porté devant l’opinion publique ce problème des nouveaux cadres. Il a reçu une réponse d’encouragement d’un sympathisant; nous avons un grand plaisir à livrer aux lecteurs un large extrait de cette réponse, et qui corrobore tout ce qui vient d’être dit. Voici donc l’extrait :
« Je voudrais surtout lui dire que presque tous les diplômés qui rentrent ces temps-ci ont les mêmes problèmes, exception faite de quelques-uns. De ces quelques-uns, je n’en dirai rien pour la bonne raison que je n’ai pas de bouclier.
L’accueil est très froid pour les diplômés qui rentrent. Le premier objectif est de leur donner l’impression qu’ils ne sont rien, et que leur arrivée ne modifie rien, alors qu’ils devraient être accueillis comme des renforts contre le sous-développement ( … ) Je voudrais te parler un peu de ma propre expérience, qui est peut-être un peu plus riche que la tienne parce que j’ai d’abord servi comme petit fonctionnaire en plusieurs points du territoire, avant de prendre une disponibilité pour l’université d’un pays voisin.
Je suis rentré titulaire d’une licence et en tant que fonctionnaire en disponibilité, je pensais avoir moins de difficultés.
A te dire la vérité, je suis resté plus de 7 mois dans la « rue » avec ma décision de réintégration en poche. Quand j’ai confié à des camarades que je rentrais au pays, certains n’ont pas hésité à qualifier ce retour d’aventure. Dix-huit mois après, mon problème n’est toujours pas réglé.
A un directeur qui refusait chaque fois de me recevoir, j’ai fini par écrire sur la fiche d’audience les mots suivants : Monsieur le Directeur, dans l’optique de 7.500 F CFA le sac de mil à Ouagadougou, ce n’est pas… de laisser dans cet état un chef de famille.
Les patrons oublient trop souvent le caractère alimentaire du salaire. La conduite à tenir ? Ils sont très nombreux, ceux qui sont dans ton cas. Je ne le cache pas ; le chemin sera long et parsemé d’embûches. Entre autres feront partie du lot l’humiliation et les provocations de toutes sortes. C’est une épreuve de longue haleine ».
(Observateur du lundi 15 janvier 1979, no 1519.)
Ce texte se passe de tout commentaire.
Cependant, avant de clore ce chapitre sur les difficultés d’intégration des nouveaux cadres, mentionnons un dernier point qui choque les Voltaïques :
En Haute-Volta il faut déposer un dossier pour chaque demande d’emploi. Ce n’est pas ce fait, qui est d’ailleurs normal, que nous cherchons à dénoncer. Ce que nous voulons dénoncer, c’est deux choses inhérentes aux dossiers déposés par les nouveaux cadres : premièrement la disparition des dossiers. Beaucoup de cadres s’entendent dire que leurs dossiers ont disparu. Et ce qui est curieux, c’est qu’on n’a jamais vu les responsables de ces pertes de dossiers. Ainsi un cadre peut déposer un, deux, trois dossiers, mais tous peuvent disparaître; deuxièmement, quand le dossier échappe à la disparition, il faut que les intéressés eux-mêmes le suivent dans les différents ministères. Ainsi le personnel administratif reste sur place, et les postulants à l’intégration dans notre système sont obligés de faire dans certains cas le planton. Ceux qui refusent de suivre leur dossier, et qui n’ont pas d’amis pour le faire apprennent des mois après que rien n’est fait. Cette situation est devenue une institution implicite en Haute-Volta. Certains responsables ne dédaignent pas d’inviter les nouveaux cadres à suivre eux-mêmes leur dossier. Ceci traduit clairement l’incurie qui prévaut dans les services administratifs voltaïques.
Face à cette situation, les nouveaux cadres, souvent patriotes, et qui, pour cette raison, peut-être à tort, s’attendaient à un accueil fraternel et enthousiaste, se désillusionnent finalement. Ils se sentent indésirables, exclus de la cité. Aussi, arrive-t-il à beaucoup d’entre eux, dans le silence de certaines nuits sans sommeil, de se poser la question de savoir s’ils ont eu raison de rentrer au pays, si on a vraiment besoin d’eux.
