publié en ligne le mardi 25 octobre 2011
Dans une salle de classe d’un établissement secondaire de Koudougou, il y a quelques années, des élèves et leur professeur de sciences physiques d’origine française discute sur les héros de l’Afrique. Dans le cas spécifique du Burkina Faso, le Français confie aux élèves qu’il se demande pourquoi les Burkinabé ont tué Thomas Sankara. Cette discussion a fini par révéler jusqu’à quel point l’homme de la Révolution burkinabé a conquis une légitimité auprès des Burkinabé particulièrement jeunes mais aussi d’autres citoyens du monde. La preuve en est qu’au 24e anniversaire de sa mort, il est difficile de retenir les langues et les supputations.
Si la personnalité de Thomas Sankara déchaîne des passions de la part de ses admirateurs et de ses contempteurs, si l’homme constitue un personnage historique, c’est parce qu’il avait un rêve partagé ou du moins des rêves pour son peuple.
Là où il y avait une “synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’humanité”, il a voulu y mettre une « synthèse de toutes les joies de l’humanité ».
Dans un pays qui tenait le record mondial de mortalité infantile, qui connaissait une balance agricole constamment négative et balance commerciale permanemment déficitaire et une dette publique extrêmement élevée, il voulait apporter l’antidote.
Son rêve, c’était d’apporter des solutions adaptées aux questions existentielles : ses chantiers étaient multiples et multiformes :
– Orientation économique en fonction des nécessités et des besoins réels du peuple et non selon les impératifs et les intérêts de l’économie capitaliste mondiale
– Réforme agraire par laquelle la terre appartient à celui qui la cultive
– Réforme administrative pour assurer une bonne gouvernance
– Libération de la femme par la participation à la vie politique et économique, la lutte contre la prostitution, l’adoption d’un code de la famille, l’interdiction de l’excision…
– Protection de l’environnement par la lutte contre la désertification…
Ainsi, il a su redéfinir la somme du possible et du pensable par laquelle le développement d’un pays comptant parmi les plus démunis du monde pouvait être envisagé.
Il partait du principe le sous-développement et la dépendance ne pourraient trouver d’issue sans l’intégration des habituels exclus du jeu social : les paysans, les femmes et les jeunes. C’est pourquoi, il entrepris un processus de transformation social progressiste et progressif de la population. Le plus grand handicap au développement n’est-il pas la perception qu’on les individus de leur état et de leurs capacités opératrices ?
Sa solution : travailler plus, dépenser moins et mieux, et produire plus en se préoccupant des besoins prioritaires de son pays ! Aujourd’hui encore, il n’y a que cette solution qui reste le rempart pour un développement juste du Burkina Faso.
Sa solution, c’est aussi le postulat qu’implique sa révolution : ” Notre révolution est et doit être permanente, l’action collective des révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation concrète des masses de notre pays. Notre révolution n’aura de valeur que si en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les Burkinabé sont, grâce à la révolution, un peu plus heureux, parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n’aura de raison d’être que si elle peut répondre concrètement à ces questions. ”
En quelques années, le pays des hommes intègres fit un bond qualitatif et son drapeau fit la fierté de la population Burkinabé et de sa diaspora. Sankara, c’est le Burkinabé mais aussi et surtout l’Africain car les questions essentielles de son peuple étaient celles de tout son continent et de tous les peuples exploités et opprimés. Panafricaniste et alter-mondialiste, il su devenir la voix des sans voix. Sankara mort, les uns et les autres se rendent compte de l’importance de ses idées et de ses actes.
Et le professeur et ses élèves, pour revenir dans leur discussion, finissent par reconnaître l’anticipation dont il faisait preuve, l’actualité lui donnant raison. Ils arrivèrent à la conclusion que Sankara a été un précurseur d’une politique alternative à la dépendance et à l’asservissement que les institutions économiques mondiales continuent d’encourager par leur modèle de développement fondé sur l’endettement.
De même, il a contribué à faire comprendre à son peuple et à tous les opprimés qu’il ne peut y avoir d’alternative crédible venant d’ailleurs pour les sauver. C’est en comptant d’abord sur eux-mêmes, sur leurs capacités intrinsèques à ” oser inventer l’avenir ” qu’ils trouveront les clés de leur développement et de leur liberté. Les spécialistes de la nouvelle dynamique du développement, ne diront pas le contraire.
Par Bendré
Source : hebdomadaire Bendré N° 663 du 15 au 22 octobre 2011 http://www.journalbendre.net/spip.php?article4157