Reconvertit aujourd’hui en acteur de la société civile, le docteur B. Pierre Bidima, fut un militant des premières heures de la révolution dirigée par Thomas Sankara. Mais l’autoritarisme de ce dernier à son paroxysme en 1987 va pousser le docteur Bidima comme tant d’autres dans le camp de la résistance active à la fois semi-clandestine et semi-ouverte contre l’absence de libertés et d’organisation rationnelle de l’organe dirigeant du pays : le Conseil National de la Révolution ( CNR). 22 ans après, l’homme se souvient de cette crise tragiquement dénouée un certain 15 octobre 1987. Pour le Dr Bidima, à cette date « une révolution a renversé une autre au Burkina. Heureusement pour nous qui combattions les déviations du CNR », ajoute-t-il non sans un soupir qui en dit long sur la peur d’être assassiné qui prévalait chez bien des opposants à Thomas Sankara avant la chute de son régime.
L’Hebdomadaire du Burkina : Vous êtes actif dans la politique et la société civile depuis au moins 25 ans. Mais pour les jeunes générations qui ne vous connaissent pas bien, qui est monsieur Pierre Bidima ?
Je suis Bangba Pierre Bidima, médecin de formation ; j’exerce au CHU-Yalgado Ouedraogo dans le département des maladies infectieuses. Depuis 2003, je suis le Président du Mouvement de la Paix, une association de la société civile. Au plan politique, j ’étais militant du PDP/PS mais depuis que ce dernier s’est fractionné en six partis politiques distincts après le décès de son fondateur, j’ai préféré me retirer pour militer uniquement dans le mouvement de la paix. Je suis marié et père de 3 enfants.
Le Mouvement de la paix est aphone depuis un certain temps. Pourquoi cette léthargie ?
C’est vrai, on ne nous voit pas beaucoup sur le terrain. Cela est dû à la nature même de notre association qui est une organisation d’opinion et non de développement comme le sont certaines ONG. Notre sphère d’activité est la sensibilisation, la formation, l’information et le plaidoyer sur les questions des droits humains et de la paix. Pour ce faire, il nous faut de l’argent ; ce que malheureusement nous n’avons pas suffisamment. Les cotisations et autres souscriptions des membres sont insuffisantes pour entreprendre la réalisation des grands projets. Nous allons certainement monter des projets et solliciter auprès des bailleurs de fonds des subventions car la paix n’a pas de prix.
Aujourd’hui avec le Mouvement de la paix, vous êtes plus dans la société civile que dans la politique, pourquoi ce choix ?
En réalité, il n’y a pas une muraille de Chine entre la société civile et la société politique. Le combat de ces deux entités est complémentaire. Au regard des différentes crises sociopolitiques qui se sont transformées en guerres civiles dans plusieurs pays africains, j’ai eu peur pour mon pays car ça n’arrive pas qu’aux autres. Alors j’ai décidé avec d’autres camarades de créer un mouvement prônant la paix pour attirer l’attention des uns et des autres sur la nécessité d’œuvrer à la préservation de la paix sociale. Nos discours s’adressent surtout aux gouvernants qui doivent créer les conditions nécessaires à la préservation de cette paix en réalisant la bonne gouvernance, en élargissant les libertés, en respectant les droits humains et en conduisant une politique de justice sociale. Nos écrits et nos déclarations s’adressent aussi aux gouvernés pour qu’ils s’approprient la culture de la paix et de la tolérance. Dans la société civile, on est plus à l’aise pour critiquer, plaider ou proposer objectivement. Dans une formation politique, les prises de positions, les propositions ou les critiques sont le plus souvent partisanes et subjectives, ce qui peut conduire à « jeter le bébé avec l’eau sale du bain ».
Comptez-vous un jour revenir pleinement en politique ?
Tout dépendra de l’évolution de la situation nationale. Si les intérêts supérieurs de la nation l’exigent, je peux revêtir un jour à nouveau le manteau politique. Mais pour le moment je suis de la société civile et n’appartiens à aucun parti politique.