B – Le xala et/ou la paralysie des cadres voltaïques.
Quand la lutte pour l’intégration aboutit enfin, les nouveaux cadres, derechef, reprennent confiance. Leurs rêves patriotiques, un moment ébranlés, se ravivent. Ils sont pressés de mettre en pratique leurs connaissances. Et ils ont raison. Un pays sous-développé, qui veut se guérir de cette terrible maladie, doit savoir exploiter la volonté patriotique de ses cadres.
Mais une fois de plus, la société, mettons le système, les déçoit. Son fonctionnement constitue une véritable « xala » (une paralysie) pour les nouveaux cadres. En effet, dès qu’ils prennent service, les obstacles sécrétés par le système se dressent sur leur chemin, les empêchant d’être opérationnels. Ces obstacles sont de plusieurs sortes.
L’obstruction des « aînés ». Les jeunes cadres qui arrivent sont souvent plus diplômés que leurs aînés qu’ils trouvent sur place. Alors se pose la question : qui occupera le poste de direction ? En Haute-Volta, l’observation empirique, on verra les causes profondes plus loin, montre que les aînés sont farouchement opposés à ce que les nouveaux cadres, plus diplômés, les remplacent. Pour se justifier, ils mènent l’argumentation suivante : ils ont de l’expérience à la fois théorique et pratique. Leur savoir-faire dépasse de loin celui des nouveaux cadres. D’ailleurs les nouveaux cadres sont de moins en moins instruits et manquent d’expérience. Leurs diplômes ne sont pas valables. Certes, l’expérience, croit-on savoir, est la mère de toute science, encore faut-il savoir de quelle expérience il s’agit, mais les connaissances dans tous les domaines évoluent à une vitesse vertigineuse. C’est pourquoi d’ailleurs il y a dans les différents pays une politique de recyclage sans laquelle les hommes de métier risqueraient de sombrer dans l’anachronisme. C’est bien le cas de la plupart des vieux fonctionnaires voltaïques qui, en dépit de leurs arguties, sont dépassés. Toutefois: avant des relations, ils font tout pour faire échec à l’ascension des nouveaux cadres, donc pour les empêcher de mettre en pratique leur savoir faire au profit de la nation.
Tout le monde — je veux dire les milieux intellectuels — connaît l’histoire de ce médecin de Bobo qui a acquis son titre non parles études mais par ancienneté. Mauvais praticien en chirurgie, il n’a pas voulu céder la direction de l’hôpital à un jeune chirurgien de formation. De ce fait, il continue de porter les gants et de manier les bistouris : conséquences ? Les patients qui montent sur la table d’opération redescendent rarement vivants. On l’a surnommé, par sarcasme, le charcutier; les autorités néocoloniales voltaïques ferment les yeux sur de pareils crimes abominables.
A côté de cet exemple révoltant, citons un autre tout aussi révoltant, scandaleux. Un ingénieur technologue en construction mécanique, ayant fait ses études en Union Soviétique, est rentré au pays il y a bientôt trois ans. Il est marié, il a un véhicule de service; il touche son salaire, mais il n’assume aucune fonction. Son bureau est aussi désert que le casier d’un élève en vacances. Une des causes de sa situation, nous explique-t-i1 avec mélancolie, est due au chef qui est sur place, mais qui n’a pas fait d’études universitaires.
Des exemples de ce genre foisonnent en Haute-Volta de nombreux cadres sont là, sans occupation. On les appelle ici des « budgétivores ».
Parfois, on fait semblant de faire travailler les cadres, mais c’est rarement à bon escient. On ne met pas les cadres voltaïques à la place qu’il leur faut. Ce point de vue est largement partagé par l’immense majorité des Voltaïques, y compris les petits vendeurs de buvettes, toujours en quête des nouvelles sensationnelles. Beaucoup de cadres techniques sont ainsi transformés en bureaucrates. Il n’est pas rare de voir un économiste ou un ingénieur agronome réduit à rédiger du courrier ou à signer des dossiers à l’élaboration desquels il n’a souvent pas participé. Des cadres qui devraient être ainsi soit sur le terrain soit plongés en plein dans l’orientation des décisions techniques, sont relégués à des tâches insignifiantes, pour ne pas dire inutiles.
Un autre facteur, d’une autre nature que les exemples pris ci-dessus, paralyse les cadres voltaïques dans leur travail. C’est le manque de moyens. Beaucoup de ceux des cadres qui sont affectés à leur juste place à l’enseignement, à la recherche, à l’agronomie etc. manquent terriblement de moyens. Les moyens mis à leur disposition sont dérisoires et ne permettent pas d’obtenir des résultats satisfaisants. Les syndicats des enseignants du supérieur et du secondaire (SUVESS) déplorent à chacun de leurs congrès ce manque de moyen mis à leur disposition.
Les conséquences résultant d’une telle situation sont graves. Le cadre, qui veut travailler, qui a souvent une vision claire des clefs du développement de notre société, se voit ainsi refuser le droit à l’action pertinente. En effet, l’obstruction de certains responsables, le manque de moyens, ne permettent pas aux cadres qui veulent réellement travailler d’arriver à quelque chose. La pensée qu’il sait quelque chose, qu’il peut être utile, et le refus qu’on lui oppose lorsqu’il veut accéder au statut de l’être essentiel, le traumatisent. D’ailleurs, ce n’est pas seulement cette castration qui consiste à lui supprimer les moyens de mettre en pratique ce qu’il sait, qui révolte ou traumatise le plus le cadre voltaïque. C’est aussi cette hantise de la mort culturelle qui l’attend. Beaucoup de cadres voltaïques, jadis doués, et qui étaient appelés à être des sommités internationales, sont devenus des semi-analphabètes. Face à cette situation, les cadres voltaïques sont désemparés. Une révolte intérieure les ronge, comme la lèpre un malade.
C – Que faire ?
Nous venons de décrire plus haut les difficultés d’intégration des nouveaux cadres dans la société voltaïque, la paralysie en tout genre dont ils sont victimes et qui les empêche de mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Cette situation pèse lourdement sur les cadres voltaïques, et, finalement, suscite en eux des attitudes diverses face à la société.
En effet, face à leurs conditions incongrues de travail, à leur paralysie, beaucoup de cadres, à juste titre, se découragent. Ils cherchent alors des solutions pour supporter la vie c’est-à-dire pour s’adapter. Ainsi des cadres voltaïques — et pas des moindres — s’expatrient chaque année. Nombre de ceux qui sont restés songent de temps en temps à s’expatrier. Pendant que les cadres s’expatrient, pour des causes tout à fait évidentes, les dirigeants voltaïques, et en premier lieu le chef de l’Etat, le général Sangoulé — suprême hypocrisie! — versent des larmes de crocodile sur la fuite des cerveaux, et adjurent tous les fils du pays d’unir leurs mains pour le développement de notre chère Haute-Volta. Ce qui révolte le plus dans cette attitude machiavélique et cynique des dirigeants néo-coloniaux voltaïques, c’est qu’ils cherchent à se décharger de leur responsabilité dans la fuite des cerveaux, à faire comprendre à l’opinion publique que ce sont les cadres qui sont peu patriotes, qui ne veulent pas servir le pays. Les choses doivent être claires; ce n’est ni l’appétit de l’argent ni le manque de patriotisme qui occasionnent la fuite des cerveaux en Haute-Volta. C’est la politique extravertie, résolument opposée aux intérêts du plus grand nombre de Voltaïques des autorités voltaïques qui pousse nos cadres à s’expatrier et ce, très souvent, à leur corps défendant — certains cadres, parce que leur nationalisme puissant les retient, ou parce qu’ils craignent les aventures de l’étranger (il n’est pas facile, même pour des Africains, d’être en sécurité dans d’autres pays africains à l’heure de la domination du nouvel ordre économique mondial) ou tout simplement à cause de leur famille, restent. Ils observent à longueur de journée un univers qui à d’autres valeurs que les leurs. De quelque côté qu’ils se tournent, ils rencontrent gabegie, prévarication, corruption, détournement de deniers publics, affairisme anarchique, somme toute un imbroglio total dans la conduite des affaires de l’Etat, un laisser-aller révoltant.