Pourtant on vous soupçonne d’avoir aujourd’hui des sympathies pour l’UNDD d’Hermann Yaméogo, n’est-ce pas vrai ?
Les gens qui font de tel soupçon se trompent. J’ai milité à l’ADF-RDA avec Hermann comme chef ; puis je me suis brouillé avec lui en 2000 ; il m’a mis à la porte. Mais après la chute du gouvernement protocolaire en 2002, source de notre malentendu, nous nous sommes rencontrés, avons échangé et décidé de nous réconcilier car les valeurs que nous partageons (tolérance, paix, patriotisme….) sont de loin supérieures aux points censés nous diviser. Hermann est un grand frère et un ami, mais je ne suis pas militant de son parti.
Vous êtes connu aussi pour avoir milité sous la révolution dans une formation communiste clandestine, parlez- nous de cette expérience ?
La révolution était dirigée par un regroupement de plusieurs organisations communistes. PAI, ULC-R, UCB, GCB et l’OMR(*). J’étais militant de l’ULC-R d’abord puis ensuite j’ai démissionné pour adhérer à l’ UCB où j’étais plus à l’aise. A l’UCB, j’ai rencontré des hommes et des femmes entièrement dévoués et très solidaires. J’étais chargé de l’organisation du parti. L’UCB a joué un rôle important dans l’avènement du Front populaire car plusieurs de ses cadres étaient dans la résistance contre les déviations du CNR. La répression du CNR s’abattit sur eux d’abord. L’UCB a été aussi le noyau et la locomotive dans l’unification des organisations communistes intervenue en avril 1989 sous le sigle de l’ODP/MT. L’ODP/MT fut le résultat de la fusion des organisations politiques suivantes : GCB, UCB, PLP(*), OMR. Quant à l’ULC-R, elle ne rejoindra le train de l’unification qu’en 1991.
Dans quelques jours sera célébré l’anniversaire du 15-Octobre (l’interview a été réalisée le 09 octobre 2009). Pour beaucoup, cette date marque le début de la renaissance démocratique au Burkina, pour d’autres c’est un triste anniversaire, celui de la disparition du président du Conseil National de la Révolution(CNR) d’alors. Quels souvenirs évoquent pour vous cette date ?
Le 15 octobre est incontestablement une date historique. Une révolution renverse une autre au Burkina Faso. Le 15 octobre est aussi une date triste : il y a eu mort d’hommes. Le 15 octobre est également une date salutaire. C’est le début du processus de retour à une vie constitutionnelle normale ; c’est le point de départ du processus de retour à la démocratie. Le l5 octobre est donc une date à trois têtes, c’est un pur constat, une réalité.
En tant qu’acteur politique à l’époque, vous avez vécu les contradictions qui ont conduit à la chute du CNR, si l’on vous demandait d’expliquer aux nouvelles générations ce qui s’est passé, que diriez-vous ?