Les vapeurs de cette situation empoisonnent les cadres, agissent sur eux à la manière de la drogue. En effet, beaucoup de cadres, de guerre lasse, rejoignent la bande des hyènes et commencent à prendre leur repas sur le dos du peuple, repas qui, d’abord amer parce qu’un fond de morale pure continue une vaine protestation, finit par devenir succulent, que voulez-vous, l’appétit vient en mangeant! Parvenus à cet état de métamorphose, l’affairisme devient leur visée première. Ils s’y jettent en détournant, s’ils le peuvent, des deniers publics. Tant pis pour le service de l’Etat ! On cherche à construire, non pas une, mais deux, mais trois, mais quatre villas, voire plus, qu’on va louer à un prix variant entre 60.000 F et 100.000 F CFA, parfois plus. A côté des villas, on monte du commerce : vente de boisson, de produits de consommation, etc… Quant aux enseignants, ceux-ci pratiquent ce qu’ils [PAGE 34] appellent eux-mêmes le mercenariat, c’est-à-dire l’enseignement dans les établissements privés qui sont en nombre pléthorique dans notre pays. Rien que dans la seule ville de Ouagadougou, on trouve plus d’une douzaine de collèges et lycées privés sans compter les établissements primaires, et le nombre croît chaque année — pour une population de 250 à 300 000 habitants.[1]
L’enseignant voltaïque a réglementairement 18 heures par semaine au lycée, tandis que dans les CEG, il a 21 ou 22 heures. En sus de ces heures accablantes, l’enseignant voltaïque peut prendre jusqu’à 12 ou 13 heures dans le privé, parfois plus. Dans ces conditions les enseignants voltaïques, dans les centres urbains du moins, sont largement surchargés. Toutefois, compte tenu du peu de moyens financiers que l’Etat met à leur disposition, et le coût élevé de la vie imposé aux Voltaïques, ils sont obligés de passer par là pour joindre les deux bouts. Ainsi la baisse du niveau des élèves voltaïques qu’on a constaté dans les récentes années s’explique en partie par cette dispersion des énergies des professeurs.
Quand les cadres en arrivent à être happés par le fort courant de la société néo-coloniale voltaïque, il se crée alors une situation dangereuse. En effet, ça peut être le début d’une inquiétante réaction; car, ils ont d’ores et déjà des intérêts, ils ont construit une petite fortune malhonnête, ou ils sont sur le point de le faire; à partir de ce moment, ils ne veulent plus entendre parler de militantisme, de lutte anti-impérialiste et syndicale. Tout cela les agace, les met en courroux. Ils deviennent des ennemis mortels des patriotes révolutionnaires et des masses déshéritées. Ils rejoignent la catégorie de cadres dont nous parlions dans les premières lignes de cet article ils contribuent ainsi à élargir la base de la pseudobourgeoisie politico-bureaucratique et militaire. L’impérialisme international en profite aussi pour consolider ses positions.
D – Qui entretient la situation que connaissent les cadres voltaïques ? L’ombre de l’impérialisme français.
C’est un Problème important. La situation des cadres voltaïques, telle qu’on vient d’en faire l’analyse dans le processus de la formation sociale actuelle de notre pays, n’est, en fait, qu’un effet. On ne saurait la comprendre en profondeur sans la mettre en co-variation avec la situation socio-politique de la Haute-Volta. Nous prenons en effet pour hypothèse très plausible l’idée que la cause de la situation que connaissent les cadres voltaïques est à chercher dans la nature profonde de la société voltaïque dans son ensemble : c’est-à-dire, ses rapports avec l’extérieur, sa politique interne, en somme, une combinaison de tout ceci.
Dans de processus de la formation sociale actuelle de notre pays, la Haute-Volta, pays de la périphérie, ne peut être définie que par le terme de « protonation » dans le sens que J. Ziegler donne à ce mot. C’est-à-dire que la Haute-Volta est un pays dépendant, soumis à l’exploitation des grands monopoles étrangers, où toutes les décisions importantes sont prises à l’extérieur notamment à Paris.