La jeune génération doit lire les archives de cette période. Les documents comme le mémorandum du Front populaire, le bilan des quatre années de révolution, malgré leurs insuffisances ici et là, sont des documents importants à parcourir par les jeunes. En 1987 rien ne va plus au sein du CNR ; l’organe dirigeant de la révolution est en crise avancée :
– Crise organisationnelle : pas de statuts, pas de règlement intérieur, pas de discipline, absence de cohésion, composition instable et changeante du CNR au gré de son chef Thomas Sankara ;
– Crise politique et idéologique qui se traduit par une allergie du chef aux critiques ; la question de l’unification des organisations communistes, la question syndicale, la refondation des CDR, la question des libertés etc. L’approche de toutes ces questions était divergente. Dans la pratique cela a conduit au bâillonnement, à la répression des étudiants pour avoir émis une opinion contraire dans un discours prononcé à Tenkodogo le 02 octobre 1987, répression des journalistes à la radio et à la presse écrite qui avaient une autre lecture des problèmes, répression du front syndical par l’arrestation des principaux dirigeants et l’organisation des putschs syndicaux avec la participation active (financement, impression des cartes de membre, logistique…) du secrétariat général national des Comités de défense de la révolution (C.D.R) ; des mots d’ordre à l’emporte-pièce (interdiction d’importation des fruits par exemple). Un détail important des putsch syndicaux que j’ai vécu : j’ai été convoqué au secrétariat national des C.D.R où on me fit savoir (je tais les noms) que sur instructions du camarade Président du Faso Thomas Sankara, je dois personnellement prendre la tête du syndicat des travailleurs de la santé (Syntsha). L’objet de la réunion à laquelle je fais référence était de savoir comment s’y prendre. Très rapidement, un scénario fut mis au point ; en juin 1987 les principaux dirigeants du Syntsha sont arrêtés et écroués. Le 22 juin 1987, nous commençons par destituer le bureau de la section de Ouagadougou par une assemblée extraordinaire du syndicat après avoir obligé le bureau légitime à rentrer dans la clandestinité pour échapper à la répression des C.D.R. Tous les dirigeants syndicaux étant sous contrôle, le dixième congrès du Syntsha peut maintenant se tenir les 25, 26, 27 juin 1987. A l’issue du congrès je fus porté à la tête du syndicat conformément aux instructions du Président du Faso d’alors, Thomas Sankara. Contacté par un camarade déjà en lutte contre les déviations du CNR, je rejoins la résistance aussitôt après le putsch syndical qu’on venait de m’imposer. Après ce détail important revenons aux crises :
– Crise entre les quatre chefs historiques de la révolution ;
– Crise gouvernementale avec la mise en service décidé le 14 Octobre 1987 en conseil des Ministres de la force d’intervention du ministère de l’Administration Territoriale et de la Sécurité (FIMATS), véritable contre poids au régiment de sécurité présidentiel. Lorsqu’un ministre au cours de ce conseil demande au ministre de l’Administration Territoriale et de la Sécurité la vraie raison de l’activation de la FIMATS, ce dernier déclare : « pendant longtemps on s’est occupé de nos ennemis maintenant, on va s’occuper de nos amis ». C’est dans un tel climat malsain qu’est intervenu le 15 octobre. Le dénouement violent qui est à regretter est le seul bémol. Sinon, la révolution d’Août nécessitait bel et bien une rectification.
Il nous revient que vous êtes de ceux dont la vie était menacée en octobre 1987. Est-ce vrai ?Thomas Sankara voulait-il en découdre de la sorte avec ses adversaires politiques ?
Oui la menace était très pesante. Il semble que Thomas Sankara a été informé (une fuite certainement) de la provenance des tracts qui lui étaient défavorables. On lui aurait dit que je faisais partie de la résistance. La réunion du CNR le 15 octobre 1987 à 20 heures devait certainement sceller mon sort ainsi que celui de tous les camarades qui combattaient les déviations du président Sankara, heureusement pour nous qu’elle n’a pas eu lieu.
Selon vous, quelles sont les erreurs les plus criardes qui ont dévoyé la Révolution burkinabè ?
Les erreurs les plus criardes qui ont terrassé la révolution s’appellent . manque d’organisation, gouvernance antidémocratique et autoritaire, absence des libertés, violations des droits humains…
Le sankarisme tel qu’il est professé aujourd’hui par les partis qui s’en réclament, est-il fidèle aux idéaux que défendaient Thomas Sankara et constitue-t-il, ce sankarisme, une alternative crédible au pouvoir actuel ?
Qu’est-ce que le Sankarisme ? Personne n’a encore réussi à le définir objectivement ; est-ce une idéologie ou un comportement ou autre chose ? Les héritiers de Thomas Sankara ont chacun une définition du Sankarisme. Chacune de ces définitions est subjective car elle ne repose sur aucune théorie de l’homme puisque Sankara n’a écrit aucun livre. Quand on parle du Marxisme on a la théorie de Marx élaborée par lui-même dans d’innombrables écrits. Le Léninisme se trouve élaboré dans les 45 tomes de Lénine ; même chose pour le Maoïsme. Même le Nazisme a sa base théorique dans le célèbre Mein Kampf (Mon Combat) d’Hitler. Le Sankarisme se définit dans quel livre de Thomas Sankara ? Les discours prononcés par Sankara ici et là ne sauraient constituer une base théorique sérieuse et suffisante pour définir le Sankarisme. Quant au Discours d’orientation politique (DOP), base théorique et programmatique de la révolution d’août, il a été entièrement réalisé par Valère Somé qui est toujours vivant et que je fréquente régulièrement. Sur quoi va-t-on donc se baser pour définir le Sankarisme ? Sur du néant ! D’où la prolifération des définitions subjectives et taillées sur mesure et au bout de compte l’impossibilité de réaliser la fameuse unité des Sankaristes. Dans ce contexte, le Sankarisme s’apparente à du sophisme et ne peut donc constituer une alternative crédible.
Dix-huit ans après la naissance de la IVème République, quel bilan faites-vous de la démocratie burkinabè ?
La démocratie burkinabé est naissante. Pour le retour à une vie constitutionnelle normale, le chemin a été long et périlleux. Mais au bout du compte, les Burkinabè sont parvenus à éviter la guerre civile et nous avons réussi à mettre sur les rails un processus démocratique qu’il faut maintenant consolider et approfondir. Les avancées démocratiques dans notre pays sont réelles et palpables surtout dans le domaine des libertés ; c’est le fruit de la lutte du peuple burkinabè tout entier. Nier ou méconnaître cette réalité, c’est nier les efforts et les sacrifices que soi-même a consentis en faveur de la démocratie. Nous devons œuvrer à approfondir davantage cette jeune démocratie que nous avons tous contribuer à mettre en place. L’une des faiblesses de l’opposition, c’est son émiettement en plus d’une quinzaine de partis politiques au moins.
Pensez-vous que la récente nomination d’un chef de file de l’opposition est une opportunité pour elle de se regrouper ou au contraire comme le pensent certains, c’est un os qui pourrait la diviser davantage ?
La nomination d’un chef de file de l’opposition est une bonne chose parce que ce faisant on respecte la lettre et l’esprit de la loi en la matière. Cette nomination peut effectivement booster les activités de l’opposition politique et l’amener à mieux s’organiser pour la conquête démocratique du pouvoir. Mais cette nomination peut aussi la diviser davantage si une vision sectaire ou trop partisane s’empare de l’institution.
Qu’est-ce que vous auriez voulu dire que nos questions ne vous ont pas permis de dire ?
Cette interview est en quelque sorte un témoignage sur les évènements du 15 octobre 1987 pour inciter la jeune génération et les historiens à s’intéresser davantage à cette date très importante pour notre démocratie. Il y a des questions intéressantes que j’aurai pu aborder avec vous telles que l’alternance, la situation en Guinée, la médiation de Président Compaoré, l’article 37 de la constitution, la gouvernance nationale etc. Mais on ne peut pas tout dire en une seule interview. Je donne rendez-vous à vos lecteurs pour une autre fois. Bon courage et merci à l’Hebdomadaire du Burkina qui fait un effort pour donner la parole à toutes les sensibilités.
Interview réalisée par Djibril TOURE
vendredi 16 octobre 2009
(*) : Définition des sigles : voir en encadré
Des sigles exotériques à profusion
Pour un averti de la scène politique burkinabè, la signification des sigles employés par le docteur BIDIMA dans cet entretien peut sauter aux yeux. Encore que… Mais pour beaucoup de la jeune génération, 35 ans et moins, l’évocation des formations politiques qui se disputaient la direction de la révolution conduite par Thomas Sankara peut paraître totalement exotérique. D’où ce mini glossaire de leur définition par ordre alphabétique :
– CNR : Conseil National de la Révolution
– GCB : Groupe Communiste Burkinabè
– ODP/MT : Organisation pour la Démocratie Populaire/ Mouvement du Travail
– OMR : Organisation Militaire Révolutionnaire
– PAI : Parti Africain de l’Indépendance
– PLP : Pour le Parti
– UCB : Union des Communistes Burkinabè
– ULC-R : Union de Lutte Communiste Reconstruite