Quelles sont les forces sociales qui sont inhérentes à la protonation voltaïque ? Ces forces sociales se présentent comme suit : au sommet se trouve (la pseudo-bourgeoisie politico-bureaucratique et militaire. La Haute-Volta est dirigée depuis 1966 à la fois par des civils et des militaires. Cette pseudo-bourgeoisie comprend également la très puissante classe des commerçants et des féodaux qui rêvent toujours à la résurrection des empires défunts.
Il nous faut définir ce qu’on entend par pseudo-bourgeoisie. Nous mettons sous le vocable l’ensemble des forces sociales voltaïques qui sont directement liées au pouvoir politique et économique, mais qui n’ont aucune Politique personnelle, ni conséquente, susceptible de résoudre les problèmes des Voltaïques. Elle est aliénée aux bourgeoisies du centre, qui lui dictent l’ensemble des conduites politiques et économiques — somme toute, la pseudo-bourgeoisie politico-bureaucratique et militaire et les forces adjacentes constituent une classe dont les membres ne sont que de « simples commissionnaires en tout cas moins que des sous-traitants ».
L’impérialisme français domine les forces sociales voltaïques au pouvoir; les agents de l’impérialisme occidental dominent exclusivement l’économie voltaïque qui, semble-t-il, est financée à 90 % par des sources extérieures. L’économie voltaïque est donc extravertie. Elle profite seulement à l’impérialisme étranger, notamment français, et à ses amis voltaïques rassemblés au sein de ce ne nous appelons la pseudo-bourgeoisie. 95 % environ de la population voltaïque sont éloignés de la jouissance des biens de l’Etat.
Les profiteurs voltaïques, en nombre très infime, s’enrichissent grâce à la spéculation immobilière, au détournement des deniers publics, à l’affairisme, à la corruption…
Dans ces conditions, qui a intérêt que le « statu quo » demeure ? Qui peut tirer profit du mauvais sort réservé aux cadres à leur arrivée au pays ? Ce n’est en tout cas pas ceux qui se nourrissent à peine, qui se soignent à peine, qui se logent à peine; ceux qui ont intérêt que cette situation demeure, c’est d’une part, les maîtres des grands monopoles capitalistes du centre, et, d’autre part, les valets voltaïques constitués par l’ensemble de la pseudo-bourgeoisie politico-bureaucratique et militaire. La corrélation entre le sort des cadres et la situation sociopolitique de notre pays est donc claire.
Si les cadres voltaïques rencontrent les problèmes que nous avons assez longuement décrits plus haut, c’est parce que ceux qui sont à la tête de la protonation voltaïque le veulent. C’est dans leurs intérêts. Ils ne veulent pas que la situation change au profit du plus grand nombre des Voltaïques. En sus, ils ne veulent pas tolérer que la façon scandaleuse dont le pays est géré soit inscrite dans les consciences des masses déshéritées. Or les cadres, si on les laissait avec leur haut degré de patriotisme, sont tout indiqués pour être des courroies de transmission vers les masses d’une conscience politique qui, à long terme, pourrait favoriser une insurrection contre le pouvoir néocolonial voltaïque. La contre-attaque des autorités néo-coloniales et de leurs alliés de l’extérieur, qui ne manquent pas d’esprit ni de moyens dès qu’il s’agit de défendre leurs intérêts, consiste en ceci.
Il faut soumettre les cadres qui arrivent — et qui voudraient travailler dans le sens de l’intérêt commun — à un traitement qui ressemble pour ainsi dire à un lavage de cerveau. Le cadre qui arrive doit être contraint d’accepter le « statu quo ». Tout est mis en œuvre par les agents du système pour obtenir des résultats substantiels : persécutions, répressions économiques, intimidation, humiliations… sont des armes couramment employées par les autorités néo-coloniales, conseillées en sous-main par leurs maîtres de Paris, pour briser les résistances des nouveaux cadres voltaïques et les obliger ainsi à accepter le régime pourri et corrompu. Toutes les difficultés que rencontrent les cadres à leur arrivée s’inscrivent dans cette logique. Ceux des cadres qui n’ont pas la force de caractère de tout supporter, qui ne sont pas appuyés sur un nationalisme à outrance, quittent le pays et vont travailler dans les pays voisins. D’autres finissent par accepter le système, d’autres enfin persévèrent dans leur résistance en attendant le souffle d’un vent nouveau.
Certains assimilent par simplisme ou par ignorance le problème que rencontrent les nouveaux cadres à un conflit des générations. Il est temps de démystifier cette pensée erronée. En effet, le problème du conflit de générations est un problème secondaire. Il cache un problème plus important, qui est en réalité à la base des rapports décrits entre cadres anciens et cadres nouveaux. Il s’agit du problème de la domination de la Haute-Volta par l’étranger, et ce avec la complicité des valets voltaïques. Les conséquences de cette domination ont dévié la plupart des consciences voltaïques d’un objectif prioritaire : le Patriotisme et la construction nationale au profit de la majorité des Voltaïques. Les cadres voltaïques qu’on voit agir contre d’autres cadres n’agissent pas seulement par égoïsme ou jalousie; ce genre de sentiments est lié à la nature profonde du système voltaïque, qui est un avatar du capitalisme du centre, et qui développe les sentiments individualistes au détriment de l’intérêt général. Marqués par cette situation, beaucoup d’anciens cadres voient ceux qui arrivent comme des concurrents, des rivaux. Si, en Haute-Volta, la majorité des consciences voltaïques étaient orientées vers un haut degré de nationalisme, l’intérêt collectif, tous les nouveaux cadres qui arrivent seraient préservés des difficultés que nous décrivions. Ils seraient accueillis à cœur joie. On les considérerait comme des renforts pour la lutte contre notre sous-développement.
Les dirigeants voltaïques, c’est-à-dire l’ensemble de la pseudo-bourgeoisie et leurs maîtres de Paris, savent pertinemment que beaucoup de cadres veulent travailler dans le sens de l’intérêt collectif, c’est-à-dire pour les masses populaires dont ils sont pour la plupart issus. Si on les laissait faire, les accords de coopération serviles seraient supprimés et la dépendance éliminée au profit de l’interdépendance qui établirait un type de rapports équitables entre notre pays et les pays capitalistes, notamment la France.
Cette profonde aspiration des cadres voltaïques est brisée par la politique d’exploitation et de domination de la France giscardienne qui s’appuie sur la pseudo-bourgeoisie voltaïque.
Les agents de la politique néo-coloniale française et leurs associés locaux mènent une politique systématique de dénigrement des cadres voltaïques, qu’on considère comme incompétents; dès lors que pareilles absurdités passent, il ne reste plus qu’à faire venir des cadres de la patrie de Ronsard pour diriger les secteurs-clés de notre pays — C’est ce qui se passe — Les cadres nationaux deviennent ainsi des subalternes, sans réel pouvoir de décision. Un cadre mous disait il n’a pas longtemps : on nous nomme comme directeurs, sous-directeurs, mais le Blanc est toujours là. Il contrôle tout. Il a un secret que nous ne pouvons pas connaître.
En réalité, ce secret des Blancs, c’est la réalité de l’exploitation, chiffrée en Haute-Volta, le mouvement des capitaux de la Haute-Volta vers les pays capitalistes, notamment la France.
CONCLUSION
Un professeur relevant de la Coopération disait à ses étudiants du CESUP en 1972 [2] que la Coopération devrait travailler à sa propre destruction. Sa pensée était juste, car, nous semble-t-il, ce qu’il entendait par là était que les Coopérants étrangers notamment français, avaient pour tâche de former des cadres voltaïques compétents pour qu’ils puissent les remplacer valablement. Un autre Coopérant devait dire, l’année suivante, et toujours dans le même CESUP, à ses étudiants de licence : « vous ne devriez pas réfléchir. Nous sommes là pour penser pour vous ». Voilà des propos qui ne sont point différents de ceux que les impérialistes occidentaux avaient vis-à-vis des Africains en 1920.
De ces deux opinions, venant des agents de la Coopération de l’hémisphère Occidentale en Haute-Volta, c’est la deuxième qui est triomphante. La Coopération française œuvre à sa pérennité chez nous, parce que son but en dépit des bonnes intentions avouées est de maintenir la Haute-Volta dans une dépendance illimitée.
Cette politique conduit à la situation suivante : les expatriés occupent le premier plan dans les projets de développement de la Haute-Volta. Ils contrôlent l’économie, l’industrie, le domaine culturel…
Par exemple, le recteur de l’Université, bien que voltaïque de naissance, est un Coopérant français. Les nationaux, quant à eux, sont marginalisés, même quand ils sont directeurs. Comment faire pour remédier à cette situation ?
Théoriquement, on peut dire ceci : il faut réhabiliter les cadres voltaïques ; cela veut dire, en d’autres termes, que les cadres voltaïques devraient être placés au premier rang de tous les projets de développement. S’il y a des Coopérants étrangers, notamment français comme c’est toujours le cas, ceux-ci ne devraient pas être considérés comme des dieux par nos dirigeants. Ils devraient réfléchir ensemble avec les nationaux, sans complexe d’un côté ni de l’autre. Le fait de mettre les expatriés au premier plan de notre développement est préjudiciable à la Haute-Volta. Nous ne croyons pas du tout qu’une bourgeoisie étrangère puisse développer la Haute-Volta à la place des Voltaïques. Les Coopérants étrangers, notamment français, viennent acquérir leur spécialisation en Afrique. Ils viennent rarement avec une spécialisation, L’Afrique est pour eux un cobaye. Par exemple, des Coopérants français, venus en Afrique, sans aucune connaissance au départ de notre continent, sont devenus des [PAGE 40] spécialistes des problèmes africains. Ils font maintenant des conférences sur l’Afrique à travers le monde. Au regard de cela, pourquoi ne pas donner les moyens aux nationaux pour étudier en profondeur notre société ? Si une politique énergique était entreprise en ce sens, ce serait le plus sûr chemin d’aborder les voies du développement et d’éliminer le poids des coopérants qui, en réalité, renforcent la dépendance de notre pays vis-à-vis du centre.
Mais la solution que nous proposons peut-elle vraiment se réaliser dans l’état actuel des choses ? Cela plairait-il à l’impérialisme international, notamment français, et à ses suppôts africains, notamment voltaïques ? Nous ne le croyons pas. Comment procéder donc, pour que la théorie devienne réalité ? Pour que le cadre voltaïque accède à la vraie réhabilitation ? Ici se pose un problème politique. Ceci nous amène à considérer la position des cadres voltaïques dans notre formation sociale. Les cadres voltaïques se repartissent, « grosso-modo » en deux groupes. Ceux que le pouvoir néo-colonial à réussi à ramener à lui, ils constituent sa base sociale, et il y a ceux qui résistent, qui le combattent sur la base d’un anti-impérialisme conséquent.
La vraie réhabilitation du cadre échoit à ces derniers. Ceux-ci doivent partir de la contradiction principale qui prévaut chez nous. Cette contradiction est la suivante : il y a d’un côté l’impérialisme international, notamment français, qui s’appuie sur les éléments de la pseudo-bourgeoisie voltaïque. Cette coalition exploite la majorité des Voltaïques qui sont pour cette raison, pauvres et aliénés. Partant de cette contradiction, les cadres anti-impérialistes doivent mener une action au sein des masses, de façon à les arracher à leur position de classe en soi, pour les hisser à la position de classe pour soi. C’est-à-dire en d’autres termes, que l’action des cadres anti-impérialistes au sein des masses voltaïques doit pouvoir amener celles-ci à prendre conscience de leur situation d’exploitées, à identifier leurs ennemis — l’impérialisme international, notamment français, et ses suppôts voltaïques — et à les combattre jusqu’à les vaincre c’est-à-dire à les évincer du pouvoir.
Du triomphe de cette lutte, dépendra la vraie réhabilitation des cadres voltaïques mais aussi un authentique [PAGE 41] développement au service du plus grand nombre de Voltaïques.
Il n’y a pas d’autre alternative.
TRAORE Biny
Ouagadougou